Etat espagnol. Des clés du changement pour les prochaines élections du 26 juin

Pablo Iglesias sert la main à Pedro Sanchez. Derrière Iglesias, Íñigo Errejón
Pablo Iglesias sert la main à Pedro Sanchez. Derrière Iglesias, Íñigo Errejón

Par Manuel Garí

Les résultats obtenus le 20 décembre dernier par Podemos, En Comú Podem, En Marea, Compromis et IU-UP [Izquierda Unida-Unité populaire] ont été excellents, ils indiquent un progrès sans précédent des forces du changement. Il n’est pas suffisant. Il n’a pas été possible d’éjecter le Parti populaire (PP) du gouvernement, ni de dépasser, en nombre de sièges, un PSOE immobiliste et encore moins de former un gouvernement favorable aux intérêts de la majorité sociale.

Toutes les possibilités restent ouvertes pour la deuxième mi-temps qui se jouera le 26 juin 2016, y compris une option de régression que représenterait la résurrection de la droite ou la formation d’un gouvernement de «grande coalition» entre les partis du régime de 1978 [début de la transition] en opposition au spectre de l’avancée des forces démocratiques en faveur d’un changement. Nous laisserons ici les spéculations sur l’avenir aux commentateurs politiques et les prévisions en termes de sondages aux experts en la matière.

La situation, malgré le jeu laborieux des élites politiques, reste fluide, l’instabilité politico-institutionnelle continue. La crise prend des formes nouvelles et l’économie ne parvient pas à se redresser, les attaques aux salaires et aux conditions de travail se multiplient, les inégalités croissantes font partie de l’ossature du pays. Enfin, les institutions européennes ont envoyé des ordres de fer concernant l’«obligation de satisfaire aux engagements» en matière de coupes budgétaires afin de réaliser les normes absurdes et antisociales sur le déficit budgétaire et le paiement d’une dette croissante. Ce paiement est, bien sûr, fondé constitutionnellement grâce aux partis du régime [allusion au nouvel article 135, adopté en août 2011, qui subordonne le paiement de la dette à toute autre priorité].

Le conflit social reste l’axe autour duquel la bataille politique réelle se structure entre les différentes classes et secteurs de la société qui s’affrontent sur les salaires et la richesse, un conflit qui explique et donne une assise aux différents discours politiques, et aux lois qui assurent les gains ou «musellent» les gens. Des éléments qui, tous, semblaient avoir disparu de la scène ces derniers mois pour céder la place au ballet visant à la formation de coalitions proto-gouvernementales.

Le sort n’est pas encore fixé. Tout dépend de la manière dont chaque sujet politique agira, de la façon dont il sera perçu ainsi que de la façon dont il parviendra à maximiser ses forces et à minimiser ses faiblesses. Pour cette raison, je préfère centrer cette réflexion sur ce que peuvent (et doivent) faire les organisations de gauche et les mouvements sociaux afin d’impulser un troisième souffle à l’enthousiasme populaire en faveur de la création d’un nouveau cadre politique, institutionnel et économique au service de la majorité sociale. Pour y parvenir, les forces du changement devront introduire des modifications pertinentes sur trois points: 1° la détermination de l’objectif principal; 2° la tactique du jeu ; 3°et la mise en place d’une équipe, en opérant les remplacements nécessaires, équipe capable de jouer avec tous ceux qui se trouvent (encore) sur le banc de touche.

Dans ce cadre, ainsi que cela s’est produit lors de la montée de Syriza, les forces du changement peuvent multiplier leur influence et parvenir à obtenir des majorités. A condition qu’elles se présentent ensemble comme candidates au gouvernement, afin de sortir le pays du marais de l’austérité et de l’autoritarisme, ainsi que comme forces qui garantiront le droit à décider [de la Catalogne à déterminer sous quelle forme elle entend rester au sein de l’Etat espagnol ou se proclamer indépendante] au même titre qu’une démocratisation constitutionnelle profonde.

En ce moment, il n’est pas suffisant d’émettre des critiques justes, il est nécessaire d’assurer les alternatives. Cela implique que les forces du changement sortent sur le terrain pour «gagner» avec pour objectif clair d’éjecter le PP du gouvernement. C’est-à-dire le parti du pillage du domaine public, des politiques confiscatoires envers les classes subalternes et gardien empêchant les revendications des peuples des nations sans Etat.

Il faut aussi que ces forces du changement ne tentent pas simplement de remplacer le PSOE dans son rôle «d’opposition loyale» dans le cadre de l’ordre établi – en une sorte de transformation des nouvelles générations sous forme de pièces de rechange des élites anciennes – mais bien de le dépasser en nombre de suffrages et de députés. Cela comme condition sine qua non pour bâtir une nouvelle hégémonie dans le camp populaire qui permette la constitution d’un bloc politico-social majoritaire à même de faire face aux énormes défis du changement. Si ces forces ne parviennent pas, après le 26 juin, à accéder au gouvernement du pays, au moins elles conserveront suffisamment de force pour – suite à une opposition implacable face à un gouvernement oligarchique probablement instable – y arriver à l’occasion suivante.

A ce qui précède, une première conclusion peut s’exprimer:  l’hypothèse politique, le récit et le discours d’une fraction minoritaire, mais très active et bien située des forces du changement [référence à des courants de Podemos] se sont mises dans une impasse et souhaitent y placer l’ensemble des forces de changement. Pour avancer au plan des rapports de force, il ne suffit pas de faire appel aux manœuvres tactiques politiques permanentes qui ne sont pas étayées sur une stratégie. Le discours vide et académique du dogme de la transversalité comme catalyseur d’une nouvelle identité collective ne sert à rien. Dogme érigé en vérité absolue à laquelle on sacrifie le programme politique avec pour objectif d’occuper le centre politique – et non le centre de l’échiquier – jusqu’à «additionner» tout le corps électoral construit et constitué (enfin!) en un «peuple» qui vote et… délègue, laissant une nouvelle élite gouverner.

En politique, plus encore lorsqu’il s’agit de politique émancipatrice, il est nécessaire de mettre sur le tapis les objectifs, les tâches, les dangers et les points forts d’un gouvernement du changement. Et, par conséquent, les propositions concrètes que ce dernier envisage de concrétiser et autour desquelles est élaboré et fait sens un discours politique.

Pour que ne se répète pas, cette fois-ci à l’ouest du Mare Nostrum, ce qui s’est produit à Athènes suite à la mise en œuvre des exigences de la Troïka, il est indispensable de partir d’une évidence: l’affrontement avec les hommes vêtus de noir ne peut être remporté par des gens, aussi habiles soient-ils que Varoufakis ou Tsipras, dans une salle de négociation, mais bien au travers de l’adoption de mesures matérielles qui assurent l’indépendance du gouvernement face aux manœuvres des marchés financiers ou des oligopoles comme, par exemple, celui de l’électricité.

Je ne sais pas s’il s’agit de mesures de droite ou de gauche, mais certaines mesures comme une réforme fiscale du «type Robin des Bois» [fortement redistributive], le contrôle de la monnaie-marchandise et de l’énergie en portant des coups à la propriété privée des banques comme des entreprises électriques ou de fourniture de gaz et de pétrole, et cela en instaurant une propriété sociale, publique et démocratique. Il faut le faire en rendant possible la participation et la capacité d’initiative de la population, organisée, active et mobilisée qui vote mais ne délègue pas. Tout cela ne dissipera pas les attaques et les problèmes, mais cela permettra d’être en position de mener une bataille, de menacer le confort des propriétaires de l’euro ainsi que d’ouvrir le champ permettant la victoire.

La deuxième conclusion est que, ainsi que l’a mis en avant le Llamamiento por la confluencia política y electoral de las fuerzas del cambio en el Estado español [voir la traduction ci-dessous et l’original avec la signature d’une centaine d’intellectuels, artistes, etc.] [Appel pour la convergence politique et électorale des forces du changement dans l’Etat espagnol]: «le moment est venu. Podemos, IU et les diverses convergences ont été à même de secouer les inerties et d’entrer en contact avec des millions d’habitantes et d’habitants fatigués et en colère contre la vieille politique et les abus des puissants: ces formations ont obtenu l’autorité nécessaire pour se mettre à la tête du processus. Mais cette convergence ne peut se passer de personne et l’apport spécifique de chacun à la résistance face à l’oligarchie et à ses agents politiques doit être reconnu. La générosité, la responsabilité et l’esprit de coopération doivent présider à ce processus.»

Laisser passer l’occasion pour des motifs sectaires, d’abstraites théories identitaires, la défense d’une «marque» ou d’une quelconque autre cause, constituerait un crime de lèse-société (Tribune publiée dans le quotidien en ligne Público.es le 27 avril 2016, traduction A L’Encontre).

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Appel en faveur de la convergence politique et électorale des forces du changement de l’Etat espagnol (24 avril 2016)

Il importe de rassembler en une articulation politique commune et un e unique l’option électorale le dynamisme de Podemos et des différentes convergences d’organisations et d’activistes en provenance de mouvements sociaux – comme cela s’est fait, avec succès, en Catalogne, en Galice, dans le Pays valencien et en d’autres endroits lors des dernières élections municipales, autonomiques et générales – avec l’expérience militante et institutionnelle d’Izquierda Unida, ainsi que celle de l’Unité populaire naissante.

Il ne nous importe pas de savoir quelle formule est adoptée dès lors qu’elle traduit en pratique les principes de démocratie interne, de plurinationalité, de participation active de ceux et celles qui appuient l’initiative ainsi que le respect du pluralisme dans un cadre qui tend en direction d’une nouvelle organisation politique, un parti-mouvement réel, au-delà de la rhétorique et des bonnes intentions.

Le moment est venu. Podemos, IU et les diverses convergences ont été à même de secouer les inerties et d’entrer en contact avec des millions d’habitantes et d’habitants fatigués et en colère contre la vieille politique et les abus des puissants: ces formations ont obtenu l’autorité nécessaire pour se mettre à la tête du processus.

Mais cette convergence ne peut se passer de personne et l’apport spécifique de chacun à la résistance face à l’oligarchie et à ses agents politiques doit être reconnu. La générosité, la responsabilité et l’esprit de coopération doivent présider à ce processus.

Il est indispensable de bâtir un instrument qui soit à la fois stable et agile pour la défense de ceux d’en bas ainsi que l’irruption de ceux-ci sur la scène politique. Le malaise et le désespoir des personnes défavorisées les obligent à s’unir pour construire l’instrument en faveur du changement. Il est urgent de disposer d’un outil politique capable de renverser les politiques d’austérité, d’impulser des processus constituants démocratiques ainsi que de freiner l’écocide. Nous ne comprendrions pas que des questions de personne, des préjugés récurrents ou des mentalités sectaires fassent avorter l’effort unitaire.

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