Espagne. Le 22M, marches de la convergence

Diego Cañamero, porte-parole du SAT
Diego Cañamero, porte-parole du SAT

Par Diego Cañamero (SAT), Teresa Rodríguez (Podemos), Irene Montero

«Du pain, du travail et un toit!» Autour de ces revendications, des centaines de milliers de personnes

remplir les rues de Madrid samedi 22 mars. Les Marches de la Dignité envoyèrent au gouvernement et aux élites économiques un message clair d’indignation et de colère contre les politiques d’austérité, les coupes, le chômage, la précarité du travail et les conséquences découlant de la priorité donnée au paiement de la dette publique avant celle ayant trait aux droits fondamentaux des citoyens.

C’était l’une des manifestations au niveau de l’Etat parmi les plus importantes et nourries depuis le 15M [15 mai 2011]. Elle est parvenue à rassembler des organisations, des collectifs, des syndicats et de partis politiques de gauche. Bien que les marches aient commencé à émerger comme une protestation contre le niveau scandaleux du chômage qui frappe le pays, les revendications étaient tellement fondamentales qu’elles ne laissèrent aucun collectif indifférent. On peut mentionner: le Syndicat andalou des travailleurs (SAT), la Plate-forme des personnes victime des hypothèques (PAH – c’est-à-dire contre les expulsions de logement), les retraités, les travailleurs de l’éducation et de la santé publique, des Espagnols qui ont été contraints d’émigrer pour trouver du travail qu’ils ne peuvent obtenir en Espagne, les chômeurs de tous les coins du pays, des jeunes, des étudiant·e·s,… Un nombre sans fin de figures s’est donné rendez-vous dans les rues de Madrid parce que «l’ennemi est le même: le gouvernement et les élites financières».  

Diego Cañamero, porte-parole du SAT, Teresa Rodríguez, activiste sociale et candidate aux primaires de Podemos [plate-forme de ladite gauche radicale pour les élections européennes de mai 2014] et Irene Montero, activiste de la PAH analysent, pour Público, l’importance de cette mobilisation pour relancer la lutte au niveau de l’Etat espagnol contre les politiques mises en place depuis le début de la crise.

Diego Cañamero, porte-parole du SAT

«Le peuple est en train de construire ses propres mécanismes pour se représenter lui-même» 

Diego Cañamero explique avec clarté – après s’être mis à la tête de la colonne andalouse qui arriva à Madrid en provenance de Cordoue – les raisons pour lesquelles son syndicat impulsa une mobilisation comme celle-ci: «L’Andalousie doit répondre. Elle a un niveau de chômage de 37%, un chômage des jeunes de 67% et deux millions de pauvres. L’Andalousie devait se lever et cette marche est une preuve évidente de cette volonté. 600 autobus sont venus. Ce n’est pas un hasard, c’est parce qu’il y a une grande indignation» affirme le syndicaliste, qui avertit que «les gens pleurent beaucoup dans le silence de leurs maisons, derrière la porte et ce chagrin s’est transformé en rébellion pour sortir dans la rue.» 

Mais Cañamero sait que sortir dans la rue n’est en soit pas suffisant. Pour obtenir ce «pain, travail et toit» qu’il revendique, il voit comme étant nécessaire «l’unité, de nouveaux repères et de nouveaux outils.» «La convergence est importante dans cette mobilisation. La société est à la recherche de nouvelles références et de nouveaux outils parce que les partis traditionnels sont devenus caducs]. Le peuple est en train de construire ses propres mécanismes pour se représenter lui-même, avec unité à partir d’en bas et ceci est ce que nous essayons de construire: une orientation claire de l’économie pour le peuple et une démocratie pour le peuple.»

Il voit comme essentiel «de conserver l’unité de tout le monde pour dire au gouvernement qu’il doit s’en aller, qu’il ne représente plus les peuples de L’Etat espagnol, que le vote n’attribue pas un droit à commettre des abus. Le gouvernement s’est transformé en acteur de la maltraitance des gens et ceux qui maltraitent doivent être traînés en justice. Par conséquent, le peuple a la légitimité pour poursuivre ce gouvernement qui ne nous représente pas. Les sigles ne sont pas importants, ce qui est important c’est que le peuple soit uni dans la rue.» Il exige que les syndicats majoritaires [CCOO et UGT] s’interrogent «pourquoi les gens les ignorent.»     

C’est la raison pour laquelle les différentes colonnes et collectifs qui ont rejoint l’initiative ont l’intention de réfléchir à des actions jusqu’au mardi 25 mars à Madrid, malgré le déploiement policier qui accompagne la protestation. «On ne peut pas arrêter le peuple avec des policiers ni des matraques. On l’arrête avec la justice, la dignité et les droits.» [Voir sur la criminalisation de cette marche l’article publié sur ce site en date du 31 mars 2014]

Mot d'ordre de la «Marée verte»
Mot d’ordre de la «Marée verte»

Teresa Rodríguez, activiste sociale et candidate
aux primaires de Podemos

«Le défi de Podemos sera de transformer les revendications du 22M en décrets-lois.» 

Lors de la manifestation du 22 mars, Teresa Rodríguez, activiste marquante de la Marea Verde [mouvement social dans le domaine de l’éducation] en Andalousie et candidate aux primaires de l’initiative Podemos [1], s’accorde avec Cañamero sur la nécessité de nouveaux outils et références politiques pour «transformer en décrets-lois les revendications que nous voyons au sein de cette mobilisation.» 

«Ces marches sont aujourd’hui fondamentales, lorsqu’il y a un reflux de la mobilisation sociale. Il y a beaucoup de conflits isolés, mais il n’y a pas eu de mobilisation au niveau étatique et coordonnée depuis octobre 2013, avec la dernière grève dans l’éducation. Les marches peuvent ouvrir un nouveau cycle de mobilisations sur un plan général qui lient et stimulent les différents combats en les transformant en revendications communes et clairement en rupture [avec l’ordre socio-économique dominant], tel que le non-paiement de la dette et le refus des politiques d’austérité et les attaques contre les droits. Quoi qu’il en soit, le processus des marches a provoqué des dynamiques de coordination entre des luttes, soit qui entretenaient déjà des relations, soit qui n’en avaient pas encore établi; des territoires qui ne se coordonnaient pas, Ainsi, il remplit le double objectif d’établir une coordination au niveau territorial et entre des secteurs centrés sur leur conflit particulier», assure-t-elle, pour mettre en valeur le caractère «massif» du soutien apporté aux conflits particuliers au cours des jours durant lesquels les colonnes marchèrent jusqu’à la capitale. «Elle est parvenue à engendrer cette appropriation des responsabilités au moyen d’occupations de succursales bancaires ou de libérations d’espaces.»  

Elle souligne également l’opportunité que représentent les Marches de la Dignité, non seulement pour signaler les problèmes existant, mais aussi pour «que les collectifs se rencontrent ici et s’organisent au niveau étatique.» «La Marea Verde [mouvement contre les coupes et la privatisation dans le secteur de l’éducation] a profité de cette date pour se rencontrer, se réunir et organiser les prochaines mobilisations; la même chose se passe avec d’autres collectifs comme les yayoflutas [2], les petits épargnants, les personnes touchées par les hypothèques… Il faut profiter de l’occasion pour rétablir la coordination au niveau étatique afin d’arrêter ce gouvernement. Voilà de quoi il s’agit.»  

Elle marche en direction de la Place de Colomb entre deux cortèges, celui de l’Ustea – un syndicat de l’éducation – et celui de Izquierda Anticapitalista – l’organisation dans laquelle elle milite à Cádiz. Interrogée sur le nombre de personnes qui défilent avec l’autocollant de Podemos, Teresa Rodríguez se montre convaincue qu’ils «sont ici comme faisant partie de toutes les revendications qui ont été débattues au sein du programme et des revendications de Podemos», comme «la lutte contre la dictature des marchés et la dettocratie, et qu’il existe une correspondance entre ce qui se revendique dans la rue de manière organisée et ce qui fait l’objet de lois dans les institutions. Le défi de Podemos sera peut-être de transformer en décrets-lois les revendications pour lesquelles nous sommes venus ici aujourd’hui. C’est ce que nous envisageons à l’heure faire un saut en direction des institutions.»

Irene Montero, activiste de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca

«Notre ennemi commun est composé des élites financières et des gouvernements qui sont à leur service.»  

Entre les affiches de «Stop aux expulsions» qui remplissent le cortège de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH), Irene Montero, activiste du collectif pour le droit au logement, explique l’importance des marches pour le mouvement dont elle est membre. «Il y a une relation évidente entre le chômage et les expulsions. Les gens qui ne peuvent pas payer leur hypothèque ou leur loyer ou les jeunes qui ne peuvent pas quitter la maison des parents – comme cela nous arrive à beaucoup – ont une relation directe avec le fait d’être au chômage ou chômeur de longue durée. Un problème qui affecte toutes les dimensions de la vie des gens et qui s’aggrave avec les politiques de coupes dans les secteurs sociaux», dit-elle.

«Une fois qu’un membre ou deux d’une famille se retrouvent au chômage, ils ne peuvent faire face au payement de l’hypothèque et se trouvent non seulement face au problème de leur maison mais aussi à celui de l’alimentation, de l’éducation, de la santé… Il y a un rapport entre toutes ces dimensions. C’est pour cela que les différentes PAH se sont rassemblées à cette mobilisation, parce que ce qui est en jeu, ce sont la vie des gens», souligne-t-elle. Pour son collectif, «l’oligarchie financière de ce pays a décidé de continuer de s’enrichir sur le dos de la majorité sociale. En défense du droit à un logement digne, la PAH s’est jointe aux marches, mais aussi en défense des autres revendications qui touchent aux autres domaines de notre vie ainsi qu’à ceux qui sont affectés par les décisions de ces élites financières.»  

Montero souligne également l’importance de la convergence dans cette mobilisation. «Peu à peu nous prenons conscience de l’importance de la lutte dans les quartiers, les villes, les lieux de travail et d’étude autour de thèmes concrets comme la santé, l’éducation, le logement, etc. Mais nous faisons aussi face à un problème commun qui nous unit: la perte de droits et l’impossibilité de vivre une vie digne», ajoute-t-elle. Ce qui est provoqué par «un ennemi commun: l’oligarchie financière et les gouvernements – autant du PP que du PSOE – qui ont fait la démonstration de n’être rien d’autre qu’au service de cette dernière. C’est pour cela qu’en août 2011, ils réformèrent l’article 135 de la Constitution pour nous obliger à payer la dette réalisée par ces entités financières au détriment des droits sociaux. Cette conscience du fait que l’ennemi est commun et que la problématique est commune sur le fond nous fait converger dans une grande mobilisation comme celle-ci et j’espère dans bien d’autres à l’avenir. Nous avons dit que les marches viendraient pour rester et nous continuons à le dire. Bien que nous devions partir, nous continuerons d’œuvrer jusqu’à ce que l’on puisse nous garantir par notre action tous les droits que le pouvoir veut nous nier.»  (Traduction A l’encontre ; article publié sur le site Publico.es en date du 23 mars 2014.)

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[1] Podemos (Nous le pouvons) affirme, dans sa déclaration être né «pour transformer l’indignation en changement politique, pour construire une démocratie à travers la participation citoyenne et l’unité populaire». Après avoir indiqué que la démocratie ne consiste pas à voter chaque quatre ans, Podemos indique « nous travaillons au moyen des cercles locaux, régionaux et sectoriels, dans les villes, les bourgs, les quartiers, de manière ouverte et sans préconditions, sur trois axes fondamentaux: 1) la démocratie et la souveraineté populaire ; 2) la participation et la décision citoyenne ; 3) les droits sociaux, le changement de modèle productif, la répartition du travail et de la richesse». Podemos présente une liste aux élections européennes. Izquierda anticapitalista participe à ce «regroupement». (Rédaction A l’Encontre)

[2] Mouvement de retraité·e·s contre l’austérité; le terme est composé de yayo, papy, et la «flûte» fait référence aux propos méprisants lancés contre les indignés, qui seraient des «perrosflutas», de jeunes marginaux qui jouent de la musique avec des chiens (Rédaction A l’Encontre)

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