Les priorités de l’Occident semblent exclure les pauvres

Andrew C. Revkin

Demain, 6 avril 2007, sera publié un nouveau rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur la traduction, au plan climatique, des rapports hiérarchisés et de domination des économies du «centre» sur celles du Sud. La crise climatique fait ressortir, aussi bien au Nord qu’au Sud, les inégalités structurelles produites par le fonctionnement du système capitaliste et impérialiste. Les formes extrêmes de domination, d’oppression et d’exploitation ressortent, avec plus de force, sous les effets du mouvement de «bascule» climatique. La politique des groupes industriels, financiers et de services ainsi que celles des élites les représentant au plan gouvernemental et institutionnel exprime leur choix qui sont en harmonie avec les exigences de valorisation du capital, autrement dit de rentabilité des investissements effectués ou à venir. Cet article, à sa manière, illustre cela. (réd.)

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Les pays les plus riches du monde ­– qui ont jusqu’à présent contribué le plus, et de loin, aux modifications de l’atmosphère liées au réchauffement du climat de la Terre – sont déjà en train de dépenser des milliards de dollars pour limiter leurs propres risques et se protéger des pires conséquences, comme la sécheresse et la hausse du niveau des mers.

Mais malgré les engagements inscrits dans des traités déjà anciens, selon lesquels ils aideraient les pays pauvres à faire face au réchauffement du climat de la Terre, ces grandes puissances industrielles dépensent à peine quelques dizaines de millions de dollars en solutions pour limiter les dégâts climatiques et côtiers dans les régions les plus vulnérables du monde, situées pour la plupart près de l’équateur, et immensément pauvres.

Vendredi 6 avril 2007, un nouveau rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC/IPCC), l’organisme des Nations Unies qui évalue depuis 1990 le réchauffement planétaire, soulignera cette fracture climatique croissante qui voit les pays riches, situés loin de l’équateur, non seulement souffrir moins de conséquences, mais être mieux en mesure d’y résister, comme l’indiquent les scientifiques qui ont rédigé le rapport.

Les deux tiers de l’accumulation dans l’atmosphère du gaz carbonique, un gaz à effet de serre qui conserve la chaleur et qui peut persister dans l’air durant des siècles, ont leur source pour moitié aux Etats-Unis et pour moitié en Europe occidentale. Ces pays et d’autres pays riches investissent dans des usines qui tirent leur énergie du vent afin de transformer l’eau de mer en eau potable, en digues contre les inondations, en maisons capables de flotter si nécessaire, et en céréales et soja génétiquement modifiés capables de fleurir même en cas de sécheresse.

Au contraire, l’Afrique participe pour moins de 3% au total du gaz carbonique émis depuis 1900 par la combustion, et pourtant, selon les nouvelles conclusions scientifiques, ses 840 millions d’habitants font face aux pires risques de la sécheresse et de la perturbation des ressources en eau.

Tandis que les océans sont gonflés par l’eau de fonte des glaciers, ce sont les deltas des fleuves surpeuplés en Asie du Sud et en Egypte qui courent le plus de risques.

«C’est comme le naufrage du Titanic, les catastrophes ne sont pas démocratiques», a déclaré Henry Miller, professeur à la Hoover Institution de l’Université de Stanford. «Une plus grande fraction des passagers des ponts de 2e et 3e classe ont disparu. Nous allons assister au même phénomène avec le réchauffement global.»1

Ceux qui sont menacés ainsi commencent à élever la voix. «Nous avons à dire à ces pays, que vous provoquez une agression contre nous en causant le réchauffement global» a déclaré, en février 2007, le président Yoweri Museveni de l’Ouganda lors du Sommet de l’Union des Etats Africains à Addis-Ababa en Ethiopie. «L’Alaska va probablement devenir cultivable par l’agriculture et la Sibérie aussi, mais où cela laisse-t-il l’Afrique?»

Les scientifiques disent qu’il est devenu de plus en plus clair que les précipitations sont en train de se déplacer de l’Equateur vers les Pôles. Cela va arroser les cultures dans des régions qui se réchauffent comme le Canada et la Sibérie tout en rôtissant des pays qui, comme le Malawi en Afrique subsaharienne, sont déjà exposés à des sécheresses fréquentes.

Certes les pays riches ne sont pas épargnés par les inondations et les sécheresses, mais leur richesse va largement les mettre à l’abri des dégâts, en tout cas pour une génération ou deux, selon de nombreux experts.

Des grandes villes – au Texas, en Californie et en Australie – construisent déjà ou planifient des usines de dessalement. Et des études de services fédéraux des Etats-Unis ont montré que le dessalement peut fonctionner loin de la mer pour purifier l’eau de nappes souterraines saumâtres profondes dans des endroits comme le Nouveau Mexique. «L’injustice de toute cette situation est réellement énorme quand vous considérez qui est responsable et qui souffre en conséquence» déclare Rajendra Pachauri, le président du GIEC.

Dans son dernier rapport, paru en février 2007, le groupe conclut que s’ouvrent des décennies de réchauffement et de montée du niveau des mers rendus inévitables du fait de l’accumulation de gaz à effet de serre, quoiqu’on fasse pour réduire les émissions futures.

Pour le professeur Miller de la Hoover Institution, le monde devrait se concentrer moins sur l’objectif d’essayer de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre et se dédier plus à aider les régions en danger à devenir plus résistantes.

Beaucoup d’autres experts insistent pour dire qu’on n’est pas devant un choix entre une option et une autre. Ils reconnaissent qu’il faut prêter beaucoup plus d’attention à la réduction de la vulnérabilité des régions pauvres, mais avertissent que si les émissions ne sont pas fortement réduites, il y aura des siècles de réchauffement et de montée du niveau des mers qui vont menacer les écosystèmes, l’approvisionnement en eau et les ressources depuis le pôle jusqu’à l’équateur en nuisant aux riches comme aux pauvres.

Cynthia Rosenzweig – une spécialiste du climat et de l’agriculture à la NASA (National Aeronautics and Space Administration) et une des rédactrices responsable du prochain rapport d’impact du GIEC – a déclaré que si les nations riches du Nord peuvent être avantagées temporairement, «quand vous avancez de décennie en décennie dans le 21e siècle, à un certain moment – mais nous ne savons pas quand exactement se situent ces points d’inflexion – les effets négatifs vont dominer partout dans le monde.»

Quelques indices semblent indiquer que les pays les plus riches commencent à déplacer leur attention en dehors de leurs frontières. Des organisations humanitaires comme Oxfam et la Croix Rouge internationale, prévoyant un panorama de désastres naturels dûs au climat, centrent une partie de leur intérêt sur des projets tels que l’expansion des forêts côtières de mangroves afin qu’elles servent de «tampon» contre des tempêtes, la plantation d’arbres sur les pentes pour prévenir les glissements de terrain et la construction d’abris en hauteur. Certains responsables des Etats-Unis, du Royaume-Uni et du Japon disent que les dépenses d’aide au développement peuvent être orientées vers l’atténuation des risques du changement climatique. Les Etats-Unis, par exemple, ont mis en avant leur Millenium Challenge Corporation, qui fête ses trois ans d’âge, comme source de financement de projets dans les pays pauvres afin de développer la résilience à l’égard du changement climatique. L’examen des avantages environnementaux des projets vient tout juste de commencer, selon les responsables.

Les pays industrialisés liés par le protocole de Kyoto, le traité sur le climat rejeté par l’administration Bush, prévoient que des centaines de millions de dollars vont commencer à affluer dans un fonds d’adaptation au climat institué par le protocole.

Mais pour le moment, les dépenses effectives pour des projets d’adaptation aux endroits les plus vulnérables du monde totalisant environ 40 millions de dollars par année. «Cela frôle le dérisoire», déclare Kevin Watkins, le directeur de l’Office du rapport sur le développement humain de l’ONU, qui s’occupe de suivre les facteurs qui affectent la qualité de la vie à travers le monde.

Cette aide continue à faire défaut alors même que presque tous les pays industrialisés du monde, y compris les Etats-Unis que présidait alors le président Bush père (George Hebert Walker Bush, 1989-1992), se sont engagés à aider quand ils ont signé le premier traité à propos du réchauffement mondial, la Convention cadre sur le changement climatique en 1992. Par ce traité, les pays industrialisés promettaient d’aider les autres «qui sont particulièrement vulnérables face aux effets négatifs du changement climatique à faire face aux coûts d’adaptation.» Combien ils payeraient n’était pas spécifié.

Un Fonds Environnemental global de 3 milliards de dollars, alimenté par des contributions des pays développés, a alloué presque un milliard de dollars à des projets dans les pays les plus pauvres, projets destinés à limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Mais les critiques reprochent à ces projets de souvent n’apporter aucun bénéfice au plan local. Beaucoup d’entre eux concernent les grands pays en développement qui connaissent une industrialisation rapide et non pas les pays les plus pauvres.

James Connaughton, le principal conseiller du président George W.Bush pour les questions d’environnement, a défendu la concentration sur des efforts de développement plus larges:

«Si nous réussissons à orienter vers l’adaptation plusieurs milliards de dollars déjà investis dans des financements massifs du développement, cela  aura un effet beaucoup plus puissant que de mendier quelques millions de dollars de plus pour un fonds étiqueté ”climat”.»

Il est clair que les pays riches sont loin en avance sur les pays pauvres en matière d’adaptation au changement climatique.

Par exemple, les paysans aux Etats-Unis profitent des avancées dans les plantes cultivées génétiquement modifiées afin de prospérer durant les années sèches ou humides, nous apprend Donald Coxe  – chargé de la stratégie des investissements  – mais qui suit le climat , l’agriculture et l’énergie chez BMO Financial Group (groupe financier) à Chicago. Des nouvelles variétés de semences peuvent, selon lui, compenser 10 à 15% de diminution de pluviosité, soit juste le changement qui est prévu dans certaines régions autour des tropiques.

Toutefois il fait remarquer que l’Union européenne (UE) s’oppose toujours encore à la vente de telles semences génétiquement modifiées en Afrique et dans d’autres régions en développement.

La technologie aide aussi les paysans dans le Nord. John Reifstack, un cultivateur de troisième génération à Champaign dans l’Illinois (Etats-Unis), explique qu’il va bientôt planter plus de 30 millions de graines de maïs modifié génétiquement sur environ 400 hectares. Cela ne lui prendra que cinq jours environ, un rythme qui aurait été impossible encore il y a quatre ans. Le semis rapide a l’avantage que la plante pollinise avant les premières vagues de chaleur, ce qui maintient le rendement élevé.

Cette semence coûte 30% de plus que les variétés standards, mais l’avantage en vaut la peine, selon lui. Les précipitations sont toujours encore vitales, et il répète le vieux dicton: «C’est la pluie qui fait la récolte». Mais si le désastre frappe, l’assurance qu’il a contracté lui permettra de sauver son entreprise malgré une année perdue.

Tous ces facteurs pris ensemble augmentent la résilience, comme Reifstack et des agronomes le disent, et il est probable qu’ils permettront au premier monde, le monde industrialisé riche, de continuer à cultiver dans les générations à venir.

Pour Robert Mendelsohn, un économiste de l’Université de Yale, spécialisé dans le climat, le réchauffement du climat pourrait rendre nécessaire d’abandonner le vieux principe qui veut que chaque endroit puisse un jour produire sa nourriture sur place. Les pays pauvres qui dépendent de pluies, peu fiables et imprévisibles, devraient être encouragés à sortir leurs habitants de l’agriculture, à les déplacer en ville et à importer leurs aliments des pays du Nord.

Une autre possibilité, selon certains experts, c’est d’aider les régions pauvres à mieux savoir prévoir le temps qu’il fait. Dans certaines régions de l’Inde, les agriculteurs se fient toujours encore plus aux astrologues qu’aux services météorologiques de l’Etat.

Michael Glantz, un spécialiste des dégâts climatiques au Centre National de la Recherche atmosphérique, qui a consacré deux décennies à plaider en faveur de plus de travaux consacrés à l’adaptation au réchauffement, a appelé les pays riches à aider à établir un centre pour le suivi du climat et de l’eau en Afrique, qui serait dirigé par des Africains. Mais pour le moment, il lui paraît douteux que beaucoup soit entrepris. «Le Tiers-monde a dû se débrouiller tout seul et je pense qu’il va dans l’ensemble devoir continuer à se débrouiller tout seul», nous dit-il. (traduction A l’encontre)

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Cet article est paru dans le International Herald Tribune, en date du 2 avril 2007, en première page.

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