Environnement. «Le changement climatique, un fléau pour la santé»

Après des jours et des jours de retard, la vaccination contre le choléra commence au Mozambique

Par Audrey Garric

Il est en train de devenir le plus grand défi sanitaire du XXIe siècle. Le changement climatique, avec son lot de vagues de chaleur, d’inondations ou de sécheresses extrêmes, affecte d’ores et déjà la vie et la santé des humains, aggravant la mortalité et la morbidité aux quatre coins du monde. Autrefois perçus comme une menace lointaine ou incertaine, ces effets sont désormais documentés et confirmés par les récentes catastrophes, telles que le dévastateur cyclone Idai qui a tué plus de 1000 personnes au Mozambique et au Zimbabwe mi-mars et a entraîné une épidémie de choléra.

Cet enjeu est au cœur de la conférence mondiale «Santé et changements climatiques. Soigner une humanité à +2°», organisée par la Croix-Rouge française à Cannes, les 15 et 16 avril, à l’occasion des 100 ans de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), et dont Le Monde est partenaire.

Le changement climatique a déjà provoqué un accroissement du nombre de vagues de chaleur – la température mondiale a augmenté de 1°C depuis le début de l’ère préindustrielle. En 2017, 157 millions de personnes supplémentaires ont été exposées à des événements caniculaires comparé à l’année 2000, selon la dernière édition du « compte à rebours sur la santé et le changement climatique » du Lancet, revue médicale britannique de référence.

Ainsi, les populations vulnérables, notamment les adultes de plus de 65 ans, sont exposées au stress thermique, ce qui augmente leur risque de développer des maladies cardio-vasculaires et rénales. Le phénomène a été particulièrement observé en Europe – 70’000 personnes ont succombé à la canicule en 2003 – et en Méditerranée orientale, probablement en raison d’une population plus âgée vivant en zone urbaine. Ces chaleurs extrêmes ont entraîné la perte de 153 milliards d’heures de travail en 2017 dans le monde, dont 80 % dans le secteur agricole. Une baisse de revenus qui affecte encore davantage, indirectement, la santé des plus fragiles.

«Niveau de risque inadmissible»

Le réchauffement provoque également une recrudescence des allergies. «La hausse des températures favorise la diffusion de végétaux allergènes, comme l’ambroisie ou le bouleau en Europe, précise Sophie Godin-Beekmann, directrice de recherche au CNRS. Les allergies sont plus fortes dans les villes polluées car les gens sont plus fragilisés.»

Plus largement, les aléas climatiques touchent actuellement 27 attributs de la santé humaine (mortalité, morbidité, blessures, malnutrition ou encore espérance de vie), selon une large recension parue dans Nature Climate Change en novembre 2018.

Les inondations, les incendies ou les tempêtes entraînent des noyades, des asphyxies, des famines et la recrudescence d’épidémies, telles que le paludisme, la dengue, le choléra ou des diarrhées. Les risques climatiques altèrent également la santé mentale: des dépressions et des stress post-traumatiques ont été recensés après des tempêtes aux Etats-Unis, comme l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005.

«Les tendances actuelles en matière d’impacts, d’expositions et de vulnérabilité face aux changements climatiques font apparaître un niveau de risque inadmissible pesant sur la santé actuelle et future des populations du monde entier», alerte Hilary Graham, professeure en sciences de la santé à l’université de York (Royaume-Uni).

Alors que le monde se dirige vers un réchauffement de plus de 3°C d’ici à la fin du siècle, le changement climatique va-t-il se transformer en fléau de santé publique dans les prochaines décennies? Il pourrait entraîner 250’000 morts supplémentaires chaque année entre 2030 et 2050, selon l’Organisation mondiale de la santé.

«Investissements insuffisants»

Une «projection très conservatrice» car elle ne «tient pas compte de toutes les conséquences du changement climatique, prévient Andy Haines, qui enseigne les changements environnementaux et la santé publique à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Une autre étude prévoit, par exemple, que 530’000 adultes de plus mourront chaque année à la suite de la baisse de la disponibilité alimentaire d’ici à 2050, en particulier des fruits et légumes.» La Banque mondiale, elle, estime que si nous ne parvenons pas à infléchir le réchauffement, l’extrême pauvreté frappera 100 millions de personnes supplémentaires en 2030.

Malgré une menace qui se dessine de plus en plus nettement, les systèmes de santé ne sont pas suffisamment adaptés. Dans plus de la moitié des 478 villes ayant participé à l’étude publiée dans The Lancet, on s’attend à ce que le changement climatique compromette sérieusement les infrastructures de santé, soit directement, en raison d’inondations ou de tempêtes qui les rendraient inopérantes, soit indirectement, en augmentant le nombre de patients à traiter.

Pourtant, seulement 22 % des hôpitaux et 20 % des centres de soins ont mis en place des plans pour répondre à ce défi, selon l’enquête. Par ailleurs, le secteur de la santé représente moins de 5 % des dépenses consacrées aux mesures d’adaptation au réchauffement. «Ces investissements sont particulièrement insuffisants dans les pays en développement, où les systèmes de santé sont déjà fragiles et fragmentés», précise Andy Haines.

Au-delà de la mise en place d’un système de santé résilient et de la formation des personnels à ces nouveaux enjeux, scientifiques, climatologues comme épidémiologistes, appellent à une «transition urgente vers une économie neutre en carbone». La réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’énergie, les transports ou l’agriculture bénéficierait à la santé humaine, en ralentissant le changement climatique et l’érosion de la biodiversité. Hilary Graham l’assure: «Il est clair que la nature et l’ampleur de la réponse au changement climatique seront déterminantes pour la santé des nations dans les siècles à venir.» (Article mis en ligne par Le Monde en date du 13 avril 2019, à 7h00)

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