La guerre civile en Syrie est loin d’être terminée

Dans la banlieue de Damas
Dans la banlieue de Damas

Par Jeremy Bowen

Beaucoup de choses ont changé à Damas au cours des trois dernières semaines. Beaucoup n’ont pas changé.

Ce qui a changé, c’est que la Syrie a admis, pour la première fois, disposer d’un arsenal d’armes chimiques. Elle a exprimé son accord à un plan russe visant à le démanteler.

Ce qui n’a pas changé, c’est que la guerre utilisant des armes conventionnelles se poursuit. Son rythme s’est même accéléré.

Il y a trois semaines, les inspecteurs spécialistes en armes chimiques des Nations Unies étaient ici, rassemblant les échantillons dont ils avaient besoin pour trouver ce qui, exactement, avait tué tant de gens dans les environs de la capitale le 21 août.

Les Etats-Unis semblaient être au bord de lancer une attaque de missiles contre l’armée syrienne et le régime du président Bachar el-Assad.

De nombreuses personnes virent le départ des inspecteurs comme un feu vert pour l’attaque des Etats-Unis.

Elle n’est, bien sûre, jamais survenue. Le président Barack Obama s’est présenté devant le Congrès des Etats-Unis pour obtenir son approbation. Les Russes ont proposé leur plan. L’attention est désormais centrée sur la réalisation de celui-ci.

La pression de Moscou est centrale.

Ici, à Damas, la vie a son propre rythme qui n’est pas dicté par les rencontres internationales des pays les plus puissants du monde.

Le rythme est établi par la guerre. Les salves d’artillerie des batteries de l’armée syrienne battent la cadence dans les périphéries tenues par les rebelles.

J’ai entendu quelques récriminations au sujet de l’accord sur les armes chimiques. Des responsables du régime ont déclaré que certains étaient mécontents d’abandonner ce qu’ils considèrent comme étant potentiellement leur arme la plus puissante ainsi qu’un moyen de dissuasion dont se méfie en particulier Israël.

Mais la clé qui permet de savoir si le président Assad mettra en œuvre les termes de l’accord repose dans sa relation avec Moscou.

En supposant que la Russie désire que la Syrie abandonne son arsenal chimique – et dans la mesure où elle abandonne le sien, il n’y a pas de raison d’en douter – alors le président Assad ne voudra pas se mettre à dos son ami le plus important.

Les Russes vendent à la Syrie des armes et des munitions. Plus important encore, la Russie a couvert les arrières de la Syrie au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela s’ajoute à beaucoup d’influence.

La position de la Russie est cruciale. Si elle pousse le président Assad à honorer son engagement, il est difficile de voir comment il pourrait refuser.

Pour le président Assad, abandonner l’arsenal d’armes chimiques est un investissement dans l’avenir de son régime.

Une source du régime ici déclare qu’il n’y avait pas de choix. Cela approfondira sa relation avec Moscou et l’alternative était une frappe américaine potentiellement dévastatrice.

Ainsi que le président Obama l’a dit, l’armée des Etats-Unis ne fait pas des attaques de genre «piqûre d’épingle».

Il y a trois semaines, la possibilité d’une intervention des Etats-Unis signifiait que le terrain de la guerre conventionnelle semblait approcher un point tournant. Mais, dans la mesure où les Américains ont placé leurs plans militaires en attente, la guerre a repris sa forme habituelle.

Les forces aériennes syriennes font à nouveau des sorties au-dessus de la périphérie de Damas. La nuit, depuis le balcon des locaux de la BBC [à Damas], nous pouvons voir de grandes, rougeoyantes explosions au-dessus des positions tenues par les rebelles.

Le président Assad a toujours nié que ce sont ses hommes qui avaient effectué les attaques du 21 août et rendu les rebelles responsables des morts.

Le président Obama a déclaré dès le début qu’il désirait une attaque qui punirait le régime pour ce qui était, selon lui, l’utilisation d’armes interdites et le dissuader de faire la même chose une fois de plus. Il n’a, à aucun moment, dit qu’il souhaitait un changement de régime.

Mais les rebelles pro-occidentaux de l’Armée syrienne libre (ASL), qui pressèrent en faveur d’une aide militaire tangible pendant plus de deux ans, considèrent justement que cela importait peu pourquoi les Américains allaient mener l’attaque.

Ce qui comptait était qu’elles allaient, aux yeux du Pentagone, «casser» la capacité de combattre de l’armée syrienne.

Cela aurait pu avoir un impact profond sur le cours de la guerre. Le régime lui-même aurait pu être menacé. L’ASL a rejeté, avec colère, l’accord réalisé à Genève.

Obstacles à la paix

Beaucoup de choses peuvent encore changer. Des retards dans le désarmement des armes chimiques produiront plus de menaces américaines.

Mais les Etats-Unis devront être certains que le plan russe est bel et bien mort; cela devra être certifié en tant que tel par toutes les parties, avant de mener l’action militaire qui semblait imminente il y a seulement trois semaines.

C’est une bonne nouvelle que la Syrie abandonne son arsenal d’armes chimiques, à supposer que cela se produise. Cela signifie que le monde se trouve un pas plus proche de l’abolition complète d’une classe d’armes particulièrement nuisible.

L’accord de Genève a démontré également que les Etats-Unis et la Russie, aussi bien que les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, trouvaient des moyens de travailler à nouveau ensemble à propos de la Syrie.

Il y a toutefois de nombreux obstacles sur la voie de négociations authentiques, effectives, visant à mettre un terme à la guerre civile.

Ce n’est pas un accord qui pourra être fait à long terme par les membres permanents du Conseil de sécurité. Il devrait aussi comprendre toutes les parties à la guerre, ainsi que ceux qui les soutiennent.

Le régime syrien ainsi que les rebelles font face à un ensemble de préconditions. Les guerres civiles sont assez difficiles à régler.

Celle-ci à une autre couche de complexité: elle est devenue une guerre régionale, combattue par procuration. Et elle a un fort goût confessionnel, qui met en mouvement et enrage chiites et sunnites au Liban, en Irak et dans le Golfe.

N’attendez donc pas de rapides progrès vers la paix. Ou, peut-être, un quelconque progrès. (Traduction A l’Encontre)

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Article publié le 16 septembre sur le site internet de la BBC. Jeremy Bowen est rédacteur responsable pour le Moyen-Orient de la BBC. Il se trouve actuellement à Damas. Dans le fil de ses constats nous portons à la connaissance de nos lecteurs et lectrices la lettre ouverte, publiée dans la revue médicale prestigieuse The Lancet, par quelque 50 médecins fort connus.

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Un cri d’alarme de 50 médecins du monde entier

«Le conflit en Syrie mène à ce qui est sans doute l’une des pires crises humanitaires au monde depuis la fin de la guerre froide. On estime que 100’000 personnes ont été tuées, la plupart des civils, et de nombreux autres ont été blessés, torturé ou maltraité.» C’est un véritable cri d’alarme que lancent une cinquantaine de médecins du monde entier dans The Lancet.

15’000 médecins ont dû fuir à l’étranger

Hôpital détruit à Quousseir, mai 2013
Hôpital détruit à Quousseir, mai 2013

Dans une lettre ouverte signée par des grands noms de la médecine, comme le Pr Jules Hoffmann, prix Nobel de médecine 2011, le Pr Michel Kazatchkine, envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la lutte contre le sida en Europe de l’Est et en Asie centrale, ils dénoncent les agressions systématiques contre les professionnels de santé, les structures de soins et les malades. «Nous sommes consternés par le manque d’accès aux soins de santé pour les populations civiles touchées, et par le ciblage délibéré des installations médicales et du personnel», écrivent les auteurs qui rappellent des chiffres accablants: 37 % des hôpitaux syriens ont été détruits et 20% gravement endommagés. 469 professionnels de la santé sont actuellement emprisonnés, et environ 15’000 médecins ont été contraints de fuir à l’étranger, selon le Council on Foreign Relations. Par exemple, à Alep, sur les 5000 médecins qui exerçaient avant le début du conflit, seuls 36 sont restés…

Les malades chroniques abandonnés

Pour les auteurs, les «attaques délibérées» et «systématiques» placent le système de santé au point de rupture. Dans cette situation, «le nombre de personnes nécessitant une aide médicale augmente de façon exponentielle», écrivent les auteurs de l’appel. Les patients aux prises avec des maladies chroniques, comme le cancer, le diabète, l’hypertension et les maladies cardiaques, qui nécessitent une assistance médicale à long terme, n’ont nulle part où se tourner pour obtenir des soins médicaux essentiels. La population syrienne est vulnérable aux épidémies d’hépatite, la typhoïde, le choléra et la dysenterie.

Les épidémies menacent

La lettre souligne que «le manque de médicaments a déjà aggravé l’épidémie de leishmaniose cutanée, une maladie de peau infectieuse grave qui peut entraîner une invalidité grave». Le nombre de diarrhées aiguës augmente de manière alarmante. «Des organismes d’aide ont signalé en juin dernier une épidémie de rougeole qui balaie les districts de nord de la Syrie», poursuivent-ils. Dans certaines régions, les enfants nés depuis le début du conflit n’ont pas eu de vaccinations, ce qui signifie que les conditions d’une épidémie, qui n’ont aucun respect pour les frontières nationales, sont mûres. Face à cette situation dramatique, les cinquante signataires appellent «toutes les parties armées à respecter les fonctions des professionnels de la santé et leur neutralité médicale».

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