Débat. La question de la migration et la gauche

Un «accueil» à Mellila…

Par Carlos Girbau

Dans nos sociétés il existe des attitudes divisées à l’égard de ceux qui quittent leurs lieux d’origine et traversent les frontières pour s’installer dans d’autres territoires, que ce soit pour améliorer leurs perspectives de vie, pour des multiples raisons inscrites dans les conventions internationales pour la protection des réfugié·e·s, ou en raison des changements climatiques et des catastrophes écologiques.

L’augmentation du nombre de migrant·e·s et la rapidité avec laquelle ce chiffre augmente expliquent l’intérêt accru que les processus migratoires ont suscité ces derniers temps.

Le 11 juillet 2018, les Nations Unies ont présenté un document en 23 points intitulé «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulées», qui devrait être adopté lors d’un sommet des chefs d’Etat et des gouvernements [1] qui se tiendra à la mi-décembre au Maroc. L’objectif de cette rencontre est d’apporter une réponse aux situations vécues par les migrant·e·s, par les Etats d’où ils viennent et par les Etats vers lesquels ils se dirigent.

Aujourd’hui, l’Europe – ses institutions et les gouvernements – ressent l’arrivée de chaque embarcation de fortune sur ses côtes comme une véritable crise politique pour l’ensemble de l’Union européenne elle-même. C’est une crise qui continue à se développer en lien avec le racisme institutionnel qui s’impose de manière irrépressible dans la pratique par des rapatriements illégaux et forcés, par l’externalisation des frontières ou par le refus d’accueil et d’accès aux services sociaux. Le racisme institutionnel s’impose également par le biais de lois, comme la loi sur les étrangers dans le Royaume d’Espagne, ou celle récemment approuvée à l’unanimité, le 24 septembre 2018, en Italie [Décret Salvini «sur l’immigration et la sécurité» par le gouvernement, de facto, de Matteo Salvini – le ministre de l’Intérieur de la Lega et vice-président du Conseil des ministres, en fonction depuis le 1er juin 2018], ou encore toutes celles mises en place en Hongrie [par le gouvernement de Viktor Orbán, du Fidezs-Union civique hongroise, surtout depuis 2010].

Dans nos sociétés, il existe en outre de vastes secteurs qui «vivent» l’immigration étrangère avec inquiétude. Ils sont pris dans une confusion agencée qui joue avec la peur qu’éprouve une grande partie de la population: celle d’une accélération de la perte de «sa qualité de vie» et de son niveau de vie («déclassement social», emplois précarisés), une tendance qu’elle connaît déjà et qui provoque une insécurité vitale et qui est associée à «l’arrivée de ceux qui viennent de l’extérieur». Cependant et dans le même temps, cette même perfusion imparable de personnes qui traversent les frontières comme elles le peuvent, donne naissance à une nouvelle société métisse.

Le conflit entre peurs, douleurs, préjugés, besoins, possibilités et droits débouche sur une série de questions devant lesquelles la gauche politique et sociale vogue dans l’incertitude. Ces arrivées de migrants ne vont-elles pas donner le prétexte à une croissance du populisme et du fascisme racistes dans des pays comme l’Italie, la Suède, l’Allemagne, la Pologne, la Hongrie ou le Danemark? Les politiques sociales européennes pourront-elles perdurer? Une migration «sûre, ordonnée et régulée» est-elle possible pour éviter les actuelles scènes de souffrance brutales qui marquent toutes étapes de la migration? La coopération et l’aide au développement constituent-elles un moyen de freiner les mouvements de population?

Quelques chiffres sur les migrations

Les chiffres [2] représentent souvent le point de départ de tout «débat» sur la migration. Aujourd’hui, il y a un accord très large sur le fait que nous vivrons sur une planète où la proportion et le nombre total de migrants par rapport à l’ensemble de la population continueront à augmenter.

Combien sont-ils? En 2015, 244 millions de personnes vivaient dans un pays autre que celui où elles sont nées, soit près de 100 millions de plus qu’en 1990 (153 millions) et 3 fois plus qu’en 1970 (84 millions). Face à ces chiffres, certains soulignent que, dans un contexte comme celui de la croissance démographique mondiale, la part des migrants dans la population totale est encore faible. En 1970, les migrants internationaux représentaient 2,2% de l’humanité dans son ensemble; en 2015, ils représentaient 3,3%. Il convient toutefois de noter que si nombre de migrants l’échelle internationale est faible, ce constat tend à détourner l’attention de la donnée la plus pertinente de ces 35 dernières années: à savoir le rythme de la croissance.

• Où ces migrants vont-ils? En 2013, les deux tiers de tous les migrants internationaux résidaient dans des pays à revenu élevé (c’est-à-dire dans les plus grandes puissances économiques capitalistes du monde). Les données de l’OCDE, collectées depuis 2000, indiquent que les flux permanents vers les pays de l’OCDE sont passés de 3,85 millions de personnes en 2000 à 7,13 millions en 2015 (le pic en Europe étant dû à la guerre en Syrie, avec la destruction totale de ville par l’aviation russe et celle d’Assad, et la politique de terreur du régime). Il convient de noter que l’Allemagne et les États-Unis ont «accueilli», selon des modalités diverses, chacun, plus d’un million d’immigrant·e·s et le Royaume-Uni quelque 480’000.

• D’où viennent les migrants? De l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine et des Caraïbes. Dans le cas de l’Afrique, où se concentrent 33 des 50 pays les moins avancés (PMA), le pourcentage de migration à l’intérieur du continent est déjà le même que celui de la migration hors du continent (19 millions de personnes).

• Dans quels secteurs travaillent-ils? Par secteur, 71,1% des migrants sont engagés dans les services, dont 8% directement dans les services domestiques (sans compter ceux qui sont assignés à des tâches «souterraines» étant donné leur statut), 17,8% dans l’industrie manufacturière et la construction et 11,1% dans l’agriculture. Par sexe, 52% des migrants sont des hommes et 48% des femmes. 72% du total des migrants ont entre 20 et 64 ans et sont donc en âge de travailler [le statut de travailleur, sous toutes les formes, est, de fait, ce qui les caractérise en termes de rapports sociaux].

• Combien y a-t-il de réfugiés et/ou de personnes déplacées? Le nombre de personnes déplacées intérieures par la guerre ou par les persécutions a atteint plus de 40 millions en 2017, tandis que le nombre de réfugié·e·s a dépassé 22,5 millions. Ces données sont les plus élevées concernant les réfugié·e·s et les personnes déplacées que la planète ait connues depuis la Seconde Guerre mondiale. Encore une fois, si nous ne prenons que leur nombre total, nous perdons de vue l’aspect qui a changé, c’est-à-dire leur augmentation rapide en raison des guerres et des violations systématiques de tous les droits humains en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Yémen, au Congo (RDC), à El Salvador ou au Myanmar-Birmanie [Les Rohingyas – «minorité musulmane» – réprimés, massacrés et déportés vers le Bangladesh – où plus d’un million est concentré, en grande partie, dans l’un des plus vastes camps au monde: celui de Kutupalong – suite à la politique, dans la phase présente, d’un gouvernement où siège, la fille d’un général ayant été honorée d’un prix Nobel de la paix en 1991: Aung San Suu Kyi].

Quel est l’accélérateur du processus migratoire?

Un processus aussi vaste et complexe n’a pas une cause unique. On peut noter qu’il existe aujourd’hui une «facilité» de déplacement exceptionnelle, un coût global de toutes les communications internationales plus faible et une plus grande interconnexion de l’ensemble de la planète. Mais tout cela s’inscrit dans un cadre précis de relations économiques: le cadre capitaliste, et à un moment précis, celui de la mondialisation. Et c’est précisément cette mondialisation qui est le facteur qui accélère et façonne le processus migratoire actuel. C’est lui qui détermine le reste.

Comme l’a souligné Marx, le capitalisme se caractérise par le clivage radical et indéniable entre, d’une part, les moyens nécessaires à toute production et, d’autre part, les producteurs, ainsi que par la transformation des deux (moyens de production et producteurs, plus exactement force de travail) en marchandises. Les moyens de production représentent, en tant que marchandise, du capital et les producteurs sont, en tant que marchandise, la main-d’œuvre. Le premier ne peut se développer sans faire produire le second, et la force de travail ne peut obtenir les moyens de subsister sans se vendre aux détenteurs du capital.

En d’autres termes, aussi longtemps que pour survivre, la grande majorité de la population devra (obligatoirement) «vendre» sa marchandise (sa capacité à produire,donc sa force de travail) aux propriétaires des moyens de production (les détenteurs du capital), elle cherchera toujours un moyen de le faire. Et aucun mur, ni loi, ni force de police, ne pourront l’empêcher. Cette tentative peut coûter la vie à des êtres humains, ceux-ci peuvent être amenés à vivre sans papiers ou sans droits, être soumis aux pires conditions, mais ils sont contraints d’essayer de manger. C’est cette contrainte qui pousse l’être humain à «suivre l’argent» où qu’il soit et, par conséquent, à migrer, par étapes, là où cet argent est actuellement hyperconcentré.

Une internationalisation intéressée

La mondialisation représente un mouvement sans précédent de concentration de la richesse et du mouvement mondial des capitaux autour des noyaux les plus développés du système, parmi lesquels il faut inclure la Chine.

L’imparable recherche de rentabilité de la part du capital finit par envahir tout l’espace et par détruire, par intérêt «personnalisé» des détenteurs stratégiques du capital, ce qui n’obéit pas expressément à sa logique. C’est un processus qui crée d’énormes inégalités entre – et au sein – des États. La crise de 2008 n’a pas changé cette situation, mais l’a encore aggravée.

Comme le souligne l’économiste Francisco Louça dans un article de l’hebdomadaire Expresso [3], «les 5 plus grandes banques (des Etats-Unis) ont désormais plus de poids qu’en 2007 (47% du total des actifs bancaires) et 1% des fonds en possèdent déjà 45% du total mondial

Dans l’un de ses rapports [4], Oxfam rapporte que nous vivons dans un monde où 8 hommes (pas des femmes) possèdent la même richesse de 3,6 milliards de personnes, soit la moitié de l’humanité. Depuis 2015, le 1% le plus riche de la population mondiale est plus riche que le reste de la planète. Au cours des 20 prochaines années, 500 personnes légueront 2,264 billions de dollars à leurs héritiers, une somme qui dépasse le PIB de l’Inde, un pays de 1,3 milliard d’habitants. Aux Etats-Unis, au cours des trois dernières décennies, les 50% les plus pauvres de la population ont vu leurs revenus gelés, tandis que ceux des 1% les plus riches ont augmenté de 300% au cours de la même période (voir les données de Thomas Piketty).

Au cours de ces 30 années, dans les pays les moins avancés ou «en développement», des millions de personnes ont été dépossédées de leurs moyens de subsistance traditionnels, elles ont subi la saisie de toutes les ressources naturelles de leur environnement, elles ont été expropriées et poussées par les grands ouvrages [barrages avec effet sur les rivières, les zones de pêche polluées à l’extrême par le développement d’entreprises qui déversent «librement» leurs déchets toxiques, l’extension des cultures de rente comme le soja] à migrer et à s’entasser autour des villes. Il s’agit d’un phénomène de prolétarisation similaire, mais beaucoup plus important, à celui qu’ont connu les populations d’Europe ou d’Amérique aux XIXe et XXe siècles.

En fait, la migration internationale, malgré son importance croissante sur la scène mondiale, n’est pas la seule migration, ni même la principale. La grande majorité des personnes qui émigrent le font à l’intérieur des frontières de l’État où elles sont nées. En 2006, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) 2009, 740 millions de personnes étaient des migrant·e·s internes. Cette réalité est à l’origine de l’explosion urbaine sur des continents comme l’Asie et l’Afrique [5].

Le besoin de main-d’œuvre

Si 244 millions de personnes sont des migrants internationaux et 740 millions des migrants internes, il semble évident, par la simple force des chiffres, que la migration est une conséquence inévitable de la «dynamique» du système capitaliste, conséquence que la mondialisation du capital n’a fait qu’accroître. Sans cette contribution constante du travail à la «prospérité capitaliste dans les pays riches», il serait impossible d’en parler, et cela aussi bien en termes d’emplois que des politiques dites sociales. Le Bilderberg Club [qui rassemble, depuis 1954 les personnalités parmi les plus influentes du «monde politique et économique»], qui ne peut être soupçonné de gauchisme, souscrit aux conclusions du Longevity Center [think tank spécialisé sur la longévité – durée de la vie – et les changements démographiques] selon lesquelles, rien qu’en Europe, il faudra, d’ici à 2050, 11 millions d’immigrant·e·s supplémentaires pour maintenir le système de retraite. Pour sa part, et dans le même ordre d’idées, le Fonds monétaire international (FMI), avec sa défense permanente des fonds de retraite privés, affirme que le Royaume d’Espagne a besoin de 5,5 millions d’immigrants pour assurer le système public qui garantit le paiement des retraites.

• Serait-il possible que ces immigrant·e·s que toutes les études reconnaissent comme étant une main-d’œuvre indispensable, arrivent «de façon régulée»? Comme nous l’avons mentionné plus haut, les Nations Unies ont élaboré un pacte mondial qui vise «à réguler les flux migratoires», afin qu’ils répondent à ce paramètre.

Cependant, la croissance incontrôlée de la production, nécessaire pour rendre possible cette prospérité capitaliste, exige à son tour un afflux intense, avec sa dynamique «incontrôlée? de la main-d’œuvre. En d’autres termes, en période de prospérité économique (même à tonalité basse), «on» demande de plus en plus de main-d’œuvre et, par ce biais, on crée une «armée de réserve industrielle» dont les membres se disputeront chaque emploi. Elle représentera (en période de crise) la base de la surpopulation relative [mondialisée]. C’est le même mécanisme, par lequel la croissance fébrile de la production pendant la période de prospérité va finir par produire les conditions qui finiront par la se transformer en surproduction [par rapport aux débouchés] en période de crise. Cette alternance indispensable entre croissance, crise et désordre est l’environnement «naturel» du capitalisme, celui qui lui permet de poursuivre son développement.

C’est la raison pour laquelle le pacte de l’ONU se heurte à une contradiction fondamentale et insoluble qui tient à la nature même du capitalisme et, par conséquent, affecte ses fondements mêmes, transformant le Pacte en une proposition impossible.

Pouvons-nous réduire les départs?

Comme on l’a vu plus haut, la mondialisation concentre les flux de capitaux, de commerce et de main-d’œuvre dans les pays développés. La coopération ne change pas cette réalité, et, malgré toutes les bonnes intentions, elle la maintient inchangée. Les données sur l’investissement direct à l’étranger (IDE, ou FDI selon l’acronyme anglais) dans le monde, publiées en 2017 par la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) [6] décrivent la situation d’ensemble. Selon cette étude, 59% des flux mondiaux d’IDE sont concentrés dans les pays du G20, les plus développés, et seulement 0,8% dans les pays les moins avancés (PMA). Les méga fusions et acquisitions sont à l’origine d’une grande partie de ces flux. Une part importante de ces IDE ont été réalisés dans le cadre de la politique d’expansion et de pénétration des entreprises étrangères elles-mêmes. Dans le cas de l’Afrique, elle est directement liée à l’achat de biens immobiliers (terre: land grabbing), à l’infrastructure gazière et à l’industrie énergétique ou chimique et automobile (matières premières liées à ces secteurs).

L’envoi de fonds vers le «pays d’origine»

Cette pénurie des investissements étrangers ou d’aide au développement se reflète également dans l’importance que revêtent pour certains pays les envois de fonds par les migrants qui représentaient 575 milliards de dollars en 2015. Comme le soulignent Jesús González et Monfort Mlachila [7], ces envois de fonds étaient déjà presque le double de l’investissement étranger direct dans les PMA en 2011, alors qu’en 2015, ils représentaient davantage que l’ensemble des IDE en Afrique subsaharienne. En 2016, les envois de fonds des travailleurs émigrés représentaient 35,6% du PIB du Kirghizistan, 29,7% de celui du Népal, 29,6% de celui du Libéria, 27,8% de celui d’Haïti et 27,8% de celui des Tonga (Etat de Polynésie). [Chiffres fournit par les rapports de l’OIM: Organisation mondiale des migrations].

Ces chiffres montrent que tant que la mondialisation capitaliste et sa façon de ciseler l’économie mondiale resteront l’opérateur dominant, il n’y aura pas moyen d’éviter les départs ou les arrivées, ni de mettre plus d’«ordre» dans les uns et dans les autres, car c’est ce «désordre» qui caractérise l’économie mondiale.

Conclusions

Le poids numérique des migrants dans la composition démographique des principales économies mondiales fournit des données suffisamment révélatrices sur la composition actuelle de la population active des pays du G20. Au Royaume d’Espagne et en France, les migrants représentent environ 12,4%, au Luxembourg 45,9%, en Suède 17,27, en Autriche 18,82%, aux Etats-Unis 15,27, en Australie 28,6% et en Allemagne 15,3% [8]. Cette réalité métisse et plurielle est une réalité sans retour dans nos sociétés. D’autant que toutes les données officielles reconnaissent la contribution nette positive en termes économiques et le fait que le système lui-même en a besoin économiquement [9].

Dans ces conditions, il est «erroné» d’aborder le phénomène migratoire comme beaucoup le fait actuellement. Sont réactionnaires et contraires au progrès social, les politiques mises en œuvre et qui se fondent: sur le contrôle répressif et militaire des flux migratoires; sur les renvois massifs; sur des accords d’externationalisation passé avec des pays tiers [Turquie, Maroc, Libye qui deviennent les bâtisseurs subventionnés de camps de rétention de migrant·e·s (des camps de concentration dans plus d’un cas) et des «voyagistes» payés pour assurer les renvois de migrant·e·s vers leur pays d’origine, tout en devenant, simultanément, des pays d’accueil surexploitant à l’extrême des migrants]; ou sur le refus d’aide aux migrants, tel que le défendent et le pratiquent les dirigeants de l’Union européenne.

Il est impossible de parachever une fermeture des frontières ou d’organiser un flux «réglementé» des migrants lorsque, par exemple, des millions de touristes et d’hommes d’affaires traversent quotidiennement les frontières de l’UE, ce qui constitue déjà en soi, une affaire énorme [et des affaires tout aussi énormes]. Ceux qui défendent une politique visant à arrêter les départs des pays d’origine, de ne permettre de voyager que selon des quotas convenus ou de fermer les frontières, essaient, dans le meilleur des cas, de canaliser une rivière en crue avec de simples brindilles. Derrière ces stratégies, élaborées avec une très petite part de bonne foi et beaucoup de préjugés, de xénophobie ou de racisme, se cache une réalité qui divise la population avec un seul objectif pratique et réel: celui de réduire le coût du travail au détriment des droits d’une partie de la population, en favorisant ainsi ceux qui possèdent le plus.

Les politiques européennes qui sacralisent la division «entre les pauvres» constituent la base sociopolitique qui aide l’extrême droite dans son discours et ses pratiques. Une partie de la population qui est frappée, surtout dans ses conditions de vie, par la nouvelle «concurrence» de la part des nouveaux arrivants, craint une «perte d’identité ou de valeurs» [un «sens commun», au sens donné par Bourdieu, élaboré par différents acteurs étatiques et politiques]. Ces craintes sont le terreau sur lequel ces lois et à ces mesures pratiques de l’UE et de ses États cultivent une assise sociopolitique réactionnaire qui semble solide, mais qui, comme l’histoire l’a montré à chaque occasion, est totalement fausse et contraire aux droits de toutes les personnes.

C’est ce genre de discours contre l’égalité, voire en faveur de la «protection du foyer familial», qui a été utilisé pour refuser aux femmes leur place dans le monde du travail et leurs droits démocratiques. Il a également été utilisé pour maintenir les Noirs en esclavage. Dans aucun des deux cas de tels discours n’ont amélioré la situation du reste de la population. Au contraire, ce n’est que lorsque les syndicats, les partis de gauche et les associations ont considéré la défense de la pleine égalité comme un moyen fondamental de progrès que la prospérité culturelle, humaine et économique a pris son essor.

Aujourd’hui, une bonne partie de la gauche sociale et politique a des doutes face au phénomène migratoire parce qu’elle prend davantage compte des «dangers et des problèmes» entraînés par l’arrivée des nouveaux venus que des possibilités qui s’ouvrent réellement grâce à ce processus. Cette manière de penser est caractéristique d’un secteur qui a la nostalgie d’une époque passée. Une époque qui ne reviendra pas, non pas à cause de l’arrivée des migrants, mais à cause des changements que le capitalisme lui-même a subis au cours des dernières décennies, y compris, par exemple, la robotisation [et l’expansion d’une production sous forme de «chaîne de valeurs» mondialisée, gérée en temps réel grâce aux réseaux informatisés mondialisés]. La machine à vapeur ou l’utilisation exclusive des hommes dans divers secteurs qui existait à une certaine époque ont disparu, maintenant c’est la «fin du travail» exclusivement réservé aux «autochtones».

Ce ne sera pas une régression impossible au moyen d’une machine à remonter le temps qui va regagner les droits des travailleurs et des travailleuses et relever d’autres défis propres à construire des sociétés nouvelles et saines, mais une compréhension de la réalité et des possibilités qu’elle pourrait offrir.

La grande interconnexion économique, politique et sociale qui existe dans l’Union européenne s’exprime à travers de multiples politiques communes qui marquent la vie quotidienne de la population, même à la plus petite échelle. Aujourd’hui, cette Europe est utile surtout aux grands capitaux financiers et industriels, mais cette «Europe commune» dans la défense des coupes dans la politique sociale, des droits et l’emploi et dans le maintien des mesures xénophobes, donne aussi naissance à une population active, mixte et pluraliste dans chacun de ses Etats. Une citoyenneté qui ne pourra commencer l’être pleinement que si elle l’est en termes de droits élémentaires, pour tous et toutes les résident·e·s, à l’échelle européenne.

Le défi et la clé au sein de la gauche consistent, dans un premier temps, à gagner le combat des idées – face à ceux qui se taisent ou approuvent les politiques officielles – pour l’extension des droits, facilitant l’accueil et la naturalisation de ceux qui arrivent sur le «vieux continent», indépendamment de la rive ou de l’aéroport où le sort les a conduits. Nous avons besoin de l’égalité dans tous les droits matériels, ainsi que de la participation politique et sociale de ceux et celles qui habitent un territoire, sans restriction d’origine. Il n’y a pas d’autre moyen de garantir l’égalité et, par conséquent, l’unité des salarié·e·s que de partir de la pluralité de la population telle qu’elle se construit aujourd’hui.

Le seul moyen de mettre fin aux «rêves de la raison» [officielle et dominante] et de ses monstres consiste à répandre une démocratie effective à l’échelle de l’Europe face au pouvoir global de l’argent qui rétrécit tous les droits, actuellement. (Article publié sur le site Sin Permiso, en date du 5 octobre 2018; traduction de l’espagnol par Réd, d’A l’Encontre)

Carlos Girbau collabore au site Sin Permiso et est un militant social à Madrid

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[1] Les Etats-Unis ont déjà fait savoir, par la bouche du président Trump, devant l’Assemblée générale de l’ONU, qu’ils n’y participeraient pas.

[2] Les données utilisées dans ce paragraphe sont tirées dans celles publiées dans le Rapport sur la migration dans le monde, 2017, élaboré par l’Organisation internationale des migrations. Il se réfère aux données publiées par le Département d’Etudes sur les Affaires économiques et sociales des Nations unies et d’autres agences et organismes internationaux comme le FMI ou la Banque mondiale.

[3] https://expresso.sapo.pt/opiniao/francisco-louca/2018-09-14-Dez-anos-mal-contados-e-que-contam-muito. Traducción al español Viento Sur https://vientosur.info/spip.php?article14181

[4] Informe «Economía para el 99%» https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/file_attachments/bp-economy-for-99-percent-160117-es.pdf

[5] https://es.wikipedia.org/wiki/Megalópolis » \l « África

[6] https://unctad.org/es/PublicationsLibrary/wir2017_overview_es.pdf

[7] «Más allá de los titulares»,artícle publié dans Finanzas y Desarrollo, juin 2017.

[8] Nous nous référons à des personnes ayant un statut «légal» et non à l’ensemble de la migration, cela augmenterait bien sûr le nombre total.

[9] La Caixa (Banque), Inmigración y Estado del bienestar en España http://www.expansion.com/2011/05/04/economia/1304527911.html

 

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