Inde. Le 6 février, les paysans organiseront un nouveau «Chakka Jam»: pour exiger la fin de la répression et l’abrogation des lois agricoles

Par T.K. Rajalakshmi

Au moment où la ministre des finances Nirmala Sitharaman prononçait son discours sur le Budget le 1er février, les agriculteurs ont organisé une manifestation sur le tronçon Delhi-Bahadurgarh [ville qui se trouve à quelques kilomètres de Dehli] pour demander l’abrogation des trois lois sur l’agriculture. Ils ont de même protesté contre le harcèlement continu opéré par les institutions gouvernementales.

De nouveaux défis font face aux agriculteurs, car la police de Delhi, de l’Uttar Pradesh et de l’Haryana a barré les routes avec des blocs de ciment et des fils barbelés, a creusé des tranchées sur les routes adjacentes et a placé des herses sur des routes afin d’empêcher les agriculteurs avec leurs tracteurs de se joindre aux protestations et de s’assurer qu’ils ne se dirigent pas vers Delhi.

Les services Internet ont été fermés sur tous les sites de protestation et dans certains districts de l’Etat d’Haryana. Un certain nombre de paysans ayant participé au défilé du 26 janvier [la Parade des tracteurs qui s’est déroulée le même jour que l’officielle Parade de la République] et qui se sont égarés, par inadvertance, dans la région de Red Fort [Fort rouge: forteresse d’architecture moghole de Delhi] ont été arrêtés et placés en détention. Les syndicats d’agriculteurs ont constitué une équipe juridique pour demander leur libération.

Le harcèlement et les arrestations semblent n’avoir fait que renforcer la détermination des agriculteurs et des syndicats. Le Samyukta Kisan Morcha (SKM) – [ le Front uni de dizaines de syndicats paysans qui s’est formé en novembre 2020] – a décidé d’organiser un «Chakka Jam» – un blocage routier – le 6 février pour faire valoir ses revendications. Les routes nationales et d’État seront bloquées pendant trois heures, de midi à 15 heures ce jour-là. La manifestation sera pacifique, a déclaré le Comité de coordination de l’AIKSCC (All India Kisan Sangharsh Coordination Committee), un des organisations membres du SKM.

Lors d’une réunion publique le 2 février 2021, Rakesh Tikait, porte-parole de l’Union Bharatiya Kisan et principal animateur sur le site de protestation de Ghazipur – à la frontière entre Delhi et l’Etat d’Uttar Pradesh – a déclaré qu’il n’y aurait pas de «ghar waapsi», autrement dit de «retour à la maison» ; en effet, le slogan depuis le début du mouvement est «kanoon wapsi nahi, to ghar wapsi nahi»: «pas de retour à moins que les lois agricoles ne soient abrogées». Une visite surprise a été celle de Sanjay Raut [député à la Chambre haute de l’Union pour l’Etat du Maharashtra], membre du Shiv Sena [parti nationaliste hindou, très présent dans le Maharashtra]. Il a apporté son soutien à la mobilisation. Plusieurs conseils locaux de villages (mahapanchayats) de l’Uttar Pradesh et de l’Haryana ont apporté leur soutien aux agriculteurs et ont envoyé des agriculteurs sur les sites à la frontière de Delhi pour accroître le nombre de personnes présentes.

Plus de soutien politique

En début de semaine, Sukhbir Badal, le président du Shiromani Akali Dal [parti politique indien sikh, principalement implanté au Penjab], et le député Abhay Chautala, membre de l’Indian National Lok Dal (INLD) sont également venus rencontrer Rakesh Tikait et l’ont assuré de tout leur soutien. Abhay Chautala, le seul élu représentant l’INLD, a démissionné de l’Assemblée de l’Haryana pour protester contre les lois agricoles. En Haryana, où les agriculteurs continuent de protester contre les lois agricoles, il existe un énorme ressentiment contre le gouvernement de coalition dirigé par le Bharatiya Janata Party (BJP) et le Jannayak Janata Party (JJP).

Pendant ce temps, le deuxième jour de la session budgétaire du Parlement, l’opposition a posé la question des lois agricoles, de la mobilisation des agriculteurs et du harcèlement dont étaient sujets les agriculteurs dans les deux Chambres. Dans la Lok Sabha [chambre basse], le ministre de l’agriculture Narendra Tomar a déclaré qu’il était prêt à discuter au sein du Parlement et l’extérieur, bien qu’il n’ait pas fait de nouvelles ouvertures pour des discussions avec les agriculteurs. Près de quinze jours se sont écoulés depuis la dernière réunion avec les organisations de paysans, mais aucune nouvelle date n’a été proposée pour des discussions.

Après le 11e cycle de négociations, la troisième semaine de janvier, lorsque la proposition du gouvernement de suspendre les lois a été rejetée, Narendra Tomar et son équipe de négociation ont transmis aux agriculteurs un message du type «à prendre ou à laisser». Une fois de plus, les négociations ont abouti à une impasse, car il n’y avait aucun engagement sur la légalisation du prix minimum de soutien (PSM) basé sur la formule recommandée par la Commission présidée par Monkombu Swaminathan [généticien et agronome considéré comme le père de la révolution verte en Inde]. Il n’y a pas eu non plus de progrès concernant les autres revendications. En outre, le 11e cycle de discussions du 22 janvier a été une expérience humiliante pour les agriculteurs car ils ont dû attendre fort longtemps l’équipe de négociation du gouvernement dirigée par le ministre de l’agriculture.

Le gouvernement a défendu les «fortifications» élevés autour des sites organisés par les paysans. Le chef de la police de Delhi a feint une légère indignation lorsqu’il a été interrogé à ce sujet par des journalistes. «Je suis surpris qu’aucun d’entre vous n’ait posé ces questions lorsque les barricades élevées par la police ont été brisées et les policiers blessés. Nous avons, actuellement, seulement renforcé ces barricades pour qu’elles ne soient pas brisées à plusieurs reprises» a-t-il déclaré.

Environ 115 fermiers ont été emprisonnés après avoir été arrêtés par la police le 26 janvier lors de la parade des paysans. De nombreux agriculteurs ont été battus par la police, certains ont dû de se faire recoudre le cuir chevelu suite aux coups de lathis [longues matraques héritées de la période coloniale], alors que plusieurs tracteurs étaient endommagés et que leurs pneus étaient dégonflés. Au moins un agriculteur, Navreet Singh, est mort lorsque son tracteur s’est renversé. Plus de 170 agriculteurs sont morts jusqu’à présent lors des manifestations, dont deux agricultrices du Maharashtra qui manifestaient à la frontière de Shahjahanpur. (Article publié le 3 février 2021 dans le magazine Frontline; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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