Corée du Nord-Chine. Les frasques de Kim Jong-un mettent en difficulté Pékin

CoreeNPar Michel De Grandi

Le sujet est clairement sur la table des dirigeants chinois: la Corée du Nord est-elle toujours l’alliée de la Chine? Sur le papier, oui, car les deux pays sont liés par un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle signé en 1961. Dans les faits, rien n’est aujourd’hui moins sûr.

Il existe, entre les deux voisins, des divergences si profondes que le statut même d’allié, au-delà des seuls termes du traité, ne se justifie plus. Il est loin le temps où Kim Jong-il, le père de l’actuel dirigeant, sautait dans son train blindé et venait visiter la Bourse de Shanghai ou les sociétés de télécommunications installées dans le sud du pays. Xi Jinping, qui est au pouvoir depuis 2013, ne s’est pas rendu une seule fois en Corée du Nord. Pour le 70e anniversaire du Parti des travailleurs, c’est le numéro cinq du Parti communiste chinois qui a été dépêché à Pyongyang. Le tir, début janvier, que le régime stalinien a présenté comme celui d’une bombe H, a particulièrement embarrassé les dirigeants chinois. Déjà, parce que Kim Jong-un a trahi un engagement pris quelques mois plus tôt de ne plus procéder à un tir de ce type. Ensuite, parce que c’est la parole même de la Chine comme puissance stabilisatrice dans la région qui est mise en cause. Enfin, c’est aussi la stratégie de Pékin de se rapprocher de Séoul qui s’en trouve fragilisée.

Signe de la colère bien sentie de Pékin: avant le vote, début mars, de la résolution de l’ONU, les autorités chinoises ont délibérément choisi de se ranger du côté des Américains et de faire, ainsi, front commun avec les puissances occidentales pour durcir les sanctions. Tout en agissant dans un contexte multilatéral avec le Japon, la Corée du Sud et, bien sûr, les Etats-Unis pour faire pression sur Pyongyang, la Chine a pris, en plus, des mesures bilatérales. Plusieurs banques chinoises, et notamment une succursale de l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), première banque du pays, ont ainsi gelé des comptes appartenant à des ressortissants nord-coréens. Le journal «Dong-A Ilbo» rapporte que tous les dépôts et transferts de devises étrangères ont été suspendus sur les comptes aux noms nord-coréens.

Il faut dire que l’affaire du «Courchevel nord-coréen» n’a pas non plus ravi les dirigeants de Zhongnanhai, l’Elysée chinois. La création d’une station de sports d’hiver équipée, notamment pour les remontées mécaniques, de matériel européen a clairement montré les limites de l’embargo imposé depuis 2006, année du premier essai nucléaire souterrain, au régime de Pyongyang. Il a surtout mis en évidence les courants d’affaires qui se sont développés via la Chine. Des firmes peu scrupuleuses ont en effet acheté des équipements à des sociétés européennes puis, par diverses sociétés écrans, les ont revendus à des acteurs nord-coréens. Déjà déstabilisés par le côté imprévisible du dirigeant nord-coréen autant que par son sens de la provocation, les dirigeants chinois doivent en plus faire le ménage dans leurs propres rangs. Et s’avèrent finalement relativement impuissants.

La Chine est confrontée à un choix impossible. Soit elle ferme les yeux et apparaît comme un soutien indéfectible du régime nord-coréen, soit elle prend vraiment ses distances, et ce sont les équilibres régionaux qui s’en trouvent bousculés. Pékin est de loin le principal fournisseur d’aide alimentaire à la Corée du Nord. Que la Chine suspende cette aide, c’est non seulement un risque accru de famine dans la population mais, aussi, un afflux probable de réfugiés sur son sol. Les autorités tremblent encore à l’idée de revivre les invasions du début des années 2000, lorsque des ressortissants nord-coréens prenaient d’assaut des ambassades ou des territoires diplomatiques dans la capitale chinoise, dans l’espoir de décrocher un droit d’asile. Le problème est le même pour la fourniture d’énergie. La Chine a beau réduire sans cesse les quantités de pétrole livrées au régime stalinien voisin, elle ne peut les couper totalement sans prendre le risque d’asphyxier cette économie particulièrement fragile. Aujourd’hui, le développement du nucléaire comme celui des armes de guerre, et notamment des missiles, dépend à la fois de l’apport de technologies et de capitaux. En fermant l’un ou l’autre de ces robinets, il y a effectivement possibilité de ralentir ces programmes. Encore faut-il avoir une démarche efficace et cohérente qui ne soit pas affaiblie par des intérêts particuliers, comme dans le cas de la station de sports d’hiver.

Même si l’alliance Pyongyang-Pékin prend l’eau, la Chine, qui est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ne lâche pas totalement son voisin. Elle s’est ainsi opposée, comme la Russie, au projet de saisine de la Cour pénale internationale à l’égard des crimes contre l’humanité commis dans cette partie de la péninsule coréenne. Aujourd’hui, on le voit bien, Pékin est lassé de protéger son petit frère bien encombrant et fortement dissipé. Mais les autorités chinoises n’iront pas jusqu’à provoquer la chute du régime stalinien voisin. Car, à tout prendre, elles préfèrent sans doute encore les frasques d’un Kim Jong-un, qui leur garantit en contrepartie un sas de sécurité entre la Corée du Sud sous influence américaine, qu’une péninsule coréenne en phase de réunification. Elles auraient alors un jour ou l’autre les Etats-Unis à leur frontière, un scénario hautement inenvisageable à Zhongnanhai. (Les Echos du 9 mars 2016)

 

Déclaration télévisée concernant «l’attaque nucléaire préventive»
décidée par le chef suprême des armées

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*