Myanmar-Birmanie. Les Rohingyas massacrés et persécutés. Une réprobation fonctionnelle. Et un silence de «paix des cimetières», quasi Nobel…

Dossier établi par Thomas Cluzel
et la rédaction de A l’Encontre

Quand l’indifférence triomphe, éclate le cri de colère lancé par l’éditorialiste du quotidien de New Delhi The Hindu autour du drame des Rohingyas, obligés de fuir la Birmanie. En moins de deux semaines, la violence généralisée a chassé de leur pays d’origine près de 125’000 membres de cette minorité ethnique musulmane. Or l’Inde, abandonnant ses rêves de compassion et ses principes d’hospitalité, se refuse aujourd’hui à accueillir ceux qui, depuis le Bangladesh, souhaiteraient rejoindre le sous-continent. Derrière cette tragédie, écrit le quotidien, se cache en réalité une «bureaucratie convaincue qu’une nation ambitieuse comme la nôtre n’a pas besoin d’un peuple de vaincus, les Rohingyas. Quand la bienveillance devrait nous amener à les considérer comme des réfugiés, nos dirigeants, eux, les considèrent comme des migrants clandestins. Et pourtant. Comment notre pays, qui a offert un foyer aux Tibétains, aux Afghans et aux Juifs, peut-il rester aujourd’hui muet et indifférent à l’égard de ceux qui n’ont plus rien?» Et l’éditorialiste d’en conclure: «Il ne s’agit pas seulement de sauver un peuple persécuté, il s’agit de sauver l’âme de notre pays.»

• Toujours est-il que plusieurs régions du monde à majorité musulmane se font désormais l’écho de ce sentiment. La chaîne CNN rapporte qu’en Indonésie, en Malaisie, au Pakistan ou bien encore en Tchétchénie, de plus en plus de manifestants descendent, à présent, dans la rue pour protester contre le traitement infligé aux Rohingyas. A Grozny (capitale de la République de Tchétchénie, au sein de la Fédération de Russie), lundi 5 septembre, ils étaient plusieurs milliers, un million selon les autorités rapporte le Moskovski Komsomolets, à manifester devant la principale mosquée de la ville au cri de: «Arrêtez le massacre». Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a aussitôt saisi l’occasion pour fustiger le silence des médias russes sur le «génocide des musulmans en Birmanie»: «Quand des explosions et des tueries se déroulent quelque part en Europe, nos médias sont immédiatement sur la brèche. Mais quand plusieurs milliers de musulmans sont tués en quelques jours, tout le monde garde le silence.» Evidemment, sur ce point, Kadyrov n’a pas tort. Les chaînes fédérales russes n’ont évoqué ni le sort des Rohingyas, ni les manifestations devant l’ambassade de Birmanie à Moscou.

• Mais une question demeure: pourquoi le sort des Rohingyas de Birmanie a-t-il, si soudainement, ému Ramzan Kadyrov, lui qui n’a jamais émis la moindre réserve, par exemple, sur les bombardements par l’aviation russe de civils musulmans sunnites (courant auxquels appartiennent les Tchétchènes) à Alep? Voici la réponse du quotidien Vedomosti: dans un pays où le pouvoir se fonde davantage sur les liens personnels que sur la fonction officielle, Kadyrov prétend désormais à la fonction informelle de «président des musulmans russes». En renforçant son influence sur la minorité musulmane en Russie, il vise ainsi à rendre quasi impossible son remplacement à la tête du pouvoir tchétchène ou le démontage de son système politique. Et son audace semble pour l’instant payer puisque Moscou, qui s’était toujours opposé jusque-là à toute condamnation de la Birmanie au Conseil de sécurité de l’ONU, a fini par condamner «la violence contre les musulmans», enjoignant même aux autorités birmanes de «reprendre le contrôle de la situation». Bien entendu, la rapidité de cette métamorphose a de quoi frapper. On peine à croire que le Kremlin se soit, enfin, senti concerné par le drame du peuple Rohingya. D’où cette question: «Kadyrov dicterait-il désormais la politique extérieure russe?» s’inquiète notamment le quotidien Moskovski Komsomolets, repéré par le Courrier International. Sans doute qu’à l’approche de l’élection présidentielle de 2018, le Kremlin est prêt à accepter cette nouvelle sortie du président tchétchène afin d’éviter un nouveau foyer d’instabilité dans le Caucase. Selon d’autres analyses, cet épisode arrange, au contraire, Moscou. Pour le site Gazeta, aux yeux de la «communauté internationale», la Russie fait ici une déclaration forte en s’adressant directement au monde musulman.

• De son côté, un membre de la plus grande organisation musulmane indonésienne lance, lui, un appel au calme après les tensions provoquées dans son pays par la tragédie des Rohingyas. Et il prévient: «Des extrémistes indonésiens sont tentés, désormais, d’utiliser la crise dont sont victimes les membres de cette minorité musulmane en Birmanie. Attention à l’instrumentalisation de la tragédie des Rohingyas.» Il est essentiel de ne pas se leurrer sur ce qui se passe réellement résume le site Tempo, avant de préciser: «L’une des raisons principales de ces violences tient à l’énorme potentiel de ressources en pétrole et en gaz naturel dans l’Etat de l’Arakan, où vivent les Rohingyas. Une manne qui attise les convoitises des entreprises à la fois britanniques, françaises, malaisiennes, chinoises et russes.»

La chef du gouvernement birman, de facto, et prix Nobel de la paix 1991, Aung San Suu Kyi, le 30 novembre 2016, à Singapour

• Bruno Philipp, dans Le Monde, en date du 6 septembre 2017, pose la question: que cherche la «prix Nobel de la Paix» (1991), Aung San Suu Kyi, ancienne «icône» démocratique? Il propose l’analyse suivante: «En tant que – de facto chef du gouvernement birman, [elle] a choisi l’option politique de la compromission avec une armée en train de se livrer à une vaste opération de purification ethnique – certains osent le mot de génocide – à l’encontre des Rohingyas, cette minorité persécutée de l’ouest du pays. Depuis la victoire de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), aux élections de novembre 2015, la question de la pertinence et de l’efficacité de sa stratégie a été maintes fois posée. En deux ans, le bilan de son action est maigre; et, même si elle occupe le double poste de conseillère d’Etat et de ministre des affaires étrangères, c’est encore et toujours l’armée qui a le dernier mot dans cet étrange pays dirigé durant près d’un demi-siècle (1962-2011) par des militaires.»

«Depuis le 25 août, date de la spectaculaire attaque des hommes de l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA) – l’Arakan est l’ancien nom de l’actuel Etat Rakhine, où vit la minorité musulmane en question –, environ 400 personnes sont mortes, en majorité rohingyas. Des centaines de maisons ont été brûlées par les forces de sécurité et environ 130 000 musulmans ont fui au Bangladesh voisin. Une hémorragie sans précédent dans la longue et douloureuse histoire des Rohingyas.

Il s’agit donc d’une crise humanitaire et politique majeure. Que dit Aung San Suu Kyi? Non contente de justifier les opérations de «nettoyage» contre le «terrorisme» dans les zones de peuplement musulmanes jouxtant le Bangladesh, l’ancienne dissidente accuse le Programme alimentaire mondial (PAM) d’aider les combattants en distribuant des rations de survie aux réfugiés rohingya de l’intérieur!»

«La réaction de celle dont le prix Nobel de la paix 1991 avait récompensé le courage, quand Suu Kyi l’«Antigone » était assignée à résidence par les prédécesseurs des chefs actuels d’une armée avec laquelle elle pactise, est pour le moins saisissante.»

«Ce qui amène à poser une simple question sur la Birmanie compliquée: « Daw Suu», comme on l’appelle en Birmanie, est-elle à ce point persuadée que la nécessité de composer avec la puissante Tatmadaw – l’armée – justifie tous les reniements? Convaincue qu’elle est, à juste titre, que rien ne pourra changer dans le pays si l’armée n’est pas associée au processus de transition démocratique…»

Mais s’il n’y a d’autre alternative que de s’entendre avec une institution toute-puissante, qui détient automatiquement un quart des sièges «non élus» dans les deux chambres du Parlement et contrôle les ministères de la défense, de l’intérieur et des frontières, encore faudrait-il que les résultats soient au rendez-vous.

Or ce n’est pas le cas. Même si personne ne se faisait d’illusions quant à un changement rapide dans un pays ruiné par des décennies de tyrannie bottée, la collaboration de Mme Suu Kyi avec les militaires n’a pour l’instant pas permis au gouvernement d’engranger des résultats économiques et sociaux significatifs.

Dans un pays ravagé par soixante-dix années de guerres ethniques, la situation a en outre empiré dans les Etats bordant la Chine, où les combats menés par différentes guérillas se sont intensifiés. Si Aung San Suu Kyi ne cesse de répéter qu’un accord de paix avec les minorités (30 % de la population) est vital pour mener à bien le processus de développement, les décisions qu’elle a prises n’ont rien fait pour rehausser sa réputation chez les ethnies minoritaires.

Descendante du «père de l’indépendance», le général Aung San, membre de l’ethnie bamar majoritaire et diplômée d’Oxford, la chef du gouvernement birman a une réputation d’arrogante fille à papa chez les représentants des petits peuples dont est composée la Birmanie…

«La tragédie des Rohingyas est en train de susciter une condamnation internationale, notamment dans les pays musulmans. Même si l’Europe – dont la France – reste pour le moins mesurée dans ses réactions. Parmi les voix qui s’élèvent, celle de Malala Yousafzai, cette jeune Pakistanaise victime des Talibans et corécipiendaire du prix Nobel de la paix en 2014: « Ces dernières années, je n’ai cessé de condamner le traitement tragique et honteux infligé aux Rohingyas. J’attends que ma collègue Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi fasse de même», vient de déclarer la jeune femme de 20 ans. Pour le moment, silence radio côté Suu Kyi.»

«Mais les critiques à l’égard de la dirigeante birmane viennent aussi de ses propres rangs. Elles émanent de dissidents qui ont passé des années dans les geôles birmanes. Il est reproché à la Lady son mauvais caractère, son incapacité à déléguer et le fait qu’elle se soit montrée incapable de préparer le terrain à sa relève politique.

A 72 ans, Aung San Suu Kyi offre plus que jamais le visage d’un personnage énigmatique et insondable. Comme si les quinze années passées en résidence surveillée lui avaient donné à la fois la force de ses convictions et une infinité capacité à l’entêtement contre-productif. Certains parmi ceux qui furent ses plus ardents supporteurs commencent à se demander si l’échec possible de sa politique ne risque pas de ramener, pour de bon, les généraux au pouvoir. Les plus cyniques diront qu’en réalité ces derniers ne l’ont jamais perdu.»

• Selon diverses sources, ce mercredi 6 septembre: «La cheffe du gouvernement birman, la Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi a dénoncé, un «iceberg de désinformation» dans la crise des musulmans rohingyas, sortant de son silence pour la première fois sur ce sujet.

«Ce genre de fausse information est seulement la partie émergée d’un énorme iceberg de désinformation», a-t-elle déclaré lors d’un échange téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan publié par son service de presse. (HuffPost, en association avec Le Monde, 6 septembre 2017, 7h43)

Elle se référait à la publication de photos à l’authenticité douteuse publiées fin août par le vice-Premier ministre turc Mehmet Simsek. Il avait retiré les photos, mais l’affaire fait scandale en Birmanie, où la majorité bouddhiste, dont fait partie Aung San Suu Kyi, accuse la communauté internationale, notamment les médias étrangers, d’avoir un parti pris pro-rohingya.» Les 4 photos étaient des faux. Ce qui n’est pas très étonnant pour un membre actuel du gouvernement du président Erdogan. Mais cela n’empêche pas la réalité de la répression. Les photos satellite de Human Rights Watch, dans une région rendue inaccessible à tout journaliste par l’armée birmane, montrent la destruction de villages entiers par le feu, avec ce qui peut en découler pour leurs habitants. Face à une répression qui dure depuis fort longtemps, et s’est accentuée depuis 2015, il est compréhensible que des réactions d’auto-défense se soient développées. Mais lorsque les autorités birmanes parlent de grave offensive contre l’armée, elles occultent, d’une part, que des témoignages indiquent des paysans s’affrontant avec des bâtons et quelques armes blanches à des soldats aguerris et, d’autre part, la faiblesse de la milice qui porte le nom de l’Armée royingya du salut de l’Arakan (ARSA).

New Delhi, le 5 septembre 2017

• Selon le DECCAN Chronicle, du 6 septembre 2017 [Deccan renvoie au vaste plateau de l’Inde, s’étendant sur la majeure partie centrale et méridionale de l’Inde]: «Le jour où le Premier ministre, Narendra Modi, a commencé sa visite officielle au Myanmar, l’organisation des droits de l’homme Amnesty International l’a exhorté à pousser le leadership du pays à fournir une assistance à Rohingyas dans l’Etat de Rakhine, attaqué par la violence.

«L’organe des droits humain a également déclaré que le gouvernement Modi devrait «réaffirmer» son engagement à protéger les réfugiés Rohingyas et les demandeurs d’asile en Inde au lieu de les «menacer» d’être expulsés. «Le Premier ministre Modi devrait également utiliser sa visite pour pousser les autorités du Myanmar à permettre une assistance humanitaire complète et sans restriction aux personnes dans le besoin. Rien ne peut justifier de nier l’aide de sauvetage aux personnes désespérées», a déclaré Aakar Patel, directeur exécutif d’Amnesty International India.

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