Venezuela La lutte contre la pauvreté. Mission impossible? Nous publions ici une longue étude qui met en perspective les programmes de lutte contre la pauvreté du gouvernement Chávez et qui, simultanément, en examine dans le détail les forces et les faiblesses. Réd. Par Grégory Wilpert* Depuis deux ans, le gouvernement et l'opposition se sont beaucoup disputés sur la question de la pauvreté. Chávez avait été élu [en février 1999, puis réélu en juillet 2000] sur un programme qui accordait une attention particulière aux besoins des pauvres du Venezuela. De plus, il ne fait aucun doute que les pauvres représentent la base électorale de Chávez. Les sondages d'opinion, dont la fiabilité peut légitimement être mise en doute vu les accointances des organismes de sondage avec l'opposition, montrent constamment que Chávez trouve son principal soutien auprès de cette partie de la population vénézuélienne. Cependant, cherchant à discréditer Chávez et à semer le doute parmi ses supporters, l'opposition, avec l'aide de centres de recherche sur la pauvreté, comme l'Université catholique Andrés Bello (UCAB), prétend que la pauvreté a sérieusement augmenté depuis l'investiture de Chávez. L'un des spots publicitaires anti-Chávez les plus utilisés par l'opposition [qui contrôle l'essentiel des chaînes télévisées] et qui passent le plus sur les écrans, chaque fois que les stations cherchent à appeler les gens à manifester contre le président, montre une pauvre femme dans un quartier pourri du pays, qui dit: 'Chávez disait qu'il éradiquerait la pauvreté, en réalité, il éradique les pauvres.' Que la pauvreté ait augmenté ou décru sous Chávez, un thème socio-politique est conjoint aux parties: la pauvreté est devenue l'enjeu politique principal au Venezuela depuis que Chavez est arrivé au pouvoir. Les partis d'opposition reconnaissent que s'ils veulent réellement battre Chávez au cours d'une élection, ils devront offrir une alternative crédible sur une question: le combat contre la pauvreté. N'ayant pas encore proposé un tel programme, ils savent qu'ils doivent combler leur retard. Au-delà des programmes du gouvernement ou de l'opposition, lorsque l'on examine les données sur la pauvreté, une étrange contradiction surgit. D'un côté, de nombreux centres de recherche indiquent un accroissement de la pauvreté depuis l'arrivée de Chávez au pouvoir, et de l'autre, certains indicateurs suggèrent que la pauvreté est devenue moins sérieuse ces cinq dernières années. Par la suite, j'examinerai certaines données concernant la pauvreté et les politiques menées par l'administration Chávez; cela en les comparant avec celles conduites par les présidences antérieures. Données sur la pauvreté Au Venezuela, il y a clairement deux tendances incontournables à prendre en compte au cours de ces vingt dernières années. Elles ont eu un impact considérable sur le développement de la pauvreté. La première est une augmentation constante des inégalités. La seconde est une diminution, tout aussi constante, du revenu par tête d'habitant. Ces deux tendances une fois combinées, le taux de pauvreté au Venezuela se trouve être le plus important d'Amérique latine. L'échelle standard de l'inégalité, appelée 'Coefficient Gini', qui mesure les inégalités de revenus dans un pays[1] , ne montre pas de changement significatif au cours de ces trente dernières années au Venezuela. Depuis 1971 jusqu'à 1997, ce coefficient a régulièrement fluctué. Toutefois, il s'est généralement maintenu entre 45 et 50, ce qui fait qu'il se cale au même niveau en 1997 qu'en 1971. Cependant, il faut rappeler que le Coefficient Gini ne prend en compte que des revenus salariaux et pas des revenus du capital. Au cours de ces trente dernières années au Venezuela, une autre donnée indique que le taux du revenu issu du capital (revenu issu des investissements divers en capital, entre autres de type rentier) a substantiellement augmenté, largement plus que celui des salaires. Une étude effectuée par Francisco Rodriguez montre que, entre les années 1970 et les années 1990, la part des revenus du travail a baissé de 11% dans le PIB et cela au profit des revenus du capital[2] . Donc, si l'on prend le revenu du capital en compte, selon Rodriguez, les inégalités ont crû dramatiquement dans le pays, de telle sorte que le Venezuela est devenu l'une des sociétés les plus inégalitaires du monde, dépassant même l'Afrique du Sud et le Brésil[3] . Plusieurs facteurs l'expliquent. Le plus important réside dans l'accroissement de la concentration du capital et un effondrement, conjoint, des revenus salariaux. On peut relier cet effondrement au déclin des revenus pétroliers per capita au Venezuela. Même si les exportations pétrolières par habitant ont doublé entre 1973 et 1983, les revenus par tête, eux, ont décru. La raison principale se trouve dans la baisse du prix du pétrole, qui est passé de 15,92 dollars le baril en 1982 à 3,19 dollars en 1998 (à prix dollars constants de 1973)[4] . La valeur des exportations du pétrole, per capita, a donc baissé de 955 dollars en 1974 à 384 dollars en 1993[5] . Sachant que le pétrole est la principale source de revenu du Venezuela, son déclin, combiné avec la croissance des inégalités, a eu un impact significatif sur le taux de pauvreté. En fonction des méthodes de statistiques et de mesures que l'on adopte, la pauvreté s'accroît de manière dramatique, de 33% de la population en 1975 à 70% en 1995[6] . Et pendant que la pauvreté fait plus que doubler, le nombre de ménages rattrapés par la pauvreté est passé de 15% à 45%. D'autres mesures de la pauvreté, en particulier celles qui ne concernent pas directement le revenu, sont sensiblement plus basses. Toutefois, toutes dépeignent un pays connaissant une augmentation de la pauvreté importante au cours des vingt-cinq dernières années. Si on le compare avec les autres pays d'Amérique latine, le Venezuela détient le record d'accroissement de la pauvreté sur la même période. Parmi les pays les plus grands, il détient la proportion la plus importante de population vivant dans la pauvreté. Quelques tendances accompagnent l'accroissement de la pauvreté: déclin des salaires réels dans l'industrie et du salaire minimum. Les deux ont chuté de 40% par rapport à leurs niveaux de 1980. Ils s'établissent à un niveau inférieur à ceux de 1950[7] . Les dépenses sociales totales du gouvernement ont passé de 8% du PIB en 1987 à 4,3% en 1997 [sous la présidence de Rafael Caldera]. De même, le pourcentage des travailleurs dans l'économie informelle a crû de 34,5% en 1980 à 53% en 1999. En définitive, le niveau de syndicalisation est tombé de 26,4% en 1988 à 13,5% en 1995. Etrangement, cependant, l'Indice de développement humain (IDH) du Venezuela, mesuré par le Programme de développement des Nations unies (PNUD), ne répercute pas cette tendance de la pauvreté. L'IDH mesure non seulement le revenu par habitant d'un pays, mais aussi prend en compte des facteurs tels que santé, l''éducation, la mortalité, la scolarité, l'alphabétisation, et d'autres encore. Entre 1970 et 1990, l'IDH du Venezuela a crû de 0,689 à 0,821. Il a ensuite décliné régulièrement au cours de la seconde moitié des années 1990 et s'est remis à croître entre 1999 et 2001, pendant les premières années de la présidence de Chávez, se fixant à 0,7694 en 2001[8] . Il est possible de faire ressortir deux explications principales dans cette apparente contradiction. La première réside dans la possibilité, alors que les inégalités ne cessaient de croître entre 1975 et 2000, que les segments les plus riches de la population contribuaient à l'accroissement de l'IDH, tout simplement parce que leur participation à cet indice s'accroissait de manière disproportionnelle par rapport à celle des pauvres, maintenant donc la moyenne de l'IDH à un taux fort élevé. Ensuite, il est possible que, même si la proportion de la population plongée dans la pauvreté s'accroissait, leur IDH, tout comme celui de la population en général, s'améliorait en raison des mesures gouvernementales renforçant le filet de sécurité sociale du pays. Bien que manquant de données concrètes permettant de conforter ce raisonnement, je pointerai sur un fait: un examen des politiques concernant la pauvreté indiquerait qu'une amélioration de l'IDH pendant la présidence de Chávez est le produit des politiques publiques nouvellement mises en place et qui se concentrent sur les secteurs sociaux les plus pauvre du pays. Les politiques anti-pauvreté avant Chávez L'évolution des politiques anti-pauvreté au Venezuela, avant Chávez, suivit le cours d'ensemble de la pauvreté et de l'économie. Elle accompagna le plein boom du milieu des années 1970 au milieu des années 1980. Elle déclina (tout comme les dépenses au niveau social) de la fin des années 1980 à la fin des années 1990. Avant le boom pétrolier, le principal programme gouvernemental contre la pauvreté se concentrait sur un programme de réforme agraire, ayant comme objectif la redistribution de terres à 150'000 familles; ce qui se produisit au début des années 1960. Cependant, suite au boom pétrolier [avec la hausse des prix à l'exportation du pétrole], le Venezuela eut la prétention de devenir un pays industrialisé moderne et négligea le programme de réforme agraire, en favorisant des programmes de développement qui détacheraient le pays, lentement, de l'agriculture. Au début, pendant les années du boom, les politiques contre la pauvreté permirent la mise en place d'une éducation universelle et gratuite, de soins de santé gratuits, d'un salaire minimum décent et de la mise en oeuvre massive de travaux publics d'infrastructure [qui enrichirent un petit secteur de la population aujourd'hui dans l'opposition]. Cet ensemble de politiques dépendait des revenus pétroliers et eut un impact évident sur la réduction de la pauvreté au Venezuela. D'autres programmes d'aide sociale existaient également, mais tous souffraient du clientélisme et du paternalisme. Cependant, à la charnière de ces vingt années, au milieu des années 1980, les mesures les plus importantes qui devaient bénéficier aux plus pauvres du pays finirent par profiter avant tout à la classe moyenne. Pendant que le pays s'appauvrissait, alors que les salaires bas et ceux inférieurs aux salaires médians baissaient considérablement, la classe moyenne ne disposa plus des ressources lui permettant de s'offrir l'éducation et les soins de santé privés. En conséquence, elle fit progressivement main basse sur l'éducation et la santé publiques. D'autres programmes qui avaient également pour cible les classes laborieuses, comme le programme d'assistance à l'achat de maisons, les bourses d'étude internationale ou les exonérations d'impôt sur les véhicules, f |
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