Venezuela
La bataille internationale de la révolution bolivarienne
Nestor Kohan*
La «Révolution bolivarienne» ne trouve pas l'écho auquel on pourrait s'attendre dans la gauche radicale en Europe. De même, certains secteurs de cette gauche réagissent avec réserve en Amérique latine. Même si un tournant s'opère.
Nous publions ici un article de Nestor Kohan, militant argentin connu et respecté. Il y développe les raisons pour lesquelles il considère impératif l'émergence d'un véritable mouvement de solidarité avec la «Révolution bolivarienne» ainsi que celles qui militent en faveur de son approfondissement.
Ce texte a été écrit quelques jours avant le référendum du 15 août 2004, qui a donné la victoire – confirmée par les plus diverses instances internationales – du NON, c'est-à-dire du maintien de Chavez à la présidence. Quelque 58% de NON, alors que la participation au vote a fortement augmenté.
Nestor Kohan inscrit la «révolution bolivarienne» dans un processus historique dont la révolution cubaine de 1959 constitue un moment fort important.
Nestor Kohan met l'accent sur l'entreprise d'intoxication véhiculée par la presse internationale pour ce qui a trait au processus populaire en cours au Venezuela et au régime de Chavez. Il n'a pas tort.
La seule lecture du Monde suffit. Ainsi, Le Monde écrit que l'opposition aurait «promis qu'elle respecterait le verdict des électeurs.» En fait, cette opposition a toujours affirmé qu'une victoire de Chavez serait simplement la confirmation qu'il y avait fraude. Le seul verdict qu'elle accepterait: la victoire du OUI, sa victoire donc! Cette opposition a réclamé des observateurs internationaux pour surveiller le déroulement du scrutin. Ce fut fait. Pourtant, elle continue à le contester. Elle s'appuie pour cela sur la campagne qu'orchestrent le 95% des chaînes de radio et de télévision qui sont aux mains du capital privé vénézuélien, à l'exemple de ce qui se produit en Europe. Ces médias conduisent une vraie bataille politique contre Chavez...
Ce gouvernement a toujours respecté la liberté de la presse. La seule suppression de médias – ceux publics et communautaires – fut imposée lors du Coup d'Etat d'avril 2002, un coup dirigé par les mêmes forces qui s'organisent dans la «Coordination démocratique».
Quant à une information sur les changements profonds qui interviennent dans la vie quotidienne de la très large partie de la population défavorisée de ce pays, elle se fait attendre. La presse d'information suit une voie: peindre le processus bolivarien comme relevant de la politique d'un gouvernement militaire autoritaire. Sans jamais documenter et contextualiser ses affirmations.
Ce type d'analyse n'a pas sa place lorsqu'il s'agit du Pérou, de la Bolivie, de la Colombie... où les militaires répriment brutalement les masses populaires. Etrange? Non. Assez courant dans le monde de «l'information». réd.
"Nous rappelons ceci au représentant du Venezuela, car les révolutions ne s'exportent pas; les révolutions s'agissent, et la Révolution vénézuélienne agira lorsque son temps arrivera, et ceux qui n'auront pas préparé un avion pour leur fuite vers Miami ou d'autres lieux - comme cela s'est passé à Cuba, devront affronter ce que le peuple vénézuélien décidera".
Ernesto Che Guevara. "Discours dans la XIXe Assemblée Générale des Nations Unies" (11 décembre 1964).
Depuis lors, le monde s'est unifié. "Il commence maintenant à être rond" avait observé Karl Marx en 1850. Un siècle et demi plus tard, au XXIe siècle, ce processus s'est accéléré de manière inimaginable. Chaque lutte contre l'impérialisme, chaque nouveau maillon qui parvient à se briser ou à se détendre, contribue à relâcher les chaînes de la domination impérialiste. Même lorsque cet événement semble se limiter au niveau local ou régional, il se transforme immédiatement en un moment de la lutte internationale qui se poursuit sur l'ensemble de la planète pour le projet concret et réaliste d'un "Autre Monde Possible".
La Révolution Bolivarienne, dont le dirigeant au Venezuela est le président Hugo Chavez, constitue l'une des tranchées fondamentales de cette implacable guerre culturelle dans laquelle nous sommes tous engagés, que nous le sachions ou non. Les secteurs ouvriers et populaires de Venezuela vivent aujourd'hui une mystique révolutionnaire qui rappelle beaucoup celle de la Révolution Cubaine et celles des premières années de la Révolution Sandiniste. Un enthousiasme qui, sans être triomphaliste, élève le moral des masses – et en particulier des masses laborieuses – vers de nouveaux niveaux d'affrontement avec le pouvoir. Dans cette mystique révolutionnaire, l'exemple de la rébellion cubaine joue un rôle fondamental, qui combine l'admiration populaire pour Fidel avec la reconnaissance pour toute l'aide cubaine dans le domaine de la médecine sociale et de l'éducation.
Il est évident que la situation au Venezuela est un enjeu international. Comme chacun le sait, le 15 août 2004 aura lieu le référendum impulsé par Chavez pour légitimer démocratiquement les transformations sociales actuellement en cours. Le peuple vénézuélien choisira s'il veut freiner la Révolution et ses projets d'éducation, de logements et de santé (en optant électoralement pour le OUI) ou s'il veut, en donnant son soutien à Chavez, refuser la révocation de son mandat, exigée à corps et à cris par l'intervention américaine (option électorale pour le NON).
Le protagoniste central du référendum est évidemment le peuple de Venezuela. Néanmoins, la bataille qui se joue là-bas a aussi d'autres acteurs, d'envergure internationale.
D'un côté, le chef de l'opposition, son guide inspirateur, financier et bancaire. Cet homme sage, prudent, mesuré et intellectuel brillant, Georges W. Bush; un homme de lettres; un grand lecteur, une lumière de l'intelligence contemporaine. Un penseur, dont l'érudition encyclopédique ferait sans doute rougir Jorge Luis Borges. Un des principaux oenologues de l'heure actuelle, et dont le foie - qui résiste aux alcools les plus agressifs - a battu tous les records du monde.
À ses côtés, les grandes chaînes de l'information, neutres, véridiques, absolument objectives et profondément désintéressées, comme chacun le sait. Comme l'ineffable CNN - également connue comme étant la "voix officielle de la Maison Blanche", et les chaînes privées du Venezuela.
Et de l'autre côté, les amis et les amies de la Révolution Bolivarienne. En premier lieu, Fidel Castro et la Révolution Cubaine qui, au lieu de dollars ou des prêts millionnaires, ont apporté au Venezuela un type d'armes sophistiquées et super secrètes: des milliers de médecins et d'éducateurs hautement qualifiés (cet armement si spécial est beaucoup plus cher sur le marché des USA!). Ensuite, le mouvement de résistance globale contre la guerre de Bush, le néolibéralisme et la globalisation capitaliste. Et enfin, l'immense réseau de moyens de communication alternatifs, de mouvements sociaux et d'intellectuels progressistes, en Amérique Latine, mais aussi à niveau mondial.
La bataille des idées pour gagner les coeurs
C'est précisément dans ce dernier groupe, celui de la solidarité internationale et le soutien des intellectuels progressistes du monde entier, que la Révolution Bolivarienne a encore beaucoup à faire. C'est la même voie qu'ont dû emprunter, chacun à sa manière et à son propre rythme, les révolutions à Cuba (au début des années 1960) et au Nicaragua (au début des années 1980).
Pour vaincre la dictature médiatique de Bush et de la CNN il faut entourer Chavez et le Venezuela d'un soutien international!
Mais actuellement, la pente du consensus est raide et plus difficile que dans les années 1960 et 1980. Nous vivons dans des temps globalisés, où le conflit idéologique est devenu fondamental. Les grands médias de la désinformation ont placé la lutte pour l'hégémonie (selon l'expression d'Antonio Gramsci) et la bataille des idées (dans les termes de José Marti et de Fidel) au centre de la scène politique. Ce serait une erreur gravissime et impardonnable de les sous-estimer! Il n'y a rien de plus dangereux pour le camp populaire que de céder à l'éternelle tentation anti-intellectuelle selon laquelle "les réunions et les discussions intellectuelles ne servent à rien... ce sont de pures pertes de temps" - cela a déjà provoqué chez nous de dégâts considérables! Les usines idéologiques de l'impérialisme ont des rouages bien huilés. Elles peuvent compter sur tout un réseau d'institutions destinées à démoraliser, à neutraliser, et si possible, à coopter, les intellectuels. Nous devons rester vigilants. Nous devons les combattre.
Gagner le consensus, gagner les coeurs et les cerveaux, en entourant le processus bolivarien de la solidarité internationale la plus forte possible, voilà une des tâches anti-impérialistes les plus urgentes à l'heure actuelle.
Pour y parvenir, différents camarades, hommes et femmes, impliqués dans la lutte idéologique contre la pensée unique, contre la dictature médiatique de Washington et contre le manque de culture politique du néolibéralisme mité, ont convoqué à une rencontre International d'intellectuels et d'artistes "Pour la défense de l'humanité" qui doit avoir lieu au Venezuela en décembre 2004. La réunion préparatoire a eu lieu à Caracas fin juillet, quelques jours avant le référendum crucial.
La convocation fait explicitement appel à la mémoire historique, et rappelle l'exemple de cet inoubliable IIe Congrès International d'Ecrivains Antifascistes qui s'est déroulé en Espagne en 1937
La comparaison entre le fascisme de Franco, de Mussolini et de Hitler avec l'impérialisme nord-américain du grand penseur George W. Bush n'est nullement exagérée. Actuellement, les Etats-Unis exercent un pouvoir militaire et médiatique de loin supérieur à celui de Hitler et Goebbels. D'où l'analogie et l'exemple historique. Ce qui est en train de se jouer n'est pas seulement le futur de la Révolution Bolivarienne ou la survie de la Révolution Cubaine. C'est l'humanité tout entière qui est en danger!
Mais il ne s'agit pas aujourd'hui de construire une "Internationale de la pensée", comme le réclamaient dans les années 1920 Henri Barbusse, Romain Rolland et les membres de la revue française Clarté (laquelle a eu d'importantes répercussions dans notre Amérique, où de nombreuses publications homonymes ont été fondées. Dans l'une d'entre elles a milité et écrit, par exemple, notre cher José Carlos Mariategui). Il ne s'agit pas non plus seulement de copier le compromis sartrien, typique de la décade des 1950 (dont l'écho dilaté peut encore s'entendre dans les véhéments réquisitoires contre le néolibéralisme de feu Pierre Bourdieu, et y compris dans la courageuse dissidence de Noam Chomsky).
Quelles étaient les limites de ces expériences et projets progressistes réalisés autrefois? Leur principal problème était que l'intellectuel y est conçu comme s'il était totalement extérieur aux mouvements sociaux, Dans les années '20, l'Internationale de la Pensée présupposait une séparation entre la pensée et l'Internationale (en ces temps-là, la IIIe Internationale). Le compromis des années 1950, courageux et digne, était néanmoins un compromis ... avec d'autres, que l'on soutenait depuis l'extérieur (il s'agissait alors de la décolonisation de l'Asie et de l'Afrique et des rébellions latino-américaines).
Même si la perspective internationale de la pensée et l'engagement individuel sont aujourd'hui - après un quart de siècle de médiocrité néo-libérale - louables salutaires et positifs, ils ne suffiront guère. Les défis idéologiques que nous présente la globalisation se sont complexifiés et multipliés. Aujourd'hui il faut quelque chose de plus. D'où cette initiative, née au Mexique, à Cuba et au Venezuela, mais visant un horizon universel. Pour que, sans renoncer à la diversité des regards, nous puissions surmonter la fragmentation et trouver des formes collectives de coordination qui, étroitement liées aux mouvements sociaux, puissent se poursuivre et grandir avec le temps.
C'est dans ce contexte, si singulier, que la Révolution Bolivarienne - en plein bras de fer avec l'impérialisme nord-américain et sa culture de la domestication intellectuelle - peut se transformer dans un pôle d'attraction à niveau mondial.
Les agences de renseignement Nord-Américaines et leur ingérence au Venezuela.
La Révolution Bolivarienne dirigée par Hugo Chavez a réussi à construire un éventail très étendu d'alliances politiques internes, qui lui permettent de résister dans son affrontement avec la plus grande puissance du monde. En même temps, le consensus populaire de Chavez – au sein d'une société extrêmement polarisée – s'est renforcé après sa victoire sur le coup d'état d'avril 2002. Néanmoins, si on fait le compte des appuis au niveau international, la Révolution Bolivarienne n'a pas encore fait le plein. Il ne suffit pas de se contenter des sympathies actuelles.
Pourquoi Chavez n'a-t-il pas pu obtenir tout le soutien que son projet mérite? Il y a plusieurs raisons à cela.
En premier lieu, il y a l'activité systématique et étendue de l'intelligence nord-américaine. Une armée d'espions, de "fondations démocratiques", d'experts en guerre psychologique et en communication de masse, se sont chargés de présenter Chavez comme un typique militaire golpiste latino-américain, assassin, autoritaire, corrompu, réactionnaire, anti-démocratique, ennemi de la culture et des libertés publiques.
Une des principales institutions qui s'est chargée de