Venezuela

Changements en cours en 2008 et 2009

Eric Toussaint *

La situation politique, sociale et économique au Venezuela a fortement évolué depuis l’échec de la réforme constitutionnelle de décembre 2007 qui a constitué un coup de semonce pour le gouvernement de Hugo Chavez [1].

Le dimanche 15 février 2009, 54, 36 % des citoyens ont dit «oui» à l’amendement de la Constitution autorisant les mandataires politiques à se représenter consécutivement aux élections de manière illimitée. Jusque-là,la Constitution limitait à deux mandats consécutifs: il fallait une interruption de mandat avant de pouvoir se représenter à nouveau [2]. En 2013, à l’issue de son deuxième mandat en cours, Hugo Chavez pourra à nouveau être candidat pour la présidence. S’il est élu une nouvelle fois,son mandat se terminera en janvier 2019. C’est pourquoi un certain nombre de militants chavistes discutent aujourd’hui de la nature de tous les changements qui peuvent être accomplis d’ici cette date de 2019…

Evidemment bien des choses peuvent survenir d’ici là parmi lesquelles il faut prendre en compte les initiatives et les manœuvres de Washingtonainsi que de ses alliés.

Nationalisation et contrôle ouvrier

En avril 2008, suite à une grève de près de deux mois de 15'000 ouvriers de l’entreprise sidérurgique SIDOR (Sidérurgie de l’Orénoque) appartenant au groupe argentin Techint, Hugo Chavez a annoncé la nationalisation de l’entreprise. Les ouvriers se battaient pour transformer 9000 sous-contrats en contrats à durée indéterminée. Vu le refus patronal, la nationalisation a constitué la meilleure voie pour permettre à l’Etat de garantir la satisfaction de la revendication des travailleurs, qui ont perçu cette décision comme une grande victoire.

L’entreprise SIDOR avait été créée comme entreprise publique durant la décennie 1960 (c’était la concrétisation d’un projet conçu en 1953 sous la dictature de Marco Pérez Jiménez). SIDOR a été privatisée et vendue au capital étranger en 1997 durant la présidence de Rafael Caldera par le ministre de la Planification Teodoro Petkoff (ancien leader de gauche passé au néolibéralisme dans les années 1990 et aujourd’hui une des principales figures de l’opposition anti-chaviste). La re-nationalisation effectuée en avril 2008 prend une importance particulière car cette entreprise moderne et performante constitue un outil de production que le grand capital argentin, et en particulier Techint, souhaitait conserver.

Un autre élément important à prendre en compte, est que le gouvernement chaviste de l’Etat où se trouve SIDOR avait au début de la grève ordonné aux forces de l’ordre de réprimer les grévistes. De même, le ministre du Travail n’avait rien fait pour soutenir les revendications des travailleurs. En conséquence, la décision de Hugo Chavez de nationaliser l’entreprise et de révoquer le ministre a été perçue comme un virage en faveur des travailleurs. D’autant qu’à la même période, il a annoncé une augmentation du salaire minimum interprofessionnel et des salaires de la fonction publique ainsi que la nationalisation du secteur du ciment qui jusque-là était aux mains de trois transnationales (Lafarge - France, Holcim - Suisse et Cemex – Mexique).

Dans les mois suivants et au cours de l’année 2009, le gouvernement a procédé à d’autres nationalisations dans le secteur de l’industrie alimentaire [3], (ce qui a affecté tant le capital national – Lacteos LosAndes – que la transnationale céréalière Cargill). Le gouvernement a justifié les nationalisations dans ce secteur par la nécessité d’améliorer l’approvisionnement alimentaire de la population. Enfin, la Banque du Venezuela, une des banques privées les plus importantes appartenant à Santander, un des deux principaux groupes bancaires espagnols, est passée également sous le contrôle de l’Etat.

Toutes ces nationalisations, comme celles qui ont précédé (secteur de l’électricité, télécoms, champs pétroliers de l’Orénoque…), ont fait l’objet d’une indemnisation plutôt généreuse des propriétaires privés: le Venezuela utilise une partie de la rente pétrolière pour reprendre le contrôle de certains secteurs stratégiques de l’économie. Le recours à l’indemnisation a principalement pour objectif d’éviter des condamnations pour non respect des traités bilatéraux sur les investissements signés parle Venezuela. Le droit international permet en effet à des Etats de procéder à des nationalisations s’ils indemnisent correctement les propriétaires. Le Venezuela pourrait emprunter une voie plus radicale en retirant sa signature des traités bilatéraux sur les investissements, en se retirant du CIRDI (Centre international des règlements des différends relatifs aux investissements, le tribunal de la Banque mondiale en matière d’investissement) et en mettant à l’abri les liquidités et les autres types d’avoirs dont il dispose à l’étranger afin d’éviter des saisies. Evidemment, opter pour une telle voie impliquerait d’augmenter encore un peu plus l’hostilité des autorités des pays les plus industrialisés et des grandes transnationales présentes dans le pays (toutes les principales transnationales pétrolières sont présentes au Venezuela ainsi que GeneralMotors, Mitsubishi, Daimler-Chrysler, etc.).

La voie assez prudente empruntée par le gouvernement n’a pas empêché une entreprise comme ExxonMobil d’essayer en 2008 de faire saisir 12 milliards de dollars appartenant à PDVSA par des tribunaux britanniques et hollandais. Cela plaide pour que le Venezuela s’allie à d’autres pays du Sud pour répudier les traités bilatéraux d’investissement qui incluent des clauses préjudiciables aux intérêts de la nation, pour qu’il se retire du CIRDI et de l’OMC et constitue un organe multilatéral du Sud afin de régler des conflits, en d’autres termes, créer un CIRDI du Sud alternatif au CIRDI de la Banque mondiale qui sert les intérêts des grandes transnationales privées.

En juillet 2009, Rafael Ramirez, ministre du Pétrole, qui jusqu’ici était très prudent à l’égard du CIRDI, a commencé à hausser le ton en dénonçant l’unilatéralisme des mécanismes de règlement des litiges, dominés par les pays du Nord.

L’approfondissement des nationalisations a relancé en 2009 le débat sur le contrôle ouvrier. En effet, des organisations syndicales de gauche et des collectifs de travailleurs exigent la mise en place de mécanismes de contrôle par les travailleurs des organes de gestion des entreprises nationalisées. Ils veulent ainsi faire en sorte que les objectifs poursuivis par les nationalisations soient bel et bien respectés; ils veulent aussi éviter la mauvaise gestion, les gaspillages, les détournements, la corruption, l’abus de biens sociaux en obtenant notamment l’ouverture des livres de compte, la transparence sur la stratégie commerciale et industrielle des entreprises et la présentation régulière des bilans de gestion. Ils expriment à juste titre une défiance à l’égard d’une grande partie des cadres privés de l’entreprise qui ont été maintenus après la nationalisation, mais aussi à l’égard des nouveaux cadres qui, dans certains cas, privilégient leurs intérêts personnels par rapport à ceux de la collectivité. Il s’agit aussi, au travers du contrôle ouvrier, d’augmenter la confiance en eux-mêmes et l’organisation des travailleurs afin qu’ils interviennent collectivement pour, d’une part, donner un contenu socialiste à la gestion et aux relations de travail dans les entreprises publiques, et, d’autre part, créer un contre pouvoir au sein des entreprises aux mains du capital privé.

On assiste d’ailleurs à des occupations d’entreprises privées par des travailleurs qui en exigent la nationalisation. Inévitablement, il sera nécessaire de raviver le débat sur le contrôle ouvrier dans le secteur de là production pétrolière. Il avait éclaté au moment de la grève patronale pétrolière (décembre 2002-janvier 2003), quand les travailleurs qui se battaient pour relancer la production avaient convoqué un Congrèspétrolier. Par la suite, Hugo Chavez avait écarté la perspective du contrôle ouvrier dans ce secteur considéré comme stratégique alors qu’il s’agit au contraire d’une raison supplémentaire pour l’y organiser. Il en est de même au sein du secteur de production et de distribution électrique qui a lui aussi été nationalisé. Les travailleurs de ce secteur sont entrés en lutte pour le contrôle ouvrier au mois de septembre 2009. L’approvisionnement du pays en électricité est dans une situation difficile car plus de 50 % de la production [4] est «perdue» ou est déviée (volée) au niveau de la distribution. Les pertes sont dues principalement à la vétusté des installations car, avant leur nationalisation par le gouvernement de Chavez, certaines entreprises comme Electricidad de Caracas (propriété de AES, une multinationale états-unienne) ont été victimes d’un manque généralisé d’investissement et de renouvellement d’équipement. Par ailleurs, de grosses entreprises industrielles privées consommatrices de grandes quantités d’énergie sont responsables d’un détournement d’électricité qu’elles gaspillent puisqu’elles ne la paient pas. Il y a aussi des raccordements électriques pirates dans les quartiers résidentiels mais dans le cas des ménages populaires, qui ne sont pas de gros consommateurs, les pertes dues à ce piratage sont limitées. Les travailleurs du secteur électrique sont les mieux placés pour résoudre le problème de l’approvisionnement électrique, lutter contre les gaspillages et la mauvaise gestion des cadres dirigeants afin d’éviter la multiplication des coupures d’électricité. C’est ce qu’expliquent des dirigeants syndicaux qui exigent la mise en place du contrôle ouvrier.

Angel Navas, président de la Fédération des Travailleurs du SecteurElectrique (FETRAELEC), a déclaré à la presse lors d’une manifestation de 3000 travailleurs du secteur électrique à Caracas le 25 septembre 2009: “Nous les travailleurs sommes confrontés aux utilisateurs dans les quartiers. Nous savons comment nous pouvons résoudre la crise… Il faut modifier les structures bureaucratiques et changer les structures d’administration capitaliste pour des structures avec une vision socialiste. Nous devons changer les relations de production et éliminer toute cette bureaucratie qui est en train de tuer l’entreprise.” [5] AymarPlaza, travailleuse du secteur électrique, ajoute: “Quand notre président dit qu’il faut donner du pouvoir au peuple, nous, les travailleurs·euses, sommes le peuple. Nous devons avoir le contrôle de l’entreprise et prendre part à la transformation de cette politique capitaliste en une politique socialiste.”

Cette bataille pour le contrôle ouvrier sur la gestion des entreprises est absolument fondamentale. Son issue est décisive pour l’approfondissement du processus en cours au Venezuela [6].

Durant le premier semestre 2009, Hugo Chavez a déclaré lors d’une réunion publique avec des dirigeants ouvriers qu’il était favorable à l’adoption d’une loi sur l’élection des dirigeants des entreprises nationalisées [7].

Une rencontre d’intellectuels révolutionnaires qui a fait beaucoup de bruit

Au début du mois de juin 2009, le Centre international Miranda (CIM), institution officielle créée par la présidence du Venezuela et financée par le ministère de l’Education supérieure, a organisé des journées de réflexion qui ont fait grand bruit dans le pays [8]. Trente des plus grands intellectuels vénézuéliens de gauche ont débattu des avancées et des blocages du processus révolutionnaire en cours. Voici des extraits de là s