Venezuela

«Pour un nouveau Parlement du Peuple»

Entretien avec Orlando Chirino * par Aporrea *

L’annonce publique de la création du parti unique, formulée par le président Chávez au Théâtre Teresa Carreño le 15 décembre 2006, a ouvert un débat public au sein de la gauche du Venezuela. Plutôt qu’un appel à l’ouverture d’un débat large et démocratique sur un des aspects principaux, et potentiellement l’un des plus polémiques, de la construction du Socialisme du XXIe siècle, Chávez a annoncé qu’il avait décidé qu’il était nécessaire de former un parti unique des forces soutenant le processus. Il a même «suggéré» le nom de ce parti: le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV). Il a affirmé: «Je déclare aujourd’hui que je vais créer un nouveau parti. J’invite qui voudra m’accompagner à se joindre à moi... Que les partis qui le souhaitent se maintiennent, mais ils sortiront du gouvernement. Avec moi, je veux que gouverne un parti. Les votes ne sont d’aucun parti, ces votes sont ceux de Chávez et du peuple, qu’on ne nous raconte pas d’histoires.» Lorsqu’un chef d’Etat parle du «socialisme du XXIe siècle», il serait bon qu’il ne fasse pas l’impasse sur ce qui a été, frauduleusement, qualifié de «socialisme» lors du XXe siècle. Ce sont des questions en relation avec ce débat qu’aborde ici Orlando Chirino. (réd).

 

«Nous concevons les conseils de Travailleurs comme faisant partie du processus de construction d'un nouveau Parlement Populaire avec des délégués ouvriers, paysans, indigènes et des Forces Armées».

Le lundi 26 février 2007, Orlando Chirino, Coordinateur National de l'UNT et dirigeant du courant C-CURA (Courant Classiste Unitaire et Révolutionnaire), était à Isla Margarita, répondant à l'invitation des dirigeants syndicaux de l'Etat, pour réfléchir sur - et débattre de - la situation de la UNT et défis les plus immédiats qu'elle affronte. Après avoir rempli ses engagements, l'éminent dirigeant ouvrier, a eu la prévenance de répondre aux questions que notre correspondant avait préparé à son attention. L'interview a duré plus de deux heures pendant lesquelles divers thèmes présentant un intérêt non seulement pour les travailleurs affiliés à l'UNT mais pour l'ensemble du peuple vénézuélien ont été abordés. Nous avons divisé ce long reportage en trois parties, dont nous présentons ci-dessous à nos lecteurs la première. Le Coordinateur de l'UNT et dirigeant socialiste Orlando Chirino y apporte ses réflexions et ses réponses concernant un thème de brûlante actualité: le rôle des travailleurs et la constitution de Conseils de Travailleurs (Consejos Laborales) dans la transition vers le socialisme.

Aporrea: Camarade Orlando, au cours des dernières semaines, les dirigeants des courants politico-syndicaux qui sont actifs au sein de l'UNT ont soutenu la proposition des Conseils de Travailleurs, Quelle est la position des dirigeants de C-CURA?

O. Ch.: Pour commencer, j'aimerais préciser que nous ne connaissons pas encore dans le détail l'orientation et le contenu que le Gouvernement donnera à ce projet. Les dirigeants des autres courants, et en particulier les camarades de la FTB (Front des travailleurs bolivariens) et du courant dirigé par Marcela Maspero(Coordinatrice de l’UNT), ont davantage d'informations à ce sujet et peuvent mieux en parler, puisqu'ils participent directement au gouvernement.

Le fait que nous n'en sachions pas assez au sujet de cette proposition, est une limitation importante. Néanmoins, nous supposons que cette initiative est étroitement liée à l'Explosion du Pouvoir Populaire ou le Cinquième Moteur de la Révolution évoqués par le Président Chavez. Nous imaginons qu'il s'agit de constituer des Conseils de Travailleurs sur le même modèle que les Conseils Communaux [qui sont un des éléments importants de l’autoactivité populaire], dans lesquels nous, les travailleurs auraient un espace pour présenter et défendre nos positions sur l'avenir du pays.

Même si nous ne savons pas grand-chose à ce sujet, notre courant n'hésite pas à promouvoir et participer à ces nouveaux espaces ou milieux sociaux et politiques que génère  le processus révolutionnaire. Depuis l'assemblée plénière que nous avons organisée en janvier 2007, notre courant s'est mis d'accord pour ne perdre aucune possibilité ni occasion politique, car nous voulons être participants et protagonistes. Nous avons beaucoup de propositions et d'initiatives que nous souhaitons faire connaître et débattre avec tous les éléments, acteurs révolutionnaires.

Aporrea: Quelles seraient les initiatives que vous présenteriez dans ces nouveaux espaces qui se créent dans le pays?

Tout d'abord, nous proposons qu'autour des Conseils Communaux, des Conseils de travailleurs, des Conseils Paysans et y compris des Conseils de délégués des Forces Armées, soit créé un nouveau Parlement du Peuple, formé par les délégués des dits conseils, et qui soit réellement représentatif des secteurs les plus dynamiques et engagés dans le processus révolutionnaire.

Il s'agit là d'une nécessité pressante, car l'actuelle Assemblée Nationale [à majorité écrasante, par euphémisme, d’élus chavistes] a démontré qu'elle était un organisme caduc. La faible participation de la population dans les élections de décembre 2005 et le peu d'attention que la population porte au projet de Parlement de la Rue est une preuve palpable que cette entité ne répond plus aux attentes de l'ensemble de la population.

Voici un exemple pour illustrer ce point. Le 19 juillet 2006, nous avons appelé à une mobilisation nationale et nous avons présenté, aussi bien à l'Assemblée Nationale qu'à la Vice-Présidence, un Document des Revendications des travailleurs et travailleuses. Après avoir attendu une réponse durant six mois, nous avons pris la décision d'appeler à une nouvelle mobilisation, le 8 février 2007. Nous nous sommes encore présentés devant l'Assemblée Nationale et la Vice-Présidence, pour découvrir que ces instances n'avaient même pas daigné lire le premier document. Lors de notre récente visite, nous avons présenté un nouveau document, mais jusqu'à ce jour nous n'avons reçu aucune convocation, aucun commentaire, de la part des très dignes députés de l'Assemblée Nationale.

J'imagine que, de la même manière, des milliers de compatriotes arrivent devant l'Assemblée Nationale pour présenter leurs requêtes dans l'espoir de recevoir une réponse à leurs demandes, à leurs revendications et que les députés se contentent d’accepter la formalité consistant à les écouter, mais sans apporter de réponse à leurs doléances. C'est ce qui s'est passé avec les camarades de Sanitarios Maracay [usine de production de matériel sanitaire sous contrôle ouvrier], qui réclament l'expropriation de l'entreprise, de manière à ce qu'ils puissent l'administrer et contrôler directement le processus de production. Mais cette revendication, portée par 600 travailleurs convaincus que la voie vers le socialisme passe par les expropriations et le contrôle ouvrier de la production, et par leurs familles, rencontrent  des gens qui font la sourde oreille.

Mais il y a un cas encore plus aberrant, c'est celui du camarade William Diaz, un employé qui prête ses services à l'Assemblée Nationale (AN). Ce dernier a été licencié de manière arbitraire pour avoir réclamé le droit à la négociation collective et le respect de l'organisation syndicale et pour avoir dénoncé le fait que la Directive de l'AN (Assemblée nationale] était de connivence avec le syndicat dirigé par les golpistes [ceux qui organisèrent le coup de 2002] pour permettre à ce dernier de gagner une consultation [référendum] imposé aux travailleurs. Je suis certain que cela n'arriverait pas dans un Parlement réellement représentatif et populaire.

Voilà le sens que j'attribue aux paroles du Président Chavez sur l'explosion du pouvoir populaire. Nous demandons une nouvelle expression du pouvoir populaire, fondé sur les conseils paysans et des Forces Armées.

Aporrea: Est-ce que le projet de Parlement Populaire que tu proposes ne pourrait pas être complémentaire avec l'Assemblée Nationale?

Non, ils sont définitivement incompatibles. L'Assemblée Nationale, avec tout ce que la réforme à partir de la nouvelle Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela a eu de positif ou de progressiste, a été et continue à être, une instance à l'image de la IVème République. Dans un entretien que j'ai lu la semaine passée dans El Nacional, le camarade Dario Vivas [député, jouant un rôle important dans l’AN, un des organisateurs du Forum social mondial de Caracas] informait que sept projets de restructuration sont en cours. Cela équivaut à transfuser du sang à un cadavre.

Nous défendons le principe d'une nouvelle instance, pleinement autonome, dans laquelle les délégué·e·s jouiront de l'indépendance et de la souveraineté pour transmettre les propositions et les initiatives des secteurs sociaux qu'ils représentent. J'ai été très triste et j'ai eu honte pour lui lorsque, pendant une visite que nous avons faite à l'Assemblée Nationale, un des députés a dit qu'il aurait beaucoup à dire et à proposer au sujet de la re-nationalisation de CANTV [compagnie téléphonique, privatisée en 1991 et re-nationalisée, contre paiement], mais que c'était là un thème délicat, sur lequel il valait mieux que le Président Chavez s'exprime en premier.

Avec cet exemple, je veux faire comprendre que le Parlement Populaire que nous proposons doit être formé de délégués des conseils sociaux jouissant de souveraineté et d'autonomie. C'est là un aspect vital que nous remettons en question dans le projet de Conseils Communaux. Tout le monde sait que les Conseils Communaux sont financés et contrôlés directement depuis la Présidence, ce qui limite leur capacité d'agir. Les délégués peuvent être très représentatifs et avoir beaucoup de liens avec la population, mais s'ils n'ont pas d'indépendance et d'autonomie financière, administrative et politique, ils finiront par être comme l'actuelle Assemblée Nationale, un appendice du gouvernement.

Aporrea: Tu disais qu'il fallait également des Conseils des Forces Armées, et qu'ils doivent avoir des délégués au Parlement Populaire que tu proposes. Sur quelle base fondes-tu cette proposition?

Avant de parler des Conseils de Soldats et d'Officiers des Forces Armées, j'aimerais clarifier notre conception des Conseils, qu'ils soient communaux, de travailleurs, de paysans ou de soldats et d'officiers de l'armée.

Pour nous, il ne s'agit pas d'élire des délégués dans les communautés de travailleurs ou de paysans. Cela reviendrait à répéter l'histoire de la démocratie représentative de la IVème République. Pour nous, les conseils communaux doivent être ceux qui administrent toutes les ressources pour son urbanisation, ceux qui gèrent et contrôlent les services publics, l'éducation, la santé, ceux qui surveillent le développement des travaux d'infrastructure et de développement urbain. Ils doivent être les gardiens des prix et les sentinelles contre l'accaparement.

Il doit en être de même pour les Conseils de travailleurs. Sur ce point, je pense que nous avons des positions qui diffèrent de celles des courants syndicaux liés au gouvernement. J'ai l'impression que pour eux il s'agit uniquement d"élire des délégués" pour qu'ils fassent contrepoids à l'UNT, ce qui me paraît être une conception trop étroite du problème. Pour nous, les Conseils de travailleurs, orientés par l'UNT, doivent avoir pour mission de développer la lutte pour l'expropriation des entreprises et exercer eux-mêmes, directement, le contrôle des entreprises. Les Conseils de travailleurs seront utiles si leur mission s'inscrit dans la perspective de l'élimination de la propriété privée, de l'abolition de l'exploitation capitaliste et surtout du contrôle de la production et la distribution des biens que réclament le peuple et la nation. En ce qui concerne les Conseils Paysans et indigènes