Venezuela

«Nous qui luttons pour l'autonomie syndicale
ne sommes pas des contre-révolutionnaires.»

Entretien avec Orlando Chirino, coordinateur national de la UNT (Union Nationale des Travailleurs).

«La possibilité que les secteurs véritablement classistes, honnêtes et révolutionnaires
dans le mouvement syndical se rapprochent du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela} s'éloigne.»

Le Président de la République a abordé plusieurs thèmes, le samedi 24 mars 2007, à l'occasion du lancement du projet de PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela). Certaines des questions abordées devraient entraîner une réflexion et un débat ouvert entre militants révolutionnaires. Un de ces thèmes est celui de l'autonomie des organisations syndicales, et l'autre a trait au vieux dilemme entre le réformisme et la révolution. Ces deux questions ont été soulevées à propos du caractère et de la nature de la révolution vénézuélienne, le rôle de la classe ouvrière et le PSUV.

Aporrea [Centre de communication populaire pour la Construction du socialisme du XXIe siècle], comme toute publication populaire, veut contribuer à diffuser les différentes positions des acteurs qui ont des attentes par rapport à la construction du PSUV. C'est pour cette raison que nous, nous nous sommes entretenus le camarade Orlando Chirino, coordinateur national de la UNT et dirigeant de son Courant Classiste, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome (C-CURA).

Orlando, quel est ton bilan sur les débats lancés par le président Chavez lors du démarrage du processus de construction du PSUV le samedi 24 mars passé ?

Orlando Chirino: Je pense que le grand mérite des interventions du président Chavez au cours des célébrations de samedi passé [le 24 mars 2007], est qu'elles permettent de justifier le débat sur les caractéristiques de la révolution au Venezuela, sur le programme du projet du PSUV, sur le rôle des différents secteurs et sous-secteurs dans cette révolution, surtout dans la classe travailleuse, sur les méthodes de construction de l'organisation et, finalement, sur une série de questions importantes qui doivent être discutées ouvertement devant le pays, sans cachotteries, en toute franchise.

Ce qui est préoccupant, c'est que le président a fini par faire ce que lui-même critique. Par exemple, il dénonçait le cannibalisme politique entre les organisations de gauche, mais il a terminé en disant que tous ceux qui ne partagent pas ses positions sont contre-révolutionnaires. A mon avis, c’est là une grave erreur, car au lieu de faciliter la discussion, il la verrouille. Pire, il alimente ainsi les tendances sectaires qu'il dit vouloir combattre.

Quels sont les thèmes que tu considères comme importants et qui suscitent la polémique ?

Il y a beaucoup de thèmes, mais je ne vais en évoquer que deux. Par exemple, selon le Président, les secteurs réformistes constituent un grand danger. Je suis aussi de cet avis. Mais je pense que le programme proposé par le Président est lui-même prisonnier d'une conception réformiste, qui ne postule pas la rupture définitive avec la logique capitaliste. Je vais vous donner quelques explications.

Après la grande offensive néolibérale des années 1990, nous voyons à nouveau des investissements multimillionnaires de grands groupes de capitalistes internationaux dans des secteurs stratégiques, que ce soit dans l'industrie pétrolière, dans le secteur des mines, dans l'exploitation du charbon, dans la construction de logements et autres travaux d'infrastructure.
Des consortiums internationaux de Chine, de la Russie ou d'Iran surexploitent, comme jamais auparavant, la main-d’œuvre nationale. Je ne crois sincèrement pas qu'il existe des multinationales bonnes et d'autres mauvaises. La nature des multinationales consiste à monopoliser la production et la commercialisation des ressources, à surexploiter des travailleurs, à opérer un saccage des ressources naturelles des nations et l'ingérence politique dans les décisions économiques des pays.

Il y a là une question cruciale pour le type de modèle économique que l'on veut construire. Le président Chavez montre les investissements des multinationales comme étant une avancée, pour moi ils constituent le début de l'hypothèque de la révolution. Pour moi, le premier pas vers le socialisme est la rupture avec ces multinationales et ces consortiums économiques. Le gouvernement va au contraire dans le sens de promouvoir la concertation avec les grands groupes économiques, comme le prouve le cas de l'achat de CANTV [société de télécommunication] et de l'Electricité de Caracas. Le fait de récupérer ces entreprises pour l'Etat constitue sans aucun doute une avancée, mais les entrepreneurs sont restés tellement satisfaits qu'ils ont déclaré publiquement être d'accord avec le négoce qu'ils avaient effectué.

Un autre problème qui se pose est que le Président a déclaré que Sidor ne serait pas nationalisé [Ternium Sidor est la principale entreprise sidérurgique du Venezuela et de toute la région andine et de la Caraïbe, 60% du capital est privé ; 20% appartient à l’Etat et 20% sont aux mains des travailleurs] parce que selon lui, un «bon capitalisme» y serait à l'œuvre. Or, on sait que cette entreprise, qui a été privatisée pendant la Quatrième République, est une filiale [d’où le nom de Ternium] d'une firme transnationale nommée Techint, une importante transnationale ayant sa base en Argentine [avec aussi un fort ancrage en Italie ; Techint a été créé par une famille italienne émigrée, celle d’Agostino Rocca].

Nous comprenons bien que ces propos du président Chavez sont liés au fait qu'il s'agit d'une entreprise d'un pays où gouverne un président qui est son «ami», comme Kirchner. Mais alors nous devons nous poser la question: depuis quand existent, dans ce monde, un capitalisme «bon» et un autre «mauvais».

Le Président fait beaucoup de publicité sur la Chine. Je lui demanderais très sincèrement de ne pas utiliser cet exemple. En effet, le capitalisme y a été restauré depuis des années, et maintenant c'est le pays où l'exploitation de la classe ouvrière est à son maximum, où il y a des esclaves modernes, dirigés par la pourriture d'un parti qui se dit communiste, mais qui est vendu aux multinationales. Pour comble de malheur, la Chine vient d'inscrire dans la Constitution le droit à la propriété privée. Non, Décidément, la Chine n'est pas un bon exemple.

Une autre question importante est celle du rôle des classes sociales dans cette révolution. Il n'est pas nécessaire d'invoquer Karl Marx, Frédéric Engels, Lénine ou Trotsky, pour savoir que la seule manière d'inverser l'équation capitaliste dans laquelle une minorité impose ses décisions à la majorité est que les travailleurs et les couches populaires – qui constituent une majorité de la population et ceux qui assurent la production – jouions le rôle d'avant-garde dans l'expropriation des entreprises et assumions le contrôle de ces dernières. Dans ce sens, le socialisme est simple.

Mais dans ce pays, cela devient de plus en plus difficile. Nous, les travailleurs et travailleuses, ne pouvons  maintenant ne serait-ce que rêver à la cogestion dans des secteurs clés de l'économie, et encore moins à la mise en œuvre un réel contrôle ouvrier, car le gouvernement considère que la cogestion n'a pas sa place dans les entreprises stratégiques.

Les camarades du Constructeur National de Valves, (aujourd'hui Inveval) ont dû subir des épreuves physiques, souffrir de la faim et lutter comme jamais auparavant, avant que le gouvernement les écoute enfin et accepte d'exproprier cette entreprise. Les ouvriers de Venepal (aujourd'hui Invepal) ont dû résister durant plus de 10 mois pour l'emporter sur les capitalistes. Pendant ce temps, le gouvernement détournait les yeux. Et maintenant, il y a les camarades de Sanitarios Maracay qui, depuis quatre mois, occupent l'entreprise en exigeant son étatisation, alors que le gouvernement n'envisage toujours pas d'expropriation.

C'est dans des faits de ce genre qu'on se rend compte que l'expropriation des capitalistes n'est pas à l'ordre du jour du programme du gouvernement, et qu'elle ne le sera probablement pas non plus pour le PSUV. Or, sans cela, nous ne pouvons avancer vers le socialisme. Nous pourrons aller vers une forme de capitalisme d'état dans une perspective développementiste [allusion à la politique de susbstitution des importations, dont Raoul Prebisch et Celso Furtado ont été des figures majeures], mais non vers la suppression de la propriété privée, de l'exploitation capitaliste et de l’appropriation des profits par une minorité.

Et qu'en est-il de ses remarques concernant l'autonomie du mouvement syndical ?

Voilà en effet un thème très important. Le Président ne peut pas prétendre modifier l'histoire en disant que ceux qui luttent pour l'autonomie des organisations syndicales traînons avec nous un «venin» de la Quatrième République [double références: l’une à une formule de Chavez contre la C-CURA et l’autre au contrôle étatico-patronale sur les syndicats, entre autres du secteur pétrolier, sous la République précédente]. Au contraire, l'autonomie est le meilleur antidote contre le bureaucratisme, et c'est grâce à cela que la révolution a été sauvée en 2002 et en 2003, et si elle est maintenue, ce sera une sauvegarde de taille pour le processus révolutionnaire.

La CTV (Confederación de Trabajadores de Venezuela) a hypothéqué son indépendance au bipartisme [démocrate chréien et social-démocrate – voir plus bas] et à ses différents gouvernements. Pendant quarante ans, l'on a écrit les pires pages de l'histoire du mouvement syndical vénézuélien, car les travailleurs ont été les marionnettes des adecos [socio-démocrates], des copeyanos [démocrates-chrétiens] et des chambres industrielles [organisations patronales de secteur]

Les Vénézuéliens se souviennent encore de l'époque où l'on décidait du destin des travailleurs, où l'on vendait des contrats collectifs et l'on s'entendait avec les gouvernements socio-démocrates pour maintenir le contrôle des syndicats et de la CTV, tout cela dans le bureau syndical de AD [Action démocratique: ce parti social-démocrate a été créé en 1941 ; en 1974 il revient au pouvoir avec Carlos Andrès Perez, qui deviendra un symbole de la corruption propre à la rente pétrolière].

N'oublions pas que le commandement contre-révolutionnaire durant la grève de sabotage [qui commença en décembre 2002] était formé par le duo CTV-Fedecamaras  [organisation patronale]. Or, la raison d'être de l'UNT est au contraire la lutte pour l'autonomie, parce que les travailleurs se sont soulevés contre les concessions, la soumission et la dépendance politique.

Le Président doit se rappeler ce qui s'est passé lors des élections syndicales de 2001. Même si nous savons tous que la direction de la CTV avait orchestré, à cette occasion une fraude monumentale, nous devons aussi reconnaître que beaucoup de travailleurs et travailleuses n'avaient aucune sympathie avec la liste alternative qui avait à sa tête Aristobulo Isturiz ; il l'identifiaient comme étant un candidat du gouvernement. Le Président doit comprendre que dans le mouvement ouvrier et syndical il y a ce que nous appelons le reflet de classe sociale, des niveaux de conscience de classe et de conscience révolutionnaire, et par leurs relations avec les patrons, leur comportement est différent à celui des communautés, aux secteurs paysans ou aux étudiants.

Mais le pire, c'est lorsque le président Chavez déclare que ceux qui luttent pour l'autonomie jouent un rôle contre-révolutionnaire. Ceux qui luttent pour l'autonomie syndicale ne sont pas contre-révolutionnaires. Avec d'autres camarades, nous avons construit un courant national dans le mouvement syndical qui, outre le fait qu'il lutte contre la bureaucratie et pour le socialisme, s'identifie avec le combat le plus décidé en défense de l'autonomie des organisations syndicales.

Le deuxième Congrès de la Centrale [du 25 au 27 mars 2007] a fourni une bonne preuve de ce que je suis en train d'affirmer. En effet, il ne s'agissait pas simplement de cinq courants ou fractions, ni de problèmes personnels entre certains dirigeants, ni du fait qu'on ne voulait pas se parler ou de querelles personnelles.

Là le Président Chavez se trompe. Ce qui se