Etats-Unis

Le 1er Mai des immigré·e·s:
«On obtient ce pour quoi on est prêt à se battre»

La mobilisation la plus significative, dans les pays impérialistes, à l’occasion du 1er Mai fut certainement celle qui se déroula aux Etats-Unis. Dans au moins 153 villes, réparties dans 39 Etats des Etats-Unis, des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses, en grande partie immigrés, sont descendus dans la rue et ont boycotté entreprises, magasins, etc. Ils l’ont fait, entre autres, pour traduire leur opposition à une législation réactionnaire visant à criminaliser les migrants et pour revendiquer des droits sociaux et démocratiques.

La population hispanique, selon les chiffres officiels, réunit 41 millions de personnes aux Etats-Unis, soit 14% du total. Les Hispaniques sans papiers sont estimés à 12 millions, dont 6,2 sont d’origine mexicaine. Un secteur de la population hispanique est en droit de voter: il avoisine les 13 millions; mais seuls 60% sont enregistrés sur des listes électorales. Cela explique un des mots d’ordre mis en avant durant les manifestations: «Aujourd’hui nous défilons, demain nous votons».  Au sein de l’armée américaine sont enrôlés 127'000 Hispaniques.

Les projets de loi – présentés au Sénat début 2006 comme des «compromis» par rapport à la première version du républicain F. James Sensenbrenner Jr. (Wisconsin) – concernent les 12 millions de migrants sans papiers (undocumented) établis dans le pays. Ils aboutissent à les diviser en trois catégories. La première concerne ceux et celles qui peuvent faire la preuve qu’ils sont établis aux Etats-Unis depuis plus de cinq ans. Ces derniers pourraient demander un droit d’établissement permanent après avoir travaillé de façon ininterrompue pendant six ans. Une amende jusqu’à hauteur de 2000 dollars peut les frapper lorsqu’ils engagent cette procédure. La deuxième catégorie est formée par celles et ceux qui travaillent aux Etats-Unis depuis deux à cinq ans. Ils devraient quitter les Etats-Unis et faire une demande de réentrée afin d’obtenir un permis de travail temporaire; c’est un statut de saisonnier avec tous les avantages que cela comporte pour le patronat. Le dernier groupe, 1 à 2 millions, est formé par celles et ceux entrés aux Etats-Unis après le 1er janvier 2004. Ces derniers seraient, si la législation entrait en vigueur, sujets à expulsion ou condamnés à avoir un statut encore plus clandestin et donc plus précarisé; précarité qui peut être «attractive» pour divers secteurs de l’économie.

Un complément du projet loi – qui s’inscrit dans la filiation de la législation de 1986 mise en œuvre par l’administration Reagan – n’est autre que la construction sur la frontière Etats-Unis-Mexique d’un mur militarisé de quelque 700 miles. Le nombre d’agents des patrouilles de frontière doublerait; ainsi, une petite armée de 25'000 «surveillants» serait mise sur pied. Cela va sans compter les nombreuses organisations privées paramilitaires «défendant la patrie» à la frontière.

Dès le 25 mars 2006, la mobilisation a pris une grande ampleur, d’abord à Los Angeles. Le 10 avril, une nouvelle mobilisation a eu lieu. Celle du 1er Mai reprenait le mot d’ordre qui s’était affirmé le 25 mars: «Si se puede» (Oui c’est possible). Lors du 1er Mai, sur les pancartes, on pouvait lire: «Nous sommes tous des immigrants»; «Tous les gringos sont des immigrants»;  «Nous sommes des travailleurs, pas des criminels»; «Tous opposés au mur».

Nous reproduisons ci-dessous les principales informations ayant trait à ce 1er Mai telles que les donne l’hebdomadaire Socialist Worker daté du 5 mai 2006. Cet hebdomadaire est celui de l’ISO (International Socialist Organization). Nous complétons ces données par la traduction d’un entretien fait avec Nativo Lopez, président de la Mexican American Political Association et porte-parole du «Great American Boycott 2006», c’est-à-dire la journée d’action pour le droit des immigré·e·s qu’était ce 1er Mai 2006. Cet entretien a été réalisé le 30 avril et conduit par Sarah Knopp. – Réd.

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Dans tout le pays, les divers types d’entreprises faisant appel aux travailleurs et travailleuses immigrés ont soit dû réduire leur activité, soit fermer leurs portes. Dans le Midwest – la région formée des Etats du Dakota Nord et Sud, du Nebraska, du Kansas, de l’Oklahoma, de l’Arkansas, du Missouri, de l’Iowa – huit fabriques de conditionnement de viande de la grande firme Perdu Farms (spécialisée dans la volaille et ayant son siège à Salisbury dans le Maryland) et neuf du géant Tyson, firme cotée au S&P, qui a son siège à Springdlae dans l’Arzansas ont dû interrompre leur activité. Cargill Meat Solutions (filiale de la transnationale Cargill, deuxième firme de l’industrie alimentaire des Etats-Unis spécialisée dans la viande de bœuf) a annoncé qu’elle fermerait «volontairement» ses entreprises, accordant ainsi un jour de congé à ses 15'000 travailleurs. Le géant de l’alimentaire General Mills a été contraint d’arrêter sa production dans deux fabriques de la région de Boston.

A Los Angeles, les conducteurs de camion n’ont pas desservi le plus grand port du pays et un tiers des petites entreprises avaient dû descendre leurs stores. Le centre de la production d’habillement à Los Angeles, «California Mart», a vu ses magasins désertés à l’heure du repas, avant la grande marche, et divers ateliers de production être fermés. Plus de 300 piquets ont été organisés pour stimuler la fermeture de nombreux magasins. Angie, une travailleuse de Hera Collection, déclare: «Là où je travaille, nous avons fait fermer 30 magasins. Nous leur avons dit: si vous ne fermez pas, on les fermera nous-mêmes.»

Le sentiment de force de la protestation s’est manifesté à l’occasion de toutes les marches. Sonnaient des slogans tels que: «Bush, escucha ! Estamos en la lucha !» (Bush, écoute ! Nous sommes en lutte), ainsi que: «Aqui estamos, y no nos vamos» (Nous sommes ici et nous resterons).

«Mon frère en Irak combattant pour ce pays», lit un des participants à la manifestation de Chicago, Juan Zunida, dont le beau-frère, Elvis Gutierrez, se trouve en Irak depuis l’invasion. Zunida explique dans un entretien: «Nous sommes des travailleurs. Nous sommes ici pour rien d’autre que pour améliorer nos conditions de vie.»

A New York, le révérend Jesse Jackson a lancé un appel marqué pour la solidarité entre travailleurs latinos et black. Au côté de Jackson se trouvaient l’actrice Susan Sarandon et le président du Local 100 (section syndicale) du Transport Workers Union, Roger Toussaint, qui a été emprisonné à cause du rôle qu’il a joué dans la grève des transports publics de New York en décembre 2005. Jackson s’adressant à la foule affirma: «Ils nous disent que ce sont les Mexicains qui prennent nos boulots. Nous ne tomberons pas dans leur piège de diviser pour régner.»

A New York, des milliers de manifestants se sont tenu la main pour former un cercle autour de quartiers habités par des migrants; ils l’ont fait à 12h16 pour attirer l’attention sur la date du 16 décembre 2005, date à laquelle la Chambre des représentants [il y a une chambre basse et une chambre haute, le Sénat, comme en Suisse] avait adopté la loi criminalisant les travailleurs sans papiers.

A Chicago, la même solidarité au sein de l’ensemble des travailleurs a été exprimée par Susan Sloam, membre du Service Employees International Union (SEIU), un syndicat qui a mené dans les années 1990 des campagnes de syndicalisation importantes de salarié·e·s travaillant dans le secteur de l’entretien et la surveillance de bâtiments, du paramédical, etc., particulièrement en Floride. Parmi ces nouveaux syndiqués, les Hispaniques étaient très fortement représentés. Susan Sloam a affirmé: «Pourquoi ne descendrions-nous pas dans la rue ? Je ne connais personne – en dehors de ceux qui sont venus comme esclaves et des Amérindiens – qui n’est pas venu en tant qu’immigrant. Les syndicats doivent soutenir les travailleurs. Il n’y a pas d’êtres humains illégaux, il n’y a que des politiques illégales.»

Dans beaucoup de villes, les étudiants ont rejoint les manifestations, ont organisé des teach-ins et des sorties collectives des écoles secondaires et des universités.

Des actions se sont développées parmi les universités suivantes: University of Vermont, Seattle Central Community College, les universités d’Etat de San Diego, Portland, Ohio, Northeastern Illinois, University of Illinois-Chicago, Harold Washington College, Holyoke Community College, Cornell University, University of Mariland, etc.

A San Francisco, le matin de la manifestation, les étudiants ont dédié leur action à la mémoire de Anthony Soltero, un étudiant qui s’est suicidé après avoir été menacé par le proviseur du collège pour avoir organisé la manifestation antérieure.

Dans la ville de Providence (Etat de Rhode Island), 60% des étudiants étaient absents des cours. A Chicago, l’administration des écoles a annoncé qu’elle ne punirait pas les étudiants pour leur absence, vu le nombre d’entre eux qui participaient aux manifestations.

A San Diego, un cortège de quelque 5000 personnes est allé à la rencontre d’un collège venant  de la ville mexicaine frontière de Tijuana.

La participation de masse à ce 1er Mai est d’autant plus impressionnante que les dirigeants de diverses organisations défendant le droit des migrants s’étaient opposés à l’appel au boycott, appel qui devait faire la démonstration pratique que sans le travail des migrants l’économie serait fortement paralysée. Ainsi, à Los Angeles, il y a eu deux manifestations. L’une en faveur du boycott et de l’amnistie. L’autre centrée sur des revendications plus modérées telles que: la voie à la citoyenneté, c’est-à-dire une orientation en faveur dudit compromis présenté au Sénat.

Toutefois, la pression était si grande que, en Californie, diverses organisations et y compris le Sénat de l’Etat ont dû avaliser le 1er Mai de boycott. Les menaces de répression – pour rappel, en avril, le Bureau of Immigration and Customs Enforcement avait en un seul jour arrêté quelque 1200 sans-papiers – n’ont pas pu freiner les gens de manifester. Un travail important a été fait, par des militant·e·s, pour combattre la crainte que suscitaient les déclarations d’organismes officiels. Et ce travail a été payant. A Chicago et ailleurs, les municipalités ont dû s’engager à promettre publiquement que les instances en charge des questions d’immigration ne pourraient pas arrêter ceux et celles qui descendraient dans la rue. Au lieu de se replier face aux menaces, les immigré·e·s ont fait la démonstration de leur force, et se sont engagés dans l’action sous l’impulsion d’une défense de leur dignité et d’une revendication de justice et de respect. A Chicaco, on pouvait lire sur une pancarte, qui faisait référence à la législation qui a déclenché le mouvement de protestation: «Merci à vous Monsieur le représentant Sensenbrenner, vous avez réveillé le lion !».

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Entretien avec Nativo Lopez

Question: Quelle est l’origine de ces manifestations de protestation ? Elles ont semblé exploser sans que personne les prédise. Pourquoi les gens sont si fâchés et prêts à protester ?

N. Lopez: J’ai observé que les démonstrations de protestation actuelles sont le résultat cumulatif d’années d’attaques et de dénigrement des immigré·e·s en général et en particulier des Mexicains et des Latinos. Mais, d’une façon plus vive, la loi HR4437 – c’est-à-dire le projet de modification de Sensenbrenner [fin 2005 à la Chambre des représentants] – a pour but d’éliminer tout espace social dans leque