Fédération de Russie Le mouvement ouvrier et syndical en 2009: Carine Clément * Fin 2009 l’Institut d’action collective de Moscou a publié sur son site un long texte de Carine Cément qui fait un bilan des mobilisations ouvrières au cours de l’année écoulée. Ce texte se présente comme un recensement systématique, région par région, des différentes actions menées dans et hors des entreprises, mais aussi comme une analyse des questions et des difficultés auxquelles est confronté aujourd’hui le mouvement syndical dans cette période de crise. Les informations et analyses que contient ce texte ont un rôle important à jouer: permettre aux différents collectifs et aux organisations qui se battent à l’échelon local d’avoir une vision plus globale des résistances et des espaces partagés existants ou à construire. Et réaffirmer, sans dogmatisme, les urgences de l’heure face à la crise, surtout que l’année 2010 s’annonce particulièrement dure avec d’importantes vagues de licenciements annoncés. Carine Clément, sociologue, est directrice de l’Institut d’action collective (IKD). Créé en 2004, IKD est devenu aujourd’hui un maillon important de la chaîne des mobilisations sociales: site d’information au quotidien sur les mouvements sociaux, il fait un travail d’expertise sur les questions sociales et sur le mouvement social et syndical, contribue à la coordination d’importants réseaux régionaux à commencer par le SKS et dans les initiatives convergentes menées à l’échelle de la Fédération de Russie. Les membres de IKD poursuivent ces activités dans des conditions matérielles très difficiles – depuis quelques mois sans aucun soutien financier. Pour faciliter la lecture de ce texte, voici un «petit lexique» des organisations syndicales en Russie. • Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR). Cette Fédération est l’héritière directe des syndicats de la période soviétique. Elle en a gardé un certain nombre de traits: tant à l’échelon central qu’au niveau de l’entreprise, elle cherche à se poser en partenaire responsable des autorités (gouvernement, autorités régionales, direction de l’entreprise). Toute l’activité de la direction de la FNPR vise à se voir confirmée par le gouvernement dans son rôle de partenaire social privilégié. • Syndicats alternatifs. Ce sont des syndicats apparus dans le sillage de la grande grève des mineurs de 1989, en rupture avec la pratique des anciens syndicats. Les principales organisations sont: Sotsprof ; les confédérations: Confédération du travail de Russie (KTR) et la Confédération panrusse du travail (VKT) et la Fédération Zachita truda (“ Défense du travail ”) qui défend un syndicalisme de combat et une opposition intransigeante à la politique du pouvoir en place. ***** Au début de l’année 2009 les travailleurs et travailleuses ont accueilli la crise de manière assez passive, même si en mai-juillet on a assisté à une forte poussée d’activité, en premier lieu sous la forme d’une explosion des actions de rues et d’autres formes de protestation peu contrôlées et non prévues par la législation sur la résolution des conflits de travail. Par la suite, on note une croissance lente mais persistante du nombre des conflits de travail avec la multiplication des meetings. L’accroissement des tensions s’est manifesté hors de l’espace public, y compris par des actes individuels (grèves de la faim, grève à l’italienne et même, parfois, suicides). Selon les sources de l’Institut d’action solidaire (IKD), on dénombre 183 conflits du travail sur l’année entière (chiffre vraisemblablement sous-estimé). Avec une tendance à l’augmentation. Au premier semestre 2009, on note 62 conflits du travail – la moitié en mai – juin. Au second semestre, 116 conflits (dont la moitié se traduit par des meetings de protestation). Par comparaison avec 2007, les formes de protestation ont changé: à la place des grèves on observe des actions de protestations dans la rue. C’est là une conséquence de la crise (qui fait de l’arrêt de travail une arme à haut risque), mais aussi de la législation du travail qui désormais rend une grève quasiment impossible dans le cadre de la loi. Très souvent les conflits du travail témoignent de l’incohérence de la législation en vigueur pour ce qui est du règlement des conflits collectifs. Du fait de l’absence de mécanismes effectifs pour le règlement des conflits, les salarié·e·s sont contraints d’avoir recours à des formes de mobilisation ne figurant pas dans le code du travail comme les actions de rue. La géographie des conflits est très large – pratiquement toutes les régions sont plus ou moins touchées. La situation la plus tendue se trouve dans les villes mono-industrielles [1], où, aux côtés des travailleurs, on retrouve les habitants de la ville. Quant aux secteurs les plus touchés, ce sont la construction automobile, les usines d’armement, l’agriculture, la métallurgie. Mais en fait l’augmentation des conflits concerne quasiment tous les secteurs. Les principales revendications des travailleurs concernent le versement des salaires et le sauvetage de l’entreprise. En d’autres termes, ce sont les actions défensives qui dominent, ce qui n’a rien d’étonnant en période de crise. Mais face à une pression extrêmement forte des patrons et à une accentuation de l’exploitation, même les actions défensives ont un avant-goût de contre-offensive. C’est que le problème ne réside pas seulement dans la crise et les difficultés économiques soit disant objectives. Souvent travailleurs et syndicalistes n’en croient pas leurs yeux: l’entreprise est rentable et fait même des bénéfices, les ventes marchent, mais cela n’empêche pas la direction d’utiliser la crise pour faire des économies sur le dos des travailleurs: salaires, conditions de travail, sécurité du travail etc. Et tout est fait pour dissimuler la situation financière réelle, tant à l’égard du public que des salariés et des syndicalistes (des vrais syndicalistes en tous cas). Le fait est qu’à cause de la crise ou en utilisant celle-ci, les patrons ont lancé une offensive à grande échelle contre les travailleurs qui commencent à s’organiser. A partir de 2007 on a observé chez les travailleurs une élévation de la conscience, une plus grande autonomie ainsi qu’une réelle capacité à s’organiser. De toute évidence, durant l’année écoulée cette tendance est devenue évidente pour les patrons qui font tout pour écraser les foyers de résistance et les manifestations d’auto-organisation. La guerre vise en premier lieu les syndicats véritablement indépendants. Ces actions agressives de la part des patrons se sont encore renforcées avec la crise qui accentue la concurrence, mais aussi compte tenu de la politique du pouvoir qui, lui-même dépendant du capital oligarchique, apporte une aide généreuse aux oligarques de façon à ce qu’ils traversent la crise sans pertes importantes, et ceci sur le dos des contribuables et des travailleurs salariés. Une offensive à grande échelle contre les travailleurs Les dirigeants d’entreprises, tant privées que d’Etat, se livrent à des violations systématiques du droit du travail. En premier lieu cela prend la forme du non-paiement des salaires. A l’instar de ce qui s’était passé dans les années 1990, les travailleurs sont transformés en esclaves forcés à travailler pour rien. De plus, et cela de façon unilatérale, alors que le Code du travail prévoit un accord des deux parties, les patrons diminuent les salaires, suppriment les primes, réduisent le temps de travail avec une diminution forte des salaires. Plus grave encore, ont commencé des licenciements à grande échelle, généralement en violation de la loi, accompagnés de menaces à l’adresse des travailleurs que l’on force à «démissionner» de leur poste de travail. Parfois les licenciements sont dissimulés sous la forme d’une mutation ou d’une affectation dans une entreprise créée pour une journée (c’est apparemment ce qui se passe à l’usine d’automobile Avtovaz à Togliatti. On assiste à la multiplication des formes d’emploi non standard et sans garantie de durée. Souvent la réduction ou la baisse des salaires n’est en rien justifiée par des difficultés financières réelles (situation difficile à vérifier compte tenu de la dissimulation systématique des comptes). Inutile de parler des chiffres officiels du chômage (pour les autorités est considérée comme chômeur une personne qui s’est fait enregistrer à la bourse du travail): en effet, rares sont ceux qui sont prêts à faire des heures de queue pour une allocation misérable, de 890 à 4900 roubles [soit de 25 à 120 euros ; ou 36,7 CHF et 176 CHF]. D’après les données établies conformément aux méthodes de l’OIT (déclaration de la personne comme quoi elle est disponible pour travailler et recherche un emploi), fin novembre 2009 le nombre des chômeurs s’élevait à 6,3 Millions de personnes soit 8,1% de la population active. Quant aux chômeurs «cachés», qui sont encore considérés comme travaillant, mais qui ne touchent pas de salaire ou qui, pour cause de lock-out ne touchent que les 2/3 de leur salaire, ils sont très nombreux. Beaucoup ont des emprunts à rembourser, sans parler des dépenses courantes pour des produits et des services indispensables dont les prix, à la différence des salaires, augmentent. La situation est particulièrement inquiétante dans les «villes mono-industrielles» où il n’y a pas d’emploi alternatif. Plus généralement, à l’échelle du pays, il n’y a nulle part où aller dans cette situation de crise générale. Fréquemment, les licenciements signifient une aggravation des charges de travail pour les travailleurs restants, qui, de plus, voient leur salaire réduit. Les inspecteurs du travail ont relevé une augmentation du stress et des surtemps de travail, entraînant la multiplication des accidents de travail, parfois mortels, une situation aggravée par le fait que les patrons n’hésitent pas à faire des économies pour ce qui est de la sécurité, en menaçant du chômage ceux qui protestent. En résumé, les travailleurs soit sont jetés à la rue, quasiment sans moyens de subsistance, soit sont pressurés comme des citrons, forcés de travailler plus pour gagner moins. Dans une telle situation, la majorité des travailleurs s’en tiennent à des manifestations passives de protestation. Nombreux sont ceux qui préfèrent se soumettre et endurer la situation, plaçant tous leurs espoirs sur la bonté du patron et la conservation de leur emploi. Beaucoup ont recours à des formes individuelles d’adaptation cherchant à passer un accord avec la direction et à négocier à leur seul profit quelques avantages. Certains arrivent quand même à trouver un emploi complémentaire ou se serrent la ceinture dans l’attente de temps meilleurs. Mais avec l’aggravation de la crise, ces possibilités se sont considérablement réduites et on a vu un nombre croissant de gens désespérés se lancer dans des initiatives de masse spontanées, échappant à tout contrôle. Mais le plus important est la multiplication des nouveaux syndicats. De plus en plus de travailleurs essaient de résister collectivement et de façon organisée à l’offensive contre leurs droits. De plus, ces nouveaux syndicats se développent dans des secteurs où jusqu’ici ils étaient absents: media, secteur alimentaire, commerce etc. Et, sous la pression du mécontentement de la base, nombre de syndicats traditionnels sont forc& |
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