Un appel à la solidarité du syndicat libre «Edinstvo»

Répression après la grève
au géant automobile russe Avtovaz

Rappel des faits
(par Carine Clément, directeur de l’Institut de l’Action Collective – Moscou

La grève du 1er août 2007 des ouvriers de la chaîne de montage principale du géant automobile AVTOVAZ (voitures Lada, dans la région de Samara) a sonné comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Personne ne s’y attendait, cette usine étant dominée par le syndicat traditionnel fortement hostile à toute action d’opposition frontale à la direction. Et pourtant...

La colère montait depuis déjà longtemps, les ouvriers étant fort mécontents du niveau de salaire, qui depuis 1994 perd en pouvoir d’achat du fait de l’inflation. Aujourd’hui, un ouvrier de base gagne à peine autour de 7000 roubles par mois (200 Euros). En conséquence, les ouvriers quittent massivement l’usine. Parmi ceux qui ont décidé de rester, certains ont trouvé le courage d’entamer une lutte collective pour l’augmentation des salaires. Pour la mener, un comité de grève a été mis en place au mois de juin 2007. Il a transmis la liste des revendications à la direction d’entreprise, au premier rang desquelles se trouve l’augmentation du salaire. La direction n’ayant pas réagi, ni aux revendications (signées collectivement par une grande partie des ouvriers), ni à la grève du zèle qui les accompagnait, décision a été prise de se mettre en grève. La date avait été déclarée une semaine auparavant: le 1er août.

Personne n’y croyait vraiment parmi les commentateurs, l’usine comptant plus de cent mille salarié·e·s, peu organisés et restant par inertie membres du syndicat traditionnel de la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), connue pour sa loyauté à l’égard du patronat. Rajoutons que le nouveau Code du travail exige que la moitié au moins des salariés, réunis en assemblée plénière, décide à la majorité de se mettre en grève. Dans le cas contraire, la grève est déclarée illégale et les ouvriers risquent le licenciement. De plus, dans les journées qui ont précédé la grève, la direction a tout fait pour dissuader les ouvriers dissidents: menaces divulguées par les chefs d’ateliers et les contremaîtres, convocations des «meneurs» à des entretiens musclés, appel à la police sous prétexte de menace «extrémiste» dans l’usine. Ainsi, un des ouvriers militants, Anton Vetchkunin, a été arrêté sur son lieu de travail par les forces de l’ordre, à quelques jours de la grève annoncée. Motif invoqué: distribution de tracts à caractère extrémiste.

Malgré tout, la chaîne de montage a bien été arrêtée, le 1er août, comme prévu, de 10.45 à 16.00. Et une assemblée a eu lieu devant l’entrée de l’usine, où les grévistes chantaient et dansaient, exultant d’avoir trouvé le courage d’un tel acte. Autour de 2000 ouvriers ont participé à la grève. Pour éviter les répressions, il a été décidé collectivement d’en faire une grève d’avertissement et de reprendre le travail au démarrage du second tour. Mais cette grève de quelques heures a fait beaucoup parler d’elle. Tous les médias en parlaient et des discussions publiques se sont déroulées sur le bien-fondé de la grève. Elles ont fait apparaître un large soutien de l’opinion publique aux ouvriers grévistes.

Parmi les éléments ayant joué un rôle facilitateur, il faut évoquer l’aide active dispensée par le syndicat alternatif «Edinstvo», très minoritaire dans l’usine, mais très actif. Il faut également parler des actions de soutien organisées par les réseaux de militants politiques et syndicaux, y compris des piquets de protestation devant les représentations du groupe dans différentes villes de Russie (y compris à Moscou, où des militants ont été arrêtés et condamnés à plusieurs jours de prison pour «action non autorisée»). Enfin, il faut préciser que la grève a été l’initiative propre d’ouvriers travaillant essentiellement dans trois ateliers, tous liés au montage et ayant une position clé dans le processus de production.

Cependant, si la réaction de l’opinion publique a été positive, celle du syndicat traditionnel et de la direction l’a été beaucoup moins! La direction du syndicat traditionnel s’est complètement désolidarisée de l’action, présentée publiquement par le dirigeant du syndicat «officiel» comme une provocation d’extrémistes. Quant à la direction de l’usine, elle a décidé de nier les faits et transmis des communiqués selon lesquels rien ne se serait passé. Malgré la promesse faite d’ouvrir les négociations avec, pour représentant des ouvriers, Petr Zolotarev, président du syndicat «Edinstvo», deux semaines après la grève, les négociations n’ont même pas débuté. Pire encore, ont commencé les mesures de répression...

Répressions

Une semaine après la grève, les ouvriers qui ont participé à la grève de cinq heures ont commencé à recevoir des avertissements pour refus de travailler sans cause légitime, des amendes et autres peines disciplinaires. Au total, au 16 août, plus de 170 ouvriers sont concernés par ces mesures répressives. Deux ouvriers, dont l’un est membre du syndicat alternatif «Edinstvo», ont reçu un avis de licenciement. Et les mesures de répression continuent.

Le comité syndical «Edinstvo» s’apprête à mener une bataille juridique pour défendre les participants à la grève. Il s’est opposé au licenciement de Anton Vetchkunin, responsable syndical «Edinstvo» et à ce titre plus protégé. Cependant, le syndicat traditionnel FNPR a donné son aval quant au licenciement du second ouvrier, Alexeï Vinogradov, victime de la trahison de son propre syndicat.

Le syndicat libre «Edinstvo» s’engage à défendre tous les ouvriers réprimés, sans égard à leur appartenance syndicale, mais la tâche est gigantesque et dépasse de loin les moyens organisationnels et matériels de ce syndicat minoritaire (il regroupe au maximum 700 ouvriers sur les 100000 au total). Aussi a-t-il besoin d’aide, y compris pour compenser les pertes matérielles encourues par les grévistes.

L’affaire est de taille. Il s’agit de démontrer aux ouvriers de l’usine et, plus largement à l’opinion publique:

1. que les syndicats doivent et peuvent être des syndicats de lutte indépendants du patronat ;

2. que la grève est possible, que c’est un droit inviolable ;

3. que la solidarité, à l’intérieur du pays, comme au niveau international, est une valeur-clé qui permet de gagner les luttes.

La campagne de solidarité a déjà commencé en Russie même. Je me joins aux camarade1. s du syndicat «Edinstvo» pour demander aux réseaux militants internationaux de participer à cette campagne d’une manière ou d’une autre.

 

Appel du comité syndical «Edinstvo» AVTOVAZ aux mouvements sociaux et syndicaux

Chers collègues !

Le salaire des travailleurs de l’usine AvtoVAZ perd progressivement en pouvoir d’achat. Lors des dernières élections régionales, l’un des slogans du parti du pouvoir «Russie Unie» était «le salaire à hauteur de 25000 roubles – c’est possible !». La liste de ce parti était menée par les principaux dirigeants de l’usine AVTOVAZ.

Une fois élus, les députés de «Russie Unie» ont oublié leur promesse.

Les travailleurs du géant automobile AVTOVAZ, au désespoir de ne jamais obtenir une augmentation de salaire, se sont décidés à faire grève. Pour défendre leur dignité humaine, dès le mois de juillet 2007, les salariés de deux ateliers en particulier (le montage mécanique et la carosserie) ont adressé aux dirigeants de l’usine leurs revendications concernant le respect des engagements électoraux concernant le salaire à 25'000 roubles. Ils n’ont jamais reçu de réponses.

Le 1er août les salariés des ateliers 46-1, 45-2, MOTOR-3 et quelques autres se sont mis en grève pour défendre leurs revendications. La principale chaîne de montage a travaillé à vide pendant quatre heures. Le représentant de la direction, I.Ivanov, arrivé sur les lieux, a promis la venue prochaine à Togliatti du président du groupe AVTOVAZ, Artiakov V.V. et le démarrage des négociations avec les représentants des grévistes. Promesse a été également faite qu’aucune mesure répressive ne serait prise à l’égard des grévistes.

Les salariés ont à nouveau cru aux promesses et ont arrêté la grève, dans l’attente du début des négociations sur la hausse des salaires.

Les promesses se sont une fois de plus avérées mensongères.

L’employeur n’a pas accepté les négociations. Pire, en violation du Code du travail (art.414) qui interdit les mesures disciplinaires contre les grévistes, l’employeur a adressé des avis disciplinaires à 170 salariés (pour l’instant) et a licencié deux d’entre eux.

Nous, comité syndical «Edinstvo», nous nous adressons à tous les mouvements sociaux et syndicats pour vous demander de soutenir les ouvriers victimes de l’arbitraire du patronat. La nouvelle direction d’AVTOVAZ se présentait comme professionnelle et partisane du respect de la loi et de l’ordre dans les entreprises russes. Or, au lieu de la loi et de l’ordre, les dirigeants ont fait la preuve de leur incompétence et de leur appât du gain facile. Ils se sont achetés en masse des véhicules tout terrain luxueux et ont fondé une société de gestion à Moscou où les salaires du personnel dépassent de plusieurs dizaines de fois le salaire des ouvriers de l’usine. L’incompétence dans la gestion de l’usine a conduit au départ massif des ouvriers de l’usine, à la baisse de la production, à l’arrêt des programmes sociaux pour les ouvriers et donc, en conséquence, à leur appauvrissement.

Une campagne de solidarité et de protestation de l’opinion publique russe et internationale obligera à mettre un terme aux répressions illégales à l’encontre de gens gagnant leur pain et nourrissant leur famille au prix d’un dur labeur.

Nous vous demandons d’envoyer à l’adresse de la direction d’AVTOVAZ des lettres de protestation.

Nous vous demandons, dans la mesure du possible, d’envoyer vos dons sur le compte en banque du syndicat «Edinstvo». Nous garantissons que l’argent ainsi reçu sera entièrement transmis aux ouvriers grévistes illégalement et injustement frappés par les répressions.

D’avance merci !

Le Comité syndical «Edinstvo