Environnement-nucléaire

I. L’uranium et la Suisse

Charles-André Udry

Au cours de l’année 2006, la presse anglo-saxonne avait soulevé un lièvre: un chargement d’uranium, illégalement extrait de la République démocratique du Congo (RDC) aurait transité par le territoire de la Confédération helvétique. Direction: l’Iran.

Othmar Wyss des Contrôles à l'exportation et sanctions, au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), a toujours répondu qu’un trafic de la sorte ne lui a pas été signalé (sic). Par contre, il doit admettre que «des importations en Suisse, qui sont en destination des centrales nucléaires. Les exportations suisses concernent le traitement des déchets radioactifs». On exporte par précaution…

Tous ces mouvements sont censés se faire sous «haute surveillance», des inspecteurs de l’AIEA. Quelles en sont les quantités ? L’administration fédérale des douanes fournit une statistique: entre 1 et 45 kilos d’uranium sont importés en Suisse ces dix dernières années. Un mystère: il faut plus de 300 tonnes annuelles pour servir de combustible aux centrales nucléaires helvétiques…

Au cours des années 1980, en «pleine guerre froide», qui justifiait la surveillance policière des citoyens, des dizaines de tonnes d’uranium sur le marché soviétique. De plus, la Suisse (plus exactement un certain nombre de sociétés bien protégées sur tous les plans) importe de l’uranium appauvri ou du plutonium, pour les réexporter ensuite à l’étranger.

L’expert français en sûreté nucléaire Pierre Tanguy reconnaît qu’en ce qui concerne l’uranium, depuis la création de l’AIEA en 1957, «le secret industriel s’est maintenu comme dans toute autre industrie».

L’absence d’un véritable contrôle indépendant, dont les résultats seraient rendus publics, a permis à la Suisse de constituer des stocks stratégiques: 1609 tonnes d’uranium naturel, 1422 tonnes d’uranium enrichi.

Ces données sont fournies à par Leo Scherer, de Greenpeace (Zurich), sur la base d’un rapport de l’OCDE couvrant la période 2005-2006.

Prévoyantes, les autorités fédérales auraient constitué l’essentiel des réserves à une époque où les prix étaient au plus bas, avec de l’uranium obtenu entre autres sur les marchés captifs de Namibie, les marchés sensibles du bloc de l’Est, ou de pays frappés d’embargo, à l’époque, comme l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid.

Soyons certains que les firmes helvétiques importatrices et exportatrices (comme plaques tournantes) l’uranium ont toujours fait très attention aux conditions de travail de ceux et celles qui l’extraient et le traitent, et du «réaménagement des sites», spécialement quand cela est en Afrique.

Gilles Labarthe de l’agence DATAS écrivait fin 2006: «L’historien Peter Hug note qu’en plein régime d’apartheid, le gouvernement suisse a bénéficié d’importations d’uranium «facilitées» dans le contexte d’une coopération militaire très étroite avec Prétoria. Des transactions «grises» auraient également été effectuées avec la Namibie, une ex-colonie de l’Afrique du Sud. Enfin, divers «trafics de matériel nucléaire avec les pays de l’Est» ont fait l’objet d’interventions parlementaires à Berne. L’existence d’une «mafia de l’uranium en Suisse» opérant parfois avec la complicité des services secrets suisses a aussi été dénoncée par des députés, pour des affaires concernant la découverte de lots mystérieux (10 kilos d’uranium naturel retrouvés en 1993 sur une aire de repos d’autoroute vers Zurich, 50 kilos retrouvés en 1989 dans un hôtel autrichien, proche de la frontière suisse).»

Rien à cacher… de ce qui se sait déjà

La Suisse coopère avec l’AIEA. D’ailleurs en juillet 2006 (protocole additionnel), les choses sont «réglées». Plus précis, on est vitrifié. Ainsi, la Suisse fournit: «Des renseignements indiquant l’emplacement, la situation opérationnelle et la capacité de production annuelle estimative des mines et des usines de concentration d’uranium ainsi que des usines de concentration de thorium et la production annuelle actuelle de ces mines et usines de concentration pour la Suisse dans son ensemble. La Suisse communique, à la demande de l’Agence, la production annuelle actuelle d’une mine ou d’une usine de concentration déterminée. La communication de ces renseignements n’exige pas une comptabilisation détaillée des matières nucléaires.

vi) Les renseignements ci-après sur les matières brutes qui n’ont pas encore une composition et une pureté propres à la fabrication de combustible ou à l’enrichissement en isotopes:

a) Quantités, composition chimique, utilisation ou utilisation prévue de ces matières, que ce soit à des fins nucléaires ou non, pour chaque emplacement situé en Suisse où de telles matières se trouvent en quantités excédant dix tonnes d’uranium et / ou vingt tonnes de thorium, et pour les autres emplacements où elles se trouvent en quantités supérieures à 1 tonne, total pour la Suisse dans son ensemble si ce total excède dix tonnes d’uranium ou vingt tonnes de thorium. La communication de ces renseignements n’exige pas une comptabilisation détaillée des matières nucléaires.»

Puis, la Suisse indique les «Quantités, composition chimique, emplacement actuel et utilisation ou utilisation prévue de chaque importation en Suisse de telles matières à des fins expressément non nucléaires en quantités excédant:

1) Dix tonnes d’uranium, ou pour des importations successives d’uranium en Suisse, dont chacune est inférieure à dix tonnes mais dont le total dépasse dix tonnes pour l’année;

2) Vingt tonnes de thorium, ou pour des importations successives de thorium en Suisse, dont chacune est inférieure à vingt tonnes mais dont le total dépasse vingt tonnes pour l’année; étant entendu qu’il n’est pas exigé que des renseignements soient fournis sur de telles matières destinées à une utilisation non nucléaire une fois qu’elles se présentent sous la forme voulue pour leur utilisation finale non nucléaire

L’uranium, une matière qui grimpe

Or, dans le contexte actuel (prix du pétrole, effets polluant du charbon) le nucléaire reprend des forces. Sa disgrâce se termine, ou plus exactement un effort important est effectué pour cela. Le communiqué de presse du G8 réuni à Saint-Pétersbourg (15-18 juillet 2006) a explicitement confirmé la priorité attribuée au développement des sources d'énergie nucléaire, comme alternative aux combustibles fossiles.

Les effets ont été constatés de suite. Le cours des actions des producteurs d'uranium est à la hausse, le cours s’enrichit, pas seulement l’uranium. En 1995, le prix du kilo se situait à quelque 23 euros. En 1996, il dépasse la barre des 40 euros, puis redescend jusqu’en 2003. Depuis, le kilo d’uranium (extrait de la mine) passe de 40 euros à 183,1 euros en 2007. Il n'a jamais été aussi élevé depuis 1968. (source The UX Consulting Company). Le parc mondial de réacteurs nucléaires, en fonction, compte 435 unités ; de plus 28 centrales sont en construction et 64 sont planifiées. La World Nuclear Association (WNA) compte 158 projets en préparation. Les pays qui en regroupent le plus sont la Chine et les Etat-Unis.

D’ailleurs, anticipant ce tournant, le groupe japonais Toshiba a annoncé son intention de racheter Westinghouse, fabricant américain de réacteurs nucléaires.Toshiba a en vue un objectif: le gouvernement chinois va investir des sommes colossales dans la construction de centrales atomiques sur les vingt à trente prochaines années; un marché gigantesque s'ouvre. Le voyage du premier ministre Abe en Chine, en octobre 2006, traduit, entre autres, cette accélération des relations économiques et des investissements japonais en Chine. L'Asie est certainement le continent où les programmes du nucléaire civil vont connaître le plus grand essor.

Il ne fait pas de doute que le marché de l'uranium va affronter des goulots de production. Ils sont liés à des délais réglementaires plus prolongés, que pour d’autres sites de production de matières premières, afin d’exploiter de nouveaux gisements. Les délais vont être contractés. Aucun doute à ce sujet. Et les populations et les travailleurs vont en payer le prix.

La disgrâce du nucléaire, depuis les années 1980, a de même provoqué un certain retard dans la mise en place de nouvelles technologies d’extraction et les coûts de production sont, actuellement, à la hausse. Ainsi se combinent des stocks insuffisants et une production (35'000 tonnes par an) inférieure à la demande.

Enfin, les travailleurs de ce secteur sont conscients que le rapport de forces en leur faveur, étant donné le marché tendu (offre-demande), peut leur permettre d’exiger des salaires moins misérables. D’où le «danger» de grèves – ou bien de grèves effectives – dénoncé, déjà, par les producteurs. Les restrictions environnementales sont considérées comme trop «rigides». Elles seront «flexibilisées».

Actuellement, l'essentiel de la demande émane de l'Europe de l'Ouest et des Etats-Unis. Mais la Chine va la faire exploser. Sous cette impulsion, la demande mondiale d'uranium va croître très vite. Et l’Inde va suivre. Et pourquoi pas le Brésil de Lula ? L’uranium est un bon placement. La plaque tournante helvétique va tourner plus vite et les traders, qui ont le siège de leurs firmes établi à Zoug ou à Genève, vont s’activer. Ils le font déjà.

Quelques grands producteurs canadiens et australiens dominent encore le marché. Toutefois, partout, fleurissent des nouveaux producteurs ou des sites ouverts par des grandes firmes, sous-traitées afin d’éviter les répercussions gênantes provoquées par des «déboires» environnementaux et / ou des accidents.

C’est donc un marché oligopolistique: 82 % de l’uranium est aux mains de huit sociétés, parmi lesquelles trois ont un rôle majeur: la canadienne Cameco; la britannique Rio Tinto et la française Areva. Donc les prix sont négociés, une fois par année, entre un nombre réduit de vendeurs et d’acheteurs. Vive la concurrence ! Certes, lors de ces négociations, les producteurs-vendeurs peuvent pousser les prix à la hausse. Dans les années qui viennent, les cours de cette matière très première ne vont pas atteindre le ciel, mais des hauteurs enviables.

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II. Les conditions d’exploitation de l’uranium
par les filiales d’AREVA… et les normes ISO

CRIIRAD *

L’exploitation des mines d’uranium constitue une des étapes les plus polluantes du cycle du combustible nucléaire non seulement pendant l’exploitation, mais également longtemps après la fermeture et le réaménagement des sites. En effet, l’extraction de l’uranium entraîne la dispersion dans l’environnement de matières radioactives et la constitution de stocks de déchets à très longue durée de vie.

AREVA [1], la contamination durable en France

Les différentes études conduites par le laboratoire de la CRIIRAD depuis plus de 15 ans montrent que, sur le territoire français, des problèmes radioécologiques sont rencontrés systématiquement sur les anciens sites d’extraction d’uranium et que les maigres progrès enregistrés ne le sont que sous la pression des associations de protection de l’environnement. En France, la CRIIRAD découvre des situations de pollution ou de violation de la réglementation chaque fois qu’elle réalise des contrôles à proximité de sites dépendants du groupe AREVA NC.

Ce fut encore le