Nucléaire

«Il faut arrêter de croire que le nucléaire va nous sauver»

Stéphane Lhomme

L'intégralité du débat avec Stéphane Lhomme, du réseau Sortir du nucléaire, débat tenu sur le Chat du quotidien Le Monde le mardi 27 mars. Une discussion qui concerne aussi la Suisse (réd). 

Ecyr: Quelle la part de l'énergie nucléaire, dans l'énergie consommée en France ?

Stéphane Lhomme: L'énergie nucléaire représente 16 % de l'énergie consommée en France. Il ne faut surtout pas confondre la part de l'électricité, qui est à 75 %, et celle de l'énergie qui n'est pas si importante que ça malgré 58 réacteurs nucléaires. Ce qui fait qu'il est beaucoup plus facile de se passer du nucléaire qu'on ne le croit en général.

Au niveau mondial, le nucléaire ne couvre que 2 % de la consommation d'énergie, c'est donc une énergie en fin de compte marginale, même si son danger est, lui, maximal.

Romulus: Que représente le secteur du nucléaire dans l'économie française, % du PIB, nombre d'emplois…

Stéphane Lhomme: Je n'ai pas tous les chiffres sous la main. Au niveau de l'emploi, le projet de nouveau réacteur, l'EPR, prévu à Flamanville dans la Manche, officiellement doit créer 300 emplois pérennes, alors qu'il coûte 3,3 milliards d'euros. Ce qui donne un seul emploi pour 11 millions d'euros, soit un nombre absolument ridicule. Le nucléaire donne l'impression d'être favorable à l'emploi, parce qu'il y a effectivement beaucoup de gens qui travaillent dans une centrale nucléaire, mais autour, c'est le désert. Donc finalement, le nucléaire est très peu créateur d'emplois, contrairement à une idée reçue.

Bob: Avec la prévisible catastrophe écologique que représente l'utilisation grandissante du charbon comme source d'énergie (le charbon rejette encore plus de CO2 que le gaz ou même le pétrole), ne pensez-vous pas que le nucléaire, malgré le problème de la gestion de ses déchets, reste, en attendant de nouveaux développements technologiques, une solution ?

Stéphane Lhomme: Si le nucléaire pouvait permettre de se passer du charbon, ou même de réduire de façon quantifiable la consommation de charbon, on pourrait se poser la question: peut-être que ça vaut le coup d'avoir les risques de catastrophe nucléaire, les déchets radioactifs, la prolifération vers l'arme atomique, dans la mesure où cela nous permettrait de lutter contre le réchauffement climatique.

Hélas, on a bien tous les risques du nucléaire, mais cela ne permet absolument pas de réduire la consommation mondiale de charbon: on revient à ce que j'ai dit au début, le nucléaire, c'est 2 % de la consommation mondiale d'énergie, une part marginale qui n'a aucune perspective de croissance. Il faut tenir compte des déclarations de M. Mandil, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, qui, le 10 novembre 2006, a déclaré: «La tâche principale de l'industrie nucléaire dans les années à venir sera d'essayer de remplacer les centrales qui auront atteint leur fin de vie. Cela signifie qu'on aura besoin de nombreuses nouvelles centrales sans pour autant augmenter la part du nucléaire dans la production d'électricité.» Ce qui veut dire que le nucléaire va rester une énergie marginale sur la planète, incapable d'empêcher le réchauffement climatique, même partiellement.

Yolande: Est-ce que tous les grands pays industrialisés utilisent le nucléaire ?

Stéphane Lhomme: Non, le nucléaire est principalement concentré dans quelques pays: France, Etats-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, par exemple. Mais la plupart des réacteurs sont vieux et vont fermer dans les 15 à 20 ans qui viennent. Il y a hélas des projets de nouveaux réacteurs nucléaires, mais ils ne feront que freiner le déclin irrémédiable de cette industrie, et d'ailleurs, le 1er janvier 2007, 7 réacteurs nucléaires ont définitivement cessé de fonctionner: 4 en Angleterre, 2 en Bulgarie, 1 en Slovaquie, et ce n'est qu'un début. (voir le site de Sortir du nucléaire)

Jack Cockin: Combien va coûter le démantèlement de toutes les centrales nucléaires françaises arrivées en «fin de vie» ? En tenant compte de cela, quel devrait être le prix de l'électricité vendu par EDF ?

Stéphane Lhomme: Heureusement (façon de parler) il y a aussi des centrales nucléaires en Grande-Bretagne. Et là, on a des chiffres pour le démantèlement des installations: 103 milliards d'euros. Or, en France, on a à peu près cinq fois plus d'installations nucléaires. Donc on peut logiquement évaluer à 500 milliards d'euros le prix du démantèlement des installations nucléaires françaises.

Or, EDF annonce avoir budgété quelques dizaines de milliards, et encore, cet argent n'est pas mis à part dans ce qu'on appelle un «fonds dédié», qui serait par exemple géré par la Caisse des dépôts et consignations et dont on serait sûr de pouvoir disposer le moment venu. Donc finalement, étant donné qu'EDF est toujours une entreprise extrêmement endettée, on peut dire que l'argent du démantèlement des installations françaises n'existe pas.

Pour ce qui est du prix, il est quasiment impossible d'évaluer le coût réel de l'électricité nucléaire. Il faudrait une étude indépendante qui prendrait en compte les centaines de milliards d'argent public investi dans le nucléaire depuis 50 ans, et le coût du démantèlement des installations et de la gestion des déchets radioactifs pendant des millénaires. De toute évidence, l'électricité nucléaire est la plus coûteuse, financièrement et pour l'environnement. Pour nous et pour les générations futures, qui vont assumer nos déchets.

Gallas64: Estimez-vous que le modèle français – eu égard du poids des lobbies pronucléaires – peut prendre la même orientation énergétique que l'Allemagne ?

Stéphane Lhomme: Il est évident qu'on peut sortir du nucléaire comme en Allemagne, même si, avec 58 réacteurs nucléaires, on ne peut malheureusement pas le faire immédiatement. Mais un plan de sortie du nucléaire rapide ferait merveille parce qu'en même temps, on développerait massivement les économies d'énergie et les énergies renouvelables.

La décision de sortie du nucléaire en Allemagne a été définitivement arrêtée en 1999 et la durée du processus n'est pas fixée fermement. Mais normalement, la dernière centrale nucléaire devrait fermer avant 2020. Les Allemands ferment leurs centrales avant qu'elles n'arrivent en fin de vie., il s'agit donc d'une politique volontariste.

Contrairement à une idée reçue, c'est l'Allemagne qui est exportatrice nette d'électricité vers la France (il y a des échanges dans les deux sens, mais c'est bien l'Allemagne qui nous envoie plus d'électricité). Il est donc complètement faux de dire que l'Allemagne sort du nucléaire grâce à l'électricité nucléaire française.

De même, lors de la panne géante de novembre dernier, dont l'origine se situait en Allemagne, il a été dit qu'avec le nucléaire ça ne serait jamais arrivé. Mais il faut rappeler que pour le moment, l'Allemagne n'a fermé que trois réacteurs, qu'il en reste encore 17, et que cette panne a donc trouvé son origine dans un pays qui est toujours un pays très nucléarisé, ce qui prouve bien que le nucléaire n'empêche pas - bien au contraire - les pannes géantes.

Alklan: On nous parle sans arrêt de sortir du nucléaire, parce que c'est polluant et dangereux. Mais quelles énergies préconisez-vous pour remplacer le nucléaire ?

Stéphane Lhomme: Par exemple, il faudrait un véritable plan Marshall de rénovation des bâtiments. On fait aujourd'hui des maisons dites «à énergie positive» qui produisent plus d'énergie qu'elles n'en consomment, et qui n'ont donc plus besoin d'être reliées au réseau EDF. Si l'on développe ces solutions à grande échelle, on pourra se passer du nucléaire tout en réduisant les émissions des gaz à effet de serre. A nouveau, la solution passe par une réduction très importante de la consommation d'énergie, principalement dans les pays riches.

On peut dire que c'est utopique, mais dans ce cas, on ne sauvera pas la planète. Par contre, on peut réduire de façon très importante notre consommation d'énergie sans pour autant aller vivre dans des grottes avec des bougies. Les maisons à énergie positive permettent de vivre tout à fait normalement (et même avec un bien-être supérieur par rapport aux habitations ordinaires). Il est anormal que l'on continue à fabriquer des bâtiments ordinaires qui laissent s'échapper la plus grande partie de leur énergie à l'extérieur.

Pour «justifier» le nucléaire, EDF a installé en France des millions de chauffages électriques et maintenant, avec le réchauffement climatique, il y a de plus en plus de climatiseurs. Donc dès qu'il fait froid ou chaud, on a des consommations extraordinaires d'électricité, dont on pourrait se passer avec des bâtiments bien conçus.

Donc la chose la plus importante est de réduire notre consommation d'énergie. Il ne faut surtout pas essayer de produire (et de gaspiller) avec les énergies renouvelables autant qu'avec les centrales nucléaires, ce serait absurde. Les énergies renouvelables doivent venir en complément d'une politique ambitieuse d'économies d'énergie. L'énergie nucléaire «sûre» ou «propre» n'existe pas. Le nucléaire est par nature injustifiable (risques, déchets, prolifération vers l'arme atomique). Il faut donc s'en passer totalement. Et ne pas se contenter d'en réduire la part.

Philippe: Peut-on rendre les déchets nucléaires inoffensifs ? Combien en produit-on en France chaque année ?

Stéphane Lhomme: Il n'y a aucune façon de régler le problème des déchets radioactifs. Les plus dangereux vont durer des centaines de milliers d'années et l'industrie nucléaire prévoit de les enfouir sous terre à Bure, dans la Meuse. C'est un véritable crime contre les générations futures, parce que dans 500, ou 1000 ou 5000 ou 10000 ans, la radioactivité sera libérée, contaminera les nappes phréatiques et reviendra à la surface.

Mais ce n'est pas le seul problème. En plus de ces déchets ultimes, l'industrie nucléaire produit en permanence des quantités astronomiques de résidus et autres ferrailles plus ou moins contaminés qui s'accumulent un peu partout en France dans des centaines de sites nucléaires. Récemment, Areva a essayé d'intégrer dans la production d'une fonderie ordinaire des ferrailles radioactives pour s'en débarrasser. Heureusement, la population locale (à Feurs, près de Saint-Etienne) s'est mobilisée et a empêché ce scandale. Mais malheureusement, il y a de plus en plus d'éléments contaminés que l'on retrouve dans les objets de la vie courante.

Steph: Les alternatives au nucléaire sont les énergies renouvelables. Or celles-ci ne peuvent que se développer par dizaines de milliers de sites déconcentrés de 10, 20, 50, 1000 kW. Ca signifie que les particuliers sont les plus à même de s'investir et d'investir dans le développement de ces sites. Que comptez-vous faire pour développer cette démarche citoyenne ?

Stéphane Lhomme: Au lieu d'investir encore une fois des milliards d'euros dans le nucléaire, l'Etat devrait subventionner l'isolation des bâtiments et l'installation d'énergies renouvelables: par exemple des panneaux solaires sur toutes les habitations. De cette manière, les énergies renouvelables seraient disponibles pour tout le monde et pas seulement pour ceux qui en ont les moyens. On peut d'ailleurs signaler que le chauffage électrique a poussé à la ruine et au surendettement des milliers de familles modestes. Tout ça à cause du nucléaire.</