Italie

Couillonnés dans la nuit des ténèbres [1]

Gianfranco Pala *

L’a-gauche [a privatif] dudit centre gauche libéral bourgeois n’a pas été le moins du monde apte à éviter toutes les provocations de Berlusconi et de sa bande. De la sorte, elle a navigué avec une tiédeur pédante en évitant la dénonciation et la lutte jusqu’au moment où elle a riposté à l’agression de l’adversaire qui, lui, au contraire, en a fait un usage à outrance et populiste jusqu’à saturation. Mais, comme on le précisera par la suite, ce mode de faire ne nous surprend plus depuis longtemps: c’est ainsi que le pouvoir bourgeois conçoit la «démocratie». Parmi ces conceptions, la simple sauvegarde de la démocratie bourgeoise pourrait seulement – mais dans les conditions actuelles ce n’est pas peu et cela pourrait, au moins, être défendu par des libéraux bourgeois – passer par une prise de distance avec les positions arbitraires, arrogantes et néofascistes dictées par l’insolence égotique et despotique d’un dictateur cavalier.

En Italie, le bouleversement «piduiste» [2] de la Constitution républicaine de 1948 illustre bien ce genre d’affrontements. La défense au moyen de référendums [nombreux au cours des années 1990] de la Constitution visait, par exemple, à bloquer la confirmation de la contre-réforme autoritaire dévolutive [permettant la transmission du pouvoir d’une instance à une autre pouvant combiner décentralisation et centralisation des pouvoirs] et fédéraliste. Un référendum aura lieu à ce sujet en juin 2006.

Cependant, l’Unione [coalition représentée par Prodi] – au lieu de se battre de manière pressante contre les méfaits, légaux et sociaux, du gouvernement parafasciste de Berlusconi et contre ses mensonges à répétition – a accepté de s’abaisser au niveau le plus bas des insultes politiques. Survolant les scélératesses berlusconiennes, les experts en propagande de Prodi ont fait la démonstration d’une totale incompréhension de la consistance effective de la dimension spectaculaire de la «politique» – c’est-à-dire de la non-politique. Inversement, la question a été bien saisie par les «boutiquiers» du clan entrepreneurial Forza Italia [parti de Berlusconi]. Ces derniers ont suggéré à leur chef de chevaucher le tigre du populisme, en traitant «la politique» de la même manière que s’effectue une vente de sous-vêtements à la télévision ou au porte-à-porte. Il est suffisant de raconter des salades et de propager des potins mensongers à condition que les citoyens «y croient» aveuglément et votent.

Qu’importe si parmi les promesses présumées aucune n’a été réellement tenue ; par exemple, le célèbre «contrat avec les Italiens» [3], renvoyant à une formule hitlérienne, paraphé par Berlusconi à la télévision au début de son second mandat quinquennal, en juin 2001. Comment se sont concrétisés les engagements pris sur les retraites, sur la création d’emplois, sur la reprise économique, sur le pouvoir d’achat de la population – cette dernière supposée être moins imposée fiscalement et supporter moins de taxes (imposition indirecte) –, sur le lancement effectif de grands travaux publics et non pas sur des discours prononcés à l’occasion de l’ouverture de chantiers qui seront laissés en l’état mais dont la soumission a obéi aux lois du clientélisme [4], sur la sécurité, etc. ? Sur tout cela, le silence a plané. Mieux, l’exact contraire de la réalité a été affirmé. Mais c’est à proprement parler exactement ce en quoi consiste le commerce de la politique, qui n’a pas été compris par l’Unione.

Le «commerce de la politique» et ses promesses

De toutes ces promesses, plus personne ne s'en rappelle au sein de la «majorité silencieuse» des électeurs de la Maison des (non)libertés [Casa delle (il)libertà]. Et celles d'aujourd'hui forment un chapitre nouveau, de sorte qu’on a pu tirer de véritables feux d'artifice «commerciaux» sur le thème des impôts: abolition de l'ICI (impôt communal sur les biens immobiliers [5]) ; suppression de la taxe sur la collecte des ordures communales (sans indiquer une source de revenu alternative pour les communes... «rouges») ; accusations lancées à la partie adverse de vouloir restaurer de manière pénalisante des impôts sur l'héritage et sur les titres mobiliers (obligations d'Etat entre autres). Et ainsi de suite, une avalanche de mystifications. Prodi a répliqué avec timidité et une incapacité totale face à toutes ces gesticulations berlusconniennes publicitaires et spectaculaires, dont le caractère d’imposture n'avait pas besoin d'être prouvé. Mais, nous insistons, c'est à proprement parler en cela que consiste la «démocratie» bourgeoise. Donc, c'est pour ces raisons conçues avec habilité et filouterie que quelque 20 millions d'électeurs italiens ont encore voté en faveur des illusions populistes diffusées par la droite.

Maintenant il faut avoir à l'esprit que bien moins de la moitié de ces 20 millions disposent d'un titre leur donnant accès auxdites classes moyennes. Ces dernières – en grande partie de façon erronée – sur la base de leurs intérêts de boutiquiers constituent la base de masse du pôle réactionnaire. La base sociale, de classe, du système affairiste berlusconien est beaucoup plus réduite; il s'agit de la bourgeoisie moyenne et d’une fraction de la grande bourgoisie liée à la spéculation, dans divers secteurs. Cet ensemble compte à peine quelques centaines de milliers de personnes. Mais, les autres 10 millions et plus ne sont que des pigeons qui votent ne sachant pas effectivement ce qu'ils font. Mais si ceux-ci avaient voté en faveur de Prodi – et en nombre autant l'ont fait –, seul le phénomène aurait changé, c'est-à-dire l'apparence réelle d'un système, toujours bourgeois, mais moins arrogant. Nous reviendrons plus loin sur l'ancrage social et politique prodien.

A ce sujet est particulièrement significative la légende véhiculée d'un Berlusconi qui, pour trouver une place dans un restaurant, a dû en visiter cinq, puis a dû faire se lever quelqu'un (qui?) pour prendre sa place, «démontrant» par là combien les «gens» sont bien lotis et vont faire la fête dans les restaurants. Mais les restaurants qu'il fréquente, combien «d'étoiles» ont-ils et à combien de centaines d'euros l'addition s'élève-t-elle? La très grande majorité des travailleurs ne disposent pas des revenus pour s’y rendre. Même ceux qui, une fois par mois, peuvent se permettre le «luxe» d'aller manger dehors fréquentent des établissements bien différents. Mais beaucoup n'y vont pas; à tel point que les petits restaurants – non pas ceux fréquentés par des employés relativement privilégiés – enregistrent une chute très importante de leur fréquentation et nombreux sont ceux qui sont en faillite.

Il s'agit de deux mondes séparés. Séparés comme le sont le «fils de l'ouvrier» et le «fils d'un membre des professions libérales» qui – comme cela a été défendu par un porte-parole de la Maison des... «libertés» – ne peuvent prétendre étudier les mêmes choses dans les mêmes écoles: car ils sont différents. «Liberté»!

Tromperies largement diffusées

Des infamies à dénoncer, il y en a en abondance, en plus de celles déjà indiquées. Seul existe l'embarras du choix. L'hebdomadaire de la City londonienne, The Economist, en date du 8 avril 2006 – un jour avant les élections – est sorti avec en page de couverture un titre imprimé en grands caractères et en italien: «Basta». En sous-titre, en langue anglaise, il était écrit: «Time for Italy to sack Berlusconi». C'est-à-dire, il est temps de le licencier! L'influent et ancien hebdomadaire londonien a deviné juste, mais, pourrait-on dire, à une virgule près.

On ne dira jamais assez ce que même les «progressistes illuminés» ne veulent pas savoir que, partout dans les sociétés où domine le mode de production capitaliste, le pouvoir dans sa totalité est bourgeois. Il suffit ici de rappeler quelques tromperies largement diffusées [6]:

1° La chute de l'économie italienne est établie par des documents d'organismes internationaux, du FMI à l'OCDE, que seul le gouvernement berlusconien peut définir de gauche ou même de «rouge» et «communiste». Et, en même temps, il est affirmé que... la Bourse italienne se porte très bien: les entreprises cotées en Bourse ont connu une augmentation de la valeur de leurs titres de 50%. Mais pour tous les autres citoyens (voir à ce propos l’histoire du restaurant citée ci-dessus) qui ne possèdent pas des titres en Bourse ou qui ne sont pas des affairistes étrangers qui «jouent» aussi sur les places boursières italiennes plus petites, la croissance s'établit à zéro.

2° La violation de tous les principaux paramètres internationaux est à l'ordre du jour. Le rapport entre le déficit budgétaire et le PIB se situe à 4,1% (il avait été fixé à 3% lors de Maastricht); la dette publique «officielle» dépasse les 1500 milliards d'euros. L'Union européenne a rejeté le trucage, grâce à la titrisation, visant à déplacer la dette publique vers des organismes ou des sociétés par actions telles que Patrimonio spa, Infrastrutture spa, Cassa depositi e prestiti, tous contrôlés par l'Etat lui-même.

3° Dès lors, l'emploi total mesuré en équivalent temps plein effectif a diminué, malgré ladite émergence des travailleurs immergés dans la (totale ou semi) clandestinité. En fait, ces travailleurs, socialement désaffiliés ou précaires, travaillaient déjà. Avec la régularisation voulue par les lois telles que la loi 30 (dite aussi loi Biagi [7]) et celle dite loi Bossi-Fini [8] – lois qui se situent dans la ligne Schengen-Bolkenstein – pour les travailleurs à temps partiel, précarisés, rien n'a changé effectivement. Mais il n'en a pas été de même pour les statistiques du gouvernement; et cela en dépit des données fournies par rien que moins que les «subversifs» de la Banque d'Italie et de l'ISTAT(Institut national de statistique) qui démentent complètement les salades gouvernementales.

4° L'évasion contributive (fiscale et parafiscale, telles les cotisations pour la prévoyance sociale, les retraites, etc.) et les possibilités d'éviter le fisc grâce à des normes autorisant «légalement» de soustraire à l'imposition des donations, comme il en va de même grâce aux dispositions ayant trait aux plus-values boursières ou aux impôts sur les revenus du capital (intérêts, dividendes), ou encore à l'occasion d'amnisties fiscales passées et préventives (sic); tout cela a abouti à l'évasion de sommes estimées à 300 milliards d'euros. Une telle absence de paiement des impôts, comme cela a été dit, ne concerne pas les classes moyennes, mais seulement les capitalistes. Dès lors, quasiment s'excuser, comme l'a fait Prodi, d'exiger le droit de poursuivre et de condamner de manière exemplaire les fraudeurs relève de l'absurde.

5° La promulgation de lois et de décrets qui, en plus de l'évasion fiscale, ont autorisé à dépénaliser des actes considérés comme des délits lorsqu'ils sont commis. Ce fut le cas pour ce qui concerne le délit de faux en bilan – ce qui a été condamné par l'UE elle-même. Ainsi que la modification des délais de prescription concernant les crimes eux-mêmes (escroquerie, participation sous forme associée à des délits en matière financière ou pénale); sans même insister sur la rétroactivité de la régularisation légale ou encore sur la «négociation» concernant des peines prononcées pour des actes criminels commis...

Il en alla ainsi pour tout ce qui visait à altérer de manière éhontée la vérité.

Le clan berlusconien

Berlusconi – alors qu'il aurait pu soulever bien d'autres critiques à l'encontre des libéraux-réformistes à propos des p