Israël

Lorsque Israël a décidé d’être Sparte

Meir Margalith *

L’attaque et l’assassinat des militants à bord de la «flottille humanitaire» qui se rendait à Gaza peuvent être qualifiés de chronique d’un assassinat annoncé. Quiconque connaissait les pratiques quotidiennes développées dans les territoires occupés pouvait prévoir que cette opération allait déboucher sur des morts. Surtout après la funeste opération « plomb durci » au début de l’année passée, il fallait s’y attendre. En effet, s’il est licite de massacrer impunément des civils à Gaza, pourquoi ne le serait-il pas de tuer dans les eaux de la Méditerranée des civils qui, aux yeux d’Israël, soutiennent le Hamas ?

A posteriori, il paraît évident qu’une opération militaire de cette envergure ne pouvait qu’aboutir à des morts et qu’il existe un fil conducteur manifeste entre l’assassinat de 1500 civils à Gaza et celui de 9 militants de la flottille. Pourtant, si quelques minutes avant l’attaque on m’avait demandé si je pensais que ces gens risquaient d’être abattus par balle par l’armée israélienne, ma réponse aurait été négative. Il est probable que dans quelque recoin de mon inconscient je voulais croire qu’il y avait des lignes rouges qu’Israël ne traverserait pas, et, avec la naïveté de ceux qui veulent encore croire à l’existence d’un reste de sensibilité dans ce pays, je n’ai pas pu prévoir un dénouement si dramatique.

Pourtant j’aurais dû m’en douter. Il y a longtemps qu’Israël est dans un processus de lente dégénérescence et que ce pays avance sur une pente qui aboutit inévitablement à un précipice. Depuis l’occupation des territoires palestiniens en juin 1967 (certains diront y compris depuis l’indépendance de l’Etat d’Israël en mai 1948), Israël a choisi d’être Sparte plutôt qu’Israël. Il a choisi se transformer en une ethnocratie, s’est acharné à devenir un volcan plutôt qu’une oasis, et sa société a cessé d’être un peuple pour se convertir en un régiment. Depuis ce maudit 5 juin 1967, il n’est pas de ligne rouge qu’Israël n’ait pas franchie, il n’y a pas de droits humains qu’il n’ait pas profanés, comme certains des pires états qu’ait connus l’histoire contemporaine. C’est là le résultat logique et inévitable d’une politique militariste, messianique et nationaliste, dans laquelle la terre est devenue la valeur nationale maximale alors que les valeurs éthiques et morales propres au judaïsme prophétique ont été reléguées au deuxième plan et le commandement « Tu ne tueras point » réduit à une phrase dépourvue de sens. Cela était prévisible, puisque les droits humains ne peuvent être corrompus sans pervertir celui qui les souille.

Dans un pays où la valeur de la vie humaine est si basse, il n’est pas étonnant que des petits soldats âgés de 20 ans soient si enclins à tirer sur des civils. Après avoir subi la version sioniste du lavage de cerveau systématique qui fait de tous les non Juifs des membres d’un complot antisémite visant à jeter Israël à la mer, et après avoir été entraînés à tuer et équipés des pieds à la tête d’armes sophistiquées, il est logique que lorsqu’ils sont lancés dans une opération militaire ils accomplissent ce pour quoi ils ont été entraînés, à savoir tirer et tuer. Pas besoin d’ordres ponctuels de la direction politique, puisque ce mécanisme fonctionne comme un réflexe conditionné par lequel, devant la perception du danger – réel ou imaginaire – on tire pour tuer. D’autant plus si le danger en question vient d’un kassam [lesdites fusées tirées de Gaza] ou d’un ridicule lance-pierres d’enfant comme celui que l’armée israélienne a exhibé comme étant une preuve indiscutable que les militants ne venaient pas en mission de paix.

Mais malgré toute la fureur qu’on peut ressentir envers ces soldats, ce ne sont pas eux les scélérats de l’histoire, mais le gouvernement qui les envoie effectuer de telles opérations. C’est là que se situe le noyau du problème. Et non seulement le gouvernement actuel, mais tous les gouvernements qui se sont succédés durant ces 42 années d’occupation, à quelques rares exceptions près, comme celui de Rabin avant d’être assassiné précisément pour avoir tenté de sortir le pays de ce cercle vicieux. Indépendamment de leur orientation, qu’ils soient du Likoud de droite ou des travaillistes de gauche, tous ont été militaristes, expansionnistes et racistes, et tous ont conduit le pays dans ce bourbier dans lequel il est en train de sombrer.

Une semaine après l’attaque, Israël est en train de réfléchir, mais dans une direction erronée. On n’y critique pas l’opération en elle-même, mais seulement ses conséquences politiques et l’imbroglio crée face à l’Europe et aux Etats-Unis. Cela ne devrait pas non plus nous surprendre qu’Israël se montre incapable de comprendre la réelle signification de sa politique, vu que dans sa conception étriquée du monde les problèmes se résolvent par la force, ou, comme le dit un refrain populaire « si on ne peut pas le résoudre par la force, il faut encore davantage de force ». C’est la seule manière qu’Israël connaisse pour affronter des problèmes, et dans son étroitesse morale elle ne peut concevoir une autre voie que celle ouverte par les armes. C’est pour cela qu’Israël ne saura pas utiliser cette crise comme opportunité de réflexion, mais plutôt pour renforcer son identité machiste israélienne et pour accentuer sa conviction que le monde entier est contre nous.

Cependant cet assassinat pourrait devenir un point d’inflexion si les pays occidentaux comprenaient une fois pour toutes qu’Israël est un Etat pirate. S’il fallait encore une preuve qu’Israël agit comme une organisation terroriste, il est désormais clair qu’il s’agit de terrorisme d’état, et il faut espérer que d’ors en avant ils commenceront à traiter Israël comme l’on traite un pays terroriste. Il est possible que le postulat anarchiste selon lequel «plus ça va mal, mieux c’est» soit vrai, et que le système qui soutient l’occupation parvienne à un point où il disparaîtra de lui-même. Mais le peuple palestinien n’a pas le temps d’attendre. C’est maintenant qu’il s’agit de faire pression.

Cette pression n’a pas pour objectif de nuire à Israël, mais bien au contraire de sauver ce pays de lui-même. Le degré de schizophrénie nationale ne permet pas à Israël de comprendre les implications de sa propre politique et l’empêche de reconnaître le tort qu’il s’inflige. Si un jour Israël devait succomber, ce ne sera pas l’œuvre de ses ennemis extérieurs, mais celle de ses propres dirigeants. A. Lieberman [ministre des Affaires étrangères] est plus dangereux pour Israël qu’Ahmadinejad lui-même. Par conséquent ceux qui éprouvent de la sympathie envers Israël et sont préoccupés de sa survie, doivent désactiver le mécanisme d’autodestruction qui fonctionne au sein de la société israélienne, et cela signifie faire pression jusqu’à ce qu’Israël soit convaincu qu’il n’y a pas d’autre solution que de rendre les territoires occupés à ses propriétaires légitimes. L’occupation est un cancer, et si le gouvernement israélien n’est pas capable de l’extirper par ses propres moyens, il faut que les pays libéraux prennent l’initiative et le fassent par la force. Peu importe que vous soyez accusés d’être antisémites: l’Histoire reconnaîtra votre précieux apport à la continuité de l’Etat d’Israël. (Traduction A l’Encontre)

* Meir Margalith est membre du Conseil Editorial de Sin Permiso, (une revue politique internationale en langue espagnole). Il est un dirigeant du parti de la gauche israélienne, sioniste, Meretz. Il a été conseiller élu par ce parti à la mairie de Jérusalem entre 1998 et 2003. Le Meretz est une formation politique sioniste, laïc et « socialiste» (observateur au sein du Parti socialiste européen).

La position du Meretz lors de l’agression contre Gaza (décembre 2008-janvier 2009) a été de couvrir la politique du gouvernement, en reprenant les arguments du pouvoir sur les «menaces pesant sur la sécurité d’Israël». Ce n’est qu’à la mi-janvier 2009 – une fois la destruction de Gaza accomplie – que des déclarations ont été émises par le Meretz et des animateurs de la Paix Maintenant, lié étroitement au Meretz, que la guerre devait cesser et des négociations s’ouvrir… avec Mahmoud Amas (Autorité Palestinienne).

Des membres du Meretz – comme Galia Golan ou Mossi Raz – ont pris ouvertement position, dès le début de l’agression, contre les attaques visant Gaza et sa population (et le Hamas). Le Meretz a essuyé une défaite électorale suite à la guerre. Le texte Meir Margalith que nous publions s’inscrit dans la tradition la meilleure de l’aile la plus critique du Meretz. (Réd.)

(12 juin 2010)


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