Iran-débat

Sakineh Mohammadi Ashtiani.
Y a-t-il des lapidations progressistes ?

C-A Udry - Tom Goldschmidt *

Dimanche 12 septembre 2010, dans diverses villes d’Europe, auront lieu des manifestations pour la libération de Sakineh Mohammadi Ashtiani, 43 ans.

La suspension de sa lapidation est loin d’être suffisante. Javid Houstan Kian, l’avocat de Sakineh Mohammadi Ashtiani, le 8 septembre 2010, affirme d’ailleurs: «Je n'ai reçu à ce jour aucun document officiel écrit indiquant la suspension de la peine de ma cliente (...) J'ai moi-même effectué cette demande de suspension à dix reprises, sans jamais obtenir aucune réponse.»

C’est sa libération qui doit être exigée. Une «simple grâce» émise le Guide suprême de la révolution conduirait d’ailleurs à sa libération immédiate, selon des juristes iraniens.

En Iran, le pouvoir a islamisé le Code pénal. Cela depuis les règles vestimentaires (symbole quotidien de la légitimité et de la «force» de ce régime) jusqu’aux droits syndicaux, plus exactement aux non-droits syndicaux.

Le pouvoir actuel de Téhéran – ce mixte de l’institution militarisée des Gardiens de la révolution et de secteurs du «haut clergé» – est en difficulté face à la campagne internationale en faveur de la libération de Sakineh Mohammadi Ashtiani. Y compris, joue un rôle la pression de pays qui ont de bonnes relations diplomatiques avec l’Iran, tel, par exemple, le Brésil. Lula a offert un «refuge» au Brésil à Sakineh Mohammadi Ashtiani.

Cette femme, d’origine modeste, de milieu rural, n’a même pas pu comprendre le contenu, en langue juridique «sophistiquée», du jugement qui la condamnait. La lapidation peut être levée – peut-être – par le pouvoir, mais reste le danger de sa pendaison. Sa libération est donc l’exigence élémentaire.

Dans les villages et les provinces, la peine de mort par lapidation continue, même si l’Iran a signé un moratoire en 2002. Une dizaine de femmes ont été exécutées au cours des cinq dernières années, selon des organisations crédibles de défense des droits de la personne humaine. La campagne pour libérer Sakineh Mohammadi Ashtiani a donc une dimension spécifique: après le moratoire de 2002, imposer sa libération reviendrait à empêcher une extension renouvelée de ce type d’exécutions; donc leur recul accru, pour ne pas dire leur disparition.

Sous divers prétextes, certaines «forces de la gauche» font silence sur cette campagne pour la libération de Sakineh Mohammadi Ashtiani. Le prétexte ou «l’explication»: le «danger principal» est une attaque militaire d’Israël contre les installations nucléaires de l’Iran; cette campagne ferait diversion. En outre, elle est menée, entre autres, par des personnalités de droite, «pro-occidentales».

On retrouve là ce «campisme» qui a conduit des prétendus «communistes» à défendre politiquement des régimes dictatoriaux et autoritaires ainsi que leurs actions «concrètes», opposées, entre autres, aux droits politiques, démocratiques et sociaux des salarié·e·s et des paysans en URSS et en Chine «populaire», par exemple. Celà au nom de la «lutte contre le danger principal».

Ainsi, était tue ou condamnée l’action menée, en 1967-1969, par les ouvriers et les intellectuels en Tchécoslovaquie, car «leurs chefs voulaient restaurer le capitalisme en faveur de l’Allemagne occidentale». De même, la mobilisation historique des travailleurs et travailleuse de Pologne suscitait la réprobation, à cause du «rôle réactionnaire de l’Eglise dans Solidarnosc». La «peine de mort» à Cuba suscite le silence, plus moins gêné de ses partisans,car «Cuba est étranglé par les Etats-Unis». Et j’en passe des «meilleures», donc des pires.

En tant que socialistes révolutionnaires, participant à un objectif d’émancipation des salarié·e·s et plus généralement de la société dans son ensemble – dans la perspective d’un socialisme et d’une démocratie effective – nous nous devons de nous opposer radicalement à la peine de mort à Cuba, aux Etats-Unis, en Iran et ailleurs.

Encore plus – si l’on ose utiliser cette formule – à une lapidation qui vise des femmes exploitées et opprimées, qui sont lapidées comme confirmation «divine» – et surtout théocratique – de leur «infériorité» et de leur «infériorisation».

Nous publions ci-dessous un article de débat de Tom Goldschmidt qui a le mérite de mettre le «doigt dans la fourmilière». (cau)

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Il y a peu de chances que vous ignoriez le nom de Sakineh Mohammadi Ashtiani – qui se serait bien passée de son actuelle célébrité. Pour rappel, cette iranienne, mère de famille de 43 ans, a été jugée en 2006 à Tabriz, en Iran, plaidant coupable de «relation illicite» avec deux hommes après la mort de son mari. Elle a été condamnée à la flagellation pour adultère et a reçu 99 coups de fouet.

Ensuite, elle a été accusée d'avoir été complice de l'assassinat de son mari. La confusion entoure les charges exactes qui pèsent actuellement sur elle, alors que son procès a été rouvert et que la Cour Suprême a prononcé la peine de mort en 2007.

Selon le ministère iranien des Affaires Etrangères, aux dernières nouvelles, ces charges seraient d'une part «la trahison de son mari et ses relations (sexuelles) illégales avec des hommes étrangers. Concernant ce crime, l'adultère, l'application de la peine a été arrêtée et il est en réexamen par la justice". "Mais elle a aussi participé au meurtre de son mari, et le dossier de cette autre affaire est en fin de procédure». «Pour les peines très lourdes, il y a une procédure particulière et longue. Ce verdict est en cours d'examen et lorsque la justice arrivera à une conclusion finale, elle l'annoncera».

L'ambassade d'Iran a aussi déclaré que Sakineh Ashtiani ne serait pas lapidée, mais cette dénégation ne se retrouve pas dans les derniers communiqués de Téhéran. Par ailleurs, note Le Monde: «Les avocats de Mme Mohammadi-Ashtiani ont affirmé qu'elle n'avait pas été condamnée à la lapidation pour sa participation au meurtre de son mari mais uniquement pour adultère.» Aux dernières nouvelles, Sakineh Ashtiani aurait été condamnée entre-temps à 99 coups de fouet supplémentaires, parce que le journal britannique Times a publié, la photo d'une femme sans foulard qu'il a affirmé être Sakineh Mohammadi-Ashtiani – il s'agissait d'une confusion.

Reste l'essentiel: cette femme, déjà torturée, risque d'être exécutée – d'une façon particulièrement affreuse – pour adultère, motif hallucinant. D'autre part, elle affirme que ses aveux lui ont été arrachés par la contrainte. Selon le journal britannique The Guardian, la presse en Iran s'est vu imposer le silence sur cette affaire. L'un des avocats de Sakineh Ashtiani, inquiété par les autorités iraniennes, a demandé l'asile en Norvège. C'est assez pour déclencher une campagne internationale demandant la grâce pour cette femme.

Le 28 août 2010, une manifestation a eu lieu devant le Palais de Justice de Bruxelles. Manifestation qui m'a valu une surprise. D'une part, nous étions moins nombreux que l'on aurait pu s'y attendre. D'autre part, j'ai bien dû le constater: pas le moindre petit panneau, drapeau ou militant de la gauche radicale: PTB [Parti des travailleurs de Belgique, d’origine mao-stalinienne], PC [Parti communiste], LCR [section de la IVe Internationale], PSL [Parti socialiste de lutte, du courant Militant], Egalité et consorts: absents. Ces organisations ne pouvaient ignorer la mobilisation. Leur absence à toutes n'est donc pas un hasard, mais un choix. Face à une sentence moyenâgeuse prononcée par un régime théocratique, face à une domination écrasante s'exerçant particulièrement à l'encontre des femmes, silence assourdissant. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Je pense que pèse ici l'espoir absurde, pour des organisations qui semblent en perdition, de trouver un deuxième souffle dans les milieux musulmans, en s'opposant à tout ce qui peut déplaire à ne serait-ce qu'une partie de ceux-ci. De là l'affligeante campagne contre toute interdiction du voile dans les écoles publiques (alors que la «loi-foulard» française est née d'une initiative d'un dirigeant de la Ligue Communiste Révolutionnaire! [1]).

De là l'étonnante initiative de Egalité - organisation marxiste - d'organiser une fête pour la fin du Ramadan. De là l'aplatissement discret devant le régime chiite. Je ne ressortirai pas pour autant l'expression "islamo-gauchisme", qui suppose qu'il se créerait une doctrine mariant marxisme et islam, soit l'eau et le feu: j'attends encore d'en lire le premier mot. Mais un opportunisme extrême semble bien installé aux commandes. Un comble: j'ai par contre été touché et heureux de voir à cette manifestation quatre femmes musulmanes voilées.

Maudits Medias !

On m'a expliqué aussi que la campagne de manifestations (il y en a eu dans une centaine de villes) relevait d'une indignation sélective et conditionnée par les média, venant à point pour préparer l'opinion à une possible agression de l'Iran.

D'une part, je suis lassé de cette légende conspirationniste selon laquelle pratiquement toutes les rédactions de Belgique, de France, de Navarre et d'ailleurs se feraient pratiquement dicter le contenu de leurs journaux par l'ambassade des Etats-Unis la plus proche. Légende d'autant plus lassante que – c'est beau la stéréo – elle a pour pendant celle selon laquelle toutes ces rédactions seraient aux mains de révolutionnaires surexcités ne rêvant que d'envoyer leurs lecteurs casser les vitres de la même ambassade. Il suffit de parcourir quelques forums pour y lire que la presse est sélectivement pro-Jérusalem, sélectivement pro-Hamas, sélectivement anti-PP [Parti Populaire], sélectivement pro-PP, sélectivement pro-bougnoule, sélectivement pro-racisme, pro-peine de mort, anti-peine de mort, pro-réchauffement climatique et anti, pro- et anti-gauche radicale, pro- et anti-féminisme et j'en passe.

Je me rappelle m'être fait traiter le même jour, pour le même chapitre au JT [Journal télévisé], de vendu à Israël et de soutien des Palestiniens. Je ne vois qu'une solution: que la presse arrête de parler de politique et de social. (Nota Bene: certains ne semblent pas voir de contradiction entre l'affirmation que la presse a chauffé à blanc les masses contre l'Iran à propos de Sakineh Ashtiani, et