Irak-Etats-Unis

«Malgré le désastre, les Etats-Unis ne peuvent quitter l’Irak…»

Entretien avec Anthony Arnove *

Nous publions ci-dessous un entretien important avec Anthony Arnove qui non seulement fait le point sur la politique des Etats-Unis en Irak, mais démystifie une série de déclarations des candidats démocrates à l’élection présidentielle, déclarations qui trouvent une audience importante dans la presse dite d’information d’Europe occidentale.

Un thème est mentionné mais pas développé dans cet entretien, celui ayant trait au projet de loi sur le pétrole. Le 23 juillet 2007, une partie des ministres (23 sur 37) du dit gouvernement d’unité  nationale votait un projet de loi sur la question du pétrole, projet qui devait être envoyé devant les parlementaires. La crise des instances gouvernementales et étatiques est certes si éclatante que les débats sur ce projet passent au second rang. Toutefois, quelques notes sur le contenu de cette loi sont utiles pour appréhender le contenu de la politique impérialiste. Bush, selon le «Wall Street Journa»l, a téléphoné au premier ministre Nouri Al-Maliki pour le féliciter d’avoir soumis le projet. Les bases légales pour permettre la prise en main des avoirs pétroliers sont utiles. Toutefois, l’opposition, y compris parmi les élus irakiens, est forte. Ce qui explique les pressions de toutes sortes et divers chantages opérés sur les «diverses représentations du peuple irakien». D’un côté, le FMI impose des mesures qui aboutissent à une augmentation très forte du prix des carburants en Irak (cette augmentation représente plus de 60% de l’inflation en 2006), de l’autre côté, il milite en faveur du transfert, de fait, des ressources pétrolières irakiennes aux diverses sociétés transnationales.

En réalité, il s’agit de deux lois. L’une a trait à la gestion des ressources en gaz et pétrole. L’autre concerne la distribution des revenus. Pour ce qui est de l’extraction- production, ce sont des contrats de co-opération avec des firmes pétrolières qui sont prévus. L’opposition à ce projet a été immédiate, entre autres de la part de la Fédération des travailleurs du pétrole. Les modifications de formulation introduites dans la loi (suppression du terme «production sharing»), face à cette opposition, ne changent rien sur le fond. Ceux favorables à cette formulation sont les diverses forces qui collaborent, plus ou moins, avec l’occupant et qui envisagent grâce à cette loi d’accroître leurs ressources. Chacun signerait des contrats avec des multinationales.

Une des questions clés réside dans les contrats qui seraient passés pour l’exploration des zones encore non explorées et non exploitées qui représentent une part très importante des ressources potentielles de l’Irak. La loi est faite pour qu’une concurrence entre régions soit établie et que les instances régionales puissent signer les contrats. Cela conduirait à une fragmentation non seulement de la politique pétrolière, mais des infrastructures économiques et politiques. C’est au nom «du manque d’efficacité de l’industrie étatique» que cette nouvelle loi est proposée. En fait, il y a là la revanche prise contre la nationalisation des ressources pétrolières effectuée en 1972. Or, avant cette nationalisation, BP, Shell et Exxon n’avaient construit aucune raffinerie en Irak...

Maintenant, la nouvelle loi devrait leur donner carte blanche et, en même temps, fragmenter tout pouvoir afin de mieux contrôler les ressources du pays. (réd).

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L'administration Bush essaie de fabriquer un rapport entre l'accroissement de la présence des troupes en Irak pour laisser entendre que le «surge» [montée en puissance, qui renvoie à l’augmentation des troupes et au quadrillage plus serré de Bagdad] est en train de réussir. Quelle serait une évaluation honnête ?

Une évaluation honnête serait que la guerre a été perdue. Aucun nombre de «surges» ni de nouveaux «plans pour la victoire» ne peut changer le fait que le peuple irakien veut que l'occupation finisse  et qu'il continuera à résister jusqu'à ce que toutes les troupes états-uniennes et internationales soient parties.

Les attaques contre les troupes états-uniennes sont en hausse. Davantage de soldats ont été tués depuis le prétendu "surge". L'Irak est un pays complètement effondré ainsi qu’ un désastre humanitaire complet. La place des Etats-Unis dans la région et dans le monde n'a pas été aussi faible depuis des années.

Plusieurs sénateurs républicains bien connus sont en train de s'opposer à la Maison-Blanche sur l'Irak. Que proposent-ils ?

Les Républicains qui critiquent maintenant la Maison-Blanche se rendent compte que la stratégie du «surge» est un échec. Ils comprennent notamment que le parti républicain cherche à forger un nouveau «consensus de Washington» autour d'une évaluation plus réaliste des intérêts états-uniens en Irak et à niveau international. Plutôt que de terminer la guerre, ils veulent lui donner un nouvel emballage pour calmer l'opposition intérieure, réduire quelques-unes des pires pertes et regrouper les forces.

L'échéance électorale de 2008 projette actuellement une ombre menaçante sur le parti. Les Républicains qui se présentent sur des listes voient bien que John McCain, qui a sauté dans le train du «surge» de Bush, a vu son soutien presque disparaître.

La popularité de Bush est la plus basse atteinte par n'importe quel président. à l’exception de Richard Nixon au plus haut du scandale du Watergate. Des analystes militaires de l'establishment proclament maintenant publiquement que l'Irak est l'erreur stratégique la plus importante de toute l'histoire de la politique étrangère états-unienne.

Il est donc évident qu'une nouvelle approche est nécessaire. Les éléments de cette approche sont actuellement similaires à ce que beaucoup de critiques démocrates ont dans la tête: réduction des effectifs des troupes, mais pas de retrait; une utilisation accrue de l'aviation et des forces stationnées à longue distance plutôt que «collées au sol»; un retrait vers des bases et la Zone Verte [zone spéciale, entourée de protections et murs où réside les divers services officiels – voir sur ce site l’article publié en date du 21 février 2007] à Bagdad; faire porter la responsabilité de la situation sur les Irakiens et en décharger les Etats-Unis et leurs alliés.

Dans les faits, il s'agit d'une stratégie «blâmer et se retrancher». Blâmer les Irakiens pour tous les problèmes que «nous» avons créés. Se cramponner à tout ce que les militaires états-uniens peuvent sauver en termes de bases militaires en Irak pour continuer à avoir quelque influence sur l'avenir des importantes réserves pétrolières irakiennes et quelque capacité de poursuivre des opérations militaires en Irak, et de redéployer des forces militaires en direction d'autres pays de la région, notamment l'Iran.

Certains secteurs de l'administration Bush semblent chercher une stratégie de retrait. Par exemple le Secrétaire à la Défense Robert Gates semble tenter de développer un plan pour retirer les troupes vers des "super bases". Comment comprendre cela ?

Le 3 juillet 2007, le Wall Street Journal a publié un article résumant le plan proposé par Gates, mais il ne s'agit pas réellement d'une stratégie de retrait. Comme le dit le WSJ «Le Secrétaire à la Défense Robert Gates et quelques alliés dans l'administration Bush cherchent à construire un soutien bipartisan pour une présence à long terme des Etats-Unis en Irak.(... ) Ce que M. Gates et d'autres cadres supérieurs envisagent, c'est une version moderne du "Consensus de guerre froide" du Président Truman. Autrement dit, un accord bipartisan sur la nécessité de contenir l'Union Soviétique (...) Ils espèrent que des représentants des deux partis finiront par se mettre d'accord pour qu'une mission redimensionnée en Irak reste une composante centrale de la politique étrangère des Etats-Unis, même après le départ de Bush.»

Toujours selon le WSJ, Gates cherche à assurer ce but stratégique en «allant vers le retrait d'un nombre significatif de troupe d'Irak avant la fin du mandat du Président Bush». Sans un tel ajustement, «certains responsables de l'administration Bush craignent» que «les Etats-Unis pourraient être contraints d'effectuer une retraite précipitée qui pourrait avoir des conséquences terribles autant pour la région que pour le poids des Etats-unis dans le monde».

Bush parle encore de «gagner» en Irak, mais en ce moment des éléments de l'administration sont en train de se rendre compte que les Etats-Unis vont, au mieux, devoir gérer une défaite.

Il est probable que nous commencerons à entendre plus de Démocrates proposer le «retrait» des troupes états-uniennes d'Irak. Mais vous avez écrit que beaucoup de ces propositions prévoient que la présence des Etats-Unis soit maintenue sous une forme ou une autre. Pourriez-vous nous parler de ces propositions de retrait ou de redéploiement ?

Les propositions des démocrates demandent toutes un retrait non pas total mais partiel. La seule exception est Dennis Kucinich [représentant de l’Ohio], mais ce dernier favoriserait un remplacement des troupes états-uniennes par des troupes des Nations Unies.

Barack Obama [candidat démocrate à la présendence] et Hillary Clinton [candidate démocrate à la présidence] maintiendraient tous les deux des troupes en Irak, mais moins nombreuses. Ces troupes seraient engagées dans la «protection des forces» (un oxymoron, puisque de telles troupes ne sont utiles que s'il reste des bases et des troupes en Irak), «des opérations contre-insurrectionnelles» (c'est la justification actuelle de Bush pour la présence en cours de troupes en Irak) et dans l'entraînement («irakisation»). En réalité il s'agit d'une recette pour conserver des troupes en Irak durant des années.

Il existe plusieurs variantes des plans de redéploiement. Certains Démocrates voudraient déplacer les opérations états-uniennes vers les régions kurdes au nord de l'Irak. D'autres transféreraient les troupes en Turquie, au Koweït, au Qatar, à Djibouti ou dans d'autres bases régionales contrôlées par la puissance états-unienne. L'idée de fond est que des «forces de réaction rapide» pourraient être sur pied d'alerte, à l'intérieur de l'Irak ou à proximité, pour intervenir lorsque les Etats-Unis l'estimeraient nécessaire.

Cette stratégie reposerait probablement (comme la vietnamisation jadis) sur une utilisation massive de la puissance aérienne des Etats-Unis. Les frappes aériennes en Irak ont d'ailleurs déjà doublé, et font partie d'une guerre aérienne dont on ne parle pas dans les médias.

Certains autres démocrates voudraient déplacer une partie des troupes actuellement en Irak, vers l'Afghanistan, avec l'argument que l'Irak dévie de la vraie lutte contre le terrorisme qui se déroule là. D'autres encore aimeraient que les forces états-uniennes soient regroupées pour qu'elles soient en meilleure position afin de frapper l'Iran ou pour intervenir dans d'autres pays où les Etats-Unis pourraient faire face à des défis stratégiques.

Début juillet, le New York Times a publié un éditorial proposant un retrait de l'Irak aussi tôt que le Pentagone pourrait «organiser un départ ordonné». Que signifie cela? Qu'en pensez-vous ?

L'éditorial du Times était insuffisant et est arrivé trop tard, mais il est néanmoins significatif.

Même si l'éditorial ne l'admet pas, le Times a été utilisé pour légitimer et vendre l'invasion, en publiant en première page les explications bidon de l'administration sur les armes de destruction massive et les liens d'Irak avec Al-Qaïda. Alors même que le public états-unien et leurs propres lecteurs étaient de plus en  plus nombreux à s'opposer à la guerre et à souhaiter un retrait total, le Times