Moyen-Orient Palestine, Liban, Irak et mouvement antiguerre: «Les Etats-Unis sèment les germes Entretien avec Gilbert Achcar * Cette interview a été réalisée par Foti Benlisoy et Aykut Kiliç pour la revue critique turque Mesele (Question). Le texte original anglais de l’interview a été publié sur les sites de ZNet et de International Viewpoint sous le titre «The U.S. is sowing the seeds of a long term tragedy...». Traduit de l’anglais par JM et, pour la partie consacrée à l’Irak, par la rédaction du site suisse www.nonalaguerre.ch. Cette partie a déjà été publiée sur ce site, datée du 10 juin 2008. Mesele: Le soixantième anniversaire de la fondation de l’État d’Israël, qui est aussi celui de la Nakba, la catastrophe palestinienne, tombe en cette année 2008. Comment analysez-vous l’objectif israélien et pensez-vous qu’il a changé au cours des années ? Quelle est la stratégie israélienne actuelle en ce qui concerne tant Gaza que la Cisjordanie ? Gilbert Achcar: Ce sont là plusieurs questions en même temps. Commençons d’abord par la continuité entre 1948 et aujourd’hui: c’est bien sûr celle du projet sioniste initial de s’emparer de l’ensemble de la Palestine, c’est-à-dire de la Palestine telle qu’elle était sous le mandat britannique. En 1948 ce but n’a été que partiellement accompli car l’État d’Israël n’a été fondé que sur un peu moins de 80 % de ce territoire. Cela fut considéré alors comme un premier pas seulement, comme nous le savons aujourd’hui grâce aux biographies, documents et archives des dirigeants sionistes et tout particulièrement de Ben Gourion – la première étape d’une entreprise visant au contrôle de l’ensemble du territoire. Ces conditions ont été remplies en 1967, lorsqu’Israël a envahi et occupé le reste de la Palestine, c’est-à-dire toute la rive ouest du Jourdain. Ainsi depuis la guerre de 1967 – qui constitue le second grand tournant dans l’histoire du conflit – le problème d’Israël a été d’achever le projet initial commencé en 1948, et ce dans les territoire occupés en 1967, en y construisant des colonies israéliennes, par un colonialisme de peuplement. Il y avait toutefois une différence majeure entre 1948 et 1967, qui reste le principal problème pour l’Israël aujourd’hui. La différence, c’est qu’en 1948, 80 % de la population des territoires dont Israël a pris le contrôle a fuit la guerre. Les Palestiniens étaient terrorisés, directement ou indirectement, et se sont sauvés comme le fait toute population civile en temps de guerre. Comme tout le monde sait, ils furent empêchés de retourner lorsque la guerre fut finie et devinrent des «réfugiés», qui constituent la majorité de la population palestinienne. Mais dans les territoires occupés par Israël en 1967 le même processus ne s’est pas reproduit, parce que la population avait tiré les leçons de 1948 et compris que, si elle quittait ses maisons, elle ne pourrait pas y retourner. Par conséquent, la plupart des Palestiniens sont resté chez eux cette fois. Ils avaient également appris de l’expérience de 1948, que s’ils restaient chez eux, ils ne seraient pas massacrés: c’est ce qu’avaient craint les réfugiés de 1948. Mais après 1948 Israël a gardé une minorité arabe palestinienne sur son territoire et comme ceux qui sont restés ont survécu, la majorité a suivi leur exemple en 1967. Depuis lors Israël tente de résoudre ce problème, le plus grand problème qu’il doit affronter: la population palestinienne de la Cisjordanie et de Gaza. Cette population est elle-même composée d’une grande proportion de réfugiés du territoire de 1948 en sus des autochtones de Cisjordanie et de Gaza Elle s’oppose au contrôle israélien exercé sur son territoire et le rejette. Ce qu’Israël s’efforce d’assurer, car il ne peut simplement expulser la population palestinienne, c’est le contrôle du territoire de la Cisjordanie au moyen d’un réseau de colonies, de postes militaires et stratégiques, de routes et de murs, etc. afin de maintenir les Palestiniens dans des enclaves séparées, sous contrôle israélien, de la même manière que Gaza dans son ensemble est une sorte d’enclave soumise au contrôle militaire extérieur absolu par Israël, une sorte d’énorme camp de concentration. Nombreux sont ceux qui évoquent l’impasse démographique de l’État d’Israël. Maintenant Israël ne peut plus être un État à la fois juif et démocratique. C’est en effet le problème d’Israël. Tout cela renvoie à cet oxymoron [1] d’un État qui prétend être à la fois démocratique et défini ethniquement comme «juif». C’est une contradiction dans les termes car en définissant un État par son caractère ethnique ou religieux, on contredit déjà les valeurs démocratiques modernes. Bien sûr, pour rendre ce sophisme crédible, ce prétendu «État Juif démocratique», il faut s’assurer une majorité juive écrasante parmi les citoyens de cet État. Et c’est ce que les sionistes ont obtenu en 1948. Ils ont accepté une minorité d’Arabes Palestiniens parmi eux – 15 % à 20 % en 1948 – en tant qu’alibi qui leur permettait de dire: notre État est démocratique ; il est Juif en vertu du fait que plus des 80 % de notre population sont juifs. Toutefois, lorsqu’ils se sont emparés de la Cisjordanie et de Gaza et que la majorité de la population palestinienne arabe y est demeuré, il ne leur fut pas possible d’annexer ces territoires comme ils l’ont fait avec ceux conquis en 1948. Israël s’est limité à annexer Jérusalem en 1967 et le Golan en 1981. Mais il n’a pas annexé le reste de la Cisjordanie, ni Gaza. Pourquoi ? Du point de vue de l’idéologie sioniste, la Cisjordanie est beaucoup plus importante pour Israël que le Golan. Mais la population arabe du Golan est faible et aujourd’hui les colons israéliens sont presque aussi nombreux que les autochtones arabes – qui, par ailleurs, appartiennent dans leur grande majorité à la secte druze qu’Israël a toujours considéré comme étant intégrable (les Druzes servent dans l’armée israélienne, contrairement aux autres «Arabes israéliens»). Quand à Jérusalem, la ville a été immédiatement annexée en 1967 en raison de sa très grande valeur symbolique. Mais ils ne pouvaient pas annexer le reste des territoires occupés parce que s’il le faisaient, ils devraient soit se retrouver avec une importante population privée de droits sur le territoire israélien, soit accorder à cette population les droits de citoyenneté, compromettant ainsi le caractère Juif de l’État. En d’autres termes, s’il avait annexé la Cisjordanie et Gaza, l’État d’Israël aurait cessé soit d’être Juif, soit d’être démocratique dans le sens de l’égalité des droits, d’une personne/une voix, etc. C’est en effet le grand dilemme du sionisme, qu’ils ont essayé de résoudre avec le plan Allon, conçu en 1967, juste après la guerre. Ce plan prévoyait la construction des colonies et de bases militaires, de manière à s’assurer le contrôle stratégique des territoires, sans annexer les zones où la population palestinienne est concentrée – villages, villes, etc. – mais avec le projet de les remettre sous le contrôle d’une autorité arabe collaborationniste. Au début, le plan prévoyait de rendre ces zones à la monarchie jordanienne. Dans les années 1990, Israël a décidé de conclure le marché avec l’OLP, car la fraction dominante de l’OLP était devenue prête à accepter ses conditions et cela a conduit aux accords d’Oslo. Pour Israël, les accords d’Oslo n’étaient qu’un pas de plus en direction de la réalisation du plan Allon. Arafat croyait que l’OLP parviendrait à obtenir une sorte d’État indépendant. Mais il s’est vite rendu compte qu’il avait été victime de ses propres illusions. Et le processus entier, le soi-disant «processus de paix», c’est effondré, comme on peut le voir maintenant. Il est en déliquescence et tous les efforts de Washington mènent à des impasses. Je ne parle pas ici des rapports avec le Hamas, mais de la soi-disant Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Il semble impossible de conclure un accord même avec lui, bien qu’Abbas soit le plus servile envers Washington de tous les dirigeants que les Palestiniens ont jamais eu. Malgré cela, les Israéliens ne lui accordent aucune concession significative. C’est une impasse totale et un échec majeur pour les États-Unis, pour l’administration Bush, un de ses nombreux échecs au Moyen-Orient. A la fin de cette année, l’équipe Bush va abandonner la scène avec le pire des bilans de la politique étrangère états-unienne dans l’histoire, en particulier en ce qui concerne le Moyen-Orient. Edward Said disait, en parlant de l’élite de l’OLP, qu’«aucun autre groupe de libération dans l’histoire ne s’est vendu à ses ennemis comme celui-ci». Pensez-vous que ce jugement est correct ? C’est un jugement qui nécessiterait d’être confronté avec un examen détaillé de tous les mouvements de libération. Je ne suis pas sûr qu’il n’y ait aucun cas comparable de capitulation dans la longue histoire des luttes anticoloniales. Mais on peut être certain que si ce n’est pas la direction la plus soumise, c’est bien l’une des plus soumises de l’histoire des luttes nationales. Elle a accepté tant de concessions, tant de reculades sur ses propres demandes fondamentales et n’a pourtant rien obtenu de substantiel en retour. La direction de l’OLP aurait-elle quelques spécificité qui l’auraient conduit à ces reculs ? Elle avait des aspects particuliers dès le début. Cela constitue la principale différence entre l’OLP et la plupart des mouvements de libération nationale anticoloniaux dans l’histoire. Une particularité importante de l’OLP est que, dès le début, elle a été étroitement liée à des États réactionnaires, dont beaucoup étaient et restent étroitement liés à l’impérialisme. Ainsi nous avions cette situation particulière d’un mouvement national luttant contre l’État sioniste fortement soutenu par l’impérialisme états-unien, ce mouvement étant lui-même dépendant pour ses ressources d’États étroitement liés au même impérialisme, tels que le royaume saoudien. Lorsque les groupes armés palestiniens prirent la direction de l’OLP après la guerre de 1967, ils ont été inondés de pétrodollars, des sommes impressionnantes. Ainsi, ce qui est certain, c’est que l’OLP est devenu le mouvement de libération nationale le plus riche dans l’histoire des luttes anticoloniales. Son budget pouvait être comparé à celui de certains États du Tiers-monde. Cela a développé une bureaucratie énorme et très corrompue. Avec le temps, ses meilleurs éléments, les militants les plus dévoués, ont été tués, en particulier en 1970 au cours de Septembre Noir. Il y eut donc une sélection en quelque sorte au bout de laquelle ceux qui sont restés aux commandes étaient les dirigeants palestiniens les plus corrompus. Une ligne droite relie cette évolution à Oslo et à l’Autorité palestinienne d’aujourd’hui avec Mahmoud Abbas, Mohammed Dahlan et tous ces chefs corrompus qui misent tout sur Washington. Ils espèrent que les États-Unis leur octroieront quelque chose. Et leur problème, c’est que, bien qu’ils soient totalement soumis à Washington, ils n’obtiennent rien. Que diriez-vous de la gauche palestinienne ? Qu’est-ce qui explique sa faiblesse ? La gauche palestinienne n’a jamais vraiment réussi à se construire en tant qu’alternative réelle face à la direction droitière de l’OLP. Elle n’a jamais réellement défié les institutions de l’OLP |
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