Haïti

Répression et criminalisation des luttes protestataires

Patrice Florvilus, Av.

Au cours du mois de mai, suite à de fortes mobilisations des étudiant·e·s [*], ouvriers·ères et organisations progressistes de la société haïtienne, Vingt-quatre manifestant·e·s supporteurs·trices et défenseurs·seuses de la publication de la loi sur l’augmentation du salaire minimum et simples citoyen·ne·s ont été victimes de la violation flagrante de leur droit à la liberté individuelle et à la liberté d’expression. Pour avoir réclamé la publication de ladite loi sur le salaire minimum et la réforme de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), les manifestant·e·s ont été étiqueté·e·s de casseurs·euses et de criminel·le·s de grand chemin [1].

Dans un premier temps, ils·elles ont été entassé·e·s au petit cachot de la honte du commissariat de Port-au-Prince au bout de quatre (4) jours, plus de 48 heures, contrairement aux vœux constitutionnels, sans être entendu·e·s par un magistrat qui aurait dû statuer sur les faits à eux·elles reprochés. L’habeas corpus, dans le cas de ces manifestant·e·s n’avait pas droit de citer.

La violation des articles 26, 26-1 et suivants de la constitution de 1987 n’a pas donné lieu au recours en Habeas Corpus [2]

Parmi les personnes arrêtées par la police judiciaire et maintenues en détention sur les ordres du Parquet du Tribunal Civil de Port-au-Prince figuraient un mécanicien, des fidèles protestants revenant d’une cérémonie religieuse déroulée non loin de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH), de simples citoyen·ne·s commettant le péché mortel d’avoir été dans les parages des descentes des lieux opérées par les forces d’occupation onusiennes placées sous la direction du Brésil et par la Police Nationale.

Confusion, cacophonie, imbroglio judiciaire et amalgame sont insuffisants pour qualifier ce qui s’était passé au parquet de Port-au-Prince, lors de l’audition des détenu·e·s, considéré·e·s comme des otages par plus d’un, le lundi 8 juin 2009, plus de 4 jours après leur incarcération au cachot de la honte du commissariat de Port-au-Prince pour connaître ensuite le fameux pénitencier national, le centre de détention de l’Archaïe et la prison Omega de Carrefour.

Lors de cette audition au Parquet de Port-au-Prince, les seuls avocats autorisés à assister les manifestant·e·s ont été ceux du rectorat de l’Université d’Etat Haïtien. Tous autres avocats n’ayant pas eu l’approbation du rectorat de l’UEH n’avaient pas droit de cité. Ils ont été déclarés persona non grata. Ce qui veut dire que les détenus non étudiants ont été entendus en absence d’un avocat de leur choix contrairement aux prescrits constitutionnels stipulant: «Nul ne doit être entendu en absence d’un avocat de son choix» (art 25-1 de la Constitution de 1987).

Une première séquence de libération a eu lieu suite à des heures de négociations entre les avocats du Rectorat de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et certains Doyens de Facultés. Bref, huit (8) des détenu·e·s ont été libéré·e·s. Les autres ont été conduits tour à tour au pénitencier national, à l’Archaïe et à Carrefour.

Ensuite, le vendredi 12 juin 2009 quatre autres détenus (Katz henry Michel de la Faculté de droit, Joseph Wenshill, élève de Philo au lycée Toussaint, Jusma Emanuel, de l’Académie des Sciences Modernes (ADEM) et Paul Ridley, de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) ont été libérés.

Considérant qu’aucune charge n’a été retenue contre les détenu·e·s libéré·e·s alors qu’un tenancier de borlette, un mécanicien et un élève arrêtés lors des mêmes vagues de répressions policières et de celles de la MINUSTAH ont passé de nombreux malheureux jours écroués des conditions infra-humaines au centre de détention Omega de Carrefour. On peut conclure que la libération des seuls manifestant·e·s étudiant·e·s, n’était qu’une stratégie du gouvernement Préval-Pierre Louis d’étouffer dans l’œuf tout éventuel appui populaire au mouvement des étudiants / étudiantes supporteurs·euses de la loi sur l’augmentation du salaire minimum.

Selon les propos médiatisés de la porte-parole de la Police, outre les 24 premiers détenu·e·s, la Police Nationale a procédé à l’arrestation de 20 autres personnes. Ce qui porte le nombre des détenu·e·s à 44 personnes. Jusqu'à cette date, un grand doute plane sur l’existence et le devenir de ces dernières. Car, entre-temps, on a appris que certains cadavres auraient été retrouvés dans les périphéries de la capitale, en particulier à Titanyen [3].

Pour la lumière juridique, nous faisons remarquer qu’aucune charge ne saurait être retenue contre les détenu·e·s de mai dernier pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont pas été surpris en flagrant délit. Car, selon les lois haïtiennes: «toute flagrance doit être constatée par un juge de paix qui est tenu d’en dresser procès-verbal [4].» Le fait d’appréhender quelqu’un dans les parages d’une infraction ne peut en aucun cas lui en imputer la responsabilité.

Au Parquet et au cabinet d’Instruction, aucun procès-verbal de la justice de paix n’a été présenté. Bref, seulement des rapports de police ont servi de base légale aux Substituts Commissaires du gouvernement pour transférer le dossier au Cabinet d’Instruction.

Des répressions policières du 10 août 2009

A. Arrestation des étudiants Guerchang Bastia et Patrick Joseph

Le lundi 10 août 2009, vers huit (8) heures du matin, Guerchang Bastia, membre de l’Asosyasyon Inivèsitè ak Inivèsitèz Desalinyèn – ASID et Patrick Joseph, membre du Komite Relèvman Divivye – KRD, ont été arrêtés sur la cour de la SONAPI à Delmas sans motif et sans mandat, et furent conduits en prison. Ils n’ont pas été arrêtés et détenus dans un cas déterminé par la loi et selon les formes qu’elle prescrit. On n’a pas pu rien leur reprocher. Puisqu’il n’avait pas eu de flagrant délit, leur arrestation et leur détention n’ont pas respecté les prescrits de la Constitution de 1987 en ses articles 24-1 et 24-2.

Vu que ses étudiants arrêtés ont été maintenus en détention depuis plus de quarante-huit (48) heures sans comparaître par devant un juge appelé à statuer sur la légalité de leur arrestation et de leur détention. Conformément aux articles 26, 26-1 et 26-2 de la Constitution de 1987, le conseil de la défense des étudiants manifestants a adressé une requête au Doyen du tribunal de Première Instance de Port-au-Prince lui sollicitant une séance célère aux fins de se prononcer sur la légalité de l’arrestation de Patrick Joseph et Guerschang Bastia. Cette requête a été déclarée irrecevable sous prétexte que le dossier a été déjà acheminé au Cabinet d’Instruction.

Pour la mémoire et pour l’histoire, il nous faut signaler que l’acheminement d’un dossier au Cabinet d’Instruction n’enlève pas le caractère illégal d’une arrestation. Ce qui suppose que le droit de recours de Guerschang Bastia et Patrick Joseph a été sacrifié par le Doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince.

B. De l’interrogatoire au Commissariat de Delmas 33

Lors des interrogatoires aux Commissariats de Delmas 33 et de Port-au-Prince, les étudiants détenus ont été questionnés sur leur éventuelle relation avec certaines organisations qui auraient été impliquées dans les grandes mobilisations populaires qui exigeaient le rejet de l’objection du Président René Garcia Préval contre l’augmentation du Salaire minimum à 200 gourdes (5$US).

La Police Nationale d’Haïti a beau tenter de répertorier tous et toutes celles qui seraient impliqué·e·s dans l’organisation des récentes manifestations en faveur de l’augmentation du salaire minimum.

Le rapport de Police du Commissariat de Delmas 33, dans le cadre de l’interrogation de Guerchang Bastia et Patrick Joseph arrêtés le 10 août 2009 aux environs de 8 heures AM, n’a fait aucune mention d’aucune infraction commise par ces derniers. Ils ont été, pour répéter les mots du Commissaire de Police de Delmas Carl Henry Boucher, isolés aux fins de pouvoir les identifier. Lequel isolement allait se transformer en arrestation quelques heures plus tard.

Dans le rapport de Police de Delmas 33, il est fait mention que ces étudiants, Guerchang Bastia et Patrick Joseph, ont été arrêtés pour incitation à la violence. Lequel rapport prend le contre-pied des récentes déclarations faites par le Commissaire de Police de Delmas quelques minutes avant.

Il faut signaler que Patrick Joseph et Guerchang Bastia ont été le même jour écroués au pénitencier national sans être entendu par le Parquet du tribunal civil de Port-au-Prince. Toutefois, dans le certificat d’écrou délivré par le centre pénitentiaire du pays, il est mentionné: «Les nommés Joseph Patrick et Guerchang Bastia, détenus depuis le 10 août 2009 aux ordres de Me Felix Leger, Substitut Commissaire du Gouvernement du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, pour association de malfaiteurs, tentative de destruction de biens privés et de l’Etat».

A ce stade, il est clairement démontré que le Commissaire Felix Leger a converti, pour ses raisons propres, l’isolement des étudiants-supporteurs de la loi portant le salaire minimum à 200 gourdes «Patrick Joseph et Guerchang Bastia», en arrestation sans se donner la peine de prendre connaissance de la correspondance du commissariat de Delmas 33 qui lui a été adressée. Ce, par souci de se faire justice suite à l’incendie d’un véhicule du Parquet qui a été mis à sa disposition. Une telle attitude est réputée revanchard. Laquelle attitude est également à la base des jours pénibles passés par les étudiants Guerchang Bastia et Patrick Joseph au Pénitencier National et viole également le principe de la liberté individuelle garantie par la constitution de 1987 en ses articles 24, 24-1, 24-2,24-3 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en ses articles 9, 10 et 11.

Des répressions Policières du 12 août 2009

A. Arrestation et détentions arbitraires des étudiants Edouard Edwige, César Herode et Alfred Valcin

Les étudiants Edouard Edwich, César Herode et Valcin Alfred arrêtés le 12 août 2009 à l’avenue Christophe dans les parages de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) alors qu’ils revenaient tour à tour du stage et de soumettre un devoir de fin de session académique. Cependant, sans aucun motif valable, ces jeunes étudiants, avenir du pays, ont été sauvagement arrêtés, bastonnés par la Police Nationale (PNH).

Ils ont été arrêtés seulement parce qu’ils ont été trouvés dans les parages de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) pour être enfin conduits au parquet de Port-au-Prince et au Pénitencier National.

B. Du rapport de Police du Commissariat de Port-au-Prince

Dans le rapport de police transféré au Parquet de Port-au-Prince, nous lisons ce qui: «Ces individus ont été arrêtés suite à des manifestations de bases revendicatives fallacieuses». De quelle compétence, un Commissariat de Police pourrait-il être habilité à qualifier une manifestation populaire de fallacieuse ? Un tel qualificatif met à nu le mobile politique de ces violentes arrestations de la Police Nationale.

C. De l’audition au p