Grèce La «classe politique» et des scandales financiers à répétition Eleftheros Typos / To Vima La «classe politique» grecque est sur la sellette. Corruption, blanchiment d’argent sale, les scandales s’enchaînent et n’épargnent pas plus le Parti socialiste (PaSoK) dans l’opposition que le parti Nouvelle démocratie (ND) du premier ministre Kostas Karamanlis. Dans ce contexte, comment interpréter la fermeture du Parlement grec par le Président Dimitris Soufias le 8 mai dernier ? S’agit-il d’une façon d’enterrer ces «affaires» ? La traduction de cet arrticle a été faite Laurelou Piguet pour le Courrier des Balkans. L’original, en grec, a été publié dans To Vima et Eleftheros Typos. Ce genre de «scandale» traduit le prolongement sur le plan politique du fonctionnement d’un capitalisme en déclin et du statut de gouvernements et de législatifs – ces derniers sans pouvoir effectif – devenus des gardiens payés pour assurer, au sens étroit, les droits du «privé»et de son «marché». Cette tâche implique des pourboires et une vénalité de plus en plus répandue. Cela d’autant plus qu’un mimétisme de (fausse) apparence (le bling-bling) doit s’établir entre les représentants organiques du Capital, d’un côté, et les «dirigeants politiques» comme les parlementaires», de l’autre. Ces derniers cherchent une reconnaissance sociale auprès de leurs supérieurs, dans tous les sens du terme: les propriétaires du capital et les cadres assermentés assurant sa gestion. Cette défense du «privé» aboutit, physiologiquement, à mettre en place des normes «de gestion publique» conformes à celles du modelage des rapports sociaux et des institutions (new public management) par les exigences du marché. La crise actuelle est loin d’avoir fait reculer cet axiome qui doit faire du marché le principe du gouvernement de la société et des individus, des «gouvernés». On le voit en Suisse, par exemple, dans le domaine de l’assurance-maladie, des fonds de pensions, du IIIème pilier (épargne retraite), ou encore des mécanismes conditionnels de la «couverture» (allocations) du chômage. Que ce soit en Grèce, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Allemagne ou ailleurs, ces «scandales» de corruption renvoient à l’intrication entre, d’une part, les principes généralisés de cette gestion gouvernementale répondant aux exigences du marché (une gestion qui s’étend à toutes les sphères de la société), le «pouvoir politique» soumis et coopté et, d’autre part, le statut (instable) d’«élus» qui répondent, pour l’essentiel, aux ordres (explicites ou implicites, dans le sens qu’ils apparaissent comme les seuls possibles) du marché et de l’accumulation du capital. On peut constater ce processus en examinant les modalités choisies afin de renflouer – par l’Etat, plus exactement par la fiscalité mettant à contribution les salariés-contribuables – les entreprises industrielles ou financières en faillite. Voilà une conjoncture socio-politique qui est favorable à des «solutions autoritaires», d’autant plus que la crise va ronger durablement la société. (Réd.) Outre l’affaire du monastère Vatopédi [1], qui a défrayé la chronique à l’automne et continue de faire parler d’elle avec un nouveau rapport de la Banque de Grèce sur les comptes du monastère et des personnalités impliquées, trois autres scandales politico-financiers agitent et minent la scène politique grecque depuis quelques mois. Ces derniers ternissent l’éclat des deux grands partis traditionnels, la Nouvelle démocratie (ND) au pouvoir, et le Parti socialiste (PaSoK). L’affaire MAN C’est celle qui a éclaté le plus récemment. Les autorités judiciaires hellènes ont ordonné que soit mise en place en Grèce une enquête préliminaire relative au dossier MAN, un constructeur de camions allemand, pour déterminer s’il y avait eu infraction pénale dans une affaire de contrats que la Société grecque de transports d’Athènes et du Pirée (ΗΛΠΑΠ-ILPAP) aurait signé avec cette entreprise entre 2000 et 2002 pour l’achat de véhicules et de matériel. En effet, le parquet de Munich a de son côté engagé une enquête en Allemagne après des accusations portant sur de fortes sommes d’argent utilisées par l’entreprise pour remporter des contrats en soudoyant les autorités compétentes de différents pays. Selon des articles parus dans la presse allemande, le constructeur automobile MAN est mis en examen par le parquet de Munich pour avoir développé un réseau de «caisses noires» destinées à distribuer des pots-de-vin, en Allemagne et à l’étranger, dans le but de s’assurer de gros marchés publics. MAN aurait agi de cette façon en Afrique et en Europe, notamment en Grèce. D’après les premiers éléments de l’enquête allemande, l’entreprise MAN aurait offert de 400 à 600 euros de prime par commande effectuée. Depuis le début des années 1980, les commandes des sociétés publiques et des entreprises de transport en Grèce ont été régulièrement effectuées auprès de MAN, de même que les commandes du ministère de la Défense. Or, pour la Grèce, l’enquête des autorités allemande semble justement se concentrer sur quelques commandes dont l’achat d’une centaine de trolleys en 2002, et des fournitures militaires. Le 8 mai, on s’étonnait que, malgré l’agitation que provoque cette affaire en Allemagne, le PaSoK, au pouvoir en Grèce au moment des faits, n’ait pas demandé d’explication au ministre des Transports de l’époque, Christos Vérélis. Or, on apprenait le soir même la démission de ce dernier de son siège de député, sans qu’il en ait averti l’état-major de son parti. Il a affirmé ne rien à voir avec cette affaire et souhaité se retirer pour montrer qu’il se désolidarisait d’une scène politique «malsaine». L’affaire Pavlidis Elle a commencé en avril 2007 quand Aristotélis Pavlidis, actuellement député du parti Nouvelle démocratie et ancien ministre de la Marine marchande et de l’Egée pendant le premier mandat du Premier ministre Kostas Karamanlis, a porté plainte devant la Justice pour chantage et menaces exercés par l’armateur Photis Manousis contra sa personne. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, ce dernier a témoigné contre Kostas Zachariou, proche collaborateur de Pavlidis au ministère de l’Egée, qui l’aurait contraint à verser de l’argent pour pouvoir remporter l’appel d’offres concernant les lignes de transport maritime vers les petites îles de la mer Egée. L’armateur aurait versé de 800.000 à 1.000.000 d’euros, en chèques ou en espèces, pendant la période 2006-07, pour avoir la garantie que ses bateaux assureraient les liaisons dans des conditions financières favorables. Mais l’affaire ne s’arrête pas là, car des accusations similaires pèsent sur l’ex-ministre, cette fois portées par le maire de Tilos (une île du Dodécanèse), Tasos Aliféris, pour «partialité», toujours dans des négociations destinées à désigner les bateaux qui recevraient les subventions publiques accordées pour les lignes peu rentables qui desservent certaines îles de la mer Egée. Le même chef d’accusation est aussi porté par le parquet de Rhodes contre trois membres de la commission du ministère de l’Egée, dont le supérieur est le ministre lui-même. En effet, en Grèce, afin que les liaisons maritimes reliant les petites îles éloignées soient assurées, et sachant que ces liaisons ne sont pas rentables pour les compagnies qui les couvrent, l’État verse des subventions à la compagnie qui remporte l’appel d’offre. Or, le montant de ces subventions est loin d’être négligeable car il a sensiblement augmenté au fur et à mesure des années. L’affaire a été portée devant le Parlement qui, après avoir pris connaissance d’un premier dossier d’instruction, a voté le 4 mai pour déterminer si l’accusé devait être renvoyé devant la Justice ou si l’affaire pouvait être close: le vote a conclu à une très courte majorité au non-renvoi d’Aristotélis Pavlidis devant la Cour de Justice, provoquant ainsi la colère de l’opposition qui a parlé de «tentative du gouvernement pour dissimuler la vérité». Si au sein de son parti Nouvelle démocratie, des voix se sont fait entendre pour demander que le député Pavlidis soit écarté, cette proposition n’a jamais été envisagée, ni par l’intéressé, ni par l’état-major du parti. Les caisses noires de Siemens: une enquête qui manque encore d’éléments décisifs L’affaire dépasse le seul cadre de la Grèce, puisque l’entreprise allemande a été accusée pour des affaires de corruption qui touchent plusieurs pays. En Grèce, des personnalités importantes sont soupçonnées d’avoir profité de dessous-de-table reçus pendant la période 1997-2004. Les sept premières personnes à être soupçonnées dans cette affaire pour blanchiment d’argent sale et corruption, sont les six cadres les plus élevés de Siemens en Grèce à l’époque, ainsi que l’ancien directeur général d’OTE, l’Office des télécommunications helléniques. Mais on s’attend à ce qu’une quarantaine de personnes soient entendues par la justice. D’autres noms de suspects sont avancés, comme un ancien ministre PaSoK ou l’ex-stratège du parti Thodoros Tsoukatos, qui a avoué qu’un million de marks aurait fini dans les caisses du parti en vue des élections européennes de 1999. Si de nouvelles révélations ont mis aussi en cause des personnalités politiques du parti Nouvelle démocratie, aucun élément ne les corrobore pour l’instant. C’est la déposition de Reinhard Siekaczek, ancien homme fort de Siemens et qui en gérait les «caisses noires», qui a éclairé cette affaire lors du procès qui a eu lieu en Allemagne. Il a parlé de grosses sommes d’argent «qui étaient utilisées pour cultiver des relations politiques», de pots-de-vin pour arroser les ministères, du système de sécurité C4I et des missiles Patriot. Selon ses déclarations, des millions auraient été livrés en liquide à l’un des cadres de Siemens en Grèce, Prodromos Mavridis, en dessous-de-table, mais aussi pour obtenir le cartel de télécommunication en Grèce. Trois dossiers sont instruits dans la partie grecque de cette affaire aux multiples ramifications. Le premier dossier concerne l’Office des télécommunications helléniques (OTE): il apparaît que des dizaines de millions d’euros auraient été versés à des cadres d’OTE, et probablement à des personnalités politiques, pour un contrat de numérisation des systèmes de télécommunication. L’accusation se base une fois encore sur des dépositions répétées de Reinhard Siekaczek, qu’il a faites aux autorités judiciaires grecques et allemandes. Selon son témoignage, «cet argent était envoyé à travers un dédale de compagnies offshore aux cadres de Siemens Grèce, dans le cadre d’un système qui consistait à verser des pots-de-vin à des hommes politiques et des partis en Grèce». Mais si la procédure judiciaire a bien mis en lumière d’où venait tout cet argent, les éléments concernant ce que les gestionnaires grecs de Siemens en ont fait par la suite sont très flous. Il n’est pas exclu qu’il soit resté dans les poches de quelques «petits malins» de la filiale grecque. Cependant, le procès est loin d’avoir abouti car certains des accusés veulent faire annuler toute la procédure judiciaire pour vices de forme. Également au centre de l’enquête, l’acquisition par la Grèce d’un système de sécurité C4I pour les Jeux Olympiques de 2004 auprès du consortium américain SAIC. C’est encore la déposition de Reinhard Siekaczek qui constitue la base de cette accusation, ainsi que l’ouverture de comptes bancaires qui a révélé la présence de sociétés qui servaient à écouler de l’argent sale. Mais dans ce dossier, on n’a pas encore identifié qui aurait reçu de l’argent et quand. On sait cependant qu’avant que le travail ne soit confié à SAIC, il y a eu de longues négociations auxquelles ont pris part des dizaines d’agents. Pendant la période 2005-2007, des responsables de la police grecque chargés de la mise en place du système en question, ont démissionné au motif que des «interventions venues d’en haut» auraient fait pression pour que l’accord soit conclu. Enfin, le dossier des Patriot (système de missiles constuit par la firme américaine Raytheon). Reinhard Siekaczek a avoué qu’«en 1999, [il] avait envoyé 10'000'000 euros à des cadres de Siemens pour la construction de systèmes électroniques destinés à équiper les missiles Patriot». Dans ce contexte, la clôture des travaux du Parlement, annoncée de façon inattendue vendredi 8 mai par le gouvernement, a été perçue par l’opposition comme une volonté de stopper le flot d’enquêtes et de révélations sur ces différentes affaires. 1. Cette affaire porte sur une transaction immobilière entre l’Etat et le monastère de Vatopédi, l’un des plus riches du mont Athos. Le but: échanger des terrains pour permettre ce que l'Etat ne peut pas, légalement, faire, mais que le Monastère peut accomplir: vendre un terrain pour une opération immobilière au bord de la mer à un promoteur. La somme en jeu: 100 millions d'Euros de pertes pour l'Etat, mais des commissions pour des politiciens. Cette somme serait payée par la contribuables, cela au moment où, en Grèce, s'accroît la «génération à 700 euros» (par mois) qui a fait connaître sa révolte sociale et continue à le faire (Réd.) (21 mai 2009) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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