France

La mobilisation du 7 septembre contre «la réforme Sarkozy–Woerth» des retraites

Olivier Besancenot *, Jean-Marie Harribey **, Christian Mahieux ***, Gérard Filoche ****

Le jeudi 2 septembre 2010, le quotidien Le Figaro titrait (p.19). «Retraites: l’ouverture de François Chérèque». En sous-titre, une précision: «Tout en réaffirmant son opposition à la réforme, le patron de la CFDT fait quatre propositions pour dénouer le conflit.». F. Chérèque fait une «ouverture» sur quatre questions: 1° maintenir à 65 ans la borne d’âge pour l’attribution de la retraite à taux plein «jusqu’en 2018, date à laquelle il est prévu de réaborder la question des retraites». Donc ne pas la relever à 67 ans à compter du 1er juillet 2016, au rythme de 4 mois par année. Le Figaro résume bien la question: «Bref, de reculer seulement d’un an et demi la mise en œuvre de cette mesure». 2° Il demande au gouvernement de revoir sa copie sur trois autres points: les carrières longues, la pénibilité (voir à ce propos, sur notre site, l’introduction à l’article de Laurent Delage, en date du 4 septembre 2010).

Selon Marc Landré du Figaro, à l’Elysée un conseiller du Président explique: «François Chérèque veut montrer qu’il n’est pas dans une position de fermeture, comme la CGT, et cherche à se différencier. Il cherche aussi à obtenir ces concessions du gouvernement pour dire à sa base que le conflit dur dans lequel la CFDT s’est lancée n’aura pas été vain. […] François Chérèque veut montrer que nous avons cédé après la manifestation du 7 septembre. A-t-on intérêt à le faire ? Cela mérite réflexion.»

Sarkozy, qui ne peut évacuer Woerth dans l’immédiat, répète: «Je ne serai pas le président de la République qui partira sans avoir réglé la question de l’équilibre [financier] des régimes de retraite. C’est clair que je suis extrêmement déterminé.» (Le Figaro, 4-5 septembre 2010). Sarkozy et Fillon sont sur l’avant-scène politique. Pendant ce temps, Raymond Soubie, l’expert aguerri en dossiers sociaux, a le contact avec les dirigeants syndicaux. Après le 7 septembre, le téléphone sonnera plus de deux fois !

Dans le quotidien économique Les Echos du 3-4 septembre 2010, Bernard Thibault (CGT) et François Chérèque (CFDT) ont découvert «l’affaire Woerth-Bettencourt», avec un retard complice ! Chérèque souligne que cette réforme «du quinquennat [est menée] en pleine crise politique dans la majorité, avec le ministre du dossier du cœur de cette crise.» Et il ajoute: «Cette situation fait qu’on aborde pas du tout le fond du dossier. C’est un vrai problème.» Et Thibault de renchérir:«Eric Woerth est objectivement (sic !) plus occupé, et préoccupé, par autre chose que par le sujet qui nous intéresse.» Et Chérèque de répondre à la question «Ce climat vous sert-il ?»: «Je ne pense pas, dès lors qu’il occulte le débat de fond sur les retraites». Autrement dit: la «crise en haut» ne faciliterait pas une mobilisation pour le retrait de la réforme: Cette option était claire depuis longtemps. Selon Chérèque, «il va falloir un jour» que le gouvernement «arrête d’amuser la galerie (sic) et rouvre un vrai dialogue».

Pour mesurer l’impact de la mobilisation du mardi 7 septembre 2010, Chérèque insiste déjà que le signal le plus important pour la CFDT sera «le niveau de grève dans le privé». Dans cet entretien conjoint, Thibault se montre plus prudent que Chérèque. Plus exactement, il sait ne pas répondre à diverses questions, car «nous ne confondons pas vitesse et précipitation.» Le dispositif des appareils n’a pas besoin de se précipiter pour se mettre en place ; il l’est déjà.

Une lecture de cet entretien conjoint, fait cinq jours avant les grèves et les mobilisations du mardi 7 septembre 2010, démontre combien le nombre «des manifestants», la diffusion spatiale de la mobilisation, la réalité des grèves, le degré d’auto-ogrnaisation, les revendications reprises par les «cortèges», en un mot la dynamique d’ensemble du mardi 7 septembre sera déterminant pour la suite. Car, seulement si des secteurs significatifs de salarié·e·s et de jeunes «en formation», entre autres, entrent, à leur façon, sur la scène sociale et politique, sans se caler sur l’agenda politico-électoral, les fractures au sommet s’élargiront et des éléments dépassant un scénario d’alternance (à la Sarkozy -Aubry/Strauss-Kahn) s’affirmeront.

Nous publions ci-dessous, les explications et conceptions de forces politiques et sociales qui se sont efforcées, plus ou moins, de mener une campagne unitaire pour la journée de mobilisation du mardi 7 septembre 2010. (cau)

*****

Se mobiliser par millions et préparer la grève générale, Olivier Besancenot *

Pour faire plier le gouvernement sur la contre-réforme des retraites et contre sa politique raciste et sécuritaire, une seule solution : se mobiliser par millions et préparer la grève générale. Dans la campagne unitaire pour conserver la retraite à 60  ans, il y a beaucoup du rapport de forces global entre les classes qui est un train de se jouer. La situation dans quelques semaines ne sera pas la même si Sarkozy fait passer la réforme ou si, au contraire, le mouvement ouvrier réussit à la stopper. L’impopularité de la réforme – qui est certaine – ne sera pas suffisante pour la stopper parce qu’on est tous confrontés au même problème : un certain recul des luttes, un certain reflux social, un certain ressac des mobilisations sociales. Depuis deux ou trois ans, peu de luttes ont été victorieuses. C’est lié à une stratégie d’éparpillement des luttes qui n’a que trop duré. C’est aussi lié à l’impact immédiat de la crise économique sur les consciences. Cette crise économique qui a débuté, il y a maintenant deux ans, est une crise de grande envergure. Quand on regarde l’histoire du capitalisme, on sait que lors de ce type de crise, le premier réflexe dans les couches populaires, n’est pas d’abord celui de la solidarité, pas d’abord celui de la révolte collective. C’est malheureusement trop souvent, la débrouille, le chacun pour soi, l’individualisme, la jalousie. On regarde les acquis sociaux du voisin en pensant que ce sont des privilèges, voire pire. Et les employeurs, dans le public comme dans le privé, nous disent : « t’es pas heureux, tu peux prendre la porte, parce que plein de gens veulent ta place, veulent bosser ». Alors ce n’est pas le moment de l’ouvrir, de revendiquer, et on sait que cela pèse sur les consciences.

La révolte comme antidote

La révolte solidaire est l’antidote à la crise économique, mais c’est un antidote qui produit souvent ses effets à rebours, en différé, une fois dépassées les illusions du chacun pour soi. Après la crise de 1929, par exemple, et avant les grèves de 1934 et la grande grève de 1936 avec le Front populaire, il y a eu aussi 1933 en Allemagne et l’ascension du nazisme. Toutes proportions gardées, ces deux éléments sont présents dans la situation politique actuelle. Cela renforce le rôle du mouvement ouvrier, des organisations, de façon unitaire, le rôle des militants, ceux qui a priori sont un peu plus conscients de certaines choses. Et notre rôle est de brusquer le temps, d’accélérer les effets de cet antidote pour que cela aille plus vite et que cela se produise sur la question des retraites : nous devons agir collectivement là où nous pouvons peser. La première chose que l’on peut faire, c’est renforcer notre camp en s’appuyant sur la dynamique de ce qui a déjà été réalisé ces derniers mois. Parce qu’il y a une attente extraordinaire et souvent sous-estimée dans les équipes militantes. Quels que soient les syndicats et les partis, il faut que cette campagne unitaire ait lieu. Quels que soient les désaccords politiques à gauche, on peut marcher séparément et frapper ensemble sur une question aussi essentielle que celle des retraites qui touche à l’héritage du mouvement ouvrier, pour défendre la retraite à 60 ans, à taux plein. La deuxième chose est que l’on peut aussi affaiblir le camp d’en face, car la crise économique percute tout le monde. Même les classes possédantes, même les capitalistes. Certains à droite se disent que Sarkozy n’est pas forcément la bonne réponse de droite pour sortir de la crise. La fuite en avant nauséabonde, raciste, sécuritaire, écœurante à laquelle on a eu droit cet été, outre qu’elle est révoltante, consiste à essayer de faire oublier les problèmes politiques, économiques et judiciaires du gouvernement. Ce n’est pas la marque d’un gouvernement fort mais bien plutôt celle d’un gouvernement aux abois. Il y a des dissensions potentielles dans les classes possédantes qu’il faut savoir exploiter pour remporter des victoires. On peut se dire que dans les semaines à venir, à n’importe quel moment la crise sociale peut se transformer en crise politique, voire en une crise de régime. Quand on a commencé la campagne unitaire, on était bien loin de se douter que la campagne sur les retraites allait trouver ce curieux sponsor qu’est L’Oréal, à travers l’affaire Woerth-Bettencourt. Woerth est soi-disant un homme d’honneur. Et il l’est à ce point qu’il le distribue en légions à ceux qui lui rendent des petits services, le gestionnaire de la fortune Bettencourt qui embauche sa femme, le comptable qui s’est occupé de la campagne municipale et de son micro-parti. Mais dans quelques jours, il devra expliquer à tous que les temps sont durs et qu’il faut se serrer la ceinture. Il est probable qu’en l’entendant, des centaines de milliers de personnes auront envie d’aller manifester. Nous pouvons donc affaiblir le camp d’en face, mais à condition que la gauche sociale et politique, le camp du mouvement ouvrier ne tremble pas à la veille de la rentrée et que sa partie la plus libérale ne nous refasse pas le coup du discours alterné qui dit retraite à 60 ans puis, il faut peut-être travailler plus longtemps. La gauche doit avoir du cran pour réclamer non pas la réécriture mais le retrait, l’abrogation du projet de loi Woerth-Sarkozy, parce que pour le moment ce n’est qu’un projet de loi. Dans cette campagne, on a décidé de donner des explications mais aussi de tracer des perspectives. Si la réforme n’est pas populaire, la bataille de l’opinion n’est quand même pas gagnée d’avance. On voit défiler dans les médias des commentateurs, des analystes, des experts, des économistes qui nous expliquent que les caisses de la Sécurit&