France «C'est pas cher et ils apprécient !» Roland Pfefferkorn * L'affaire Woerth-Bettencourt illustre les liens permanents entre le monde politique, essentiellement à droite, et les très riches. Ce n’est pas vraiment une surprise. Plus personne n’ignore la virée au Fouquet’s, la «retraite » sur le yacht de Vincent Bolloré [groupe fondé en 1822 qui figure parmi les 500 plus grandes firmes à l’échelle mondiale, actif dans de très nombreux domaines] ou le goût bling bling pour les Rolex. Dîners, réunions et chasses réservés, voire remises mondaines de légions d’honneur, rassemblent membres du gouvernement et «grands donateurs ». Et Woerth ne joue pas un rôle de second couteau dans ces croisements organisés… «C'est pas cher et ils apprécient !» Qu’on se remémore la désormais fameuse formule employée par Patrice de Maistre – descendant du contre-révolutionnaire Joseph de Maistre ;1753-1821 (cela ne s’invente pas !) – grand argentier de Madame Bettencourt, formule révélée grâce aux enregistrements du majordome de cette dernière. «Ils apprécient !». «Ils » ? C’est bien entendu le personnel politique à leur service, y compris au sommet de l’Etat. Car de l’argent, beaucoup d’argent, circule. En liquide de préférence. Ajoutons à ce goût prononcé pour l’argent leur adhésion à l’idéologie néolibérale et leur tropisme prononcé pour la finance… et les superprofits sans le moindre effort – le récent polar de Gérard Delteil, Speculator (L’Archipel) permet de découvrir le type de pratiques en cours dans cet univers de la finance. Les révélations sur les subsides apportés à l'UMP ( et à ses barons par les plus riches familles) éclairent les largesses fiscales de toutes sortes offertes aux grandes fortunes par le duo Sarkozy-Fillon et les godillots qui leur sont attachés à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Pendant qu’on ponctionne et qu’on prévoit de ponctionner toujours davantage les salarié·e·s (qu’on pense aux retraites !), les largesses accordées aux très riches dépassent l’entendement. Grâce aux enregistrements et leur divulgation – merci Médiapart – ce sont des informations indiscrètes concernant les pratiques ordinaires dans ce milieu qui se retrouvent en pleine lumière. Comme le dit le sociologue Michel Pinçon: «Ils ont tous des casseroles, peu n’ont rien à cacher du côté des paradis fiscaux, des niches fiscales et de tout ce qui permet de diminuer l’imposition.» Pour en savoir plus sur ce monde de privilégiés on peut lire les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, notamment Les Ghettos du Gotha (paru en 2007, désormais en poche: Points-Seuil) ou La sociologie de la bourgeoisie (La Découverte, collection Repères). Les très riches de toujours n’ont rien en commun avec les rares chanceux d’un jour, comme les gagnants du loto. Le récent livre des mêmes auteurs, Les millionnaires de la chance. Rêve et réalité (Payot, 2010) montre que ceux qui sont devenus très riches par le seul fait du jeu et du hasard ont le plus souvent beaucoup de mal à apprivoiser cette soudaine richesse. D’autres ouvrages illustrent davantage les mœurs bling-bling et tape-à-l’œil de certaines variétés de nouveaux riches. On retiendra parmi eux le livre de Bruno Aubry, journaliste dans le Sud-Est qui vient de publier Les milliardaires de la côte. Vie et mœurs des super-riches de Monaco à Saint-Tropez (L’Archipel, 2010). S’y croisent aussi bien certains membres du Gotha propriétaires de grandes demeures, cachées derrière d’épaisses frondaisons, où l’on reste entre-soi, à l’abri de la lumière médiatique, que ceux qui étalent leurs fastes ou leurs excentricités à Saint-Trop’, à Cannes ou ailleurs sur la Côte d’Azur: magnats du pétrole, nouveaux riches russes, stars du cinéma, voire caïds du milieu… On y rencontre aussi leurs obligés, ceux qui côtoient au quotidien ces très riches: jardiniers, chauffeurs, cuisiniers … et majordomes. Vivement de nouveaux enregistrements et… de nouvelles indiscrétions… * Roland Pfefferkorn est professeur auprès de l’Université de Strasbourg. Il est l’auteur et le coordinateur de nombreux. Nous citerons, entre autres, Chemins de l'émancipation et rapports sociaux de sexe, avec Philippe Cardon et Danièle Kergoat, Paris, Éditions la Dispute, 2009 ; le système des inégalités, avec Alain Bihr, La Découverte, 2009 ; Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes. Paris, La Dispute, 2007. Il tient une rubrique dans le quotidien La Marseillaise. (24 juillet 2010) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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