France

Le NPA, autopsie d’une déception

Philippe Pignarre *

Cette tribune publié dans le quotidien Libération en date du 30 juillet 2010 s’inscrit, à sa manière, dans les articles consacrés aux débats au sein des forces se définissant à gauche du Parti socialiste en France. (Réd.)

Il y encore quelques mois, personne n’avait de mots assez durs pour condamner le capitalisme. Nicolas Sarkozy multipliait les rodomontades: le capitalisme n’avait qu’à bien se tenir; on allait le «moraliser». Tout cela se termine piteusement: c’est le capitalisme qui est en train de «moraliser» nos hommes politiques. La «peur» du marché est à l’origine de la multiplication des plans d’austérité. Les agences de notation, que l’on jurait de mettre à la raison, montrent qui est le plus fort. On justifie la réforme des retraites par la démographie mais, à voix basse, on avoue que c’est avant tout une mesure destinée à rassurer les marchés. Jamais le sentiment que le capitalisme est une machine infernale n’a été aussi répandu.

Voilà pourquoi la création d’un parti se définissant comme anticapitaliste a été ressentie comme une bonne nouvelle bien au-delà de ses adhérents. C’était affirmer qu’il ne suffirait pas de faire appel à plus d’Etat et aux valeurs d’une République restaurée dans sa grandeur pour gagner la partie comme le croit malheureusement une grande partie de la «gauche de gauche». Mais, paradoxalement, l’anticapitalisme est à la peine et le NPA ne va pas bien. Il serait trop facile de s’en excuser en renvoyant à la «situation objective»: les travailleurs seraient groggy à la suite des remises en cause à la chaîne des services publics et de l’Etat providence.

Le NPA est anticapitaliste, la LCR était révolutionnaire. Ce ne devrait pas être la même chose. Or, le NPA emploie le plus souvent les mots d’avant comme si la transformation n’avait pas eu d’effets. On lit fréquemment dans ses textes qu’il faut «renverser» le capitalisme. Comme si on pouvait renverser le capitalisme comme on renverse un gouvernement ! On dira que je joue sur les mots. Mais les mots doivent être pris au sérieux. Si le capitalisme est une pieuvre, quel sens cela a-t-il de vouloir le renverser ? N’est-ce pas aller trop vite en besogne que de calquer un mode d’action révolutionnaire («renverser») pour oublier la difficulté des luttes anticapitalistes (en sachant que nul ne sait de quoi le capitalisme est capable).

Il ne s’agit pas de s’opposer à l’idée de révolution mais de constater qu’elle ne peut pas être un guide pour une activité anticapitaliste inventive: les révolutions sont inéluctables mais surgissent toujours de manière inattendue. La révolution doit rester une inconnue dans l’équation des batailles à mener: à la différence des révolutionnaires, les anticapitalistes apprennent à laisser leur jugement en suspens. De la sorte, ils ne prétendent pas savoir à la place des autres et ces autres ne sont pas réduits à l’état de «victimes» irrationnelles ou d’imbéciles aliénés à éduquer.

Les révolutionnaires se lamenteront: «Mais on n’aura plus de stratégie !» Ce qu’ils appellent stratégie consiste le plus souvent à substituer la pédagogie à la politique: il s’agit d’élever le «niveau de conscience». Triste besogne. Les révolutionnaires connaissent le but final et jugent tout ce qui se passe à la manière dont cela nous en rapproche ou non. La politique devient alors répétitive, toujours en attente du retour du même. On peut épuiser les militants mais aussi les mots d’ordre - et c’est dramatique car ils ne sont pas en nombre infini - en en faisant des rengaines («tous ensemble», «grève générale»). A ce jeu-là le capitalisme n’a pas de mal à être le plus malin.

On peut être radical, savoir que le capitalisme n’est pas réformable et laisser son jugement en suspens. En sachant que ce qui se raréfie - et c’est un des effets destructeurs du capitalisme - c’est la confiance en un avenir digne d’être vécu. Pour raviver cette confiance, il n’y a pas d’autres moyens que de «faire» confiance, de réussir à s’adresser à celles et ceux qui refusent de plier sur un mode qui affirme cette confiance dans leur capacité à fabriquer collectivement des réponses à des situations nouvelles et imprévues.

La question du voile qui secoue le NPA n’est pas seulement un bon exemple mais un obstacle sur lequel le NPA peut se briser. Les anticapitalistes doivent se méfier de deux réflexes propres à la tradition révolutionnaire: «on sait bien ce que veut dire porter un voile», «mais on est prêt à faire preuve de tolérance». Cela donne concrètement: les femmes voilées pourront adhérer au parti mais pas être candidates aux élections. Ainsi croit-on contrebalancer l’avant-gardisme de la première proposition par une tolérance méprisante alors qu’il s’agit de deux fautes graves. Et, du coup, on ne répond pas vraiment à ceux pour qui le voile est insupportable et qui ne sauraient se contenter de tolérance mais sont en droit d’être exigeants.

L’anticapitalisme ne doit pas partir de la faiblesse des personnes mais de leurs points forts. Il propose un petit déplacement lourd de conséquences: peut-être que l’on ne sait pas tout des raisons pour lesquelles des femmes en France décident de se voiler. Ce qui importe alors est la création de dispositifs qui permettent d’en parler et d’apprendre collectivement, d’inventer une position commune avec les premières concernées en ne faisant surtout pas preuve à leur égard de tolérance mais d’exigence, c’est-à-dire sans les traiter comme des victimes incapables d’avoir une parole intelligente, articulée, qui obligerait les «révolutionnaires» à parler à leur place.

Le problème est d’arriver à ce que les multiples intelligences à l’œuvre dans le combat anticapitaliste puissent être à l’origine d’une intelligence collective, un parti. Cela suppose des modes de fonctionnement inédits, avec une prime permanente à la créativité. Les difficultés du NPA montrent que tout reste à inventer mais c’est indispensable. Après le voile, il y aura d’autres épreuves bien plus redoutables.

* Philippe Pignarre, éditeur, a publié entre autres: Être anticapitaliste aujourd’hui. Les éfis du NPA, Ed. La Découverte (2009); La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement (avec Isabelle Stengers), Ed. La Découverte (2007); Le grand secret de l’industrie pharmaceutique, Ed. La Découverte (2004).

(30 juillet 2010)


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