France-Débat

A propos de la journée d’action du 12 octobre

François Chesnais

Après les journées d’action avec grèves et manifestations du 7 septembre et du 23 septembre et la manifestation du samedi 2 octobre, l’Intersyndicale dont font partie la CFDT, la CFTC, la CGT, la FSU, Solidaires et l’UNSA a appelé à une nouvelle journée d’action mardi.

Dans leur communiqué, ils disent vouloir «faire du mardi 12 octobre une nouvelle journée massive de grèves et de manifestations pendant le débat au Sénat. Cette journée trouvera toute sa place pour amplifier la mobilisation dans le cas où les parlementaires ne prendraient pas en compte ce qui s’est exprimé dans l’action et si le Gouvernement restait intransigeant. Le Gouvernement porterait l’entière responsabilité des suites que les salariés et leurs organisations entendront donner au 12 octobre». De son côté, Force Ouvrière (Mailly) qui n’a pas signé le communiqué parce qu’il «ne mentionne pas clairement le retrait du projet de loi inacceptable et dangereux socialement», a réaffirmé la «grande détermination FO à obtenir ce retrait» et déclaré qu’il fallait «faire du 12 octobre une journée de grève et de manifestations massives».

Ainsi que Samuel Holder l’a écrit dans l’article «Eléments de discussion sur la crise politique et sociale en France» [voir ci-dessous], le nombre élevé de manifestants à chacune des manifestations (plusieurs millions avec beaucoup de nouveaux chaque fois) exprime bien sûr le rejet profond par les travailleurs de la contre-réforme des retraites. Mais il traduit aussi le fait que beaucoup de salarié·e·s (dont le nombre va bien au-delà de ceux qui ont manifesté et qui sont déjà nombreux), ainsi que des secteurs de la jeunesse lycéenne et étudiante, ont associé dans leur esprit un ensemble de raisons de manifester contre un président et un gouvernement profondément discrédités, perçus comme exclusivement au service des «banques et des riches».

Les manifestations n’ont pas été simplement «revendicatives». Elles ont eu une dimension politique. D’abord parce que l’âge et le niveau des retraites sont des questions qui éclairent la place de chacun dans la production et dans la société. Ensuite parce que la conjonction entre contre-réforme des retraites et la tentative d’étouffer l’affaire Woerth-Bettancourt à laquelle Sarkozy est très étroitement mêlé, a été perçue comme l’expression de la guerre de classe menée par celui-ci et l’UMP pour le compte de l’oligarchie.

Une phase politique se clôt et un nouveau moment de la subjectivité politique est en train d’émerger. Mais le mouvement qui fait surface en cet automne se développera à son propre rythme. Il faut lui en laisser le temps. Il est déjà le résultat de ce processus dense de combats militants, combats «associatifs» au sens générique du terme menés par et dans des secteurs de la société dont les médias ne parlent pas, mais où les «gens» s’organisent contre l’exploitation, les injustices et les corruptions. C’est sans doute une des raisons pourquoi les manifestations des petites villes ont été si importantes en pourcentage de leur population. En présence de ce type de mouvement, la tache des militants n’est pas de chercher à en hâter le mûrissement artificiellement. Ce qu’il s’agirait plutôt de faire serait de le nourrir par les idées et des débats clairs et loyaux, de sorte que les salariés et les jeunes qui se «politisent» (au sens large du terme) puissent dégager eux-mêmes les perspectives sociétales de futurs combats frontaux. Plus ce travail sera fait plus ces perspectives seront proches de celles de ce que tant de nous nous avons nommées le «socialisme» ou le «communisme».

Le tract [«Adresse au travailleurs et travailleuses», sur ce site, daté 11 octobre] joint ici est d’une très grande importance.

Le texte traduit une volonté politique qui exprime une réflexion très certainement à l’œuvre dans de très nombreux endroits ailleurs en France. Les travailleurs et précaires de l’AG interprofessionnelle de la Gare de l’Est entendent créer les conditions d’un contrôle des travailleurs des modalités et des rythmes de leur combat, dans l’immédiat celle de décider ce qu’ils feront le 12 octobre au soir.

Il y a un contraste radical entre cette adresse et la confusion qui prévaut ailleurs, une confusion qui se situe dans le sillage des orientations décidées par les directions syndicales. La «grève reconductible» n’est pas la grève générale. La «grève reconductible» est au mieux l’appel à des secteurs précis de salariés à se lancer dans la reconduction pour «servir de locomotive» aux autres. C’est l’extension de la journée d’action avec grève à un lendemain et peut-être un surlendemain dans l’attente que d’autres secteurs suivront.

La grève générale est un jaillissement qui naît au terme d’un long cheminement sous la forme d’une conviction partagées par des centaines de milliers de travailleurs et un large secteur de la jeunesse des facultés et des lycées que le «moment est venu», celui-ci étant la combinaison de refus des conditions matérielles de vie, de sentiment qu’il y a peut-être une brèche chez ceux d’en haut et qu’il y a «une vie à gagner».

Les journées d’action lancées par l’Intersyndicale dans le contexte d’années et d’années de coopération avec tous les gouvernements et avec celui de Sarkozy autant sinon plus que les autres, ne peuvent pas être «gauchies».

D’où mon désaccord avec l’article de Robert Pelletier postée en première page du site du NPA le 6 octobre 2010 [voir ci-après] avec le titre «Une seule solution, grève générale reconductible». Il écrit «Partout nous devons susciter, amplifier les mobilisations, les grèves, les débrayages, les blocages. Il ne faut plus seulement débattre de la grève reconductible mais gagner partout l’engagement de la mobilisation sur cette voie. Face à la chape de plomb médiatique, nous devons faire circuler les informations, prendre contact de secteur en secteur, de ville en ville. Moins que jamais le développement de la grève reconductible ne sera le seul résultat de consignes nationales ni de spontanéités locales».

En un mot, l’issue repose, dit Pelletier, sur l’énergie, la force de conviction d’une couche d’avant-garde de militants politiques et syndicaux. C’est charger ceux-ci d’une responsabilité écrasante. C’est aussi peser sur la pensée de ceux d’entre eux que le NPA influence le plus, décider à leur place en quelque sorte, et cela en dehors de toute discussion d’ensemble, que par rapport à la question des retraites le «moment est venu», celui où, en devenant des «locomotives», ils pourraient redresser des rapports politiques de force dont Thibault (CGT), Chérèque (CFDT), Aschéri (FSU) et Mailly (FO) sont, dans le cas de la France, pour partie les artisans.

Si on veut une analogie très imparfaite mais saisissable parce qu’encore dans beaucoup de mémoires, ce à quoi il faut associer et former ces militants, c’est à processus bien plus difficile et de longue haleine dont le modèle serait le combat de 2005 contre le Traité constitutionnel européen. Cette fois, l’enjeu serait de dégager avec les salariés et les jeunes qui se politisent, non plus ce dont on (eux et nous) ne veut pas, mais ce qu’on veut. Et cela en sachant que le jour où nous le sauront plus ou moins (car il y aura nécessairement comme dans chaque révolution un immense saut dans l’inconnu) qu’il n’y aura que nous collectivement pour le mettre en œuvre. Sans délégation. (11 octobre)

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Eléments de discussion sur la crise politique et sociale en France

Samuel Holder

Certains ingrédients d’une crise du régime sarkozyste ont commencé à se cristalliser depuis l’éclatement de l’affaire Woerth-Bettencourt en juin dernier. La tentative de diversion xénophobe et sécuritaire montée pour détourner l’attention du public de cette fâcheuse affaire a échoué. Elle a amplifié les critiques contre Sarkozy dans différents secteurs de la société, y compris au sein de la droite qui se trouve d’autant plus sous tension qu’elle a perdu les élections régionales et s’inquiète pour les présidentielles de 2012.

Ce début de crise dans les sphères du pouvoir a renforcé dès le début du mois de septembre des éléments d’une crise sociale probablement de longue durée. Les grandes manifestations n’en sont que la partie émergée la plus visible.

Même si ce texte cherche à dégager ce qui est spécifique et nouveau dans la situation en France, il faut avoir d’emblée à l’esprit que dans plusieurs pays européens, des problèmes de gouvernance internes existent, attisées par des contestations politiques et sociales. Les vieilles recettes par temps de crise de la xénophobie d’Etat et du renforcement des méthodes policières se généralisent à l’échelle européenne. Sarkozy ne se distingue sur ces terrains réactionnaires que par sa volonté d’apparaître spectaculairement à l’avant-garde de ses collègues. Le volet policier, anti-immigrés et xénophobe des politiques des États européens constitue l’emballage de rigueur pour faire passer les plans d’austérité antisociaux nécessaires entre autres au sauvetage des banques et à la sécurisation de leurs profits.

Une affaire emblématique

L’affaire Woerth-Bettencourt n’aura pas seulement été un révélateur mais aussi un élément important de la crise politique et sociale en cours. Une querelle de famille (une famille particulièrement fortunée) s’est transformée en une affaire d’Etat. A l’origine d’une crise dans une famille, un parti ou une institution, il y a toujours une personne (parfois plusieurs) qui «ne marche plus», qui transgresse les règles, qui se révolte contre les mensonges et les non-dits pour une raison ou une autre. En l’occurrence ce fut le majordome de Liliane Bettencourt. Ensuite quelques journalistes suffisamment indépendants, au premier chef ceux de Médiapart, ont publié une partie des bandes enregistrées et ont poussé l’enquête plus loin.

Selon un vieil adage marxiste révolutionnaire, les masses n’apprennent pas dans les livres mais au travers de leur propre expérience. Les gens en auront entendu assez à la radio et à la télévision sur cette affaire pour être convaincus que dans le petit monde des Bettencourt, Sarkozy et Woerth, on se gave pendant qu’eux ils en bavent. L’affaire Woerth-Bettencourt aurait pu tomber à plat comme bien d’autres mais elle a éclaté dans un contexte où la richesse de la haute bourgeoisie apparaît particulièrement révoltante dans la mesure où les gouvernants à leurs services font partie du même monde et agressent sévèrement les classes populaires par une série de mesures, dont celles sur les retraites. Au train où vont les choses tout le monde comprend qu’être un gouvernant, c’est aussi fréquemment être un avocat d’affaires et de toute façon un avocat du capitalisme.

Si un cinéaste ou un romancier avait imaginé il y a quelques mois une fiction où un ministre du budget, étant en même temps trésorier du parti de droite majoritaire au parlement, allait chercher depuis des années, y compris en Suisse, des sommes conséquentes auprès de la première fortune du CAC 40 pour alimenter la caisse de campagne du candidat à la présidence qui a été élu, les critiques les mieux intentionnés auraient peut-être trouvé ce scénario excessivement caricatural. Surtout s’il avait ajouté que le même ministre avait placé sa femme dans l’affaire l’Oréal et avait arrangé les affaires fiscales de Mme Bettencourt de façon très avantageuse.

La réalité caricaturale de cette affaire est apparue d’autant plus éclatante quand on a appris que Sarkozy, lui-même li&eac