(Mteq CO2)
Système communautaire d’échange de quotas
Divers
Sous-total
MDP
MOC
Autres
Sous-total
TOTAL
Mteq CO2 = Million de tonnes équivalentes de CO2 M us $ = Million de $ US
A notre avis, et sans parler de la confusion générée par l’approche marchande des permis d’émissions, la lecture de ce tableau montre toute la dimension de l’échec actuel et à venir de la politique des permis d’émission si l’on se place du point de vue du réchauffement climatique.
Mettons en relation les données du tableau ci-dessus avec les données fournies par le Groupe d’experts internationaux sur l’évolution du climat: GIEC [13]. Selon ce dernier, la production mondiale de GES en 2004, au seuil de la phase d’essai du protocole de Kyoto (avec un assez grand nombre de signataires, mais en réalité les plus importants sont quelques grands pays européens), s’élevait à 49 Gigatonnes équivalents CO2 et 39,4 Gt en 1990, année de référence.
Si nous sommes naïfs et de bonne foi, alors chaque permis échangé devrait donc correspondre à une diminution de GES comme le voudrait le protocole. Cumulons maintenant les années 2006 et 2007: en considérant 2005 comme année de tâtonnement avec un effet de réduction nul, on obtient (dernière ligne du tableau) 4,728 Gigatonnes (sur 49 Gt), soit une réduction théorique qui pourrait être, en gros, de l’ordre de 10% par rapport à 2004. Or, du point de vue pratique, il n’en est évidemment rien et c’est l’aspect purement spéculatif qui prime à hauteur de 64 milliards.
En conséquence, la croissance des émissions au niveau mondial est toujours soutenue, suivant ainsi la spéculation sur les permis, au point qu’un nombre croissant de scientifiques s’en alarment. Mais pour nos financiers «tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible». Ainsi, dans son magazine «Fonds de placement», dans son article «Le CO2, un eldorado pour les places boursières européennes ?», l’Agefi affirme qu’: «en Europe, par exemple, la mise en place des crédits CO2 a permis de contenir la hausse des émissions à 0,8 % entre 2005 et 2006 contre 4 à 7% si le système n’avait pas été mis en place» [14]. Si l’on croit à ce 0,8%, alors on ne peut que rester perplexe face au rendement dérisoire du procédé mobilisant environ 4,7 Gt équiv. de CO2 en permis d’émissions (environ 10% de la production mondiale !) et 64 milliards de dollars. De plus, avancer un chiffre de 0,8% sur des données connues qui ont des risques d’erreurs pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de pour-cents sur l’inventaire des GES, relève pour le moins de l’inconscience. De plus, ce 0,8% est avancé sur des données strictement confidentielles qui ne seront accessibles qu’en 2012 !
Les tenants d’une «régulation par les mécanismes du marché» affirment volontiers que ce «mécanisme» représente le moyen optimal pour allocation la plus efficace des richesses et des ressources. Même considérés sous cet angle, les divers mécanismes de marché mis en place par le protocole de Kyoto nous laissent songeurs.
En effet, nous avons mentionné précédemment les projets MDP destinés aux pays en développement. Des projets qui permettent, au nom d’arguments à prétentions écologiques (mécanismes de développement propre !) censés lutter contre le réchauffement climatique, de financer le développement technologique dans les pays capitalistes avancés, tout en continuant à produire du CO2 en Europe à moindre coût. L’affaire, vue sous l’angle de la production de GES, n’est pas insignifiante, car si nous regardons sur le tableau ci-dessus les valeurs pour 2007, les projets MDP représentent le 37% de la valeur quantitative du volume (2007) des échanges de permis d’émission proprement communautaires des GES et représentent pratiquement 20% des émissions de GES de l’UE15 s’élevant entre 4100 et 4200 millions de tonnes par année (cf Graphique ci-dessus).
Il faut souligner de plus que les émissions diminuées ou évitées du MDP laissent une large interprétation quantitative des GES. Une «interprétation» liée à «la méthode de fixation des cours du carbone, la transparence du marché, la difficulté d’obtenir des informations, le fort risque de «délit d’initié» sur un marché plutôt opaque apparaissent comme autant de menaces sur le bon fonctionnement du système. Dans un rapport récemment publié par la convention des Nations-Unies chargée de contrôler la mise en œuvre du protocole de Kyoto, il est même avancé qu’un cinquième des crédits carbone alloués «seraient issus d’une procédure douteuse». En effet, selon l’auteur du rapport un cinquième des projets de «développement propre» financés dans les pays du sud ne sont pas crédibles. Au total, ce serait 20% du nombre total de crédits carbone et 33% des projets indiens et chinois qui seraient issus d’une procédure douteuse !» [15].
En attendant: une conclusion
Nous n’avons présenté ici qu’une partie des problèmes «d’efficacité» que pose la marchandisation des GES. L’angle proposé ici est celui d’une interrogation à partir des sciences de l’ingénieur: que mesure-t-on et pour quel résultat ?
Certes, le réchauffement climatique est déterminé par les lois de la thermodynamique, mais il faut que quelque chose fasse bouillir la marmite et ce «quelque chose» n’est pas d’origine simplement anthropique comme d’aucuns voudraient nous le faire croire. En effet, parler aujourd’hui de l’origine anthropique du réchauffement climatique est une évidence creuse qui ne poursuit qu’un seul but: rendre chaque individu responsable de ce phénomène en le naturalisant. Le réchauffement climatique serait ainsi une conséquence naturelle de l’activité humaine, le résultat d’une simple somme d’individus, en «trop grand nombre» pour certains.
Or, les constats raisonnés exposés ci-dessus montrent que les décisions sont prises par une minorité, détentrice de la propriété concentrée des «moyens de production» au sens large, du pouvoir qui en découle et selon ses intérêts socio-économique ; même si dans le discours et certaines initiatives des élites transparaissent des «inquiétudes» effective sur «l’avenir de la planète». Les résultats «misérables» sont, de fait, en adéquation avec les rapports sociaux qui déterminent la mise en place de ces mécanismes.
Et de plus, nombre d’aspects essentiels touchant l’ensemble de la collectivité humaine sont confidentiels et donc inaccessibles «à la somme des individus tous responsables».
En acceptant le postulat de départ de la «nécessaire responsabilité individuelle de tous», comment un individu peut-il être ou devenir responsable, lorsqu’il est mis devant cette machinerie…qui lui échappe.
La croyance quasi religieuse – qui renvoie à des éléments fondamentaux du fonctionnement des rapports de reproduction du capital – dans les «mécanismes du marché» conduit à ce que l’on pourrait qualifier d absurdités. Conséquence: un retard dans l’instauration d’une politique active de lutte contre ce réchauffement qui entraîne des conséquences catastrophiques, pour certaines clairement irréversibles sur une échelle de plusieurs générations au moins, et pour d’autres irréversibles à tout jamais.
Outre ce que nous avons ébauché ci-dessus, l’un des aspects assez frappant montrant la difficulté de marchandiser les permis d’émissions de GES réside dans le fait que ces permis attribués gratuitement sont des actifs, c’est-à-dire des papiers-valeurs, qui n’ont aucune contrepartie au passif d’un bilan, ce qui est une hérésie comptable. Du point de vue climatique, ces permis ne peuvent donc être que des permis de polluer.
Par ailleurs, un argument souvent avancé en faveur de ces permis d’émission est l’exemple des émissions de dioxyde de soufre (SO2) par les centrales électriques au charbon ou les autres grandes utilisations de celui-ci aux Etats-Unis. Ce programme, lancé en 1995 concernant 2’300 unités de production pour limiter les pluies acides provoquées par ce dioxyde, est souvent présenté comme un succès avec une réduction estimée à 50% environ. Plusieurs facteurs doivent tempérer ce succès. Premièrement, partis à 70 US$, ces permis ont rapidement atteint la cote de 300 US$ ce qui a contraint les industriels à investir directement dans les technologies de dépollution sans passer par les permis, deuxièmement, «la dérégulation des chemins de fer a permis d’acheminer à moindre coût du charbon à moindre teneur en soufre» [16].
L’autre aspect qui rend la notion de «réchauffement anthropique», détachée de toutes empreintes des rapports sociaux dominants dans le monde actuel, inacceptable c’est la mise entre parenthèses de «l’inégalité sociale» qui, face à ce phénomène, se matérialise par l’inégalité fondamentale existant entre ceux qui subissent un dommage et ceux qui le provoquent. Et ceux qui le provoquent sont précisément, selon la formule consacrée, les «décideurs». Or, ce sont eux qui gardent confidentiellement des données qui touchent l’ensemble de la collectivité et qui refusent et interdisent toute forme de décision collective au nom de l’intérêt de la propriété privée des moyens de production (c’est-à-dire de l’intérêt du «décideur»). Enfin, certains écologistes oublient le plus souvent que le consommateur n’est autre que le salarié qui travaille chez «le décideur».
Il reste à conduire une réflexion collective également sur le «comportement climatique» du consommateur-salarié des pays capitalistes avancés à partir des contraintes diverses qui s’exercent sur lui, de cette «discipline sociale» imposée par le règne de la marchandise.
Et cela ne dit rien des 500 millions de personnes de la vallée du Gange touchées par la fonte des glaciers. «L’Afrique, L’Asie Occidentale verraient leur production baisser de 25% à 35% pour 3° à 4°C de hausse de température moyenne, et la famine toucherait 500 millions d’individus de plus.» [17]. Une autre dimension que le dit anthropisme évacue, c’est donc les relations entre le Nord et le Sud.
Enfin, il importe que l’on débatte de la question climatique sur une base politique et sociale et non pas en mettant en avant de nouvelles technologiques et leurs marchés potentiel.
On entend périodiquement parler, par exemple, de la voiture à hydrogène «qui ne produit que de l’eau» ou de la voiture électrique qui ne crée aucun gaz à effet de serre pour atténuer le réchauffement climatique. A aucun moment, ces spots publicitaires ne nous indiquent combien faut-il de nouvelles centrales nucléaires comme énergie primaire pour alimenter ces nouveaux moteurs. Pour conclure, il est nécessaire de prendre acte de la position du GIEC dans son quatrième rapport, «Bilan 2007 des changements climatiques: Rapport de synthèses», «Résumé à l’intention des décideurs» (!) qui apporte l’élément de réflexion suivant: «Aucune technologie ne permettra, à elle seule, de réaliser tout le potentiel d’atténuation dans quelque secteur que ce soit» (page 15).
Il y a donc bien une partie du «potentiel d’atténuation» qui se trouve ailleurs que dans la science et la technologie. Cet «ailleurs» ne peut se situer que dans des décisions collectives prises sous des formes effectivement démocratiques, donc mettant en question les rapports de domination d’une minorité sur une majorité, rapports qui renvoient à un type de relations entre les exigences de reproduction d’un «système productif» (capitaliste) et «l’environnement» au sens le plus large.
1. Protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, Nations Unies, 1998 (Ce document se trouve facilement sur le site des Nations Unies).
2. Le marché du carbone au défit des réalités de la physique de l’atmosphère, les cahiers de GLOBAL CHANCE N° 24 mars 2008.
3. Les conséquences de la sous-estimation systématique du CH4 dans les politiques de lutte contre le changement climatique, Les cahiers de GLOBAL CHANCE N° 24 mars 2008.
4. Echanges de quotas en période d’essai du marché européen du CO2: ce que révèle le CITL, Etude Climat n° 13 juin 2008, Caisse de Dépots. (page 6)
5. Echanges de quotas en période d’essai du marché européen du CO2: ce que révèle le CITL, Etude Climat n° 13 juin 2008, Caisse de Dépots. (page 10)
6. Etude sur l'observation des gaz à effet de serre, with the support of The Nord-Pas de Calais Region http://www.fedarene.org/publications/Projects/GHG-Observatories/Chapitre1.htm, page 33.
7. Application de la directive quotas, Guide pratique, juillet 2005, MEDEF (page 11)
8. Echanges de quotas en période d’éssai du marché européen du CO2: ce que révèle le CITL, Etude Climat n° 13 juin 2008, Caisse de Dépots. (page 9)
9. Evaluation approfondie du plan français d’affectation de quotas de CO2 aux entreprises, Olivier Godard, Ecole Polytechnique, Laboratoire d’économétrie cahier n° 2005-017 juin 2005 (page 18), Pari
10. Emissions (notation key) by Geographic entity by Emissio unit by year by Emission source – IPCC sector, http://dataservice.eea.europa.eu/PivotApp/pivot.aspx?pivotid=455
11. Etat et tendances 2008 du marché du carbone, Résumé Karan Capoor et Philippe Ambrosi, World Bank Institute, mai 2008
12. Etat et tendances 2008 du marché du carbone, Résumé Karan Capoor et Philippe Ambrosi, World Bank Institute, mai 2008
13. Bilan 2007 des changements climatiques: Rapport de synthèse, GIEC IPCC
14. Agefi magazine, Marché du CO2: un pari gagnant ? Décembre 2007, page 53
15. Agefi magazine, Marché du CO2: un pari gagnant ? Décembre 2007, page 50
16. Pourquoi des marchés de permis de polluer ?, Regards économiques, numéro 21, avril 2004, Université Catholique de Louvain.
17. Le rapport Stern sur l’économie du changement climatique: de la controverse scientifique aux enjeux pour la décision publique et privée, Jean Charles Hourcade et Stéphane Hallegatte, Cired (Cnrs-Ehess-npc-Engrf) Equipe associée au Cirad et à Météo France, 2008
Pour en savoir un peu plus:
• «Global Chance est une association de scientifiques qui s’est donnée pour objectif de tirer parti de la prise de conscience des menaces qui pèsent sur l’environnement global (“global change”) pour promouvoir les chances d’un développement mondial équilibré.»http://www.global-chance.org/ Ce très bon site contient de très nombreux documents.
• Le climat, otage de la finance, Aurélien Bernier, Essai, Mille et une nuits 2008
(21 février 2009)
A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5