Débat

La crise mondiale: son coût

Laurent Carroué *

Née aux États-Unis à la fin de 2006, la crise dite «des subprimes» est devenue au premier semestre 2009 une crise systémique mondiale d’une ampleur historique tout à fait inédite.

On a en effet progressivement assisté en deux ans à un double phénomène de diffusion. Le premier est de nature sectorielle: cette crise initiale de la dette nord-américaine s’est progressivement transformée en une crise financière puis économique généralisée. Le second est de nature géographique: frappant de plein fouet la puissance états-unienne, elle s’est progressivement déployée dans l’espace mondial en touchant les grands pays développés, en particulier l’Europe occidentale et le Japon, avant d’atteindre les grands pays émergents (Chine, Brésil Russie, Inde) puis aujourd’hui l’ensemble de la planète.

Paradoxalement, les différentes autorités économiques et politiques ont mis du temps à en comprendre la vraie nature puisqu’il a fallu attendre le second semestre 2008 pour assister à des prémices de réponses multiformes et coordonnées devant l’effondrement des banques et la totale paralysie du système financier mondial. Encore aujourd’hui, on demeure frappé par la volonté d’en minimiser l’impact réel et les conséquences dramatiques, en particulier en Europe, pour des raisons à la fois politiques et idéologiques. Ainsi, de nombreux économistes, dirigeants politiques ou journalistes – en particulier en France, à Bruxelles ou à Francfort – cherchent de manière dérisoire à chaque frémissement de tel ou tel indice boursier, financier ou immobilier aux États-Unis ou ailleurs à nier une évidence: cette crise est très profonde et durable, car structurelle.

Nous ne sommes en fait qu’au début de la crise. Mais accepter de le reconnaître oblige en retour à repenser et refondre les bases mêmes du développement de l’économie mondiale de ces dernières décennies. Une question politique hautement sensible. Si dans la panique de l’automne 2008 il fallait à tout prix «sauver le capitalisme», aujourd’hui s’agit-il sans doute de faire le dos rond en attendant que l’orage passe en ne proposant que des mesures au total assez cosmétiques.

Quelles clés d’analyse géographiques et géopolitiques pouvons-nous proposer ?

Une ardoise d’au moins 55'800'000'000'000 $ pour les territoires

En prenant comme base les estimations de la Banque mondiale qui fixe le PIB mondial – c’est-à-dire la richesse créée en un an par l’économie mondiale – à 54’347 milliards de dollars en 2008, le coût de la crise — tel qu’il est possible de l’estimer en mai 2009 — se monte d’ores et déjà à 103% du PIB mondial. Le coût global de la fantastique destruction de richesses à laquelle nous assistons peut en effet être évalué a minima à 55'800'000'000’000 dollars, soit 55’800 milliards de dollars.

Pour arriver à cette estimation du coût, il convient d’abord de prendre en compte l’effondrement de la valeur du capital financier qui correspond à une destruction de capital équivalente à un grand conflit mondial. Trois facteurs jouent un rôle central.

• Premièrement, l’effondrement de la capitalisation boursière mondiale entre le pic de 2007 et son niveau du printemps 2009. Elle se monte à -31’463 milliards $, soit 58% PIB mondial.

• Deuxièmement, on doit y ajouter l’effondrement de la valeur des marchés immobiliers (États-Unis: -4’300 milliards $). Mais les données sur l’effondrement des prix en Europe occidentale, au Japon et dans les pays émergents étant indisponibles de manière synthétique, elles ne sont pas ici prises en compte, ce phénomène majeur étant donc largement sous-estimé. [une première estimation de l’INSEE a été publiée en cette fin juin concernant le patrimoine immobilier français, avec une baisse initiale de 3 à 4% - réd.]

• Ceci doit être enfin complété, troisièmement, par les pertes et dépréciations d’actifs des entreprises financières du monde. Elles sont évaluées en avril 2009 à 4054 milliards de dollars par le FMI dans son rapport sur la stabilité financière mondiale, dont 2712 milliards aux États-Unis, 1193 milliards en Europe occidentale et 149 milliards au Japon.

Mais de nombreuses bombes à retardement demeurent dans les économies développées: on estime à 3 ou 4000 milliards de dollars les actifs financiers pourris, créances douteuses ou titres invendables qui demeurent encore pour l’instant dans les actifs des banques et assurances. Ainsi, le Plan Geithner, du nom du Secrétaire au Trésor de Barack Obama, lancé le 23 mars 2009 prévoit un partenariat public/privé (PPP) devant permettre le rachat de 1000 milliards de dollars d’actifs douteux, financé à hauteur de 465 milliards de dollars par des fonds publics (93%) et seulement 35 milliards par des fonds privés qui vont pourtant tirer l’essentiel des avantages potentiels alors que l’essentiel des risques est pris en charge par l’État fédéral.

La situation demeure d’autant plus délétère que, par exemple, l’assouplissement des normes comptables prises le 2 avril 2009 sous la pression de Washington et de Wall Street par le Federal Accounting Standards Board – dénoncées comme un grave recul par Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie 2001, ou Nouriel Roubini (de RGE Monitor) – et de nombreuses manipulations comptables sèment encore le doute sur la réalité de l’assainissement du système financier alors que les banques déploient systématiquement une stratégie de minimisation des pertes et de gonflement artificiel de la valeur de leurs actifs.

Pour retrouver les ratios de solvabilité du milieu des années 1990, les institutions financières devraient encore lever 1700 milliards de dollars d’ici 2010/2011 pour se recapitaliser. Ces estimations sont d’ailleurs l’objet de batailles politiques acharnées. Alors que lors du Sommet du G7 de Washington les 25 et 26 avril 2009, les Ministres des finances et les gouverneurs des Banques centrales européennes protestent contre les évaluations jugées trop pessimistes du FMI, un rapport secret du BaFin allemand [autorité de surveillance des marchés en Allemagne] était rendu public le même week-end évaluant les actifs toxiques des seules banques allemandes... à 816 milliards d’euros, au grand dam du gouvernement de Berlin.

Lors des tests de solidité [stress tests] des 19 plus grandes banques américaines menées par la Réserve fédérale [banque centrale] et le Trésor des États-Unis et publiés début mai 2009, les dix principales banques américaines doivent se recapitaliser en urgence de 75 milliards de dollars – un montant largement revu à la baisse sous la pression de Wall Street, Bank of America passant ainsi d’un besoin vital de 50 à seulement 34 milliards de dollars, Citigroup de 35 à 5,5 ... – alors que selon les scénarios économiques proposés le total des pertes sur crédit pourrait atteindre entre 600 et 950 milliards de dollars entre la mi-2007 et 2010.

Ce premier volet doit être bien sûr complété, afin de disposer d’une vision de synthèse du coût total, par la prise en compte des nombreux plans gouvernementaux qui multiplient les injections de capital, les aides financières, les garanties publiques, les plans de relance ou de soutien à la consommation qui sont eux-mêmes évalués à 3 000 milliards de dollars, soit 5,3% PIB mondial.

Le FMI a estimé l’ensemble des interventions publiques en avril 2009 à 16’634 milliards de dollars... pour les seuls pays du G20, les vingt premières puissances économiques mondiales. On peut y rajouter les 1100 milliards de dollars d’investissements publics décidés lors du Sommet de Londres du G20, dont 750 milliards pour le FMI, 100 pour la Banque mondiale et 250 pour les aides et soutiens aux exportations.

Ces estimations – sérieuses et concordantes – ne prennent pas non plus en compte les pertes économiques, directes et indirectes, qui affectent les économies mondiales; elles sont donc très largement sous-estimées. Un recul de 4% du PIB mondial en 2009/ 2010 représente par exemple environ 2200 milliards de dollars.

Pour comprendre l’ampleur et les racines d’un tel cataclysme et réfléchir aux possibles sorties de crise, il convient de bien saisir le processus historique auquel nous assistons: l’effondrement du nouveau régime d’accumulation financière.

L’effondrement du nouveau régime d’accumulation financière

Apparu très progressivement à partir des années 1970, le nouveau régime d’accumulation financière est historiquement récent et caractérise pour l’essentiel la troisième phase de la mondialisation. La grande rupture intervient avec les réformes ultra-libérales promues lors de l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni en 1979 et de Ronald Reagan aux États-Unis en 1980. Pour des raisons idéologiques, politiques et géopolitiques, ces gouvernements vont totalement libérer les marchés financiers de toutes les règles, normes et institutions publiques qui assuraient le contrôle des mouvements de capitaux, des institutions et opérations depuis les années 1930 – en réponse justement à la fameuse crise de 1929 – ou l’immédiat après-guerre. Ce processus se retrouve décuplé dans les années 1990/2000 à la suite de l’effondrement de l’URSS et du bloc communiste. Il se diffuse en Europe occidentale – quelle que soit la couleur politique des gouvernements aux pouvoirs tant le consensus libéral est alors puissant – puis dans le reste du monde, comme en témoigne en décembre 2007 l’adoption par l’OMC {Organisation mondiale du Commerce) de l’accord sur les services financiers qui ouvre alors largement les Suds aux acteurs occidentaux.

Dans ce nouveau régime d’accumulation, on assiste au basculement des articulations entre sphères productives, péri-productives et de reproduction sociale. Alors que jusqu’ici les activités financières participaient fondamentalement au financement des activités économiques, on assiste à une totale inversion fonctionnelle: les activités économiques vont durablement être mobilisées afin de financer le déploiement croissant des activités financières, jusqu’à l’hypertrophie des années 2000, puis à l’overdose actuelle. En effet, tel le coucou faisant son nid, le capitalisme financier – banques, assurances, fonds de pension ou fonds spéculatifs – se retrouve en position nodale dans une large partie des économies et sociétés contemporaines. Accaparant une part croissante des richesses créées, il impose ses normes d’organisation, ses critères de gestion et ses exigences de rentabilité maximale et à court terme.

Cette nouvelle économie-casino rentière, spéculative et de plus en plus instable, se construit sur une explosion des inégalités sociales, économiques et territoriales, et ce à toutes les échelles. Elle se traduit par le détricotage systématique des protections sociales, présentées comme archaïques ou obsolètes, par la mise en concurrence des salariats à des échelles spatiales et démographiques historiquement inconnues jusqu’ici et par le blocage des revenus réels salariaux. En retour, le système financier va de plus en plus inciter les couches moyennes des pays développés ou émergents à orienter leurs épargnes vers les produits financiers (voir en France: plans d’épargne en actions...) et à boursicoter; alors que les couches salariées inférieures vont être incitées à se surendetter pour accéder à la propriété individuelle ou maintenir leur niveau de consommation (voir la montée du surendettement aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France).

Entre 1971 et 2008, la finance mondiale a pourtant connu 24 crises, en moyenne une tous les dix huit mois. Mais aucune nouvelle mesure de régulation minimale ne sera prise par les différentes autorités. Jusqu’en 2008/2009, les rares observateurs s’inquiétant d’une possible crise systémique passent pour des zozos. Cette coupable cécité s’explique à la fois par des raisons idéologiques et politiques et surtout par l’énormité des intérêts en jeu.

En effet, le drainage croissant des richesses créées par les territoires et sociétés du monde va se traduire par une immense dilatation du stock de capital et une explosion des flux financiers. La Banque des règlements internationaux de Bâle (BRI, dont le siège est à Bâle) évalue en 2005 ce stock à 242’765 milliards de dollars, soit 5,5 fois le PIB mondial. Avec le recul, les chiffres eux-mêmes donnent le tournis comme l’indique la dynamique des différents compartiments constituant le système financier entre 1990 et 2007.

La capitalisation boursière mondiale est multipliée par 6,8 pour atteindre 60’874 milliards de dollars, soit 174% du PIB mondial. Le marché des devises/ monnaies explose pour s’élever à 34’855 milliards de dollars. Le marché obligataire (dettes) mondial est multiplié par 4,7 pour atteindre 15’155,8 milliards de dollars alors que le marché des matières premières est de plus en plus un champ de spéculation.

On voit aussi apparaître des innovations de plus en plus sophistiquées de produits financiers complexes, car titrisés, comme les produits dérivés ultra-spéculatifs. En juin 2008, la BRI y estime le capital mobilisé à 20’353 milliards de dollars, soit 37,5% du PIB mondial, et les encours couverts par ces opérations à 683’725 milliards de dollars, soit onze fois le PIB mondial. On estime qu’en 2007, les produits alternatifs titrisés à haut risque représentaient l’équivalent de 14’000 milliards de dollars. On comprend mieux à ces chiffres la totale paralysie qui touche les marchés interbancaires et du crédit à partir de la mi-septembre 2008. Dans ces véritables «trous noirs» de la finance mondiale, les seuls CDS (Credit Default Swaps) sont évalués à 62’000 milliards de dollars, soit 4,5 fois le PIB des États-Unis. Si on quitte la BRI pour le FMI, celui-ci estime le stock de capital des principaux marchés financiers en avril 2009 à sept fois le PIB mondial.

Au total, on peut estimer que ce nouveau régime d’accumulation financière mobilise au profit quasi-unique des acteurs du système financier une richesse équivalente à sept à neuf fois le PIB mondial. C’est l’ensemble de ce dispositif qui entre en crise systémique et s’effondre sous nos yeux comme un château de cartes à partir de ses deux centres de gravité, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Les grands pays développés frappés de plein fouet par la plus grave récession depuis 1945

Il n’est donc pas étonnant dans ces conditions que cette énorme destruction de richesses se traduise par un véritable collapsus économique, social et territorial. Le monde est en effet confronté à sa plus grave récession depuis la Seconde Guerre mondiale.

La grande nouveauté réside cependant dans deux phénomènes. Premièrement, elle touche l’ensemble des économies mondiales – développées, émergentes et périphériques – du fait de la densité croissante des interdépendances tissées par la mondialisation depuis plusieurs décennies: ces six derniers mois, le commerce mondial s’effondre de 41% alors que la valeur des exportations étaient passée de 7 à 27% du PIB mondial entre 1960 et 2008. Deuxièmement, et contrairement à la crise de 1929, l’intervention publique est massive et relativement coordonnée, du moins entre les grandes puissances dominantes, empêchant ainsi un total effondrement du système financier et économique mondial à partir du second semestre 2008.

Les territoires et sociétés des pays développés basculent dans la tourmente comme l’illustrent la destruction en un an de 6 millions d’emplois aux États-Unis (-706’000 en février 2009, -663’000 en mars 2009), l’explosion du chômage en Europe (Espagne: 4 millions, soit 17,5% de la population active en avril 2009, France: 2,5 millions), l’effondrement de la production industrielle et des exportations et la multiplication des fermetures d’usines et plans de licenciements. A elle seule, la disparition des Big Three, les trois grands constructeurs automobiles nord-américains dont deux sont en faillite, menace plus de trois millions d’emplois aux États-Unis. Le 5 mai 2009, la Commission de Bruxelles s’attend à un chômage de 11,5% en 2010 dans la zone Euro, du jamais vu depuis 1945, et à la destruction de 8,5 millions d’emplois dans l’UE à 27 en 2009/2010.

Dans de nombreux pays, la crise sert de révélateur aux folies spéculatives immobilières ou financières des deux dernières décennies (Islande, Espagne, Irlande, Royaume-Uni, pays baltes, Europe de l’est...). Sans que grand monde y prenne garde, la dette de l’Europe centrale et orientale est aujourd’hui supérieure de 40% à celle de l’Amérique latine et constitue actuellement une vraie bombe à retardement au flanc de l’Europe. Les modèles sociaux et économiques ultra-financiarisés – tant vantés médiatiquement et vendus politiquement en France ces dernières années au nom de la modernité (privatisation des services publics, abandon d’une sécurité sociale basée sur une solidarité intergénérationnelle au profit des fonds de pension et de la financiarisation...) – s’effondrent.

En un an, en glissement annuel et à la date de mars 2009, la production manufacturière recule de 38,5% au Japon, de 18% en Espagne, de 14% en France et en Allemagne, de 12% aux États-Unis. Les mises en chantier de maisons nouvelles s’effondrent de 50 à 60% en Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, frappant de plein fouet le secteur des bâtiments-travaux publics. En un an, une centaine de plans sociaux annoncent la suppression de plus de 40’000 emplois en France, en particulier de la part de firmes transnationales étrangères qui redéploient massivement à l’échelle internationale leur appareil productif en accélérant les délocalisations des productions vers les pays à bas salaires. Alors que la consommation des ménages baisse sensiblement du fait de la hausse du chômage ou des incertitudes sur l’avenir qui pousse à la reconstitution d’une épargne de précaution, les investissements productifs des entreprises reculent de 22% en Allemagne ou de 12% au Japon et aux États-Unis. La baisse de la consommation et des investissements se traduit mécaniquement dans l’effondrement des exportations (Japon: -46%, R Uni, France et États-Unis: -22%, Allemagne: -20%). Les pays dans lesquels la contribution du commerce extérieur aux économies est la plus forte sont les premiers frappés (Allemagne, Pays-Bas, Japon, Corée du Sud...).

Des pans entiers des sociétés sont menacés avec, par exemple, les très graves difficultés des fonds de pension qui assurent l’essentiel des systèmes de retraite en Australie, au Canada, en Islande, aux Pays-Bas ou en Suisse. Leurs pertes aux États-Unis sont équivalentes à 22% du PNB et au Royaume Uni à 31%. Sur 25’000 milliards d’actifs financiers en 2008, l’OCDE estimait que ceux-ci avaient perdu rien que pour l’année 2008 environ 5’000 milliards de dollars. Fin avril 2009, une étude de la Société générale [banque française qui employait Jérôme Kerviel] estimait que les 350 plus grandes firmes d’Europe occidentale devraient augmenter leurs provisions de 700 milliards d’euros pour l’année 2009 afin de faire face à leurs engagements.

L’impact sociétal est considérable comme le montrent les États-Unis. Selon le Bureau of Labor Statistics, on y assiste en effet au dernier trimestre 2008 à une profonde rupture qualitative du marché du travail. Le solde de 1,615 million d’emplois perdus durant cette seule période par rapport à 2007 masque en effet un double phénomène. Les salariés entre 25 et 44 ans, forces vives de la nation, se retrouvent au cœur de la tourmente, puisqu’ils représentent 61% des 2,45 millions d’emplois perdus. A l’inverse, 925’000 travailleurs âgés se retrouvent dans l’obligation de retravailler à nouveau du fait, en particulier, de l’effondrement de leurs systèmes de retraites: ils sont 559’000 entre 55 et 64 ans, 191’000 entre 65 et 69 ans et 104’000 de plus de ... 75 ans.

Les Suds face aux rejeux de liens d’interdépendance asymétriques

Si les grands pays développés – puissances dominantes de ce troisième stade de la mondialisation – sont les premiers touchés, les Suds doivent faire face à un brutal choc tellurique qui se propage à une rapidité exceptionnelle vers les périphéries. Selon le Bureau International du Travail (BIT), 180 millions de travailleurs basculent dans la pauvreté en 2009, soit un retour de dix ans en arrière. Le FMI doit à nouveau intervenir face à l’effondrement de nombreux pays européens périphériques (Islande, Hongrie, Lettonie, Roumanie, Pologne), d’Europe de l’Est en transition (Ukraine, Biélorussie, Serbie) ou pays en développement (Géorgie, Arménie, Pakistan, Salvador, Seychelles, Sri Lanka, Zambie, Kenya, Mongolie, Mexique...). Quatre vecteurs jouent un rôle majeur dans la propagation de la crise dans les Suds:

• L’internationalisation des systèmes productifs agricoles, miniers et manufacturiers dans le cadre de la division internationale du travail se traduit par un effondrement des achats et commandes des grandes économies du nord. Des dizaines de millions d’emplois sont menacés dans l’électronique, l’automobile, le textile en Asie, tout particulièrement dans les NPI et en Chine, où 30 millions de mingongs [paysans et paysannes – réels ou selon la stratification administrative – venus chercher un travail dans des zones industrielles] perdent leurs emplois dans les provinces littorales, dans les industries maquila d’Amérique centrale [zone de traitement – de montage, d’assemblage, etc. – pour l’exportation, s’appuyant sur des bas salaires et une mise au travail brutale] ou dans la bordure du bassin méditerranéen (voir la Turquie).

• L’effondrement de 30 à 50% du prix des matières premières déstabilise les grands pays rentiers exportateurs comme la Russie ou les pays du Golfe et de l’Opep. Selon le FMI, l’effondrement du prix des matières premières se traduit en 2009/2010 par un recul de 20% du PNB au Tchad, de 15% en République du Congo et de 14% au Nigéria.

• Les transferts financiers des travailleurs migrants, souvent les premiers touchés par le chômage dans les grands pays développés, vont reculer selon le FMI de 36% en Afrique, 30% en Amérique latine et 25% en Asie.

• Enfin, on assiste aussi à la fois à la forte rétraction des flux de capitaux financiers plus ou moins spéculatifs placés dans les pays du Sud, aspirés par les énormes besoins des maisons-mères du Nord, et des investissements productifs (IDE) qui devraient être divisés par cinq en deux ans. Les rapatriements des capitaux des pays émergents, en particulier vers les bons du Trésor US [obligations d’Etat], sont de 200 à 300 millions de dollars par mois.

Montée de la dette et énorme socialisation des pertes: le contribuable paiera

Les énormes pertes des banques – sur leurs actifs financiers puis sur les crédits aux ménages et aux entreprises (mauvaises dettes, actifs toxiques) – ont été largement reprises soit par les États, soit par les Banques centrales au prix d’une explosion de leur endettement et de la base monétaire qui augmente, par exemple, de 85% aux États-Unis en un an. Les recapitalisations des banques par les États mobilisent 350 milliards de dollars aux États-Unis, 125 milliards d’euros dans la zone Euro et 37 milliards de livres au Royaume-Uni alors que les garanties publiques se montent à 4361 milliards de dollars, dont 32 % aux Etats-Unis, 57,5 % dans la zone Euro: 57,5% et 10,5 % au Royaume-Uni.

Ce processus se traduit par un gigantesque transfert des coûts directs et indirects de la crise et surtout des risques à court et moyen terme des acteurs privés aux puissances publiques et donc aux contribuables sans pour autant qu’un véritable débat public ne se soit véritablement engagé dans la majorité des pays concernés. Ce «déficit démocratique» est d’autant plus inquiétant qu’au total ce sont bien les citoyens et les contribuables qui devront payer l’addition d’ici cinq à dix ans. Devant la longue atonie de l’économie mondiale, les seules solutions à partir de 2011 ou 2012 vont être soit de réduire fortement les dépenses publiques et/ou d’augmenter fortement la pression fiscale présentée aux contribuables, salariés et épargnants.

Alors que la BCE (Banque centrale européenne) a vu son bilan tripler en 2008, la FED (Réserve fédérale) américaine voit son bilan monter de 940 à 2190 milliards de dollars entre le début de la crise et mai 2009. Il pourrait dépasser dans les mois qui viennent les 4000 milliards de dollars du fait des dernières annonces comme l’acquisition de 2500 milliards de dollars de créances titrisées financées par émission monétaire ou le rachat de 300 milliards de dollars de titres du Trésor afin de faire baisser les taux d’intérêt pour prévenir toute tendance déflationniste.

L’objectif de ces opérations est quadruple: • refinancer les banques et plus directem