Environnement Copenhague: un autre bilan Jean-Louis Marchetti Le sommet de Copenhague, n’a pas pris de décisions à la hauteur des dangers énoncés par les scientifiques du GIEC. Le climat de la planète n’a pas droit au même empressement que le système financier. Qui pouvait se faire la moindre illusion? Certains militants et responsables d’ONG, mais pas ceux qui avaient identifié les véritables responsables de la crise climatique. Le cadre de la conférence de Copenhague n’était certainement pas le cadre adéquat pour contraindre «les voleurs à rendre gorge» selon le mot d’ordre d’un hymne célèbre. Il serait pourtant faux de penser qu’il ne s’est rien passé à Copenhague. La mobilisation, jeune et massive, les forums, la manifestation internationale et tout ce qui est venu bousculer le ronron officiel, nous en reparlerons. Mais, il n’est pas non plus exact de parler uniformément «d’échec au sommet». Car «au sommet», tous les gouvernements n’avaient pas le même objectif et cette conférence a bel et bien été le théâtre d’une bataille diplomatique, dont l’issue en dit long sur les nouveaux rapports de force internationaux. Pour situer l’importance historique de cette confrontation sur l’avenir de la planète, le «Quotidien du Peuple», organe officiel du Parti Communiste Chinois, n’hésite pas à parler d’une revanche sur la conférence de Versailles, qui avait vu les vainqueurs de la première guerre mondiale se partager le monde. Mais les enjeux ont été obscurcis par les gesticulations auxquelles chaque gouvernement s’est livré en direction de sa propre opinion publique. Au fil des jours, le grand écart, entre les positions affichées et les objectifs réellement poursuivis, est devenu intenable au point de nécessiter, pour conclure la conférence, le recours aux négociations secrètes entre «vrais grands». Mais la bataille climatique ne s’est pas terminée là et il est préférable d’identifier les enjeux politiques et économiques afin que le mouvement social puisse s’orienter dans les combats écologiques à venir. Démystifier la politique européenne Les dirigeants de l’UE ont fait beaucoup d’effort pour paraître les meilleurs défenseurs du climat. La réalité est nettement moins brillante. Ils ont poursuivis deux objectifs. Obtenir la mise en place d’un marché mondial du carbone et se débarrasser du traité de Kyoto et de la «responsabilité partagée et différenciée» qui est au cœur de ce traité. Ils n’ont pas hésité à annoncer que le protocole de Kyoto prenait fin en 2012. En réalité, ce sont les engagements chiffrés pris par les pays «développés» qui courent jusqu’en 2012 et doivent au terme du traité être renouvelés fin janvier de cette année. En application de la «responsabilité différenciée» cette obligation ne repose que sur les pays «développés», regroupés dans l’annexe I du traité, dont bien sûr les pays de l’UE. Voilà la charge, même si elle reste assez symbolique, dont les dirigeants de l’UE ont voulu se débarrasser en dissolvant Kyoto dans un nouveau traité, qui aurait mis sur le même plan pays développés et pays émergents, devenus entre temps de redoutables concurrents. Ils ont essayés d’étendre le marché européen du carbone au niveau mondial et instaurer un mécanisme REDD qui sous prétexte de lutter contre la déforestation aurait fait peser un danger supplémentaire sur les forêts primaires et les terres agricoles. Déjà Londres, Paris, Francfort se disputaient la place de première bourse mondiale du carbone. Un traité à ces conditions aurait eu rapidement des conséquences catastrophiques. Mais au final, les dirigeants européens ont échoués à imposer leurs solutions, malgré les manœuvres de la présidence danoise et les gesticulations de Sarkozy sur la scène internationale. Au dernier quart d’heure la France et l’Angleterre n’ont pas hésité à battre le rappel de leurs clients africains. Toute cette agitation s’est révélée vaine. La politique européenne a sombré à Copenhague et il n’y a pas lieu de le regretter. Cette impuissance s’explique fondamentalement par le déclin économique; les entreprises européennes ne voient plus leur salut qu’en Asie. Mais s’y ajoute un facteur proprement politique qui tient aux institutions dont la bourgeoisie européenne s’est dotée. Le grand marché ouvert à la concurrence, sans gouvernement et sans légitimité populaire, ne pèse d’aucun poids sur la scène internationale. Basic C’est l’acronyme pour représenter la coalition du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Inde et de la Chine, les principales puissances émergentes qui après avoir torpillé le projet de l’UE préparé à huis clos par le Danemark, ont négocié directement avec Obama le compromis final, ratifié par 30 états et présenté à la conférence en plénière, sans débat, ni vote. Les objectifs de l’Inde et de la Chine ont toujours étaient clairs. Maintenir la contrainte des quotas de rejet sur les pays qui en sont historiquement les premiers responsables. Refuser tout contrôle international sur leur économie nationale. Ne rien accepter qui puisse porter atteinte à leur croissance économique, entre 6 et 8% en 2009. Ce qui ne signifie pas que ces états refusent de prendre en compte la crise climatique. Mais se situant résolument dans la perspective d’une augmentation de leur production et de leur consommation d’énergie, ils n’envisagent de contribuer à la limitation globale des rejets qu’en diminuant la part des énergies fossiles dans leur bilan énergétique. Bref en modernisant leur appareil de production, ce qui ne peut que contribuer à en faire des concurrents encore plus redoutables pour les vieux pays industriels. Ils ont réussi à faire peser leur nouvelle puissance économique, tout en restant liés au groupe des pays les plus pauvres. Au cours de la conférence, ils ont su se poser en porte-parole des pays en développement face à l’égoïsme des pays riches. Voilà la clé de leur succès. Mais s‘ils ont eu la capacité de faire échouer les projets des vieilles puissances impérialistes et de préserver leurs intérêts nationaux, ils n’avaient pas encore les moyens d’imposer leurs propres solutions à l’ensemble de la planète. D’où un compromis tardif et inachevé. Ils ont été rejoints dans cette voie par les USA, qui ont abandonné au dernier moment leurs alliés européens et japonais. Les USA n’ont pas signé le traité de Kyoto et aucune contrainte ne pèse sur eux. Comme les pays du groupe BASIC, ils sont fermement décidés à n’accepter aucune limitation de leur souveraineté. L’objectif d’Obama était des plus limité. Sauver la face en réintégrant sur la pointe des pieds la communauté internationale engagée dans la lutte contre la crise climatique. Une simple déclaration d’intention suffisait. Le plus important, pour lui, se jouera sur la scène intérieure. Le développement comme ligne de partage Il existe une bonne corrélation entre la prospérité d’une économie – mesurée en terme de PIB par tête – et ses émissions de CO2. Tant que l’utilisation des combustibles fossiles reste la principale source d’énergie, plus un pays est riche, plus il émet de gaz à effet de serre. Actuellement les principaux pays émetteurs sont dans l’ordre, la Chine, les Etats-Unis et l’Inde. Mais rapporté au nombre d’habitants on obtient un résultat bien différent: l'Inde émet 1,2 tonne par habitant et par an, la Chine 5,5 tonnes, alors que les Etats-Unis sont à 24 tonnes, l'Europe à 12 et la France à 8. Les pays africains sont en moyenne à 0,7. Or ces chiffres sont très représentatifs de la quantité d’énergie dont dispose chaque habitant de la planète. Ils sont aussi révélateurs de l’impasse dans laquelle s’engage l’humanité en suivant le mode de développement des pays impérialistes. Comme l’a dit au cours du sommet le premier ministre indien M. Singh: «Chacun de nous, rassemblés ici aujourd’hui, sait que les plus affectés par le changement climatique en sont les moins responsables». On pourrait ajouter que les responsables de la crise climatique sont ceux qui ont le plus à perdre au changement de mode de production indispensable pour la résoudre. On est là au cœur du problème, au sein de chaque pays et au niveau mondial. Aucune politique de limitation du gaspillage énergétique ne peut avoir de légitimité, tant que les plus riches ne sont pas contraints de modifier leur mode de vie, ce qui nécessite de s’en prendre à leurs privilèges et à leur pouvoir. Les bourgeoisies des pays émergents ne sont pas porteuses d’un modèle émancipateur étant elles-mêmes adossées à une montagne d’injustice et d’inégalité. Mais leur ascension fragilise une hiérarchie mondiale que nous n’avons aucune raison de défendre. Pour deux degrés de plus... Les recommandations formulées par les scientifiques du GIEC se sont toujours appuyées sur les mesures de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Le seul objectif scientifiquement valide pour enrayer le basculement climatique, c’est de revenir le plus rapidement possible au taux existant avant l’aire industrielle. Objectif popularisé par la campagne internationale «350» chiffre qui correspond à ce taux. Malheureusement, le débat s’est focalisé sur l’augmentation moyenne de température acceptable. Or une fois l’équilibre climatique bouleversé, nous n’avons aucune certitude scientifique sur ce qui va se produire et qui aura de toute façon des conséquences très différentes selon les régions du globe. Impossible dans ces conditions d’évaluer ce qui est acceptable et pour qui. C’est pourtant ce pas qui a été franchi à Copenhague. Dans la déclaration commune, les chefs d’état se résignent par avance à enregistrer une augmentation moyenne de la température du globe de deux degrés! Ce qui va se traduire par la disparition sous la mer de régions entières et notamment de petits états insulaires. En Afrique, cette augmentation moyenne peut se traduire par une augmentation de plus de trois degrés, ce qui ferait littéralement griller toute une partie du continent. Bref, ce sont des millions d’être humains dont l’existence vient d’être rayée d’un trait de plume par le tout nouveau prix Nobel de la paix et ses interlocuteurs. De l’ONU à l’OMC On ne peut marchander sur la crise climatique. Le seul objectif fondé scientifiquement, moralement acceptable et politiquement mobilisateur, c’est de revenir à la concentration de gaz à effet de serre proche de celle qui prévalait avant l’ère industrielle. Ce qui implique une planification sur le long terme pour accompagner la destruction naturelle des quantités accumulées. Aucun mécanisme de marché ne peut permettre d’atteindre cet objectif. Il ne pouvait même pas être envisagé au sommet de Copenhague. Les propositions concrètes, présentées dans le cadre de la mondialisation libérale, visent toutes à approfondir la marchandisation du monde qui est pourtant à la source de la crise écologique, économique et sociale. A l’inverse toute mesure écologique efficace implique une rupture avec la mondialisation capitaliste et ses institutions, OMC, FMI, BM... Il n’y a donc pas lieu de regretter que la conférence de Copenhague n’ait pas débouché sur des décisions contraignantes. Le sommet de Cochabamba Hugo Chavez et Évo Morales, appuyés plus discrètement par Cuba, sont les seuls à avoir refusé le compromis imposé et à s’être ouvertement battu sur une ligne alternative. Leur originalité ce n’est pas seulement d’avoir dénoncé le capitalisme ou l’impérialisme occidental. Plusieurs chefs d’état se sont livrés à cet exercice, dont le président iranien M. Ahmadinejad. Ils se sont distingués de tous les autres parce qu’ils se sont adressés à ceux qui étaient hors les murs, aux militants expulsés du Bella Center, à ceux qui manifestaient dans les rues de Copenhague et au delà à tous les peuples du monde. Non la solution à la crise climatique ne pouvait venir de l’intérieur du Bella Center. Elle ne peut venir que de la mobilisation des peuples, indépendamment des puissances financières et des intérêts étatiques qui régnaient en maître à Copenhague. C’est à ce niveau, pas moins, que peuvent être pris en compte les intérêts supérieurs de l’humanité et que doivent être conçues et appliquées les solutions à la crise qui n’est pas seulement climatique, mais qui est une crise globale du développement humain. Logiquement, Evo Morales appelle à réunir le premier sommet mondial des mouvements sociaux sur le changement climatique en avril 2010 à Cochabamba. Un début d’alternative pour les espoirs trahis à Copenhague. Cette initiative ouvre la voie à la constitution d’une alliance pour la planète qui unisse les travailleurs et travailleuses qui sont les principaux acteurs de la production industrielle moderne, les paysans qui nourrissent l’humanité et les peuples indigènes qui sont les gardiens de zones encore préservées de la planète essentielles à notre survie. C’est pour le moment la seule lueur d’espoir. Rendez-vous à Cochabamba! (Voir sur ce site la déclaration de convocation pour la Conférence de Cochabamba) (12 janvier 2010) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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