Chine Un modèle socio-économique contesté Lee Lin * Quel sera l’impact de la crise économique sur l’économie chinoise et sur la masse des travailleurs et des paysans chinois ? Quelles ont été, jusqu’à maintenant, les réponses du gouvernement ? Quels sont les nouveaux acteurs indépendants participant au débat et les éléments pouvant faire pression ? Quelle signification aura cette crise sur les développements politiques et économiques du pays ? Pour offrir une réponse à ces interrogations on doit comprendre comment la crise évolue et les nombreuses contradictions qui surgissent. L’économie du pays est ultra-dépendante des exportations et des investissements. En 2007, les investissements et les exportations ont participé, respectivement, à 40,9 % et à 19,7 % de la croissance du produit intérieur brut (PIB). Le déclin de l’économie des Etats-Unis et du niveau de sa consommation [les dépenses de consommation ont baissé de 3,8 % au troisième trimestre, en moyenne annuelle aux Etats-Unis] rend évident le caractère insoutenable de ce modèle de croissance. D’autant plus que le boom des investissements est sur un chemin descendant. Si le gouvernement chinois veut maintenir la croissance de l’économie à un niveau élevé, il devrait placer le curseur sur la consommation interne. En Chine, en 2007, la consommation des familles n’a participé qu’à hauteur de 35,5 % du PIB. Cela est dû essentiellement à deux raisons. La première réside dans l’inégalité des revenus qui atteint des niveaux extrêmement élevés (le coefficient de Gini – qui mesure l’inégalité de la distribution des revenus – se situe à 0,45 en Chine [1]). Beaucoup de travailleurs et de paysans pauvres ne gagnent pas assez pour consommer. Le second facteur a trait au démantèlement du système de welfare (sécurité sociale): y compris les personnes qui disposent de suffisamment d’argent sont contraintes à épargner afin d’assurer l’éducation des enfants et les dépenses de santé de la famille. Pour changer le modèle de croissance, le gouvernement chinois devrait s’opposer à l’inégalité des revenus, ce qui impliquerait de mettre un terme aux politiques néolibérales appliquées au cours des décennies passées. Par exemple, le gouvernement pourrait devoir nationaliser ou re-nationaliser quelques grandes entreprises privées ou privatisées, diriger des dépenses publiques en direction de la sécurité sociale et transférer des revenus en faveur des pauvres. Ce sont des choix ouvertement mis en avant par des économistes et des figures publiques de gauche ; options qui attirent l’attention des médias et de la société et qui suscitent un débat. Il n’est pas difficile de comprendre que certains y sont opposés, invoquant les problèmes liés au déficit budgétaire et au manque d’argent pour l’éducation, la santé et les retraites. Mais ces choix reçoivent l’appui de beaucoup de gens. Ces mesures doivent faire face à des défis sérieux. L’opposition la plus forte vient des groupes qui ont bénéficié de l’actuel modèle de croissance. Les capitalistes, soit nationaux, soit étrangers, s’opposeraient à une politique de nationalisation afin de défendre leur propriété, leur contrôle des moyens de production et la distribution du profit. Ceux qui se sont enrichis avec la privatisation de la santé, de l’école et du secteur de la construction immobilière feront tout pour défendre le «surplus» qu’ils s’approprient. La question la plus sérieuse réside dans le fait que les bénéficiaires de l’actuel modèle de croissance contrôlent la majeure partie des ressources politiques, économiques et culturelles et influent grandement sur l’élaboration et l’application des lois et de la politique. Les choix les plus récents du gouvernement reflètent l’affrontement entre ces groupes de pouvoir et les revendications de la majorité de la population. Les problèmes et les contradictions à l’œuvre au sein de la société chinoise suscitent de nombreux conflits, des protestations et des affrontements. Des paysans, des ouvriers, des chauffeurs de taxi sont à l’origine de milliers d’«incidents de masse», selon la formule officielle Des luttes dispersées et pas coordonnées qui n’ont obtenu que des succès partiels. Avec l’évolution des revendications et des formes de lutte, il est raisonnable de s’attendre à ce que l’organisation s’améliore. Le gouvernement chinois a annoncé un plan de relance de 4000 milliards de renminbi, afin d’empêcher un écroulement de la croissance. Plus de la moitié de cet argent sera investie dans de grands projets d’infrastructure, comme par le passé. Ces nouveaux projets vont accroître la richesse de nouvelles élites et enrichiront encore plus celles qui le sont déjà. Il est possible que le taux d’investissement augmente encore plus, mais cela ne pourra perdurer. Autrement dit, ce plan s’insère dans les lignes de force de l’ancien modèle. Le reste des sommes dégagées devra être dépensé dans les zones rurales, pour le système de santé, pour les retraites, pour le logement des plus pauvres, etc. Ce qui correspond aux revendications de la population. Toutefois, ces choix ne sont pas suffisamment marqués pour conduire à un changement du modèle dans le sens susmentionné. Afin d’effectuer les changements requis en faveur d’un modèle de croissance économique durable, les groupes d’intérêts désignés ci-dessus doivent être contrecarrés, si ce n’est battus, au plan politique. L’actuelle crise globale est le sous-produit d’une idéologie. Or, le modèle du «bon» capitalisme mis en avant par les néolibéraux des Etats-Unis s’est fracassé. Les «simples Chinois» ont beaucoup plus de doutes, aujourd’hui, sur le capitalisme. Parmi les générations les plus jeunes, ceux et celles qui commencent à s’interroger sur «l’économie de marché» sont toujours plus nombreux et ils se déplacent à gauche. On le voit lorsque l’on visite, sur la Toile, les forums dans lesquels les privatisations sont critiquées ouvertement, au même titre que la libéralisation-privatisation de l’éducation, du système de santé ou encore les opérations spéculatives immobilières, ainsi que la dégradation environnementale, etc. Plus la crise va s’exacerber, plus s’opère une jonction entre les intellectuels de gauche et les travailleurs. Un mouvement plus uni et plus organisé pourrait surgir, et cela représenterait un véritable tournant dans la situation politique de la Chine. (Traduction A l’Encontre) * Pseudonyme d’un enseignant chinois d’économie travaillant à l’Université de Pékin. 1. Ce coefficient mesure l’inégalité des revenus dans un pays. Le chiffre 0 représente une égalité parfaite (tous les revenus sont identiques) ; le chiffre 1 une inégalité totale (une seule personne reçoit tout le revenu et les autres rien). (24 décembre 2008) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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