Chili

Enseignants, étudiants
et travailleurs hospitaliers en lutte

Après les mobilisations lycéennes de mai et juin 2006, le climat social au Chili reprend des couleurs. La politique du gouvernement de la présidente social-libérale Michelle Bachelet fait montre de sa fidélité aux politiques néoconservatrices. Ainsi, malgré un solde budgétaire positif, lié entre autres à l’envolée des cours du cuivre, le gouvernement s’oppose – avec un déploiement démonstratif des forces policières, selon un «plan de sécurité» qui remonte à 1973, et la multiplication des perquisitions – aux revendications des lycéens, des étudiants, des professeurs, des travailleurs et travailleuses du secteur de la santé et des impôts. L’austérité budgétaire, dans une tradition monétariste, reste le credo du gouvernement. Les luttes actuelles manifestent une renaissance significative de la mobilisation sociale, après les longues années de dictature et la «transition» très contrôlée. (réd.)

Des milliers d'enseignants et d'étudiants chiliens ont manifesté le 4 octobre 2006 à Santiago du Chili et dans d'autres villes pour exiger des améliorations salariales et des réformes structurelles dans le secteur de l'éducation. En même temps, une grève des travailleurs hospitaliers a atteint le mardi 3 octobre sa troisième semaine. Tout cela traduit une augmentation des revendications sociales dans tout le pays. Le 12 septembre, les enseignants avaient déjà organisé une journée de grève.

Quelque 4000 enseignants et étudiants ont manifesté dans les rues de la capitale – à Santiago, où les manifestants se sont dirigés vers le Ministère de l’éducation, proche du palais présidentiel de la Moneda qui était encerclé par les Carabiniers de triste mémoire – alors qu'un nombre équivalent se mobilisait dans les villes de Valparaiso et de Concepcion, revendiquant notamment une augmentation salariale pour les enseignants et une dérogation de la Loi organique constitutionnelle de l'enseignement (LOCE) [1].

La marche à Santiago s'est déroulée dans le calme, mais il y a eu à la fin quelques incidents lorsque la police a tenté de disperser les étudiants, et qui ont débouché sur des escarmouches et l'arrestation d'une cinquantaine de personnes.

Selon Jorge Parvez, président du Collège des enseignants: «Il s'agit là d'un signal fort et pacifique montrant que l'iniquité sociale, produite par un système social fondamentalement injuste, ne peut pas continuer dans notre pays, pas plus que notre système d'éducation marchandisé. Il faut modifier cela.»

Différentes évaluations indiquent que la grève n'a été que partielle dans le pays: le Ministère de l'éducation estime à 24% le taux d'enseignants absents de leurs salles de cours, alors que le syndicat des enseignants a indiqué que la majorité des établissements municipalisés a répondu à l'appel. Selon le Collège des enseignants, quelque 80% du corps enseignant a participé à la mobilisation. Déjà, lors des luttes précédentes, le gouvernement a systématiquement minimisé la participation aux mobilisations.

Maria Jesus Sanhueza, porte-parole des étudiants du secondaire, a déclaré: «Nous voulons l’abrogation de la LOCE et le retour de l'éducation à l'Etat. Même si sur le plan économique il y a eu quelques pas en avant, nous étudiants sentons que les thématiques de fond, qui sont l'héritage du système d’éducation de la dictature militaire, n'ont pas été modifiées.» Le président de la Fédération des étudiants du Chili (FECH), Nicolas Grau, a affirmé: «Nous sommes le monde social qui est fatigué des luttes partielles et aujourd’hui ce monde dit au gouvernement: nous voulons un changement général dans l’éducation. L’idée de nous regrouper consiste à montrer que les secteurs sociaux de l’éducation continuent à être unis et peuvent influer sur le cours de la politique depuis la rue.»

Les étudiants ont organisé des mouvements massifs de protestation en mai et en juin 2006 sur la question du montant et du prix du transport scolaire, le tarif de l'examen pour accéder à l'université et la LOCE, promulguée l'avant-dernier jour de gouvernement de l'ex-président militaire, Augusto Pinochet, en 1990.

Ces mobilisations passées avaient entraîné, alors, la chute du Ministre de l'éducation et ont abouti à une réorganisation du gouvernement, entre autres dans le Ministère de l’intérieur. La répression avait, alors, symbolisé les éléments de continuité de «l’Etat fort».

Les fonctionnaires non médecins des hôpitaux groupés dans la Confédération de travailleurs de la santé (Confenats) ont déjà réussi à paralyser les institutions depuis 3 semaines, et ce dans un contexte de menaces de licenciements et de procédures sommaires de la part des autorités. Les travailleurs ont repoussé la dernière offre gouvernementale, qui, transformée en projet de loi, a été envoyée le lundi 25 septembre au Congrès national.

Au moment où le président de la Confenats, Roberto Alarcon, annonçait que la négociation allait désormais se déplacer au parlement, tout en maintenant une grève illimitée, il ajoutait toutefois: «Cette proposition n'est qu'une tromperie de la part du gouvernement, car dans la pratique elle ne comprend aucune augmentation de salaire.»

Des agents du Ministère de la santé ont reconnu qu'ils avaient dû engager du personnel en plus et demander l'aide des fonctionnaires des Forces armées et des volontaires de la Croix-Rouge pour pallier en partie le manque de personnel.

Le porte-parole du gouvernement a déclaré que le mouvement de protestation des travailleurs de la santé et celui des enseignants et des étudiants était «incompréhensible» ! «Nous avons une dette à l'égard des travailleurs de la santé, mais le projet envoyé lundi au Congrès est le meilleur qui ait été fait depuis de nombreuses années, je ne comprends pas pourquoi il a été si difficile de faire comprendre à la Confenats ce que nous offrons.»

En ce qui concerne les enseignants, il a ajouté qu'il était difficile de «comprendre que, lorsqu'on est à une table de négociations, une grève et une manifestation soient convoquées alors que nous n'avons pas encore le résultat de ces échanges, je ne comprends pas».

Des analystes et les médias chiliens estiment que l'imminence des débats sur la politique budgétaire de 2007 a accéléré le surgissement des revendications sociales.

Dans la coalition de centre gauche au gouvernement, les avis divergent sur l’arbitrage entre augmentation des dépenses sociales et utilisation de l'excédent budgétaire dans le sens d’une «épargne» et du service de la dette. En effet, ces dernières années, les revenus de l'Etat ont augmenté suite aux augmentations constantes du prix du cuivre à l’échelle internationale, le Chili étant le premier producteur mondial.

1. La Loi organique constitutionnelle d’enseignement (LOCE), qui donne une place privilégiée à l’enseignement privé, avec sa dimension sociale hypersélective, a été au centre des mobilisations étudiantes (les «pingouins») de juin 2006. En juillet, la social-démocrate Michelle Bachelet, pour calmer le jeu, avait annoncé à la télévision qu’elle proposerait une nouvelle loi. Cette dernière devait assurer «le droit de tout citoyen à une éducation de qualité» et «l’Etat serait un vrai garant de l’éducation publique et privée». Au même moment, M. Bachelet annonçait qu’elle ne ferait pas de concessions sur le transport scolaire gratuit. Une des porte-parole lycéennes, Karina Delfino, indiquait: «Nous estimons que, quand un lycéen est vulnérable, pauvre et ne peut se déplacer, l’Etat doit le prendre en charge, parce qu’il ne peut assister aux cours en raison d’un manque d’argent pour voyager.» Le ministre de l’Education, Martin Zilic, avait refusé cette revendication, car elle impliquait, selon lui, «des sommes astronomiques». Une belle illustration de la politique social-libérale du gouvernement Bachelet, tant admiré par Ségolène Royal en France.


A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5