Brésil
Le PT a perdu une métropole et une ville symbole
Charles-André Udry
Le deuxième tour des élections municipales se tenait ce 31 octobre au Brésil (voir sur ce site: «Avant le second tour des élections municipales», 25 octobre 2004).
Premier constat: le PT a perdu une métropole, São Paulo, où l'affrontement électoral municipal fonctionnait, partiellement, comme un test national. Marta Suplicy, ex-maire, a obtenu seulement 45 % des voix contre José Serra, le leader du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne) et ancien candidat battu par Lula lors des élections présidentielles, en 2002.
Un symbole... pâlit
Dans la ville du FSM (Forum social mondial) – Porto Alegre (1,4 million d'habitants) – la liste dite de Front populaire, à la tête de laquelle se trouvait Raul Pont, a réuni un peu moins de 46,68% des voix; Fogaça, le candidat de la droite: 53,32%. La différence est plus grande que celle attribuée par les sondages une semaine avant l'échéance. Le gouverneur de l'Etat de Rio Grande do Sul, Germano Rigotto, qui avait battu le candidat PT en 2002, appuyait Fogaça.
Porto Alegre est «aux mains du PT» depuis 16 ans. Son administration et «son parti» furent influencés par un courant du PT: Démocratie socialiste (DS), dont Raul Pont était le principal animateur.
L'expérience du "budget participatif", encore ces dernières années, a reçu des louanges – pour rester dans l'exotique – allant du PS français, en passant par la gauche plurielle genevoise (Alliance de gauche, Alternative), jusqu'aux défenseurs du «socialisme municipal» anglais. L'histoire n'enseigne pas. Toutefois, elle indique que lorsque la réflexion politique avoisine la ligne de flottaison, des «exemples dépaysants» peuvent être utilisés par quelques maîtres illusionnistes pour attribuer une autorité – dans leur pays – à des orientations plus que discutables. Le "budget participatif" a servi aussi à cela.
Raul Pont est un militant de longue date, dont l'honnêteté n'a jamais été mise en cause alors que la corruption empreint la politique brésilienne. Alors, face à cette déroute électorale et face à la politique de Lula deux questions surgissent. La première: quelle est la relation entre la défaite électorale de Raul Pont et du PT à Porto Alegre, d'un côté, et le discrédit de la politique du gouvernement Lula, de l'autre. Raul Pont, à diverses reprises, a reconnu que la politique du gouvernement Lula portait ombre à son combat électoral! Mais, il n'a jamais dénoncé cette politique.
Il faut aussi avoir à l'esprit que les ressources budgétaires de Porto Alegre dépendent fortement des choix budgétaires et fiscaux de l'Etat fédéral. Cette fois, il était difficile, pour justifier un budget participatif de plus en plus maigre (la part des dépenses «décidée» par les habitants est de plus en plus retreinte), d'en attribuer la responsabilité au gouvernement fédéral. A moins d'attaquer ses choix d'austérité budgétaire et son libéralisme sur le terrain des impôts. Or, nous l'avons vu, Raul Pont ne remettait pas en cause, sur le fond, cette politique. Dès lors, l'identification entre le PT de Raul Pont, la DS et le gouvernement a facilité la perte de prestige du PT de Porto Alegre. Cela s'est concrétisé au plan électoral.
Une seconde interrogation: le «budget participatif change-t-il la vie des gens?». Pas trop, ont répondu les électeurs et électrices.
Un fait doit être enregistré: la politique budgétaire décidée par l'Etat fédéral central a des répercussions directes sur les allocations attribuées aux entités subordonnées: les Etats et les municipalités. Le «budget participatif» est fonctionnel à une opération: se décharger des effets des responsabilités centrales de la politique des gouvernants (en termes de choix fiscaux pour le mobilier et l'immobilier) sur les entités «inférieures». Ce fédéralisme fiscal et budgétaire est bien connu en Suisse. Lorsqu'il se combine avec un «budget participatif», il permet d'introduire un semblant de coparticipation des citoyens et des citoyennes à la distribution... de la pauvreté. Et tout cela s'effectue sans que l'origine des ressources réduites mises à disposition et sur lesquelles «on décide» soit au centre du débat et de la mobilisation. Ainsi, ne sont pas mises question: la concentration de la richesse laissée intacte par Lula et la politique de «redistribution» très partielle de cette richesse que les impôts devraient assurer.
En 2002, le PT avait perdu l'Etat du Rio Grande do Sul (dont Porto Alegre est la capitale). Une des explications utilisées, alors, par la gauche du PT pour expliquer ce revers – dans un des rares Etats que le PT dirigeait – avait été la suivante: le PT s'était divisé entre gauche et droite, lors de la désignation du candidat au poste de gouverneur. Raul Pont avait perdu, lors des «primaires», internes au PT, face à l'actuel ministre de l'Education: Tarso Genro. Ce dernier avait perdu, lui, lors les élections au poste de gouverneur en 2002.
Or, pour ces élections municipales, l'unité du PT était complète. L'appui du gouvernement Lula fut sans faille, au plan financier, entre autres.
Il y a donc plus qu'un problème "tactique" dans cette déroute. S'y ajoutera le recyclage social d'un secteur du PT qui vivait de la municipalité depuis 16 ans.
São Paulo: le new-PT et le PSDB
En première du quotidien la Folha de S.Paolo, le titre est clair: «Serra est élu à São Paulo. Le PT perd dans les principales villes».
Après le décompte de 99% des urnes, José Serra – le «poulain de F.H. Cardoso – obtient 55% des votes valables. Lula, venu à Sao Paulo pour l'inauguration d'une grande oeuvre d'infrastructure (l'avenue Radial Leste) avait appelé très hardiment à voter pour Marta Suplicy. Lula dut d'ailleurs s'excuser pour cet appel trop direct d'un Président. Il se vit infliger une amende de 50'000 reals.
La défaite de Marta Suplicy a été attribuée par le patron du PT, José Genoino, au «rejet de Marta par la population»! Puis, il ajouta que les défaites de Porto Alegre et de São Paulo «étaient deux lourdes défaites», mais «que les gens apprennent avec les défaites et apprennent avec les victoires». Un commentaire qui vaut son pesant de cacahuètes venant de la part de celui qui, en 2002, se voulait le porteur d'une «victoire pour un vaste changement».
Le succès de Serra relance le débat sur les élections de 2006. Il remet à l'ordre du jour un thème que les milieux économiques discutent en sourdine: pour user le mouvement de masse et la partie du PT qui aurait encore quelques nostalgies passées, est-il préférable d'avoir deux mandats présidentiels avec Lula, ou un suffit-il?
La question prend une actualité plus concrète, car avec sa victoire à São Paulo, Serra se profile comme le candidat présidentiel crédible d'un système qui n'est pas encore celui d'une alternance PSDB-PT, mais qui pourrait en avoir les traits, demain, suivant les évolutions des anciens partis bourgeois.
Enfin, le personnel du macro appareil étatico-administratif de São Paulo devra chercher de nouveaux débouchés professionnels... donc en partie politiques. Des stratégies étonnantes risquent de se dessiner.
De Belém à Fortaleza
La sénatrice Ana Julia Carepa – seule sénatrice du courant Démoratie socialiste (DS), puisqu'Heloisa Helena a été expulsée du PT et se trouve à la direction du P-SOL: Parti du socialisme et de la liberté [1] – a été battue à Belèm, la capitale de l'Etat de Para, dans le Nord.
Elle a réuni le 41,72% des votes contre 58,28% pour Duciamo Cota du PTB (Parti travailliste brésilien). Belèm (1,4 million d'habitants) était dirigée par le PT depuis 8 ans. Ana Julia Carepa a voté au Sénat toutes les lois anti-ouvrières. Elle a fait venir pour la soutenir Jose Dirceu, le «ministre de la Maison Civile» (sorte de quasi premier ministre) de Lula; l'un des animateurs du tournant social-libéral du PT.
A Fortaleza, capitale du Ceara (Nord-Est), comptant 2,2 millions d'habitants, Luizianne Lins, aussi issue du courant de la DS, mais qui s'était opposé au premier tour au candidat soutenu par Lula, a largement remporté la victoire: 56,21% des votes contre 43,79% pour Moron Torgan du Parti du Front libéral.
Elle s'était présentée au premier contre la décision de l'appareil central du PT-gouvernemental qui soutenait un autre candidat (issu du PCdoB, Parti communiste du Brésil, d'origine maoïste; parti intégré au gouvernement). Au niveau national, ce fut la seule candidate pétiste soutenue explicitement par le P-SOL.
Dans une interview au quotidien Folha de Sao Paulo, elle affirme que sa victoire était celle «du PT historique qui défend les opprimés» et que son «seul point commun avec Marta Suplicy est la couleur des cheveux».
Dans ce Brésil où les médias valorisent énormément le «look» et où la politique est très personnalisée – comme de plus en plus dans tous les pays, pour la vider de son sens – Luizianne Lins faisait allusion, par cette formule, au fait que Marta et elle ont les cheveux blonds. Ce trait est encore plus caractéristique quand on est maire de la capitale d'un Etat du Nord-Est brésilien, comme le Ceara. Luizianne Lins a aussi déclaré qu'elle désirait, dans le futur, construire un front des maires PT du Nord-Est, afin d'intervenir plus fortement dans cette région déshéritée et frappée par la faim. (voir sur ce site l'article: «Histoire politique de la sécheresse dans le Nord-Est», 27 octobre 2004).
Pour l'heure, la façon dont Luizianne Lins – qui a reçu l'appui de Lula au second tour, mais n'a pas cherché à être «entourée» par des éléphants du PT gouvernemental lors du second tour des élections – va définir ses adhésions politiques futures reste du domaine de la spéculation.
Ces premières remarques sur les municipales seront suivies d'autres articles faisant le point sur la situation politique suite à ces élections «intermédiaires»: car, en 2006, il y aura les présidentielles et les élections à l'échelle des Etats.
1. Le P-SOL ne pouvait se présenter aux élections municipales, car il doit obtenir sa légalisation en réunissant 458'000 signatures. En outre, un parti ne peut se présenter aux élections que dans la mesure où il est légalisé six mois avant l'échéance électorale. Le P-SOL semble sur la bonne voie pour obtenir sa légalisation.