Vous tenez entre vos mains le premier numéro de La brèche, nouvelle série.
Nouvelle série? De 1969 à 1994, La brèche a incarné une certaine idée de l’engagement social et politique, à la fois indigné et raisonné, du côté des opprimé·e·s et des exploité·e·s de la planète. Elle a défendu la conviction que leur émancipation exige de rompre les chaînes du capitalisme et de l’appropriation privée des richesses. Et de lutter pour une société socialiste et démocratique, fondée sur la délibération des producteurs·trices associé·e·s ainsi que sur la maîtrise collective des principaux moyens de production.
L’engagement contre la guerre du Vietnam, le soutien au Printemps de Prague écrasé par les chars soviétiques, la solidarité avec les peuples luttant pour leur liberté, au Chili comme en Palestine ou au Nicaragua, la dénonciation de l’impérialisme suisse et de ses multinationales –Nestlé, UBS!– pillant des communautés humaines sur la planète entière, la revendication d’une solidarité de classe entre salarié·e·s suisses et immigré·e·s contre la xénophobie (de Schwarzenbach comme des bonzes syndicaux d’alors), les luttes des femmes pour le droit à l’avortement et pour l’égalité, les actions de masse pour bloquer l’aventure nucléaire, la dénonciation du poison de la paix du travail pour la capacité des salarié·e·s à défendre collectivement leurs droits, les retraites populaires contre l’escroquerie du 2e pilier, l’engagement pour des Etats-Unis socialistes d’Europe: voilà quelques-uns des combats menés par La brèche au cours de ces 25 ans.
La contre-révolution conservatrice qui s’est levée dans les années 80 –Thatcher, Reagan– a bouleversé la planète, et la Suisse avec. Le capital a appesanti sa domination. La concentration des richesses et du pouvoir a atteint des records. Les espoirs d’un monde meilleur ont été douchés. La chute du mur de Berlin a été l’acte final de la faillite des dictatures bureaucratiques qualifiées de «socialisme réellement existant»: il n’y aura pas de projet émancipateur sans un bilan du stalinisme et de ses avatars. De Mitterrand à Blair, les partis sociaux-démocrates ont franchi de nouveaux seuils dans leurs reniements: de réformistes sans réformes, ils sont devenus sociaux-libéraux, c’est-à-dire des agents des réformes… néo-libérales. Ainsi, en Suisse, ce sont eux qui ont démantelé les PTT et élevé l’âge de la retraite des femmes à 64 ans. Un verdict écrasant a été martelé sur nos têtes: un autre monde n’est pas possible.
Or, l’état des lieux de la domination mondialisée du capital amène au contraire à réactualiser le constat scandalisé et réfléchi d’il y a 35 ans: un autre monde est nécessaire. C’est la conviction des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui donnent une force croissante au mouvement altermondialiste. La chape de plomb avec laquelle les dominants voulaient étouffer l’espoir se fissure. Il faut élargir la brèche.
En 2000, 830 millions d’hommes, de femmes et d’enfants souffraient de malnutrition; 1,2 milliard n’avaient pas d’eau potable; au Mali ou au Niger un enfant sur 4 mourrait avant cinq ans. Le potentiel productif de l’humanité permettant de répondre aux besoins fondamentaux de l’humanité n’a jamais été aussi grand. Mais les inégalités creusées par l’appropriation privée des richesses sont abyssales. La fortune des 200 personnes les plus riches du monde dépassait, en 1998, les revenus des pays les plus pauvres abritant 41% de l’humanité. Un milliard de dollars permettrait de réduire de moitié le nombre des victimes du paludisme: le budget militaire des Etats-Unis dépasse les 400 milliards de dollars. S’il fallait un seul argument condamnant irrémédiablement le capitalisme, le voilà.
Mais le monde façonné par le capitalisme mondialisé, c’est aussi: la guerre en Irak d’un impérialisme conquérant qui légitime, dans le sillage, le racisme et la torture; le chômage de masse qui ronge les sociétés alors que ceux qui ont un travail sont sous une pression insupportable; la précarité et la pauvreté banalisées (850’000 pauvres en Suisse selon Caritas); le prolétariat surexploité des sans-papiers; le saccage des services publics, privatisés; le droit à la retraite remis en cause (l’escroquerie du 2e pilier a éclaté au grand jour); l’ordre patriarcal perpétué; l’appropriation privée repoussant ses limites, jusqu’au brevetage du vivant.
La brèche nouvelle série s’engagera dans les débats et les mobilisations sociales contestant ce système oppresseur. Elle le fera en tissant des liens avec celles et ceux qui, en Suisse et ailleurs, partagent ses options préférentielles pour une société socialiste et démocratique.
Mensuelle, La brèche est éditée par le Mouvement pour le socialisme (MPS). Le MPS s’est constitué il y deux ans en regroupant des militant·e·s actifs dans les trois régions linguistiques de la Suisse. La brèche reflétera aussi les combats du MPS traduisant, dans une activité politique et sociale à l’échelle nationale, leurs partis pris communs.