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Elections au Pérou
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Ollanta Humala, un Chavez numéro 2 ?

Les élections péruviennes du 9 avril confirment ce que les sondages prédisaient depuis des semaines: c’est le candidat de l’Union pour le Pérou, l’ex-colonel Ollanta Humala qui sort en tête dans la course à la présidence avec plus de 30 % des voix, devançant l’ancien président – de 1985 à 1990 – Alan Garcia Perez et Lourdes Flores, la «candidate des riches».

Parallèlement, l’Union pour le Pérou remporte 44 des 120 sièges du parlement, le Congrès de la République, contre 35 à l’APRA, l’Alliance populaire révolutionnaire américaine, de Garcia Perez et 19 à l’Union nationale de Lourdes Flores.

Un deuxième tour sera donc nécessaire pour l’élection du président: il aura lieu trente jours après la proclamation officielle des résultats du premier tour.

Dans ce pays de 28 millions d’habitants dont 54 % vivent officiellement dans la pauvreté et 24 % dans une «très grande pauvreté», les candidats de droite, Flores et Garcia Perez ont déjà donné le ton du second tour: ce sera, annoncent-ils, «une lutte des forces de la démocratie contre l’autoritarisme et la menace d’une dictature» (AFP, 13 avril). En somme, le même genre d’accusations portées par les habitants des beaux quartiers de Caracas contre Hugo Chavez.

Peu désireux d’en savoir plus et un brin condescendant, les médias européens se sont empressés de reprendre à leur compte cette version des enjeux. Soudainement émus par les violations des droits de l’homme perpétrées dans le cadre de la répression de la guérilla, ils ont en particulier répercuté les accusations portées par la droite péruvienne selon lesquelles Humala aurait, en tant que colonel, participé en première personne à la torture de militants du Sentier Lumineux.

Rares par contre sont ceux qui se sont penchés sur la signification de ce vote et sur les perspectives qu’il peut ouvrir au Pérou. C’est ce que nous faisons ici en publiant de larges extraits d’un texte de Tito Prado, dirigeant de l’organisation péruvienne La lucha continua, texte écrit quelques jours avant les élections, le 4 avril 2006. (Réd.)

Tito Prado

Même dans leurs pires cauchemars, le scénario actuel ne faisait pas partie des calculs électoraux des classes dominantes lorsque, il y a une année, elles ont ouvert ce processus électoral qui était censé réduire la crise chronique du gouvernement et du régime. Elles étaient convaincues de pouvoir contrôler ce processus électoral: c’est au contraire un phénomène complètement nouveau qui s’est produit et qui bouleverse tous les tableaux brossés précédemment […].

Ainsi, la polarisation est telle et les classes dominantes sont si désemparées par ce nouveau phénomène qu’elles ont dû recourir à l’un des leurs plus illustres personnages pour faire face à la volonté du peuple péruvien de réaliser un changement politique en profondeur. C’est en Europe, plus précisément en Espagne où il réside, qu’ils sont allés chercher [l’écrivain] Vargas-Llosa: ils ont essayé d’utiliser son prestige relatif pour poser les enjeux électoraux comme une alternative entre dictature et démocratie. Tous les groupes de pouvoir essaient de réduire les enjeux électoraux en ces termes, comme si cette démocratie qu’ils prétendent défendre assurait les droits démocratiques élémentaires, alors que ça saute aux yeux de tous que des droits tels que le droit au travail, à l’alimentation, à la santé et à l’éducation n’existent tout simplement pas pour une large partie de la population.

C’est pourquoi cette dernière ne s’identifie pas avec leurs valeurs ni avec leurs institutions: en ce moment, le Congrès, les forces armées et le pouvoir judiciaire ne récoltent respectivement que 4,7 et 8 % de consentement, alors que le gouvernement sortant se dit satisfait d’un taux de popularité de 14 %, ses scores précédents ayant atteint des planchers nettement inférieurs. Toutes les institutions de l’Etat sont amplement répudiées par la population et sont vues comme des antres de corruption et de conspiration contre le pays. De là découle le fait que la plupart des parlementaires sortants n’ont pas trouvé de place sur des listes électorales. Il en va de même avec les forces armées largement compromises dans la corruption et la privatisation des ressources du pays durant la dictature fujimoriste [1].

C’est donc une propagande qui tombe à plat et qui ne fait que montrer les liens étroits qui existent entre les principaux groupes économiques et politiques, les intellectuels qui parlent en leur nom et les grands intérêts internationaux représentés par le gouvernement Bush. Par tous les moyens, ils ont tenté d’éviter cette polarisation qu’alimente la candidature de Ollanta. Ils ont aussi essayé de se revendiquer de l’APRA pour mettre hors-jeu Ollanta, mais en vain, car le souvenir populaire du désastre que fut le gouvernement apriste durant les années 1980 [2] était trop fort. […]

De plus, la droite a pu faire très fort du fait qu’elle a monopolisé l’ensemble des moyens d’information en faveur de sa candidate Lourdes contre Ollanta. La mainmise a été jusqu’à la mise à l’écart de la TV du journaliste vedette Hildebrandt, un commentateur politique d’énorme prestige. Son éviction s’est faite au moment où il s’apprêtait à fournir les preuves du fait que les accusations portées contre Ollanta Humala de violation des droits humains durant la guerre contre le sendérisme étaient montées de toutes pièces. Qu’il s’agissait bien d’un montage, ce fut par ailleurs démontré par le fait que certains de ceux qui l’accusaient ont fait le voyage de la capitale pour dénoncer le fait que leurs déclarations [celles qui inculpaient Ollanta – N.D.L.R.] avaient été manipulées. […]

Conscience des masses et avancées anti-impérialistes

Comment tout cela a-t-il pu se produire ? La réponse est simple: elle est résumée par les résultats d’une enquête publiée en première page de tous les quotidiens nationaux. Selon celle-ci, 92 % des Péruviens réclament une rupture avec l’actuel modèle économique ; 70 % de la population refuse le TLC, le traité de libre commerce [avec les Etats-Unis – N.D.L.R.] que le gouvernement voudrait signer encore avant la fin de son actuel mandat et un pourcentage analogue se prononce pour la révision des contrats de stabilité juridique qui surprotègent les entreprises étrangères. Et 60 % de la population exige en outre la convocation d’une Assemblée constituante.

Les voilà, les questions au centre du débat. D’un côté on trouve Lourdes Flores et les différentes expressions des vieux partis traditionnels qui serrent les rangs autour du modèle néolibéral, qui acceptent la signature du TLC avec les USA, s’opposent à la convocation d’une Assemblée constituante […] et s’accrochent à la constitution de Fujimori de 1993, une constitution illégale et néolibérale.

C’est tout dire ! Ceux qui parlent de démocratie sont les mêmes qui s’opposent au droit élémentaire du peuple péruvien de réformer les institutions et le modèle économique, d’aller vers une Assemblée constituante qui est la forme la plus démocratique pour savoir ce que le peuple veut. Ceux qui accusent Ollanta de visées dictatoriales passent ainsi sous silence le fait qu’il est le seul de tous les candidats qui assume à son compte l’idée de la convocation d’une Assem­blée constituante et qui s’engage à accepter les recommandations de la Commission de Vérité en matière de violation des droits humains durant la guerre intérieure.

Voilà pourquoi d’importantes couches de la population se sont rangées derrière Ollanta: sa candidature est la seule qui offre un programme contre le néolibéralisme: c’est un programme nationaliste qui, bien qu’il ne compte pas toutes les mesures qui seraient nécessaires, en prend en compte certaines très importantes, dont celles mentionnées ci-dessus.

Des propositions surgies des luttes populaires

Ollanta remet en cause le modèle économique actuel dans la mesure où il envisage un contrôle de l’Etat sur les entreprises stratégiques: il annonce la «dé-privatisation» des ports, des aéroports et du pétrole. Il propose également la révision des contrats de «stabilité tributaire» qui permettent aux deux cents plus grandes multinationales présentes dans le pays de ne pas payer d’impôts. […] [Cette faveur] représente l’équivalent de trois milliards de dollars par an. Avec une telle somme on pourrait éviter les déficits et avoir suffisamment de ressources pour le financement des services sociaux et pour générer des emplois. Une mesure de ce type serait en soi déjà suffisante pour donner le signal de départ d’un vrai changement.

Ollanta prévoit également d’augmenter les redevances du secteur minier qui encaisse actuellement d’énormes profits grâce au renchérissement des produits miniers tandis que la population qui vit autour des gisements languit dans la misère et le sous-développement.

[…] De même, les thèmes du TLC et celui d’une Con­sti­tuante qui permette une représentation génuine du mouvement populaire en rupture avec le monopole de la «partitocratie» sont essentiels. Tout comme l’est la lutte contre la corruption et pour la réduction substantielle des rémunérations des hauts fonctionnaires du gouvernement et de l’Etat. Ollanta s’est aussi prononcé pour la révocabilité des mandats, en particulier de ceux des représentants au Congrès, un thème que les actuels députés ont à tout prix voulu éviter.

En matière agricole, il propose de mettre la priorité sur le marché intérieur de manière à ralentir les importations qui pourraient concurrencer la production nationale. Et en ce qui concerne la feuille de coca, il en propose la dépénalisation tout en attaquant la politique des USA sur ce terrain. Cela signifie prendre la défense de dizaines de milliers de familles acculées à cultiver la coca parce que leurs autres produits agricoles ne peuvent accéder aux marchés, concurrencés qu’ils sont par les produits importés à bas ou sans tarifs douaniers.

L’autre thème en discussion est celui de l’intégration latino-américaine à partir du constat que le nationalisme de ce siècle doit être dirigé contre les multinationales, les puissances de l’économie et qu’il ne peut se réduire à l’intérieur des frontières nationales, mais doit se réaliser dans un contexte latino-américain. C’est pourquoi l’unité et la collaboration s’imposent avec des régimes qui prennent des mesures du même type, comme celui de Chavez, d’Evo Morales ou de Fidel Castro.

Expression péruvienne d’un phénomène continental

[…] Ce phénomène, avec les caractéristiques particulières du Pérou, est l’expression nationale d’un phénomène continental qui a émergé au cours de cette dernière période. Il résulte d’une montée de la lutte des classes face au bilan désastreux de la politique néolibérale appliquée au cours des vingt dernières années et qui a comme expression la mieux définie le processus bolivarien en cours au Venezuela. La faiblesse et la bêtise des forces traditionnelles de l’extrême gauche ont laissé la place à l’émergence des phénomènes politico-sociaux que sont Chavez, Evo Morales. […] C’est dans ce contexte latino-américain que sont à situer l’apparition et la force acquise par Humala, alimentée par les sentiments nationalistes et anti-impérialistes des masses que les vieilles organisations de la gauche péruvienne n’ont pas su capter et canaliser.

Dans le cas de Humala, c’est un processus qui s’est exprimé autour d’une figure militaire subalterne qui s’est fait connaître par une tentative de coup d’Etat contre la dictature fujimoriste. Autour de lui existe un front électoral de fait qui ne s’appuie pas sur des organisations populaires qui, en tant que telles, le composent et l’appuient.

C’est une différence, et pas des moindres, avec les processus en cours en Bolivie et au Venezuela, processus dans lesquels le peuple organisé joue un rôle déterminant. […]

1. Elu en 1990, Alberto Fujimori fit modifier en 1993 la Constitution dans un sens autoritaire pour pouvoir imposer, avec le soutien de l’armée, la privatisation des principales entreprises publiques et d’énormes facilités pour les investisseurs étrangers. Après sa fuite au Japon en 2000, il a été arrêté au Chili où il est détenu sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par la magistrature péruvienne, La liste dirigée par sa fille, Keiko Fujimori, «Avance pays !» a obtenu 15 sièges au Congrès lors des élections du 9 avril. N.D.L.R.

2. Durant la présidence d’Alan Garcia Perez entre 1985 et 1990 le taux d’inflation par exemple atteignit 14’760 % ! N.D.L.R.

Le PErou

Population:  
28 millions d’habitants en 2002 dont 37 % de métis.
Espérance de vie:  67,6 ans pour les hommes, 72,5 pour les femmes.
Taux de fécondité par femme:  3,04 enfants.
Pauvreté:  54 % de la population est officiellement pauvre, 24 % est «extrêmement pauvre».

Economie:
Principales ressources:  Cuivre, argent, or, pétrole, charbon et minerais de fer.
Principaux «partenaires» commerciaux:  USA, Chine et Japon.
Elections:   Le 9 avril étaient élus le président, les 120 membres du Congrès et les 5 représentants au Conseil andin.
Durée du mandat:  5 ans (renouvelable une seule fois pour le président)

 
         
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