«Le système Unia a montré ses limites»
Interwiew: Guy Zurkinden
Lors de notre première interview, le 15 février, le personnel était déterminé à continuer la grève face à l’intransigeance de la direction de Swissmetal. Huit jours plus tard, le 23 février, le personnel votait l’arrêt de la grève par 138 voix contre 63 – un vote confirmé la semaine suivante, le 28 février, par 142 voix contre 102. Pourtant la direction de Swissmetal n’avait accepté aucune des conditions (réintégration des cadres licenciés ; nomination d’un directeur pour le site ; fin du lock-out) posées par les salarié·e·s pour suspendre la grève. Quels sont les facteurs qui expliquent cette décision des travailleurs, après cinq semaines de grève ?
Luis – On a été mis devant le fait accompli, on nous a dit que soit on disait oui à la reprise du travail, soit on se retrouvait dans le désert : c’était la fin de la médiation, Bloch se retirait, et on se retrouvait sans rien. Nicolas [Wuillemin, le président de la commission du personnel] nous l’a expliqué, mais on voyait qu’il avait subi une pression énorme de Bloch et du syndicat Unia. Une chose a fait pencher la balance vers le oui à mon avis : la direction d’Unia, représentée à l’assemblée par Ambrosetti [coprésident d’Unia] et Daguet [membre du comité directeur d’Unia] nous a fait comprendre, de manière diplomatique, que si on continuait la grève, ils ne nous soutiendraient plus, qu’il fallait donc voter oui à la reprise du travail, que si le non l’emportait, ils ne seraient plus là pour nous soutenir. Beaucoup ont alors voté oui à contrecœur, par peur, par peur de ne pas toucher leur salaire à la fin du mois. Ils ont voté oui tout en sachant que les 21 cadres ne seraient pas réengagés.
La direction d’Unia a joué un rôle décisif dans la reprise du travail ?
Je pense que si Unia nous avait dit le 23 février qu’ils étaient d’accord de nous soutenir, c’est le non qui l’aurait emporté. D’ailleurs je crois que si le non l’avait emporté, Unia n’aurait pas pu revenir en arrière et nous lâcher, cela aurait été une trop mauvaise publicité pour eux, à l’échelle nationale. Je pense en fait que le système d’Unia a montré ses limites, au-delà desquelles il ne peut pas aller ; en fait, il faudrait casser ces restrictions qu’ils ont, pour créer quelque chose de nouveau.
Il faut préciser que quand je parle d’Unia, ici, je parle des « têtes pensantes », de ceux qui dirigent, les Ambrosetti et Daguet. Il y a une grande différence avec les permanents d’Unia sur le terrain, qui ne partagent pas du tout l’avis de ces dirigeants, et qui eux nous ont soutenus sur le terrain, qui étaient et sont toujours à 100 % avec nous.
Quelle aurait été, à ton avis et à celui des travailleurs qui ont voté pour continuer la grève, la stratégie à mener ?
Il fallait refuser que la direction nous roule dans la farine pour la troisième fois : il aurait fallu aller jusqu’au bout de la lutte, continuer la grève jusqu’à ce qu’un acheteur rachète la Boillat à un prix très bas, qu’un autre patron la reprenne. Il fallait faire plier la direction, pour que l’usine devienne indépendante du groupe Swissmetal.
Comment se passe la reprise du travail ?
Depuis la votation, les gens ont repris le travail, mais c’est la catastrophe : les cadres licenciés, qui étaient des gens compétents, ne sont plus là, et la direction de Swissmetal a mis à leur place des chefs de Dornach qui ne connaissent rien à la gestion de Reconvilier. Beaucoup de travailleurs sont à l’assurance, parce qu’ils ont « pété les plombs » à cause de la pression. Les collègues n’ont pas trop le moral depuis la reprise du travail : la motivation est très basse. L’ambiance ne peut pas être bonne, car tout le monde craint l’annonce de licenciements. Le point positif c’est que le personnel reste soudé, on a les conférences à l’usine 3, ça se passe bien. A part pour quelques-uns qui font du zèle pour garder leur place de travail, la solidarité est toujours là. De l’extérieur aussi, on garde beaucoup de soutien, les gens envoient de l’argent sur le CCP qu’on a ouvert auprès de la Commune de Reconvilier [dont les coordonnées figurent dans l’encadré ci-dessous, N.D.L.R.]. Je veux d’ailleurs remercier la population qui continue de nous soutenir.
Quelles sont vos perspectives aujourd’hui pour garder la Boillat et vos emplois ?
Maintenant, on est tous accroché à la médiation. Le prochain round aura lieu le 23 mars. On a l’espoir d’être racheté et de devenir indépendant du groupe : cela permettrait de faire revenir beaucoup de gens compétents qui sont partis avec leur savoir-faire à cause de l’actuelle direction. Notre objectif est que la Boillat soit rachetée le plus vite possible par quelqu’un d’autre.
Et si la médiation n’aboutit pas ?
S’il n’y a pas de solution de rachat qui sort de la médiation, ce ne sera pas possible de travailler sans les 21 cadres, et la boîte coulera. Ce serait dans ce cas difficile de relancer une grève : on en a déjà fait deux, en lancer une troisième, j’ai des doutes. Mais je ne dis ni oui ni non : simplement, ça prendrait du temps, il faudrait rediscuter avec tout le monde, retravailler avec les commissions du personnel, ce serait du boulot.
Lors de notre premier entretien, certains d’entre vous parlaient d’autogestion. Vous y pensez encore ?
Pour la majeure partie des gens, une autogestion comme des ouvriers en font dans certaines usines en Argentine, ça n’est pas encore dans leur mentalité pour le moment. Peut-être dans quelques années… ça demanderait une énorme énergie, un énorme soutien extérieur. Et tu peux pas être 20 ou 30 sur 300 à y croire, il faudrait être au moins 295. Mais on en parle avec certains copains…
Quel bilan intermédiaire fais-tu de la lutte que vous avez menée jusqu’à maintenant, de ses forces et faiblesses ?
Notre force, ça a été notre solidarité : la solidarité entre travailleurs, et celle qu’on a reçue du monde extérieur. Les faiblesses, c’est qu’on aurait dû étendre notre mouvement plus largement à d’autres cantons, dans toute la Suisse. On aurait dû aller dans tous les autres cantons de Suisse, pour mettre une pression maximale sur Hellweg : faire des conférences, expliquer notre lutte, rechercher le soutien le plus large. Ici on n’est pas à Zurich, on est dans la vallée du Jura. Pour avoir un maximum de pression, il aurait fallu organiser des manifestations dans toutes les grandes villes de Suisse.