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Vote du 25 septembre
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Poser les vraies questions Jean-François Marquis Libre circulation et mesures d'accompagnement: le patronat et le Conseil fédéral mettent carte sur table. Alors que ladite gauche s'emploie à brouiller les pistes. L'enjeu de la libre circulation des personnes, « est en dernier ressort le Standort Schweiz [c'est-à-dire la compétitivité de la place économique suisse, dans une approche néolibérale]. Nous devons faire en sorte que les entreprises qui sont déjà dans le pays, comme celles qui veulent venir en Suisse, aient les meilleures conditions possibles. Elles doivent pouvoir trouver et engager la main-d'œuvre dont elles ont besoin. » « Aujourd'hui, le marché du travail est plus rigide et moins flexible qu'avec les mesures d'accompagnement. Chaque contrat individuel concernant les nouveaux pays membres [de l'UE] doit jusqu'en 2011 être approuvé par les cantons. Le marché du travail sera donc libéralisé avec cet accord [sur l'extension de la libre circulation], même si cela n'est pas une libéralisation totale. » La première déclaration est du Conseiller fédéral Joseph Deiss (Finanz und Wirtschaft, 25 juin 2005). La seconde du président de l'Union patronale suisse, Rudolf Stämpfli (allocution lors de la journée annuelle des patrons, 17 juin 2005). La votation du 25 septembre approche. A gauche, les chantres du Oui n'économisent pas les envolées sur la libre circulation « droit fondamental de la personne humaine ». Deiss et Stämpfli invitent à remettre les pieds sur terre. Le patronat et le Conseil fédéral veulent la libre circulation parce que c'est un instrument de flexibilisation du marché du travail. Point à la ligne. Un débat sérieux à propos des enjeux de la votation du 25 septembre doit partir de là. Trois questions en découlent: L'arroseur arrosé Vasco Pedrina, coprésident d'Unia, sonne la charge contre les partisans du NON le 25 septembre dans L'événement syndical du 22 juin 2005: « Selon le MPS [Mouvement pour le socialisme], il faudrait d'abord introduire la société socialiste, ensuite seulement le feu vert à la libre circulation serait possible. En attendant des lendemains qui chantent, le résultat pratique de ce discours […] c'est un alignement choquant sur le discours nationaliste et chauvin de l'UDC. » Le coprésident d'Unia souffre de troubles de mémoire. Le 6 février 2004, dans le bimensuel work, il présentait les mesures d'accompagnement revendiquées par l'USS et poursuivait: « Cela [lier l'acceptation de l'extension de la libre circulation à des mesures d'accompagnement] n'a rien à voir avec la xénophobie. Au contraire: une législation sociale, qui protège tous·tes les travailleurs·euses, est un bon moyen de lutter contre la xénophobie. C'est pour cela que luttent les syndicats de manière solidaire, avec toutes et tous [les salarié·e·s], indépendamment de leurs origines. Si nécessaire avec un référendum. » « Notre référendum [contre l'extension du traité de libre circulation] est une affaire décidée », tonnait Pedrina, toujours dans work (22 octobre 2004), si de nouvelles mesures d'accompagnement ne sont pas votées par le Parlement et leur application renforcée. « Il va de soi que sans une CN [convention collective de travail] solide, qui les protège du dumping salarial et social, les travailleurs de la construction ne voteront pas pour l'extension de la libre circulation des personnes en septembre prochain », proclamait, enfin, un communiqué de presse d'Unia publié le 14 avril 2005. Ces citations permettent quelques constats: 1. Le comité référendaire contre le dumping salarial et social ainsi que le MPS ont proposé quatre mesures concrètes pour des mesures d'accompagnement dignes de ce nom (cf. p. 4) Elles sont toutes reprises de revendications formulées par l'Union syndicale suisse (USS). A notre connaissance, « introduire une société socialiste » ne fait plus partie des objectifs de l'USS, depuis quelque temps. 2. Vasco Pedrina réfute en février 2004 l'argument que lutter pour de vraies mesures d'accompagnement, si nécessaire au moyen d'un référendum, reviendrait inévitablement à jeter de l'huile sur le feu de la xénophobie. « Au contraire, une législation sociale, qui protège tous·tes les travailleurs·euses, est un bon moyen de lutter contre la xénophobie. ». C'est notre conviction. Et ce n'est pas parce que Pedrina a, publiquement, changé d'avis sur l'opportunité d'un référendum que cet argument cesse d'être pertinent. 3. D'autant plus que, « pour la première fois depuis longtemps sur une question clé, l'UDC n'est pas unie au sujet de la libre circulation » (NZZ, 25 juin 2005). Un tiers des parlementaires nationaux UDC, emmenés par l'industriel Peter Spuhler, se sont prononcés pour le OUI. Rita Fuhrer, conseillère d'Etat zurichoise UDC, étroitement associée à Blocher, fait campagne dans le même sens (Sonntagszeitung, 2 juillet 2005). Elle est une partisane déterminée de mesures d'accompagnement light – elle freine des quatre fers leur application dans le canton de Zurich – et d'une politique hyper-répressive à l'égard des requérants d'asile et des sans papiers. Et last, but not least, Blocher lui-même assume l’entier de la campagne du Conseil Fédéral pour le OUI. Les secteurs clés de l'UDC placent ainsi au premier rang la flexibilisation du marché du travail qu'apportera un Oui le 25 septembre. C'est lors de la votation sur Schengen-Dublin du 5 juin qu'ils ont martelé leurs thématiques xénophobes et nationalistes. 4. L'argument de la xénophobie ne peut donc pas être un critère pour décider de la manière de se prononcer le 25 septembre. La question clé est celle des mesures d'accompagnement. Qu'apportent-elles pour renforcer les droits de l'ensemble des salarié·e·s ? Est-ce en rapport avec ce qu'on pouvait raisonnablement se fixer comme objectif ? « Ça marche », pour qui ? Le Syndicat interprofessionnel des travailleurs·euses (SIT) est à Genève un des fers de lance du OUI le 25 septembre. Dans l'édition de juin de SIT-info, il titre: « Ça marche, les mesures d'accompagnement ». La preuve ? La décision de la commission tripartite genevoise de déclarer de force obligatoire les salaires du contrat type pour le secteur de l'économie domestique. Interrogé par L'Hebdo (30 juin 2005), George Tissot, secrétaire du SIT, éclaire cette annonce triomphale (qu'il a rédigée !): « Il y aura toujours beaucoup d'abus dans ce secteur où l'employé sans-papiers loge parfois chez son employeur et en est très dépendant. Et tant qu'il ne vient pas se plaindre, nous ne pouvons pas faire grand-chose. » En clair, « ça marche » surtout pour les effets d'annonce… L'Observatoire sur la libre circulation des personnes (cf. encadré) constate dans son Rapport du 28 juin 2005 que les deux principales mesures d'accompagnement déjà en vigueur suites aux Bilatérales I – l'extension simplifiée des conventions collectives de travail (CCT) et la promulgation de contrats types fixant des salaires minimaux– n'ont encore jamais été utilisées par les commissions tripartites, à l'exception du cas genevois cité (p. 51). Qu'en conclure ? Qu'il n'y a pas de nécessité ? Trois chiffres répondent à ces questions. 1) En 2003, seuls 36,7 % des salarié·e·s (1,4 million) étaient couverts par une CCT. 2) La même année, 9,4 % bénéficiaient d'une CCT étendue [1]. 3) En 2004, seules 20 des 46 principales CCT, touchant 9,4 % des salarié·e·s, ont été le cadre de négociations sur les salaires minimaux et les salaires effectifs [2]. En clair: les besoins d'étendre des CCT et de généraliser des salaires minimaux de branche sont énormes. Mais les mesures d'accompagnement votées par le Parlement ne permettent pas d'y répondre. Elles laissent beaucoup trop d'échappatoires au patronat et aux autorités. Or, l'extension des CCT et la promulgation de contrats types avec salaires minimaux sont censées être les points forts des mesures d'accompagnement. Qui ne contiennent rien sur la question de la protection contre les licenciements des représentant·e·s du personnel – une mesure essentielle pour permettre la dénonciation des abus (cf. p. 4). Le bilan est donc simple: les actuelles mesures d'accompagnement, ça ne marche pas pour les salarié·e·s. Prêts pour un plan B « Aux avocats d'une libéralisation sans limite du marché du travail, nous disons que sans l'accord des syndicats et de leur base, cette votation ne pourra jamais être gagnée. » C'est Rudolf Stämpfli qui parle. Il n'est pas le premier grand patron à s'exprimer ainsi. 1. Le scénario catastrophe annoncé en cas de NON le 25 septembre ne tient pas la route. Pour être actionnée, la « clause guillotine » exige l'unanimité des 25. Les intérêts réciproques sont trop importants: personne n'y croit (24 heures, 14 juin 2005). 2. Un NON ne changera rien à la situation des ressortissants des 10 nouveaux pays membres de l'Union européenne. Même en cas de Oui, le régime actuel reste en vigueur jusqu'en 2011. 3. Le rôle clé des syndicats et des salarié·e·s lors d'une votation sur ce sujet leur donne une occasion rare de négocier dans un meilleur rapport de force que d'habitude, face à un patronat qui tient absolument à ces accords bilatéraux. Et d'arracher un vrai renforcement des droits collectifs de l'ensemble des salarié·e·s. Nous avons fait quatre propositions concrètes. Indépendamment des prises de position en vue du 25 septembre, nous nous battrons alors avec toutes les forces prêtes à s'engager dans cette direction. Notes
De la poudre aux yeux Le 28 juin, Jean-Luc Nordmann (Seco), Peter Hasler (Union patronale suisse) et Serge Gaillard (USS) ont présenté un Rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes, composé de fonctionnaires du Secrétariat à l'économie, de l'Office fédéral des migrations et de l'Office fédéral de la statistique. Le but affiché: donner du crédit à l'argument que « la libre circulation des personnes n'a pas d'effets notables sur le chômage ou le niveau des salaires » (24 heures, 29 juin 2005). Ils avaient déjà réalisé cet exercice le 1er avril (cf. "Sainte alliance…autour d'une enquête de farce et attrape"). Ce rapport est composé de deux grandes parties. L'une porte sur les contrôles effectués: elle est censée démontrer que les abus sont très rares. Le rapport reprend simplement les données rendues publiques le 1er avril. Hans Baumann, secrétaire central d'Unia, avait eu ce commentaire à leur sujet dans L'événement syndical du 6 avril: « Les chiffres du Seco ne sont que de la poudre aux yeux. » L'autre apporte des données plus détaillées sur l'évolution des migrations. Deux éclairages: 1. « Compte tenu de la conjoncture générale [récession ou très faible croissance depuis fin 2001], la demande de main-d'œuvre étrangère a été relativement forte » (p. 3). « Les entreprises suisses ont relancé leurs anciennes campagnes de recrutement au Portugal » (p. 15). L'immigration la plus importante reste cependant celle en provenance de l'Allemagne. L'argument xénophobe de l'« invasion » est évidemment absurde. Mais le patronat déploie une politique active destinée à utiliser les avantages que lui offre ladite libre circulation. 2. L'augmentation de l'immigration en provenance de l'espace européen a été « contrebalancée par une diminution de l'immigration en provenance des pays classés « Etats tiers ». Ce rééquilibrage est conforme aux objectifs de la politique migratoire du Conseil fédéral. » (p. 3) En clair, grâce à la libre circulation, la politique des « deux cercles », avec un durcissement à l'encontre des « extra-Européens » et des requérants d'asile, fonctionne. Les autres piliers de cette politique sont la nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr) et la Loi sur l'asile (LAsi), que les Chambres sont en train de transformer en de véritables machines à discriminer et à exclure (cf. La brèche N° 11). Décidément, pour voir dans cette « libre circulation » une avancée d'un droit fondamental de la personne humaine, il ne faut pas être trop regardant. |
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