Non à la privatisation de l’eau
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Alain Gonthier La privatisation de l’eau se prépare, avec l’aide de… l’EPFL. Le combat pour un service public converge avec les luttes, dans les pays du Sud, pour le droit d’accès à l’eau. «Pour l’instant, la seule concurrence qui existe entre cantons et communes porte sur les impôts. Il faut introduire cette notion de concurrence ailleurs.» (Le Temps, 18.03.2005) A l’occasion du 10e anniversaire du «Livre blanc» (cf. pp.6-7), «Avenir Suisse», la «boîte à idée» du grand capital helvétique, relance sa campagne néolibérale et s’attaque notamment aux services publics en réseau. Château d’eau de l’Europe Les services de l’eau comportent une série d’obstacles à une privatisation rapide: domination des pouvoirs publics et morcellement du territoire, des réseaux et des institutions, sans parler de la charge symbolique du sujet. Il font pourtant partie de ces «services publics en réseau» visés, même s’ils ne sont pas en toute première ligne. Les ventes d’eau en Suisse ont atteint près de 1,4 milliard de francs en 2003, et l’épuration des eaux génère des chiffres d’affaires supérieurs. Dans le cadre d’une privatisation, ce marché pourrait non seulement croître par l’augmentation des prix imposés à une clientèle captive, mais par la vente de cette ressource à l’extérieur des frontières. Un chiffre fait certainement saliver les multinationales de l’eau: la Suisse détient 6% des ressources en eau d’Europe. Une étude qui tombe bien Par quelles voies les entreprises privées pourraient-elles pénétrer ce marché? Voilà une question qui mérite étude. Cela tombe bien, l’EPFL s’en charge! En effet, la «Chaire de management des industries de réseau – MIR» au sein du «Collège du management de la technologie» est partie prenante d’un projet européen dont le nom vaut programme: «Euromarket, projet de recherche sur les scénarios de libéralisation de l’eau» [1]. En tête des institutions partenaires de ce projet, touche de respectabilité et d’humanitaire oblige, on trouve l’UNESCO-IHE – Institute for Water Education… qui est financé par Suez SA, la plus importante multinationale de l’eau (cf. www.transnationale.org) ! C’est dans ce cadre que l’EPFL a produit une étude sur la Suisse – en anglais, comme il se doit: «Water Institutions and Management in Switzerland». Commençant par compiler les données de base les plus élémentaires sur la géographie et le système politique, recensant les forces et faiblesses des systèmes de fourniture et d’assainissement de l’eau, l’opinion de la population ainsi que les problèmes à venir, elle a tout du «guide à l’intention d’éventuels privatiseurs». Elle ne se prononce certes pas pour la libéralisation du secteur de l’eau. Mais le point fondamental, cohérent avec le cadre de l’étude européenne, est qu’elle considère l’eau comme un marché (le chapitre 4 est intitulé The water market in Switzerland). Alors que l’eau est un bien commun et l’accès à l’eau, un droit de l’homme. Suite à un article faisant une publicité probablement indésirée à cette étude [2] le professeur responsable de MIR, Matthias Finger, affirme que ce rapport est neutre, «ni en faveur ni contre la libéralisation» Selon lui: «L’ouverture du capital n’est vraiment pas à l’ordre du jour en Suisse». Trois jours plus tard cependant, le même Finger donne une interview au Temps. Il tombe le masque: «Les privés amènent une expertise que beaucoup de petites communes n’ont pas. Ils peuvent vraiment améliorer l’efficience et la qualité de l’eau. […]. Cela dit, il faut savoir que les collectivités publiques n’ont plus d’argent pour réhabiliter les infrastructures et devront faire appel au privé. De ce point de vue, la participation du secteur privé est plutôt inéluctable» [3]. Ces deux points sont tout sauf «scientifiquement établis»: Ceci pour l’immédiat. A plus long terme, se pose le problème d’une amélioration et consolidation du service public, au niveau national et international (partenariat public-public auquel appelle le Forum alternatif mondial sur l’eau/Fame, qui s’est tenu à Genève du 17 au 20 mars). C’est la seule option qui permettra d’assurer à la fois le droit à l’accès à l’eau et la nécessaire gestion économe de cette ressource, notamment par des politiques tarifaires adaptées (gratuité pour le besoin de base, tarif progressif au-delà). L’«inéluctabilité» de Finger, fleurant bon le thatchérisme («Il n’y a pas d’alternative»), a donc bon dos. Se cachant derrière des constats apparemment «objectifs», ce genre de recherche universitaire n’est que la couche de vernis prestigieux et scientifique de la propagande néolibérale. [4] Convergences nécessaires L’assaut contre le service public de l’eau se prépare. Ses points de départs seront divers: problèmes financiers des collectivités locales; domination technique des sociétés fournissant les ins-tallations de traitement et retraitement de l’eau, filiales de grands groupes comme Dégremont-Ondeo-Suez; adaptation imposée aux accords AGCS… Se croire à l’abri dans le réduit national des particularismes helvétique préparerait de douloureux réveils. Le combat contre ces projets doit converger avec ceux, multiples, menés dans les pays du Sud pour garantir l’accès à l’eau potable –un être humain sur trois sur la planète n’y a pas accès, 9000 enfants en meurent chaque jour– et combattre l’appropriation de cette ressource essentielle par des multinationales avides de profit. Comme la mobilisation, depuis le début de l’année, des habitants d’El Alto, au-dessus de La Paz en Bolivie, pour expulser le groupe Suez de la gestion de leur approvisionnement en eau, de la même manière que les habitants de Cochabamba, toujours en Bolivie, s’étaient battus en 2000 pour le départ de Bechtel, et l’avaient obtenu.
2. 24 heures, 3 mars 2005, Gilles Labarthe, Datas 3. 24 heures, 14 mars 2005, lettre de lecteur; Le Temps, 17 mars 2005. 4. Ce cas devrait nous alarmer, une fois de plus, sur la subordination croissante d’organes universitaires aux intérêts du privé, simultanément à leur «privatisation». La première chose qui saute aux yeux, sur le site de MIR, est le logo de La Poste et la mention «La chaire MIR est partiellement financée par La Poste». Ce sponsoring par l’ex-service public, «en réseau», qui sait se comporter comme la pire des entreprises privées, n’est certainement pas étranger à l’orientation «scientifique» de cette chaire. Les pages présentant le «Collège du Management de la Technologie» et la «Chaire de Management des industries de réseau» affichent d’ailleurs très clairement une orientation de conseil aux entreprises. Au sein même de l’institution publique universitaire, utilisant ses ressources, est ainsi développée l’ingénierie conceptuelle et technique des privatiseurs.
Géants de l’eau Quelques-uns des géants de l’eau: Suez SA, ex-Suez-Lyonnaise des Eaux (France) Veolia Environnement, ex-Vivendi Environnement (France) Bechtel Group Inc. (USA) |
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