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Shops à Fribourg
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Non à l'ouverture prolongée Le Mouvement pour le socialisme (MPS) lance le référendum contre l'ouverture prolongée des shops de stations d'essence, décidée par le Grand conseil fribourgeois. Les raisons de cet engagement. P.-A. Charrière, W. Giller, C. Pasche, G. Zurkinden Comme annoncé, le Grand conseil fribourgeois a adopté le 14 octobre une révision de la Loi sur le commerce (Lcom) autorisant les shops de station essence à ouvrir le soir jusqu'à 21h et le dimanche jusqu'à 19h, ainsi qu'à vendre de l'alcool (cf. La brèche No5). Les syndicats, «liés moralement au patronat» [1] par la signature d'une convention collective de travail (CCT), ont renoncé, comme le Parti socialiste fribourgeois (PSF), à combattre cette révision. Par contre, le Mouvement pour le socialisme (MPS) a décidé de lancer le référendum. Flexibilité sans limites Les propriétaires de shops se frottent les mains. Avec cette nouvelle mouture de la Lcom, ils disposeront d'une flexibilité sans limites. John Schopfer, président de l'Association fribourgeoise des exploitants de magasins de stations-service (AFEMS), se déclare très satisfait: «Maintenant, on pourra rentabiliser les investissements faits.» [2] Les principaux propriétaires de shops ne sont pas des inconnus. Il s'agit des entreprises pétrolières Total, Shell, BP, Esso et des géants de la distribution, Coop et Migros. Cette révision de la Lcom leur permettra d'exploiter au maximum le potentiel de rentabilité des shops. Ce marché est en pleine expansion. Entre 1997 et 2003, le nombre des shops en Suisse a augmenté de 7%, mais le nombre de ceux disposant d'une surface de vente supérieure à 50 m2 a crû de 80%. Leur chiffre d'affaires annuel avoisine le milliard de fr [3]. Alors que la mobilité et la flexibilité des horaires imposée aux salariélels par l'organisation du travail ne cesse de croître, la tendance à l'intégration entre réseaux de transports et commerce est générale: le quotidien français Le Monde titrait dans son édition du 6 septembre 2004: «Aéroports, gares, autoroutes: les nouveaux espaces commerciaux». En 2004, les plus grands groupes possédant des shops y ont engrangé davantage de bénéfices en vendant des biens de consommation courante que de l'essence. Entre 1995 et 2004 le chiffre d'affaires lié aux ventes de produits Coop dans les stations-service a augmenté de 740% [4] . Migros a signé un accord de collaboration avec Valora (Kiosk AG) pour développer sa présence dans ce secteur: son ambition est de passer de 180 à 400 millions de fr. de chiffres d'affaires annuel dans les shops. Coop et Migros calquent leur stratégie sur les grands distributeurs français, qui vendent autant d'essence que les pétroliers, utilisant le carburant «comme produit d'appel pour attirer les clients à l'intérieur des magasins où sont réalisés les bénéfices» [5]. Le secret de la réussite des shops est simple: des salariés précaires, hyperflexibles et mal payés et des consommateurs arnaqués par des prix élevés. Les produits de base vendus dans les shops coûtent en moyenne un tiers plus cher que dans les supermarchés [6]. Pour renforcer leur position face à la concurrence, Coop et Migros misent cependant sur un alignement des prix dans les shops qu'ils contrôlent sur ceux de leurs grands magasins. L'ouverture du soir et du dimanche est aussi un «atout» pour permettre aux shops de rogner de nouvelles parts de marché, notamment au détriment des petits commerces. est d'autant plus important dans un contexte où la compétition dans le domaine du commerce va être exacerbée en Suisse par l'arrivée en force des leaders allemands du «prix cassé», comme Aldi qui annonce l'installation de son centre de distribution à Domdidier, dans le canton de Fribourg.[7] Aldi «le nouveau Wal Mart?», titrait le 26 avril dernier l'hebdomadaire Business week, pour caractériser ce groupe qui a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires de 37 milliards de fr. dans 7000 magasins dans le monde. Comme dans le reste du secteur de la vente, les femmes sont majoritaires parmi les salariés des shops. Pas étonnant d'y retrouver les caractéristiques des secteurs dits féminins [8]: une majorité d'emplois à temps partiel –80% des salariélels des shops– qui riment avec flexibilité et sous-emploi. Près de 72% des salariélels ne disposent pas d'horaires fixes et 40% travaillent moins de 25h par semaine. 87% travaillent régulièrement le dimanche et 82% après 19h. Le travail du dimanche et du soir ne donne droit à aucune compensation salariale. Les salaires sont très bas puisqu'ils n'atteignent pas Fr. 3'000.– net pour un plein temps! Les syndicats du canton de Fribourg ont renoncé à combattre la Lcom en arguant du fait qu'une CCT a été conclue pour les salariélels des shops. C'est un marché de dupes. Cette CCT n'apporte pas d'améliorations substantielles pour les salariélels, en dehors de la garantie d'un 13e salaire. Seules les personnes employées à plus de 70% –une stricte minorité!– auront droit à un salaire mensuel fixe. Les salaires demeurent pour la plupart en dessous de Fr. 3'000.– net. à plein temps et ils ne sont réglés que dans un avenant annuel, qui peut aisément être remis en cause. Les suppléments pour le travail du soir tiennent de l'escroquerie: seules les personnes travaillant plus de 4 soirs par semaine en moyenne mensuelle auront droit à un supplément de 25% pour les soirs excédant cette moyenne. Aucun supplément n'est prévu pour le travail du dimanche. Cerise sur le gâteau, cette CCT aggrave la flexibilité prévue par la Lcom en prévoyant une annualisation du temps de travail! On comprend la satisfaction du patronat. On comprend moins celle exprimée du côté syndical. Xavier Ganioz, d'Unia, se déclare ainsi «très satisfait de voir enfin cette saga des shops s'achever». Il explique que la CCT est «le fruit de longues, multiples et dures négociations» [9]. La CCT fribourgeoise est en réalité la copie conforme de celle établie dans le canton de Saint-Gall et qui a servi au même type d'«échange». A la différence que la CCT saint-galloise ne prévoit pas d'annualisation du temps de travail et ne relègue pas les salaires minimaux dans un avenant annuel. Le nouveau coprésident d'Unia, Vasco Pedrina, a expliqué que «la question du dimanche est une question de principe» [10], pour expliquer le soutien de son syndicat au référendum national «Non au travail du dimanche» (cf. encadré). Pourquoi ne l'est-elle pas également pour Unia Fribourg dans le cas des shops? Un enjeu de société L'enjeu ne se limite pas aux salariélels des shops. Le directeur de l'Union Patronale fribourgeoise est clair: «Cette convention, c'est un point de départ, pas un aboutissement» [11]. La suite est déjà prévue: échanger une convention englobant tout le secteur de la vente contre un assouplissement des heures d'ouverture [12]. Pour les patrons, la «saga des shops» est un pas vers la généralisation des ouvertures du soir et du dimanche, au niveau cantonal et national. Les vendeuses seront les premières touchées. Mais si les horaires d'ouverture des commerces sont étendues, les fournisseurs, les entreprises d'entretien et de nettoyage, mais aussi la Poste ou les banques devront suivre. Un pas de plus sera ainsi franchi vers une situation où les salarié·e·s ont de moins en moins de maîtrise sur le temps de travail – Combien? Quand? Quels sont les moments préservés de la journée et de la semaine?– et donc sur leurs temps de vie. Avec eux, c'est la collectivité dans son ensemble qui est ainsi progressivement expropriée, au nom d'intérêts privés, de la capacité d'agencer les rythmes de la vie sociale, en tenant compte d'objectifs – moments communs réservés au repos et à la sociabilité, par exemple – collectivement et démocratiquement établis. C'est aussi contre cela que nous nous battons en lançant le référendum contre la révision de la Lcom. Complément: "Dans les gares et ailleurs !" 1. La Gruyère, 23.9.2004. |
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