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A propos du projet de révision de la loi sur l’assurance-accidents (LAA)
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Le piège de la «surindemnisation»

Bernard Bovay

Les révisions desdites «assurances sociales» ne cessent de se suivre. Ainsi, le Conseil fédéral a adopté, en date du 30 mai 2008, un «Message relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-accidents».

Ce Message présente deux volets. D’une part, l’assurance-accidents et ses prestations et, d’autre part, le statut de la CNA-SUVA (Caisse nationale d’accidents). Cet article se concentre sur un élément important du premier volet.

L’accueil du contenu de ce Message n’a pas suscité un rejet en provenance des deux principales organisations syndicales, soit l’Union syndicale suisse (USS) et Travail. Suisse. L’une et l’autre concentrent leurs objections sur les quelques mesures concernant la réorganisation de la SUVA. Sujet sur lequel nous reviendrons.

Or, cette révision – comme l’ensemble des révisions des autres «assurances sociales» – péjore certaines prestations versées aux assuré·e·s. De plus, elle place l’assurance dans une logique de marché et de dite concurrence.

Motions UDC pour l’allumage

Parmi les mesures illustrant la dimension de contre-réforme de cette révision, on peut citer la modification du montant de la rente d’invalidité. Dans le régime actuel, la rente d’invalidité de l’assurance-accidents est calculée de la sorte. Elle intègre le 80 % du salaire assuré, c’est-à-dire jusqu’à un maximum de 126’000 francs depuis le 1er janvier 2008. A ce 80 % s’ajoute la rente invalidité (AI). Si la somme de ces deux rentes dépasse le 90 % du salaire, la rente de l’assurance-accidents est réduite pour ne pas dépasser le seuil de 90 %. Cette rente est versée durant toute la vie de la personne concernée.

Or, en date du 11 décembre 2003, le conseiller aux Etats UDC (Glaris) This Jenny déposait une motion exigeant que: «La nouvelle rente de vieillesse au sens de la LAA devra compenser, lors de la naissance du droit à la rente AVS, la différence par rapport à la rente AVS et à celle de la prévoyance professionnelle (part obligatoire) que l’assuré aurait touchées s’il n’avait pas eu d’accident.» Par «part obligatoire», il faut entendre le minimum prévu par la LPP.

This Jenny développe ainsi sa motion: «Les rentes prévues par la LAA sont [actuellement] versées à vie et adaptées au renchérissement. Elles entraînent, de ce fait, une augmentation constante de la charge qui pèse sur la population active et sur les employeurs.» L’orientation de cette motion est on ne peut plus claire: abaisser au maximum la rente, autrement dit une part du salaire social. Parmi les divers arguments utilisés par This Jenny, il faut relever celui-ci: «On ne saurait tolérer que des personnes qui ont payé durant toute leur vie active des cotisations au titre de l’AVS et du 2e pilier touchent des prestations sensiblement inférieures à celles que perçoivent les rentiers de l’assurance-accidents.»

A première vue, l’argument semble imparable. Si ce n’est qu’il considère comme «normales», «suffisantes» les rentes touchées par une grande partie des retraités. Or, diverses études démontrent que fort nombreux sont celles et ceux qui disposent de revenus leur permettant simplement de survivre… après toute une vie active. Ce qui, une fois de plus, démontre la déconnexion entre les rentes versées, d’un côté, et, d’autre part, les besoins propres à ce que soient réunies les conditions socio-économiques d’une retraite appropriée. Pourtant This Jenny propose un alignement des rentes de la LAA sur les rentes les plus basses, en se référant au minimum LPP.

Or, c’est sur cet argument tordu – mais qui semble de bon sens – qu’est développée la notion de «privilège dont bénéficient les rentiers de l’assurance-accidents». Dans un second temps, cette argumentation conduira à la notion plus technique de «surindemnisation», ce qui permettra de faire accepter, sur le fond, cette contre-réforme.

La motion attrape-tous-partis

Selon la tradition des tirs croisés parlementaires, le conseiller national Toni Bortoluzzi, UDC zurichois, le 18 décembre 2003, déposait une motion identique au Conseil national. Cette dernière dénonce de même ladite «surindemnisation» de rentiers LAA.

Un exemple permettra de clarifier la notion de «surindemnisation». Une personne qui serait victime d’un accident à l’âge de 64 ans et, par suite, deviendrait invalide recevrait en général, selon les normes exposées plus haut, 90 % de son salaire, en combinant l’assurance-accidents et l’assurance invalidité. A 65 ans, l’AI se transforme en rente AVS et son revenu reste, dès lors, stable.

S’il n’avait pas subi un accident, à l’âge de 65 ans il toucherait une rente AVS, d’une part, et, d’autre part, une rente de sa caisse de pension. La somme des deux serait inférieure à 90 % de son salaire antérieur. Donc, les prestations versées en cas d’accident sont supérieures, dès 65 ans, au revenu dont il aurait disposé s’il n’avait pas souffert de cet accident.

Dans un premier temps, le 17 mars 2004, la motion Jenny a été acceptée par le Conseil des Etats avec le score de 15 voix contre 12, bien que le Conseil fédéral ait proposé de la rejeter, en affirmant toutefois qu’il était nécessaire de modifier la «réglementation actuelle portant sur les rentes d’invalidité de la LAA dont les bénéficiaires ont l’âge AVS».

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national va déposer une motion allant dans la même direction, mais «techniquement» moins contraignante. Le texte demande au Conseil fédéral de «proposer une réglementation permettant d’éviter que des personnes devenues invalides à la suite d’un accident assuré selon la LAA ne soient mieux ou moins bien traitées au moment d’atteindre l’âge de bénéficier de l’AVS que des personnes qui n’ont pas été victimes d’un accident».

Cette motion va être acceptée par les deux Chambres – le 3 mars 2005 pour le Conseil national et le 20 septembre 2005 pour Conseil des Etats – et constituera la base – sur ce thème – du projet de modification légale proposé.

Il faut souligner qu’une solution formelle à une telle motion est des plus difficile à trouver. En effet, la situation de chaque rentier ayant une évolution salariale analogue diffère très sensiblement selon la caisse de pension à laquelle il est affilié et les règlements qui en déterminent ses prestations. Dès lors, il n’est pas possible de trouver une règle qui donne les mêmes résultats que si un accident n’était pas survenu. Obligatoirement, la «solution» issue d’une telle norme sera au désavantage de certains et à l’avantage d’autres. Cela va contraindre le Conseil fédéral, plus exactement un groupe de travail, à élaborer une proposition apparemment neutre, sur la base de schémas ne tenant pas compte et ne pouvant pas tenir compte de la réalité complexe – et voulue complexe – de la prévoyance professionnelle.

Négation du principe de non-rétroactivité

Ainsi, le Conseil fédéral va élaborer dans son Message du 30 mai 2008, ayant trait à la révision de l’assurance-accidents, la proposition suivante.

Dès qu’un rentier de l’assurance-accidents atteint l’âge donnant droit à la rente AVS (65 ans), il voit sa rente réduite s’il avait plus de 25 ans lors de l’accident invalidant. S’il avait plus de 45 ans, la rente est réduite de moitié. Entre 25 et 45 ans, la rente est réduite de «2,5 points de pourcentage pour chaque année comprise entre le jour où il a eu 25 ans et le jour où l’accident est survenu» (article 30 al. 2ter du projet de loi).

On peut illustrer cette option des autorités à partir de l’exemple suivant. Supposons un salarié de 45 ans qui gagne 60’000 francs par année. Suite à un accident, il est frappé d’invalidité. L’assurance invalidité lui versera une rente annuelle de quelques 22’000 francs. L’assurance accident lui allouera une rente de quelques 32’000 francs par an. Le cumul des deux rentes ne peut être supérieur au 90 % de son salaire de 60’000 francs. Vingt ans plus tard, à 65 ans, il verra son revenu diminuer de 16’000 francs par an, ce qui représente une somme très importante.

Certes, le Conseil fédéral, dans un élan de compassion, avertit les actuels et futurs rentiers, qui se verront plongés dans une situation des plus difficile, que «la disposition transitoire tient compte du fait que les rentiers de l’assurance-accidents ont organisé leur retraite en s’appuyant avec confiance sur le texte légal valable actuellement [sic]. Aussi la disposition transitoire prévoit-elle quatre années de statu quoi suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, puis que «les réductions seront ensuite introduites de manière échelonnée».

Deux remarques s’imposent face à ce texte éblouissant. La première a trait au principe de la non-rétroactivité. Lorsque la modification d’une loi conduit à la détérioration de la situation des personnes concernées, cette détérioration ne doit s’appliquer que pour les cas qui interviennent après la modification de la loi. Pour les autres cas, les droits sont en principe acquis. Cette règle a déjà été bafouée à l’occasion de la cinquième révision de l’AI concernant la rente de conjoint.

La seconde remarque concerne l’hypothèse faite par le groupe de travail selon laquelle, si les personnes sont informées suffisamment à l’avance, elles pourront s’adapter à la future baisse de leur revenu! Cela, soit en épargnant, soit en réduisant encore plus «leurs dépenses», c’est-à-dire en détériorant des conditions de vie qui sont déjà fort difficiles.

Silence sur les prestations complémentaires

La baisse des rentes qu’implique cette révision va nécessairement se répercuter sur le volume des prestations complémentaires. Or, déjà actuellement, un certain nombre de personnes au bénéfice d’une rente LAA se voient attribuer des prestations complémentaires car la rente touchée ne leur permet pas de survivre. Cela concerne, en termes quantitatifs, surtout les personnes victimes d’un accident après l’âge 25 ans. En effet, ces dernières seront directement concernées par la baisse prévue des rentes LAA qui interviendra à l’âge donnant droit à l’AVS. A cette catégorie vont s’ajouter toutes celles et ceux qui en raison de cette baisse de revenu seront contraints d’avoir recours à «l’assistance» des prestations complémentaires.

Or, le Message du Conseil fédéral fait le silence sur cette question. Pourtant, le Conseil fédéral est obligé d’indiquer toutes les charges supplémentaires – pour la Confédération et les cantons – consécutives à une modification de la législation. Or, les prestations complémentaires sont financées intégralement par la Confédération et les cantons.

De fait, cet oubli – ou plutôt cette omission – n’en est pas un. Il révèle la logique sociale et politique de cette contre-réforme: l’axer sur l’idée d’une surindemnisation massive et donc sur la nécessité de la corriger pour aboutir à «une égalité de traitement».

Tout cela est proposé et divulgué en faisant l’impasse sur une question essentielle: le rapport entre les rentes versées et les besoins effectifs des personnes concernées. Ce qui est le fil conducteur de l’orientation adoptée dans l’ensemble du domaine des assurances faussement qualifiées de «sociales». Dans ce cas concret, la baisse des rentes est supposée ne susciter aucune difficulté particulière pour les personnes touchées, tant la «surindemnisation» est manifeste et importante.

Une «réforme» à rejeter

Un examen quelque peu sérieux de cette révision montre que son but effectif ne consiste pas à éliminer une «surindemnisation», mais à réduire les «charges salariales», en fait une fraction du salaire social.

Or, les représentants des syndicats dans la commission des experts n’ont avancé aucune objection. Ce qui révèle leur adhésion à l’idée marketing de la «surindemnisation». Leur intégration complète dans le conseil d’administration de la SUVA conditionne leur perception et leur approche des problèmes afférents à la relation entre besoins sociaux, droits et rentes.

Toutefois, y compris en acceptant le cadre de la «surindemnisation», tel que la motion du Conseil national le proposait, ils auraient pu avancer une solution alternative.

Cette dernière aurait évité une baisse de la rente pour la majorité des personnes concernées et serait intervenue seulement lorsque la «surassurance» (surindemnisation) aurait été flagrante.

La baisse ne serait pas intervenue car la proposition alternative éviterait toute diminution de rente aux personnes ayant eu un accident invalidant avant l’âge de 55 ans. En effet, avant cet âge, calculer – avec une probabilité raisonnable – la rente vieillesse LPP (qui aurait été effectivement versée, sans accident) est illusoire. Car l’évolution possible du parcours de vie et du parcours professionnel des individus ne peut pas être cernée, sauf à construire un «cas moyen» qui sert à des «démonstrations exigées» par les autorités mais ne correspond à aucun cas effectif, réel. Dès lors, il est impossible de savoir si une «surindemnisation» interviendra à l’âge donnant droit à la retraite. Raison pour laquelle la mesure de contre-réforme est sans fondement technique cohérent, si ce n’est pas volonté d’abaisser la rente.

En effet, étant donné la diversité des prestations allouées par la LPP (qui diffèrent d’une caisse de pension à l’autre), il est nécessaire de considérer chaque cas particulier et de comparer les prestations prévues par la caisse de pension et celles de l’assurance-accidents. Cette comparaison n’a de sens que lorsque les assuré·e·s sont relativement proches de l’âge donnant droit à la retraite, donc dès 55 ans.

Mais cette comparaison-là débouche de suite sur une autre facette de la comparaison: en quoi est-il équitable que la prestation allouée en cas d’accident dépende du niveau de la rente prévue par la caisse de pension? En rien. L’assurance accident doit couvrir des prestations identiques dans quelque cas de figure que ce soit. Dès lors, il n’y a pas de raison qu’une modification du statut des personnes ayant subi un accident entraînant l’invalidité après 55 ans soit introduite. On ne corrige pas une pseudo-injustice en créant une autre injustice.

(20 septembre 2008)

 
         
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