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Révision de la loi sur l'asile
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Un travail de salauds Dario Lopreno Outre la remise en cause du droit d’asile et la «maîtrise des flux migratoires», la politique officielle post-blochérienne vise à habituer un grand nombre d’acteurs sociaux à la misère humaine et à retourner contre le droit d’asile les quelques acquis démocratiques de la jurisprudence. Deux objectifs non avoués de la politique suisse officielle d’asile deux doivent être soulignés. Ils s’ajoutent en quelque sorte à la remise en cause du droit d’asile par une politique systématique de lutte «contre les abus» et la transformation de l’asile en un des outils de la «maîtrise des flux migratoires», plus exactement du contrôle des migrations officielles et de la production de sans-papiers. Le premier des deux consiste à habituer, pratiquement, un grand nombre d’acteurs, plus ou moins directs du domaine de l’asile, à la misère humaine. Il s’agit des membres des exécutifs et des parlements aux différents niveaux, des forces de police, les collaborateurs des œuvres d’entraide, des membres des Eglises, du personnel des services juridiques et médicaux, des assistants sociaux, des bénévoles de toutes sortes, y compris des militants politiques. Ils constituent, à des titres très différents, le lien entre la société dite civile et les personnes – les requérants – subissant les conséquences brutales de pratiques politiques et sociales fortement répressives. Ce faisant, même quand des personnes engagées combattent ces pratiques, le danger existe que, subrepticement, s’instille une certaine banalisation du profond désarroi qui envahit le quotidien des requérants. De plus, une rotation professionnelle significative est caractéristique des instances qui interviennent dans le champ de l’asile. Il en résulte une dispersion vers d’autres secteurs du travail social ou de l’administration. Ce processus n’est pas sans conséquences. L’encadré intitulé «Un cas d’école: le Taser» traite cet aspect sous un angle spécifique: à savoir l’instrumentalisation des politiques contre les requérants et les étrangers expulsés pour introduire le Taser, arme de torture par électrochocs dont sont progressivement dotées les polices cantonales. Le second objectif porte sur l’utilisation par l’administration fédérale de la voie qui lui est laissée ouverte, en partie à cause du manque d’une opposition politique conséquente et consistante sur ce terrain, pour transformer les quelques acquis démocratiques de la jurisprudence sur l’asile en une machinerie contre le droit d’asile. Cet article ainsi que l’encadré ayant pour titre «L’arrêt de la CRA» sont consacrés particulièrement à cette thématique. LAsi, la modification permanente A l’heure actuelle, la nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr) et la Loi sur l’asile (LAsi) révisée, entrées en vigueur entre janvier 2007 et janvier 2008, sont déjà soumises toutes deux à de nouvelles modifications. Depuis 1983 – lancement de sa première révision, deux ans après son entrée en vigueur – jusqu’à aujourd’hui, la LAsi a subi près de 40 modifications et révisions. La quasi-totalité ont abouti à une restriction des droits des requérants. La consultation fédérale à propos de la dernière modification de la LAsi et de la LEtr, destinée à durcir les procédures d’asile et de renvoi, a été close à la mi-avril 2009. Nous allons examiner brièvement son contenu, en commentant les principaux points de la modification et en insistant sur un élément particulier: l’objection de conscience et la désertion (de l’armée). Cela révèle non seulement la dureté de la politique suisse contre le droit d’asile, mais met en lumière l’un de ses travers les plus vicieux. Passons en revue les points les plus significatifs. 1° Des «sanctions pénales en cas d’activités politiques menées en Suisse, dans le seul but de motiver la qualité de réfugié» [1] vont être introduites. L’explication de cette restriction est simple: les requérants doivent la boucler, faute de quoi ils créeraient de la sorte, depuis la Suisse, leur qualité de réfugié face à leur pays de provenance. La mesure vise de fait tous ceux qui, définis comme «abuseurs», seraient venus ici sans motif d’asile valable et qui se créeraient par une activité politique en Suisse des «motifs subjectifs [d’asile] survenus après la fuite» [2]. Cette disposition existe déjà à l’heure actuelle, mais la modification légale introduit la sanction pénale. Cette dernière vise également à intimider les collaborateurs des organisations travaillant avec des requérants, en désignant «les personnes qui prêtent assistance aux requérants dans la perpétration de leurs abus» comme étant de même passibles de sanctions. 2° Il s’agit de la «suppression de la possibilité de présenter une demande d’asile à l’étranger», c’est-à-dire auprès des ambassades. Cette «règle» est expliquée par le fait que, «pour les représentations suisses comme pour l’ODM [l’Office des migrations], cette situation entraîne des frais considérables aussi bien sur le plan du personnel que du point de vue financier». Ce qui signifie que l’idéologie du frein aux dépenses publiques – autrement dit d’économies en faveur des plus fortunés dans la mesure où ce sont eux, en dernière instance, les seuls gagnants des mesures d’économies du secteur public –, même quand le résultat est infime, est utilisée comme argument prévalant sur les droits démocratiques fondamentaux. 3°Une «simplification de la procédure d’asile en cas de réexamen ou de demandes multiples» va être appliquée. Le but: rendre ces procédures plus expéditives et exclure la personne de l’aide sociale aux requérants; une «aide» qui empêche toute vie sociale digne de ce nom. Le requérant est confiné à l’aide minimale d’urgence qui est encore plus insupportable. L’interdiction de travailler va de surcroît être élargie à ces cas. Il est à noter que cette sanction vise les requérants qui, tout en étant encore en procédure légale, vont être traités comme ceux qui ont été sortis de la procédure. 4° Avec «l’introduction d’une obligation de preuve de l’inexigibilité du renvoi ou de l’expulsion et désignation des Etats vers lesquels le renvoi ou l’expulsion s’avère raisonnablement exigible», les autorités fédérales introduisent l’obligation pour la personne renvoyée (étranger sous expulsion, requérant d’asile renvoyé ou illégal expulsé) d’«apporter la preuve que l’exécution du renvoi ne peut être raisonnablement exigée pour des raisons personnelles». Cela implique non seulement que l’on inverse le fardeau de la preuve, mais aussi que la simple personne victime d’expulsion a des capacités de recherche, administratives et relationnelles, qui peuvent faire l’économie de celles de l’Office fédéral des migrations. C’est un pur déni de réalité tant en fonction des situations existant dans nombre de pays concernés qu’en prenant en compte la situation personnelle et sociale de l’être humain renvoyé. 5° Le Gouvernement et le Parlement s’attaquent aussi aux permis F (admissions dites «provisoires»). En effet, avec la «limitation du choix du domicile s’agissant de personnes admises à titre provisoire», ils veulent imposer aux permis F d’habiter en dehors des grands centres urbains. Cela afin d’éviter à ces derniers les charges qualifiées de «trop lourdes» que représenteraient ces personnes (aide sociale principalement). Se trouvant dans des localités périphériques, elles resteront ainsi plus longtemps sans travail, et donc à l’aide sociale. En fin de compte, elles seront considérées comme trop coûteuses… donc sujettes à une nouvelle brimade ou modification légale contre cet «abus», dont elles seront accusées. 6° Avec l’introduction «d’éléments constitutifs de la détention en phase préparatoire et de la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion dans la procédure Dublin», autrement dit lorsqu’un requérant d’asile est sujet à renvoi vers le pays «responsable» selon les termes de la Convention de Dublin [3], il pourra sans autre être emprisonné d’office, selon les mesures de contrainte, pour garantir son expulsion, détruisant de la sorte les reliques d’habeas corpus [4] qui subsistent pour le requérant. Comment neutraliser une jurisprudence ? Comme dernier, et septième point, de la modification en cours, est en jeu l’«exclusion des objecteurs de conscience et des déserteurs de la qualité de réfugié». Précisons d’emblée que la désertion en tant que telle ne peut pas, déjà à l’heure actuelle, donner lieu au statut de réfugié. Seules une disproportionnalité grave des peines frappant cet acte et une qualification de délit politique de celui-ci permettent une entrée en matière, ce qui ne signifie toutefois pas encore une décision positive. Cependant l’autorité fédérale – et plus précisément le Département fédéral de justice et police (DFJP) – a agi en trois temps pour retourner contre le droit d’asile une décision extrêmement claire et positive de l’instance de recours en matière d’asile. Elle laisse entendre, ce qui est faux, qu’il suffit d’être objecteur de conscience ou déserteur pour obtenir le statut de réfugié. Faisons, pour comprendre cela, un détour par l’histoire de la Commission de recours en matière d’asile (CRA). Elle a été créée en 1992, après que la majorité du Parlement et le Conseil fédéral ont refusé à plusieurs reprises, de 1983 à 1990 [5], de mettre sur pied une instance de recours indépendante du DFJP pour les questions de l’asile. La CRA ne s’est vue dotée d’un service propre de documentation qu’à la fin des années 1990. Auparavant elle dépendait du DFJP [6] pour sa documentation, autrement dit son indépendance n’était pas entière, la documentation jouant un rôle essentiel dans la prise de décision juridique. En 1997, ses effectifs ont été diminués et ses attributions accrues, garantissant ainsi ce qui ne tarda pas d’arriver, l’engorgement de la CRA «croulant» sous les recours. Ce qui rendit possible le reproche de dysfonctionnement. Par ailleurs, le contenu souvent expéditif des décisions d’asile de l’Office fédéral des migrations était aussi une source de surcroît de recours devant la CRA et donc d’engorgement supplémentaire. Ce qui, dans la pratique, se manifestait par une conséquence problématique – mais sciemment générée – pour l’Office des migrations: des requérants attendaient des décisions durant de très longues périodes, devenant ainsi, parfois, moins aisément expulsables après coup. L’intégration effective de la CRA au Tribunal administratif fédéral (TAF), en 2007, consacrait malgré tout son indépendance. C’est pourquoi, d’abord l’UDC puis, plus particulièrement, le conseiller fédéral de justice et police Christoph Blocher (2003-2007) ont mené un grand nombre d’attaques contre la CRA, puis contre le TAF (plus précisément ses cours statuant sur l’asile). Ils l’accusaient d’abord de lenteur et d’inefficacité et – une fois ces travers momentanément résolus vu la diminution des demandes d’asile – remettaient en cause certaines de ses décisions positives les plus significatives. Des décisions relatives à des Roms et surtout une jurisprudence de la CRA [7] concernant un déserteur érythréen ont constitué le pic de ces attaques (voir encadré «L’arrêt de la CRA»). Eveline Widmer-Schlumpf succède (1er janvier 2008) à Christoph Blocher à la tête du DFJP, soutenue par les anti-blochériens de tous bords. Elle semble comprendre que les attaques contre la CRA posent problème par rapport à la notion d’indépendance de la justice. Toutefois, elle démontre sa volonté de poursuivre la politique de son prédécesseur, avec la bénédiction du Conseil fédéral, ce qui révèle le contenu effectif de la collégialité, quel que soit le contenu en termes de genre de l’exécutif fédéral. E. Widmer-Schlumpf s’implique donc – à travers l’actuelle modification de la LAsi – en faveur de l’offensive pour la mise à l’écart de l’objection de conscience et de la désertion comme motifs d’asile. Son administration diffuse l’idée que la décision de la CRA datant de 2006 est à l’origine de la hausse, présentée comme inquiétante, des demandes d’asile. Parallèlement, dans une première phase, l’Office des migrations (ODM) a appliqué généreusement, à travers quelques décisions, l’arrêt de la CRA. Ce qui a même étonné des juristes des œuvres d’entraide actifs sur le terrain de l’asile. Dans une deuxième phase, l’ODM a lancé des appels au secours face au surcroît de demandes d’asile – et pas seulement d’Erythrée – que cet arrêt aurait provoqué. Cela au mépris du fait que la décision est très claire dans sa spécificité et au mépris du fait que l’augmentation des chiffres bruts de demandes d’asile octroyées suite à cette décision est minime. L’ODM répétait que la Suisse était devenue «attrayante en tant que pays d’asile pour les objecteurs de conscience et les déserteurs provenant d’autres pays» [8], sous-entendant ainsi que cet «abus» manifeste serait la cause de l’avalanche de demandes. Pour être précis il s’agit de ceci: «C’est ce que révèle également la statistique: de janvier à octobre 2008, pas moins de 12’467 demandes d’asile ont été déposées en Suisse. Cela représente une augmentation de 3362 unités ou 36,9% par rapport à l’année précédente. La hausse est surtout intervenue au cours du troisième trimestre 2008, durant lequel on a enregistré 1247 demandes de plus qu’au cours du trimestre précédent (+39,5%). La progression concerne surtout les demandes érythréennes: en 2005, 159 Erythréens déposaient une demande d’asile en Suisse, en 2006 ils étaient 1201 et en 2007 l’effectif passait à 1662 individus. Et l’Erythrée reste le principal pays de provenance des requérants en 2008.» [9] Soyons clairs: ces chiffres (3362 unités de plus en dix mois) représentent une augmentation de 4034 demandes d’asile sur une durée annuelle 2008, soit le 0,05% de la population suisse ou le 0,2% de la population étrangère. Ces requêtes arrivent alors que les demandes d’asile sont très basses (16’600 demandes en 2008). Elles ne concernent pas toutes, de loin, des déserteurs. Et le DFJP n’indique pas combien, parmi les nouvelles demandes, ont trait à des cas de désertion. Et le rapport fédéral d’ajouter: «Cette hausse s’explique au moins en partie par la publication, en 2006, d’une décision du TAF [CRA] selon laquelle la peine sanctionnant le refus de servir ou la désertion est démesurément sévère et doit donc être rangée parmi les sanctions motivées par des raisons d’ordre politique. Par conséquent, ces personnes obtiennent l’asile.» [10] Non seulement l’UDC, mais aussi les partis politiques et les médias reprennent le leitmotiv de l’augmentation importante des demandes d’asile en citant cette décision du TAF. Or, elle ne crée strictement aucune nouvelle situation pour les déserteurs au-delà de ce que permet la Loi sur l’asile, mais elle statue sur la violence terrible et spécifique des autorités érythréennes dans cette affaire particulière. Dans une troisième phase, le Parlement a ouvert le débat, aujourd’hui fort avancé, sur la suppression de la désertion et de l’objection de conscience des motifs d’asile reconnus, dans le cadre de la nouvelle modification de la LAsi. Ainsi, sans plus attaquer directement une décision du TAF, en mentant sciemment de manière publique, le Conseil fédéral, son administration et la majorité du Parlement ont fait d’une décision positive, solidement argumentée, respectueuse de ce qui peut être tiré de la LAsi dans un cas dramatique… un instrument contre le droit d’asile. Yves Brutsch pose la question: «Que veut dire «les personnes qui ont besoin de la protection de la Suisse l’obtiendront sans réserve» si le chef du Département fédéral de justice et police [en l’occurrence C. Blocher] proteste contre l’octroi de l’asile à des personnes menacées de torture ?» [11] La même interrogation peut être énoncée à propos de la politique et des déclarations d’E. Widmer-Schlumpf. 1. Département fédéral de justice et police, Rapport relatif à la modification de la loi sur l’asile et de la loi fédérale sur les étrangers, Berne, 19 décembre 2009 (il s’agit du 19 décembre 2008 en fait). 2. Voir ODM, Manuel de procédure d’asile, § 4 Les motifs subjectifs survenus après la fuite, régulièrement actualisé, disponible sur www.bfm.admin.ch/ bfm/fr/home/themen/asyl/asylverfahren/handbuch_asylverfahren.html 3. Voir Règlement Dublin II (Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003), sur http://europa.eu/scadplus/ leg/fr/lvb/l33153.htm et Accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans un Etat membre ou en Suisse, entré en vigueur le 1er mars 2008. 4. Le World Perspective de l’Université de Sherbrooke (Québec, Canada) définit succinctement ainsi l’habeas corpus: «Règle de droit qui garantit à une personne arrêtée une présentation rapide devant un juge afin qu’il statue sur la validité de son arrestation. Généralement, le délai est de quelques jours ou de quelques heures. [La règle] a pour fondement que, même détenue, une personne n’est pas sans droit. En fonction de cette règle, un prisonnier doit être relâché s’il est détenu sans raison valable aux yeux de l’autorité judiciaire, laquelle doit être placée dans une relative indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif.» 5. Voir notamment Commission suisse de recours en matière d’asile. 1992-2002, Zollikofen, 2002. 6. Plus précisément, la CRA dépendait alors pour sa documentation de l’Office des réfugiés (l’ODR, faisant partie du DFJP), devenu Office des migrations (ODM) en 2005, suite à la fusion de l’ODR et de l’Office fédéral de l’immigration, de l’intégration et de l’émigration (IMES). 7. Voir Arrêt de la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) du 20 décembre 2005, décision JICRA 2006/3, Auszug aus dem Urteil der ARK vom 20. Dezember 2005 i.S. L.H., Eritrea. 8. Département fédéral de justice et police, Rapport relatif à la modification de la loi sur l’asile et de la loi fédérale sur les étrangers, Berne, 19 décembre 2009 (il s’agit du 19 décembre 2008 en fait), p. 7. 11. Yves Brutsch, Vivre Ensemble, N° 112, avril 2007, Editorial, «Tradition humanitaire». Un cas d’école: le Taser Prenons un exemple, et non des moindres, sur l’instrumentalisation du débat politique contre les requérants d’asile et les immigrés sous expulsion, dans le but d’élargir les pouvoirs répressifs de la police. Après Berne, Bâle et Zurich, la police genevoise – dirigée par le conseiller d’Etat «socialiste» Laurent Moutinot – vient d’adopter à son tour le Taser comme arme légale d’intervention. Cela quelques mois après que la Loi sur l’usage de la contrainte [1] a donné une base légale à l’utilisation de cet instrument de torture «incapacitant n’ayant pas d’effet létal» [2]. Le Taser est un pistolet tirant un harpon qui, lui, est relié par un fil; en se plantant dans la peau de la victime, il transmet un électrochoc de 50’000 volts et de 2,1 milliampères. Ce dernier point fait considérer le Taser comme «minimisant le risque létal, les lésions permanentes et les dommages indésirables aux biens et à l’environnement» [3] (sic !). Rappelons que la légalisation de cette arme de torture par le Parlement suisse a été arrachée par la nouvelle conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf (Grisons) [4] – élue en décembre 2007 notamment par les voix de la gauche et de «la gauche de la gauche» – avec l’appui des votes démocrates-chrétiens, radicaux et démocrates du centre. Ajoutons aussi que, lors de la conférence de presse annonçant l’introduction du Taser, la police genevoise mentionne explicitement les «vols par effraction», commis «surtout» par des Géorgiens, Moldaves, Lituaniens et Russes et qui trouveraient leur dénouement dans le fait que «des gros bonnets blanchissent l’argent [de ces vols] à l’étranger». Ajoutons enfin que la cheffe de la police genevoise – Monica Bonfanti, qui avait bien voulu poser menottée devant des photographes de presse – justifie l’emploi de cet instrument de torture… en argumentant qu’il permet «d’éviter l’usage d’une arme à feu et l’emploi de la force physique». Tout cela est à mettre en relation avec trois éléments. Tout d’abord, l’introduction de cette arme a été discutée essentiellement dans le cadre du recours «aux pistolets à électrochocs lors d’expulsions d’étrangers récalcitrants», comme le rapporte à mauvais escient la Télévision suisse romande [5]. La TSR participe ainsi à l’intox générale pour faire accepter cette mesure liberticide en faisant accroire à l’opinion publique qu’il ne s’agit «que» d’étrangers à expulser. Et nous savons que les termes «étrangers à expulser» prennent la signification, dans le cadre de l’intox politique et médiatique généralisée, de «clandestins illégaux», de «requérants ayant reçu une non-entrée en matière», de «requérants déboutés» ou plus simplement de «requérants d’asile profiteurs ne voulant pas quitter le territoire national», voire de «criminels étrangers». Cela illustre clairement la façon dont les autorités et les partis gouvernementaux utilisent les requérants d’asile et les clandestins pour s’attaquer – en ayant recours de manière quasi raciste à une catégorie de personnes au statut plus que précarisé – à tous ceux et toutes celles, suisses ou étrangers, légaux ou illégaux, qui seront catalogués comme non conformes aux normes de l’ordre établi. Ensuite, la Loi sur l’usage de la contrainte ne vise pas spécifiquement les étrangers, contrairement à ce qu’ont laissé entendre l’essentiel des débats publics à ce sujet, étant entendu qu’elle n’aurait pas pour autant une once de légitimité supplémentaire si elle ne s’attaquait qu’à eux. Cette manière de distiller une propagande en la focalisant sur des «étrangers à expulser» ou des «requérants d’asile abuseurs à expulser» a permis de banaliser l’idée de l’usage du Taser. La xénophobie est fonctionnelle à l’ordre, au bon ordre des dominants. 1. Communiqué de presse, DFJP, 12.11.2008, «Usage de la contrainte policière: une réglementation uniforme. Le Conseil fédéral fixe au 1er janvier 2009 l’entrée en vigueur de la loi sur l’usage de la contrainte et des dispositions d’exécution.» 2. Loi sur l’usage de la contrainte, article 15; rappelons que, «entre 2002 et 2007, Amnesty International a documenté plus de 290 cas de décès, au Canada et aux Etats-Unis dans le cadre de l’utilisation de Tasers» (Amnesty international, «Les Tasers doivent être interdits», décembre 2007). 3. Communiqué de presse, 21.04.2009, Département des institutions du canton de Genève, «La police genevoise se dote d’armes de neutralisation momentanée». 4. Fabio Lo Verso, «Clarifications parlementaires autour du Taser», Le Courrier, 19.03.2008, et Loi sur l’usage de la contrainte, sous http://www.parlament.ch/ab/frameset/d/n/ 4802/267476/d_n_4802_267476_267706.htm. 5. TSR-info.ch, «Le Taser entre dans l’arsenal de la police», 18.03.2008, «La police pourra recourir aux pistolets à électrochocs lors d’expulsions d’étrangers récalcitrants. Les deux Chambres ont mis sous toit la loi sur l’usage de la contrainte.» L’arrêt de la CRA Cet arrêt de la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) [1] touche à la question de la sévérité des peines sanctionnant la désertion dans le cas d’un Erythréen. Cette décision favorable au recourant est liée au fait que les autorités érythréennes font de la désertion – quels que soient les motifs, les modalités et les idées du déserteur – un acte grave, de nature politique, punis par des traitements inhumains que la CRA qualifie de «malus absolu». La jurisprudence en question traite d’un Erythréen du Tigré (une des 9 régions d’Ethiopie) enrôlé de force dans l’armée érythréenne, qui s’est retrouvé malgré lui directement impliqué dans des combats contre l’armée éthiopienne, près de la frontière du Soudan. Il a alors passé la frontière soudanaise, déposé ses armes auprès des autorités de la localité frontalière. Il est resté dans ce pays pour échapper aux combats. Avec la fin des hostilités entre l’Ethiopie et l’Erythrée, il n’a pas accepté de rentrer dans son pays car, en tant que déserteur, indépendamment de la fin de la guerre, il risquait la torture et la peine capitale. La CRA atteste dans cet arrêt que les autorités érythréennes punissent la désertion de peines allant de 5 ans de prison à la perpétuité et même dans certains cas difficiles à définir, vu l’arbitraire total de la justice, à la peine capitale, ajoutant que la fuite à l’étranger est considérée comme une circonstance aggravante. La décision de la CRA atteste aussi que les déserteurs sont victimes de la torture: détenus dans des camps en plein soleil, où se trouvent soit des abris métalliques, soit des cellules souterraines insuffisamment aérées, lieux où les détenus sont ligotés dans des positions douloureuses et battus durant de longs moments. Elle atteste également que ces méthodes sont généralisées et que les seuls juges de ces traitements inhumains sont les commandants sur place qui n’ont de comptes à rendre à personne. La CRA ajoute que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà étayé cette situation dans un cas jugé aux Pays-Bas. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et Amnesty international ont documenté ces faits. Ils certifient que ces «traitements» laissent de lourdes traces physiques et psychiques, quand ils n’occasionnent pas la mort. Enfin, la CRA précise que ce requérant est de confession pentecôtiste, une religion persécutée en Érythrée. De plus, il a décidé de fuir le Soudan (et, à ce moment, il est venu en Suisse) seulement après que les autorités soudanaises eurent commencé à arrêter les réfugiés érythréens pour les livrer aux autorités érythréennes. La CRA conclut, sans la moindre ambiguïté, que ce cas de désertion ne saurait en aucune manière relever d’une désertion simple, considérée comme tentative de se soustraire au service militaire national et punie, en tant que telle, par la justice du pays concerné avec une peine proportionnée. Etant donné les circonstances, il s’agit bel et bien d’un cas relevant de l’article 3 de la Loi sur l’asile [2], d’autant plus qu’il n’existe pas en Erythrée, toujours selon la CRA, une partie du territoire pouvant être considérée comme sûre et vers laquelle le requérant pourrait être renvoyé sans risquer le pire [3]. 1. Voir Arrêt de la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) du 20 décembre 2005, décision JICRA 2006/3, Auszug aus dem Urteil der ARK vom 20. Dezember 2005 i.S. L.H., Eritrea. 2.. Loi sur l’asile, art. 3: «1. Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques. 2. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes.» 3. C’est ce que l’on nomme l’existence d’une alternative de fuite interne au pays qu’a fui le requérant, selon une décision de principe de la CRA d’avril 1993 (voir http://www.ark-cra.ch/emark/1993/9317106PUB. htm). (27 juillet 2009) |
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