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La Poste
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Nouvelle attaque contre l’assurance-chômage Peter Streckeisen Peu avant la récente aggravation de la crise, le Conseil fédéral a lancé une nouvelle révision de l’assurance-chômage, qui une fois de plus dégrade considérablement la situation des travailleurs sans emploi. La crise sociale montante peut-elle devenir une occasion de la combattre avec succès ? La crise actuelle du capitalisme mondialisé ne reste pas sans effet sur la situation économique et sociale de la Suisse. Le groupe d’experts de la Confédération pour les prévisions conjoncturelles prévoit pour 2009 un recul 0,8% de la performance économique et espère pour 2010 une croissance de 1%. Il estime que le taux de chômage passera de 2,6% (2008) à 4,3% (2010) [1]. Ce genre de prévision est toujours sujet à caution. Même les instituts de recherches conjoncturelles les plus renommés n’ont prévu la crise que lorsqu’elle était déjà là ! Il est probable qu’elle aura des conséquences nettement plus graves que celles prévues par les experts. Une chose est sûre: la présence d’un chômage structurel massif qui s’est installé depuis une quinzaine d’années se maintiendra et se consolidera encore davantage. Un pays sans chômage Dans la phase de croissance économique d’après-guerre, la Suisse passait pour un pays sans chômage – contrairement aux Etats de l’Europe du Sud. Beaucoup de travailleurs immigrés en provenance de ces pays trouvèrent un emploi en Suisse, sur les chantiers, dans les hôtels et les restaurants, pour y effectuer le sale boulot considéré comme indigne d’un salarié suisse. Il existait certes des caisses de chômage depuis le 19e siècle, souvent fondées par les syndicats et subventionnées par la Confédération depuis 1924. Mais au début des années 1970, seuls quelque 20% des salariés étaient couverts par l’assurance-chômage qui n’était pas encore obligatoire. Cette situation change avec la crise économique du milieu des années 1970. En un délai record, le Conseil fédéral crée une assurance-chômage obligatoire et la loi correspondante (LACI) entre en vigueur en 1982. Mais le taux de chômage reste au-dessous de 1% tout au long des années 1980, car de nombreux travailleurs immigrés sont renvoyés dans leur pays d’origine. Les migrants remplissent donc une fonction d’absorption des variations conjoncturelles qui permet à la Suisse d’éviter les taux élevés de chômage que connaîtront les pays voisins au cours des années 1980. Le choc est d’autant plus grand lorsque le nombre des chômeurs inscrits monte en flèche entre 1990 et 1993, passant de 18133 à 163135 en moyenne annuelle. Pour la première fois depuis l’Entre-deux-guerre, le taux de chômage officiel augmente fortement. Le point (provisoirement) culminant est atteint en 1997, avec un taux de 5,2%. Par la suite, le chômage recule avant de connaître à nouveau une progression nette entre 2002 et 2004. En décembre 2008, le taux de chômage s’élève à 3%. Dans une étude détaillée de l’évolution du chômage dans les années 1990, Jean-François Marquis constatait en 2003 que le taux de chômage suit dans une certaine mesure les cycles conjoncturels de l’économie, mais qu’un chômage de masse s’est durablement installé, qui ne disparaît pas en période de relance économique. Le chômage n’est donc plus un phénomène passager, marginal, mais bien un élément structurel du fonctionnement du marché du travail en Suisse [2]. «Workfare» et effets secondaires sur les statistiques Comment les autorités ont-elles réagi à cette situation ? Elles ont introduit des modifications dans l’assurance-chômage visant principalement à augmenter la pression exercée sur les salariés et à tirer vers le bas les chiffres officiels du chômage. En 1995, elles créent les Offices régionaux de placement (ORP), dont la fonction est au moins autant de contrôler les chômeurs que les aider à retrouver un emploi. Les ORP sont devenus la charnière du système dit de contre-prestation de l’assurance-chômage. La logique de ce système veut que les salariés au chômage ne bénéficient plus des indemnités journalières sans fournir une contrepartie. Par le passé, ils allaient timbrer à l’office du travail pour obtenir les prestations qui leur étaient dues; aujourd’hui, ils doivent écrire un certain nombre de lettres de candidature par mois, participer à des cours de formation ou des programmes d’occupation et accepter n’importe quel travail réputé «convenable». Ils n’ont pas le droit de limiter la recherche d’un travail à leur métier, leur ville ou leur région; mais sont obligés d’accepter des emplois moins favorables, sous peine d’être privés d’un certain nombre d’indemnités journalières. En 2003, les prestations ont été sensiblement réduites, surtout à travers la réduction de la durée maximale de versement des indemnités journalières, durée qui a passé de 520 à 400 jours, et à travers la prolongation 6 à 12 mois de la période minimale de cotisation donnant droit aux prestations. Ces mesures se fondent sur le concept de «workfare»: il ne s’agit plus de répondre aux besoins des chômeurs, mais de les amener à reprendre un emploi le plus vite possible et à n’importe quel prix, ce qui se traduit en général par une dégradation des conditions d’engagement et de travail [3]. Cette politique engendre divers effets secondaires statistiques, qui sont certainement appréciés par les autorités. C’est ainsi que le taux officiel de chômage est inférieur à la réalité, car les chômeurs qui suivent un programme d’occupation ou une formation continue, etc., et ceux qui réalisent un gain intermédiaire ne sont plus comptés en tant que personnes au chômage mais en tant que demandeurs d’emploi. En décembre 2008, les statistiques officielles recensaient 118'762 chômeurs. Mais si l’on y ajoute les demandeurs d’emploi, le nombre total passe à près 180000 travailleurs sans emploi. Ainsi, le taux officiel de 3% cache le fait que le taux des personnes sans emploi inscrites dans un ORP est d’environ 4,5%. Le chômage de longue durée est un autre exemple de déformation statistique engendrée par les révisions de la loi,: depuis 1998, la part des chômeurs de longue durée (chômage de plus d’une année) est passée de près de 35% à environ 15%. Cette baisse est en partie due à la relance conjoncturelle intervenue entre 2003 et 2007, mais s’explique aussi par le fait que les chômeurs arrivent plus rapidement en fin de droits suite à la révision de loi de 2003 (les prestations s’arrêtent après 400 jours au lieu de 520). Ces personnes disparaissent des statistiques de chômage – pour réapparaître en partie dans les chiffres de l’assurance-invalidité ou de l’aide sociale. En 2006, environ 245000 personnes bénéficiaient de l’aide sociale, et 256'300 étaient titulaires d’une rente AI. Ces chiffres donnent une idée de l’envergure du chômage dissimulé en Suisse. Vers une quatrième révision Le 3 septembre 2008, le Conseil fédéral a publié son message au Parlement concernant une nouvelle révision de la loi sur l’assurance-chômage (LACI). La révision vise d’une part à créer des sources de financement complémentaires pour couvrir les déficits de l’institution. Il est ainsi prévu d’augmenter les cotisations de 2 à 2,2% du salaire (temporairement à 2,3%); et de prélever temporairement sur les revenus compris entre 126000 et 315'000 francs une «contribution de solidarité», jusqu’à l’assainissement de l’assurance-chômage [4]. Ces mesures touchant au financement servent de prétexte aux autorités pour présenter la réduction prévue des prestations comme un élément d’un projet de loi «équilibré». L’Union syndicale suisse (USS) s’est contentée d’affirmer que le projet de révision était «bancal». Une fois de plus, elle espère que le Parlement «corrigera les erreurs du Conseil fédéral» [5]. Tant qu’il y a de l’espoir… Des réductions de prestations sont notamment prévues dans quatre domaines: a) il est proposé d’échelonner la durée d’indemnisation en fonction de la durée de cotisation. La personne qui aura cotisé pendant 12 mois ne bénéficiera plus que de 260 indemnités journalières (au lieu de 400); pour avoir droit à 400 indemnités, il faudra cotiser 18 mois; b) les prestations seront massivement réduites pour les personnes qui n’ont pas cotisé – dont notamment les personnes en formation. Un délai d’attente de 120 jours leur sera imposé, et elles ne bénéficieront que de 90 indemnités journalières au lieu de 260. Cette mesure frappera en particulier les personnes qui terminent une formation scolaire ou académique; c) des coupes sont également prévues dans le domaine des dites mesures relatives au marché du travail: les programmes d’occupation et les gains intermédiaires ne seront plus reconnus comme périodes de cotisation donnant droit à des prestations de l’assurance-chômage; d) la possibilité de porter la durée maximale d’indemnisation de 400 à 520 jours dans les régions de crise sera supprimée, et les personnes de plus de 55 ans devront cotiser 22 mois au lieu de 18 pour bénéficier d’une durée d’indemnisation allant jusqu’à 520 jours. On ne peut pas dire que le paquet soit très équilibré, contrairement à ce que prétend Serge Gaillard, le chef de la direction du travail au secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), qui était il y a deux ans économiste en chef de l’USS. La réduction prévue des prestations frapperait durement les chômeurs de longue durée, les personnes soumises à un contrat de travail à durée déterminée ou précaire, les chômeurs jeunes et les plus âgés – ceci dans le contexte de la crise actuelle, qui fera augmenter le chômage et la précarité. La résistance, une nécessité Il est peu probable que les changements apportés par le Parlement transforment le projet de révision du Conseil fédéral en une loi équilibrée comme le souhaite l’USS. Il faut plutôt s’attendre à une aggravation des péjorations prévues, et les partis bourgeois mettront en question les financements complémentaires. La nécessité d’un référendum contre cette quatrième révision de la LACI est d’ores et déjà avérée. Les chances de gagner une votation sur cet objet ne sont peut-être pas si faibles, compte tenu de la crise sociale qui s’installe. Le 28 septembre 1997, une votation référendaire avait permis d’empêcher provisoirement une dégradation de l’assurance-chômage – à un moment où le nombre de chômeurs avait atteint le sommet d’environ 200000 personnes. C’est un comité de chômeurs de La Chaux-de-Fonds (ADC) qui avait lancé le référendum, mollement soutenu par les syndicats. Le succès en votation a été une grande surprise. Ce n’est que cinq ans plus tard que le Conseil fédéral a réussi à imposer les dégradations rejetées, dans le cadre d’une nouvelle révision. La campagne menée à l’époque a prouvé qu’il n’est pas impossible de s’opposer au démantèlement des droits des chômeurs et des salariés. Il serait peut-être temps de s’en inspirer. 1. Communiqué de presse du SECO (16. 12. 2008): La conjoncture suisse prise dans la tourmente de l’économie mondiale. 2. Jean-François Marquis: «Les nouvelles formes du chômage» A l’encontre N° 11/2003. 3. Voir Kurt Wyss: Workfare. Sozialstaatliche Repression im Dienst des globalisierten Kapitalismus. Zurich, Edition 8, 2007. 4. Contrairement à l’AVS, les revenus dépassant 126000.– ne sont pas soumis à l’obligation de cotiser. La participation des hauts salaires au financement des assurances sociales devrait être une évidence. Au lieu de parler de «contribution de solidarité», il faudrait insister sur le fait qu’une compensation solidaire entre les classes de revenus doit être durablement mise en place. 5. Communiqué de presse de l’USS (3.9.2008): Révision de la loi sur l’assurance-chômage: Un projet bancal – Au Parlement de corriger le tir.
Le chômage, un business qui rapporte Le capitalisme est un système capable de tirer profit de chaque misère, de chaque catastrophe. Ce constat général se vérifie également dans le cas de l’emploi précaire et du chômage. Les agences de travail intérimaire (Adecco, Manpower, etc.) profitent de la crise sociale plus que tout autre secteur économique. C’est ainsi qu’elles ont réussi à se défaire de leur image problématique de marchands d’esclaves pour se présenter aujourd’hui comme des organisations de bienfaisance, aidant les précaires et les chômeurs à retrouver un emploi. En concluant une convention collective de travail (CCT) avec l’association de branche Swissstaffing en juin 2008, le syndicat Unia a reconnu les agences de travail temporaire comme structures légitimes du marché du travail. Otto Ineichen, membre du parti radical, conseiller national et entrepreneur («Otto le soldeur»), a récemment proposé de transférer les chômeurs ayant de bonnes chances de retrouver un travail aux agences de placement privées, afin de décharger les ORP; les agences privées recevraient une prime de succès pour chaque salarié retrouvant un emploi [1]. Les dites «entreprises sociales» bénéficient d’une réputation grandissante. Il s’agit de firmes qui emploient des chômeurs de longue durée pour un salaire réduit (le minimum vital est assuré par l’aide sociale). En Suisse, la Stiftung für Arbeit (Fondation pour le travail), créée à Saint-Gall en 1997, joue un rôle pionnier dans ce domaine; elle occupe actuellement environ 400 personnes et a fondé des établissements à Arbon, Zurich et Winterthur. Le 29 octobre 2008, le secrétariat de la communauté de travail des entreprises sociales suisses (ASSOF) a ouvert ses portes. L’ASSOF bénéficie du soutien de la Haute école du travail social FHNW dans le cadre d’un projet de développement. Cette initiative est également saluée par Caritas. Dans l’almanach social 2009, Christin Kehrli termine sa contribution ainsi: «Même du point de vue économique, les entreprises sociales sont une alternative intéressante par rapport aux programmes d’occupation, qui sont chers et ne réussissent pas à chaque cas. A plus long terme, lorsque les employés auront amélioré leur performance, les coûts imposés à la collectivité diminueront, et on aboutira au retour intégral à l’indépendance de personnes précédemment dépendantes de l’aide des services sociaux. De plus, la firme contribue par ses produits et ses services à la croissance du produit national brut.» [2] – Une situation de gagnant-gagnant s’il en est ! 1. Voir NZZ (17.1.2009): Schneller zum privaten Arbeitsvermittler 2. Christin Kehrli: «Chance Sozialfirmen. Niederschwellige Arbeitsplätze auf dem dritten Arbeitsmarkt», in: Caritas, Sozialalmanach 2009, p. 179-193. (5 mars 2009) |
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