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Entretien avec Johan Pain, un des animateurs du GATU
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Agir syndicalement, sur la durée  

interview :  Alain Gonthier

Dans un pays comme la Suisse, l’activité syndicale – sur la durée – s’affronte à de nombreux obstacles. Certains dérivent d’une histoire qui se résume par la formule: «politi-que de paix du travail». Cette dernière se traduit au travers d’un réseau «de partenariat» et d’institutions d’«arbitrage» comme de «conciliation» avec le patronat et ses diverses organisations. L’action directe, démocratique et collective des salarié·e·s n’a quasi-pas de place dans ce système. La délégation est érigée en règle, jusqu’à devenir un réflexe – construit – des membres du syndicat.

D’autres barrières renvoient à une organisation de la collaboration de classe politique sous la forme d’exécutifs – à l’échelle fédérale, cantonale et communale – intégrant depuis fort longtemps la droite et la social-démocratie; or le PS a des nombreux liens avec le «monde syndical».

Enfin, l’inexistence d’une mémoire «pratique» intergénérationnelle de batailles menées collectivement crée une situation où chaque conflit – même réduit – exige de faire appel à des ressorts subjectifs qui semblent disproportionnés avec les objectifs à atteindre. Dès lors, il en résulte – ce qu’ont assimilé parfaitement les appareils syndicaux collaborationnistes – une perspective du «moindre mal », de la « solution raisonnable à trouver entre partenaires»

.Dans ce contexte, l’expérience d’une «gauche syndicale» nous paraît utile à être examinée. Et cela au travers d’un dialogue avec un de ses représentants: Johan Pain. 

Tu es président du GATU, Groupe autonome des transports urbains du Syndicat du personnel des transports (SEV). Qu’est-ce que le GATU?

Johan Pain – Le GATU s’est constitué en 1994. Il regroupe les sections SEV (sous-fédération des agents de train et contrôleurs CFF–ZPV) des transports publics de Genève, Lausanne, Fribourg (transports urbains et régionaux), Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds-Val de Ruz, Vevey-Montreux ainsi que Nyon. Au total, environ 2 250 membres. Le SEV regroupe 48’000 membres à l’échelle nationale répartis dans tous les secteurs.

Dès le début, nous avons ajouté aux buts syndicaux «traditionnels» (législation du travail, conditions de travail, horaires, reconnaissance de la profession, problèmes de circulation, mesures de sécurité et d’hygiène, violence et insécurité dans les transports publics) des objectifs plus larges: développement des transports publics, amélioration des prestations, lutte contre les privatisations et la sous-traitance, problèmes sociaux généraux concernant l’ensemble des travailleurs, solidarité avec les luttes nationales et internationales, dénonciation du racisme et des tendances xénophobes, fascisantes et antisyndicales, solidarité syndicale interprofessionnelle. C’est certainement une de nos particularités. 

Quels résultats avez-vous obtenu durant ces 13 ans?

Fin 1999, nous avons rédigé une «Charte d’engagement pour une meilleure sécurité dans les transports publics». Elle signifie que les directions et le personnel des entreprises de transports publics tiennent à assurer la continuité de leur mission de transports dans un climat de sécurité tant pour les usagers que pour le personnel. Ils conviennent d’agir de concert pour sensibiliser l’ensemble de la société à ces questions. En signant cette «Charte», les entreprises de transport public affirment que l’agression contre un de leurs salariés constitue un acte dirigé contre l’entreprise elle-même. Elles s’engagent aussi à prendre des mesures: formation, prévention, soutien médical au personnel… Dans toute la Suisse, 59 entreprises l’ont signée. Il faut se rendre compte que, précédemment, le personnel était laissé à lui-même, la direction de l’entreprise se défaussait en permanence.

Sur le plan légal, nous demandons que les actes d’agression contre le personnel des transports publics soient poursuivis d’office et que les employés victimes soient directement parties à la procédure judiciaire. Une motion dans ce sens a été approuvée par les deux Chambres fédérales en 2001. Mais le Conseil fédéral n’a rien fait pour la concrétiser. En mars 2006, nous avons déposé une pétition de 10’000 signatures à Berne pour faire avancer le dossier. En décembre 2006, le Conseil fédéral a enfin entériné la loi incluant cette disposition, qui est donc en vigueur depuis le 1er janvier 2007. Mais des problèmes d’application se posent encore, particulièrement dans le canton de Vaud.

Dans le même domaine, nous avons constitué un réseau Sos-Solidarité en Suisse romande avec nos collègues de la sous-fédération ZPV du SEV.

Nous avons aussi organisé, après Rome (2002) et Paris (2004), le 3e forum européen des transports urbains à Lausanne les 13 et 14 juin 2006, qui a regroupé plus d’une soixantaine de délégués venus de France, d’Italie et de Croatie. 

Comment est organisé le GATU? Que veut dire «autonome«?

Un comité composé de six membres est responsable de la conduite de notre groupement (actions, objectifs, orientations, etc.). Chaque année, lors de nos assemblées statutaires nous présentons nos activités et soumettons aux délégués nos orientations syndicales.

Notre autonomie concerne d’abord notre fonctionnement et nos activités, et aussi, dans une certaine mesure, nos finances. Le GATU prend des positions sur des sujets politiques et syndicaux, qui peuvent parfois être contraires à celle du SEV (la fédération qui est membre de l’Union syndicale suisse). Il faut noter que le SEV les respecte, comme lors de notre opposition à la faiblesse de la protection des droits de tous les salarié·e·s à l’occasion de «l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes» en 2005. 

Quels sont les syndicats concernés par le secteur des transports publics en Suisse romande? Quels sont vos rapports avec eux?

Nous avons bien sûr des relations au sein du SEV avec les autres secteurs. En dehors du GATU (transports sur pneus) et du SEV (transports ferroviaires et navigation), il n’y a dans les transports publics que quelques sections syndicales minoritaires du syndicat Transfair (chrétiens, Travail.Suisse). Le secteur des cars postaux, lui, est l’affaire du Syndicat de la communication. Nous avons peu de contact avec eux, car nous les considérons comme très peu revendicatifs. En Suisse alémanique, la plupart de nos collègues des transports urbains sont historiquement regroupés au sein du SSP-VPOD (Syndicat des services publics). Cette séparation syndicale nous affaiblit pour la défense de nos intérêts, même si nous avons une rencontre annuelle avec eux. 

Une ordonnance fédérale vient de paraître concernant la formation des conducteurs. Qui est concerné?

Elle concerne l’ensemble des chauffeurs professionnels publics et privés pour le transport des personnes. 

Comment était organisée la formation jusqu’à présent?

Chaque entreprise l’organisait comme elle le voulait. Il fallait simplement obtenir ou former des personnes ayant le permis de conduire pour cars ou trolleybus. L’ordonnance fédérale est donc un progrès par rapport à la situation actuelle. Mais on est loin de la revendication, que nous développons depuis plus de 10 ans, qu’il y ait un certificat fédéral de conducteur de transport public, et même de l’application des directives européennes sur le sujet: la Suisse en a réduit la portée pour diverses raisons, en particulier financières. 

Que prévoit cette ordonnance?

Elle tend à diminuer le contrôle de l’Etat et à confier à la branche, c’est-à-dire au patronat, la formation et son contrôle. Notre profession n’est ainsi pas reconnue au niveau fédéral en tant que telle, contrairement aux chauffeurs professionnels poids lourds qui transportent des marchandises. Ce qui veut dire, en simplifiant, qu’il est plus important de transporter des patates que des personnes!

Nous allons évidemment suivre les applications de la nouvelle ordonnance, dénoncer les problèmes de qualité de la formation, faire pression sur les entreprises concernées et continuer de revendiquer une formation qui ne se limite pas aux seules capacités de conduite. 

Un point d’achoppement récent est l’organisation du travail aux TL (transports publics lausannois). Depuis 4 ans, un système d’aménagement du temps de travail (ATT) y est en vigueur. En quoi consiste-t-il?

Le système est basé sur une organisation du travail qui permet aux conducteurs de choisir leurs journées de travail (horaires, lignes, prises de service) en fonction de leurs aspirations personnelles, de leur vie sociale et familiale. Il permet de diminuer la durée des journées de travail et du temps de présence par rapport à ce que l’on connaissait avant. 

Comment a-t-il été introduit?

Il a été introduit en 2003 après que le personnel concerné l’a accepté à 68 %. Évidemment, le fait de pouvoir personnaliser son horaire de travail en fonction de ses souhaits fut l’un des facteurs déterminants pour cela. L’autre élément important fut le manque d’un débat syndical. En effet, lier l’introduction d’ATT à une nouvelle grille salariale pénalisant les récents et futurs engagés par rapport aux anciens aurait mérité un débat syndical clair. Ce que le comité de section de l’époque a réussi à éviter. 

Quels sont les problèmes qu’il suscite?

Cette organisation du travail est encore assez appréciée, mais le taux de satisfaction diminue régulièrement. Le fait que la priorité dans le choix des horaires soit basée uniquement sur l’ancienneté implique des mécontentements croissants chez les nouveaux conducteurs. On constate une dégradation de l’ambiance entre anciens et jeunes, négative pour tous. 

Comment le système a-t-il évolué?

Afin de permettre une meilleure répartition et des possibilités de choix pour l’ensemble du personnel de conduite, de nouvelles règles sont régulièrement imposées, ce qui fait que ce système devient de plus en plus contraignant pour les mieux placés dans la liste.

Nous avons dit «Stop, plus de nouvelles règles» afin de ne pas dénaturer ce qui avait été mis en consultation lors de l’introduction d’ATT. Pour nous, il faut arrêter de tirer la couverture d’un côté ou de l’autre! Nous disons que la couverture est trop petite et qu’il faut rajouter du tissu (des bonifications en temps). Ces suppléments de temps devraient permettre une compensation et une meilleure répartition des journées de travail. 

Vous soulignez la nécessité et la difficulté de l’unité des salarié·e·s. Comment agissez-vous dans ce sens?

Notre proposition d’agrandissement de la couverture vise justement (avec d’autres idées) à faire cesser les chamailleries entre nouveaux et anciens; c’est un de nos premiers objectifs pour 2008. Nous voulons une amélioration du système sans que des collègues subissent une dégradation de leur situation actuelle. 

Plus généralement, que penses-tu de la politique de la direction centrale du SEV? Quand on discute avec un conducteur de train, par exemple, on remarque que la pression au travail ne cesse de croître: heures supplémentaires non rattrapables, appels par SMS à venir travailler le dimanche… Simultanément, les conducteurs avouent souvent «l’impuissance», pour ne pas utiliser un autre terme, de l’organisation syndicale.

Oui, il y a un problème entre la base CFF et notre direction syndicale. Mais je constate que la situation actuelle est le résultat des 60 années de paix du travail qui ont chloroformé la combativité et l’esprit de lutte des travailleurs. A l’époque, l’encadrement par des secrétaires syndicaux formés uniquement dans un esprit de compromis faisait le reste.

Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence que «la paix sociale» est terminée et que l’on va vers «une guerre sociale«! Le SEV commence à avoir une nouvelle conception et une orientation syndicale un peu plus combative. On le constate dans l’engagement des derniers secrétaires syndicaux. Mais il faudra un certain temps à mes collègues de la base afin qu’ils se préparent à concevoir la lutte et la grève. Dans les transports urbains, l’esprit de lutte syndicale est plus développé, en particulier à Genève qui a une longue histoire de mouvements de grève.

 A quels problèmes de santé s’affrontent les conducteurs de bus? Toutes les enquêtes sérieuses faites dans divers pays montrent que les infarctus sont très courants chez les conducteurs, entre autres à cause du stress (circulation, passagers, horaires, etc.). Etes-vous actifs sur ce thème?

C’est un des dossiers que l’on va travailler dans le cadre du GATU pour 2008. Tenir quotidiennement nos horaires tout en respectant les règles de circulation et la sécurité, c’est parfois très stressant; nous luttons donc pour une meilleure priorité aux transports publics. La cohabitation avec les cyclistes (moyen de transport qui se développe) devient aussi un problème de sécurité. Les pressions psychologiques sur le personnel, en liaison avec les nouvelles politiques de management des absences nous préoccupent aussi.

Y a-t-il une discussion dans les syndicats, et particulièrement au sein du GATU, sur la politique des transports ? Intervenez-vous publiquement sur ce thème, en direction des usagers notamment ?

Oui et sur divers sujets: rôle des transports publics dans la lutte contre la pollution, péages urbains, financement et développement des transports, sécurité et humanisation des transports, etc.

Lors de conflits, s’adresser aux usagers est incontournable: les collègues des TPG l'ont fait il y a trois à quatre ans (grève d'une journée) et ceux de Lausanne dans les années nonante (grève du zèle) avec distributions de tracts et une communication aux médias sur nos conditions de travail.

Pour ce qui est des usagers, je pense que ceux-ci devraient être organisés et représentés dans les conseils d'administration des entreprises.

(25 février 2008)

 
         

 

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