Gaza
 
 

Israël: la politique coloniale du fait accompli

Mouvement pour le socialisme (MPS)

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Le 16 mars 2003, un bulldozer Caterpillar D9 de l’armée israélienne écrasait Rachel Corrie. Cette étudiante américaine de 23 ans de l’International Solidarity Movement (ISM) s’opposait, avec d’autres, à la démolition de la maison d’un médecin palestinien. Cela se passait dans la bande de Gaza, à Rafah.

Le vendredi 4 juin 2010, un cargo portant le nom de Rachel Corrie, affrété par l’organisation irlandaise Campagne de solidarité Irlande-Palestine (IPSC), se dirige vers la bande de Gaza. Il devrait l’atteindre samedi matin, a déclaré le Prix Nobel de la paix de 1976, l’Irlandaise du Nord Mairead Maguire Corrigan. Elle a été l’une des fondatrices du Mouvement des femmes pour la paix en Irlande du Nord (Women’s Peace Movement).

Ce bateau, dont le départ a été retardé, fait partie de la «Flottille de la liberté», contre le blocus de Gaza. Dans un communiqué publié le 3 juin, Mairead Maguire Corrigan déclarait: «Nous sommes partis pour livrer cette cargaison à la population de Gaza et ce que nous souhaitons faire, c’est briser le siège de Gaza… Notre cargaison a été inspectée par des responsables du gouvernement irlandais, par des responsables syndicaux à Dundalk [un port d’Irlande du Nord] et par des responsables du Parti écologiste. La cargaison a été scellée, totalement scellée, nous n’avons rien d’autre que de l’aide humanitaire à bord.»

Le cargo Rachel-Corrie répond, pratiquement, à un vœu fait par le président Barack Obama le 4 juin 2009 au Caire, lorsqu’il soulignait, de façon certes controuvée, que le blocus de Gaza devait être levé. De plus, la mission de ce bateau irlandais – après l’acte de guerre du 31 mai contre la «Flottille de la liberté» et en particulier la tuerie effectuée sur le bateau turc Mavi Marmara – répond à une exigence politique, morale et relevant du droit international: s’opposer à des punitions collectives imposées à des peuples (ce qui est condamné par l’article 33 de la IVe Convention de Genève).

Pourquoi cet assaut meurtrier ?

Les multiples condamnations de l’attaque par les commandos israéliens et de la politique du gouvernement de Tel-Aviv sont souvent empreintes d’hypocrisie. Toutefois, elles contraignent aussi à éclairer les raisons immédiates de l’acte de guerre, de l’acte de «terrorisme d’Etat», notions acceptées par le professeur Richard Falk, rapporteur des Nations unies concernant les territoires palestiniens (entretien avec Jesse Strauss et Dennis Bernstein).

Parmi ces raisons, une première apparaît évidente. Le gouvernement de l’Etat sioniste voulait «envoyer un message» à tous ceux qui osent mettre en cause le blocus naval et terrestre de Gaza. L’argument propagandiste utilisé à satiété étant qu’il s’agirait d’une question de «sécurité pour Israël».

A cela s’ajoutent deux autres éléments s’inscrivant dans une continuité d’initiatives politiques de la direction militaire et politique de l’Etat d’Israël.

Indiquer à la Turquie que les négociations entreprises par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le président brésilien Lula avec le régime iranien concernant «la question nucléaire» étaient inacceptables pour Israël. En effet, cette initiative turco-brésilienne affaiblit la position d’Israël qui ne cesse d’utiliser le danger que représenterait l’Iran d’Ahmadinejad (un régime certes ultra-répressif et réactionnaire) pour légitimer une intervention militaire «préventive» contre les installations nucléaires iraniennes.

Sur ce terrain, le gouvernement israélien sait qu’il agit dans un contexte politique états-unien qui lui est favorable. Une étude menée par David Peterson indique que le New York Times, entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2009, a consacré 276 articles au programme nucléaire iranien. Par contre, seuls trois articles abordaient le thème de la détention par Israël de l’armement nucléaire. Il y a là l’expression de la façon dont sont construites dans l’opinion publique – le NYT servant de base «objective» pour les médias électroniques – les conditions pour légitimer un durcissement des mesures de sanction contre l’Iran, qui frapperont avant tout la population de ce pays.

Par contre, silence est fait sur le rôle des Etats-Unis dans la «nucléarisation» de l’Inde, du Pakistan… et d’Israël. Certes, le pouvoir états-unien veut garder le contrôle sur la situation militaire régionale, mais les élites militaro-politiques israéliennes sont des tenants de la politique du fait accompli.

Ainsi, Shlomo Ben-Ami, ancien ministre des Affaires étrangères israélien, n’hésite pas à affirmer que Netanyahou est «sur le point de prendre la responsabilité d’une attaque contre les installations nucléaires de l’Iran et donc le risque de plonger le Moyen-Orient dans un affrontement apocalyptique» (Le Temps, 7 mai 2010). Cette «fuite en avant» prend appui sur des constats. Aucun de leur déni des résolutions de l’ONU n’a été sanctionné par leur principal protecteur: les Etats-Unis.

Dans ce contexte, le gouvernement Netanyahou était prêt à prendre le risque de tensions avec le gouvernement turc, un allié politique et militaire de longue date. Le gouvernement de l’AKP doit tenir compte de sa base pro-palestinienne et surtout de son nouveau rôle de puissance régionale. Néanmoins, la rupture entre Israël et la Turquie n’est, de loin, pas consommée. La livraison des drones israéliens pour combattre la population kurde n’a pas été annulée !

La direction Netanyahou-Barak-Lieberman est obligée d’accepter le rôle d’intermédiaire de l’envoyé américain George Mitchell entre l’Autorité palestinienne (qui en a peu d’autorité) et le gouvernement israélien.

Mais le gouvernement israélien est opposé à tout accord de paix effectif avec les Palestiniens et même avec le pouvoir de Syrie. L’option de fond de l’Etat sioniste reste, comme l’avait synthétisé David Ben Gourion, initiateur de la nucléarisation d’Israël: «Nous devons mettre en place un Etat dynamique s’appuyant sur l’expansion.» Cette expansion se concrétise tous les jours dans la politique de colonisation dans la Cisjordanie et le Golan. Dans le même ordre d’idées, Itzhak Rabin affirmait que «son rêve était de voir sombrer Gaza dans la Méditerranée» (Alain Gresh, 2 juin 2010). C’est ce qui est un «rêve» qui se fait réalité.

Les discours et les faits

Dans divers médias, les espoirs placés dans la présidence Obama sont monnaie courante. Or, une comparaison sommaire entre les promesses faites par Obama, lors de son discours du Caire du 4 juin 2009, et la politique concrète de l’administration démocrate devrait permettre d’avoir une appréciation moins mystifiée.

Sur les installations de colonies, qui «minent les efforts pour obtenir la paix» et «qui devraient s’arrêter», rien n’a été fait. Sur le blocus de Gaza, l’administration américaine a même financé la barrière d’acier, qui s’enfonce profondément dans la terre, construite par son allié égyptien Moubarak, sur la portion de territoire jouxtant Gaza et l’Egypte.

L’administration Obama n’a donné aucune suite au rapport Goldstone. Ce dernier a été systématiquement attaqué par le gouvernement israélien et par un organisme – Im Tirtzu («Si vous le voulez») – ayant l’appui des autorités israéliennes et financé par le puissant lobby qu’est l’APAC (The American Israel Public Affairs Committe). Toutes les ONG israéliennes dénonçant les violations des droits de l’homme en Israël et dans les territoires occupés (B’tselem, Adalah, Yesh Din…) sont dénoncées comme une cinquième colonne en Israël.

Le but est clair: le rapport Goldstone s’appuyait en grande partie sur leurs documentations et informations. Or, il concluait que l’attaque de décembre 2008-janvier 2009 contre Gaza («Plomb durci») relevait d’un crime de guerre et peut-être de crime contre l’humanité.

Enfin, lors de la réunion du Conseil de sécurité du 1er juin 2010, les Etats-Unis ont soutenu l’idée, traditionnelle, que l’enquête sur les «incidents» serait effectuée par les Israéliens eux-mêmes. Ce dont ces derniers sont coutumiers.

• Quant à l’obligation pour l’Egypte d’ouvrir, momentanément, la frontière de Rafah, après des manifestations massives dans la majeure partie des villes égyptiennes, il ne faudrait pas mal l’interpréter.

On oublie trop vite que le gouvernement égyptien, en décembre 2009, a empêché la Marche de la liberté sur Gaza qui réunissait quelque 1400 participants. On oublie trop vite que le gouvernement égyptien a tout fait pour détruire les quelques tunnels permettant un maigre approvisionnement de Gaza. On oublie trop vite l’importance de la coopération politique et économique entre l’Egypte et Israël, avec des accords commerciaux établis sur le long terme et la livraison de gaz naturel à Israël. Le gouvernement égyptien, tenu à bout de bras par les Etats-Unis, a tout fait pour affaiblir le Hamas et renforcer l’Autorité palestinienne, déconsidérée.

• Face à une politique coloniale d’une brutalité crue et sophistiquée à la fois, le peuple palestinien cherche une voie de riposte et de libération. Cette recherche lui appartient. Par contre, la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) peut connaître actuellement une extension et une accélération. Richard Falk lui-même affirme: «C’est l’occasion pour la société civile d’accroître la campagne BDS… Et il est possible que ces derniers événements puissent donner plus de force à cette campagne qui a été si efficace pour s’opposer au régime d’apartheid d’Afrique du Sud à la fin des années 1980 et au début des années 1990.»

(4 juin 2010)

 
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