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Elections nationales octobre 1999

 


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Déclaration d'intention de solidaritéS
pour les élections nationales d'octobre 1999

1.

    La lune Blocher-UDC éclipse l'essentiel des questions sociales, économiques et politiques qui devraient être débattues par les citoyennes et les citoyens, entre autres à l'occasion des élections nationales d'octobre 1999.

    Une étrange complicité s'établit. Blocher et l'UDC occupent les premières pages des médias. Les médias s'occupent dès lors, encore plus, de Blocher. Ainsi, rares sont ceux qui peuvent (ou veulent) se préoccuper de la politique "de démontage social" conduite collégialement par le gouvernement de la bande des quatre. En français helvétique: le gouvernement de la "formule magique", avec ses ingrédients radicaux (PRD), démocrates-chrétiens (PDC), social-démocrates (PS) et démocrates du centre (UDC).

2.

    Au nom des six commandements des nouvelles Tables de la loi — mondialisation, innovation technologique, libéralisation, déréglementation, privatisation, compétitivité — le bien-être et le bien-vivre du pays, de la société et de ses membres comme de l'environnement sont mesurés à l'aune des performances du SMI (Swiss Market Index) et du SPI (Swiss Performance Index).

    Ces indicateurs sont censés traduire le tonus d'une économie abaissée, de fait, à réunir les conditions de la hausse des actions de quelques grands oligopoles autocratiques. La valorisation de grands actifs industriels et financiers (la vraie propriété) devient l'essence de la civilisation. "Faites du fric", "sachez vendre et vous vendre", voilà l'alpha et l'oméga de l'époque!

    Les arbitrages de la corbeille — les bons points distribués par ces faux anonymes prénommés "grands investisseurs" — tracent peu à peu le périmètre ("équilibre budgétaire", "baisses fiscales sur le capital", etc.) que Conseil fédéral et Parlement ne doivent pas enjamber. Sans quoi, ils seront sanctionnés, punis par les "marchés"!

    L'autonomie de décision appartient au Capital, aux grands oligopoles, aux marchés. Les entreprises se doivent d'être "les meilleures". Par contre, le gouvernement et le parlement — l'Etat en général — se doivent d'être les "moins mauvais", autrement dit de servir au mieux les meilleurs.

    Dans ce contexte, l'appauvrissement de la démocratie (le pouvoir du peuple par le peuple), pour ne pas dire le déni, devient une évidence. Et, malheureusement, le dépit des citoyennes et citoyens face à la politique — qui devrait être la gestion collective de la cité — trouve quelques raisons d'être dans le fonctionnement normal de ce régime.

    Ce, d'autant plus que le Conseil fédéral apparaît comme un délégué à la gestion des affaires du "monde des affaires"; et même un représentant de commerce comblé de côtoyer ceux qui comptent vraiment en Suisse: voir pour illustration le voyage de Pascal Couchepin au Brésil, avec ses commanditaires.

3.

    Si l'effet d'éclipse Blocher-UDC n'obnubile pas la vue. Si le regard se dirige vers le paysage social tracé à partir des impératifs contenus dans les nouvelles Tables de la loi, alors les inégalités croissantes de ce monde deviennent aveuglantes. Pour exemple:

  • Les salaires moyens ont augmenté en moyenne annuelle de 1,7% par an; alors que les bénéfices des entreprises cotées en Bourse croissaient au rythme annuel de 17,7%. Or, cette hausse nominale de 1,7% ne concerne pas une part très importante de salarié.e.s. Des centaines de milliers d'entre eux — et particulièrement d'entre elles! — ont subi une régression de leur salaire et de leur pouvoir d'achat.

    Par contre, l'inégalité de la répartition de la valeur ajoutée — c'est ce que reflète la comparaison entre salaires et bénéfices — explique pourquoi les actionnaires ont pu encaisser une masse de dividendes dont l'envol défie les lois de la gravitation.

    Entre 1996 et 1998, les treize plus grandes entreprises de Suisse ont accru de 40% la masse des dividendes distribués, pour atteindre la somme de 10,7 milliards en 98!

  • Officiellement le chômage régresse. Le nombre des chômeuses et chômeurs s'élèverait à quelque 90'000. Dès lors, le soupçon est installé: ceux et celles qui chôment le feraient car les allocations sont trop hautes et trop nombreuses. Il faut les réduire.

    Pourtant, le camouflage statistique du chômage ne peut faire disparaître les demandeurs et demandeuses d'emploi: leur nombre officiel s'élève à plus de 160'000. Des études indiquent que la barre des 250'000 est, en fait, dépassée.

    Assigné.e.s à un travail partiel contraint et précaire ou à une absence complète d'occupation, demandeurs et demandeuses d'emplois côtoient des salarié.e.s dont le temps de travail effectif atteint des records: 1906 heures en Suisse (dans l'industrie manufacturière) contre 1739 en Allemagne (soit un supplément de travail équivalent à 4,2 semaines à 40 heures). Le temps de travail effectif en Suisse dépasse celui en vigueur au Japon... compétitivité exige.

    A la durée s'ajoute une intensité du travail (rythme, contraintes de temps, pression permanente). Une rumeur envahit un nombre croissant d'entreprises, de bureaux, de magasins, de centres hospitaliers: "on est à bout"; "on n'en peut plus"; "on va craquer".

    Voilà l'autre facette d'une gestion économique qui, pour servir leurs rentes aux actionnaires, se doit d'accroître la valeur de la production par salarié.e, en maintenant un temps de travail effectif maximum, en le flexibilisant (travailler en lien étroit avec la fluctuation des carnets de commandes), en l'intensifiant ("pas une seconde à perdre... surtout lors des heures supplémentaires imposées").

  • Alors que s'épanouit une économie où le transfert de richesses vers un pôle de la société n'a jamais été aussi violent (depuis la seconde guerre mondiale), alors que s'installe un "capitalisme de rentiers", selon la formule de Galbraith, un vent de panique souffle sur l'avenir des simples rentiers de l'AVS, sur la couverture des soins de santé...

    Un tel vent ne relève pas d'un mécanisme naturel. Il est alimenté par les banques, les assurances, les gérants de fortune qui se proposent d'accroître leur marché en étendant le deuxième pilier (épargne obligatoire) et surtout le troisième (épargne volontaire).

    Ainsi, d'une pierre, ils feront deux coups: l'accumulation accrue de fonds gigantesques à placer et à valoriser en Bourse et une défiscalisation accrue des très hauts revenus ainsi que de l'épargne..., cela tout en élevant le taux de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) qui frappe la consommation des salarié.e.s, mais pas l'épargne des plus aisés.

    Ce mécanisme - qui n'est plus contesté par la gauche officielle, au nom d'un réalisme à relent d'à-plat-ventrisme — est un camouflet infligé à la majorité des salarié.e.s qui ont créé et créent la richesse. Affronter les "vieux jours" ou les risques de la vie (maladie, chômage) devient un sujet d'angoisse et de soucis, car la couverture de ces risques et de l'après-travail pourrait ne plus être assurée.

    Comment peut-on faire croire que les ressources n'existent pas pour la mise en place d'une véritable mutualisation des risques, donc d'une vraie sécurité sociale impliquant un système étendu et progressif de cotisation sociale?

    La réponse à cette question ne réside pas dans des considérations technico-économiques. Elle doit être trouvée dans l'acharnement d'une couche réduite, mais puissante, à perpétuer ses avantages privés issus d'un système de redistribution de plus en plus inégalitaire de la richesse. Certes, ces milieux, relayés par les partis bourgeois, veulent bien mettre en place quelques éléments d'un filet de sauvetage social; ces mesures font penser aux bonnes et intentionnées actions caritatives du début du siècle passé.

    Cette affirmation peut-elle être frappée au coin d'un simplisme à tonalité populiste? Que ceux qui le pensent réfléchissent sur ce seul chiffre: les 200 plus grandes fortunes de Suisse trustaient 97,3 milliards en 1992 et 287 milliards en 1998. Cette progression est tout à fait parallèle à celle que constate, à l'échelle mondiale, le dernier rapport du PNUD sur le "Développement humain": les trois plus grandes fortunes représentaient un patrimoine supérieur au PNB des 48 pays les moins avancés peuplés par 600 millions d'habitants. Cette progression n'est que l'expression la plus superficielle du transfert de richesse et des mécanismes rentiers qui le soutiennent.

4.

    La gauche se trouve donc face à un apartheid social nourri par les mécanismes déchaînés d'un capitalisme mondialisé, présenté sous les habits respectables de "l'économie de marché". Cet apartheid — comme celui qui était en vigueur en Afrique du Sud — tend à être naturalisé pour lui construire une légitimité, et surtout pour lui faire acquérir un statut d'immuabilité ("il n'y a pas d'alternative").

    "Gagnants" et "perdants" deviennent des catégories "naturelles" qui renvoient, et donc s'expliquent, prétendent-ils, par les "mérites" et les "efforts" de chacun et chacune, dans la quotidienneté et dans le monde entier.

    A gauche, ceux qui ont présenté les dictatures bureaucratiques comme des porte-drapeaux de "l'idéal socialiste" essayent d'effacer les traces de ce passé honteux. Cela ne les empêche pas d'applaudir (avec plus ou moins de retenue) aux succès électoraux, à l'Est, des forces nationalistes-réactionnaires qui prolongent l'existence des anciens partis staliniens et des mafias qu'ils nourrissent.

    A gauche, les tenants d'une économie "sociale" de marché, de plus en plus, ne dénoncent que les seuls excès de l'apartheid social; ce qui a pour résultat de valider le système producteur de ces/ses "excès". Leurs origines profondes, systémiques, sont donc ignorées.

    Le réalisme contraint à faire l'impasse sur la réalité; à tel point que la gauche gouvernementale s'étonne de la vigueur des constats de certains rapports d'agences internationales, y compris de la Banque mondiale. Le monde à l'envers.

    Or, selon nous, le réalisme consiste à oser prendre en compte la dimension des défis à ce tournant de siècle et à parier sur l'intelligence des salarié.e.s — qui s'exprime, entre autres, dans leurs activités professionnelles — pour ré-inventer "un bien commun".

    Ce pari est rationnel. Il repose sur les questions qui sont posées tous les jours par des personnes, des mouvements associatifs, des syndicats; des questions qui surgissent au travers de luttes, aussi modestes soient-elles. Ces interrogations (et des débuts de réponses) ont trait à des thèmes d'une actualité pressante. Pour faire image, nous citerons:

  • la conquête de l'égalité hommes-femmes en intégrant la dimension de l'activité professionnelle croissante des femmes;

  • la possibilité d'organiser différemment le travail pour prévenir les accidents et les maladies professionnels (thème qui est magistralement ignoré officiellement lorsque l'on pérore sur l'explosion des coûts de la santé);

  • la planification à long terme des ressources naturelles irremplaçables, planification qui implique de rompre avec l'idée que la seule gestion rationnelle consiste à mettre un prix... sur des ressources dont on ne peut estimer la valeur (à moins de prétendre que n'a de valeur que ce qui a un prix);

  • la maîtrise démocratique sur les grands choix productifs, sur la répartition de la richesse, donc sur les groupes économiques qui concentrent l'utilisation de cette richesse, utilisation dont dépend la vie de la société et des sociétés à l'échelle mondiale.

    La société en Suisse, les sociétés en Europe et dans d'autres continents, face aux chocs de la mondialisation du capital, vont faire surgir de multiples forums, nourrissant débats, initiatives et luttes.

    Le mouvement solidaritéS inscrit sa présentation aux élections nationales dans ce flux.

    Le programme qu'il présentera sera un maillon de cette narration qui se construit d'en bas et qui se veut une contre-narration face à celle des nouvelles Tables de la loi des dominants.

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