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Face au phénomène Haider... 31/03/2000



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    ... faire confiance aux gouvernements
    ou retisser des solidarités internationales ?

« Les Autrichiens d’abord ! » ; « Les soldats de la Wehrmacht ont permis d’instaurer la démocratie en Europe ! » ; « Voici venu le temps d’un retour à la religion, à la croyance, à l’histoire et à la nation ! ». Voici quelques « perles » tirées du répertoire du chef incontesté du Parti de la Liberté autrichien (FPÖ), Jörg Haider. Depuis début février 2000, son parti participe pleinement au gouvernement autrichien.

Dirigée par le chancelier Wolfgang Schüssel, du Parti populaire (ÖVP), la nouvelle coalition gouvernementale « noire-brune » comprend des ministres qui, dans le passé, se sont fait remarquer par des déclarations racistes et négationnistes. Ainsi, l’actuel ministre de la défense, Herbert Scheibner, est connu pour ses prises de position contre une prétendue « invasion de l’Islam ». Ou encore, le ministre de la Justice (sic !), Michael Krüger, a qualifié les camps de concentration nazis de « camps disciplinaires ».

C’est ce genre de personnages qui ont trouvé leur place dans le cabinet d’un gouvernement européen, au début du XXIe siècle.

Des mobilisations européennes

La mise en place de ce gouvernement a suscité en Autriche une forte réaction sociale. Depuis début février, des manifestations, des débats, des grèves d’écolier·ère·s et d’étudiant·e·s se déroulent dans tout le pays. Elles ont culminé dans une gigantesque manifestation à Vienne samedi 19 février, à laquelle ont participé plus de 200’000 personnes. La société autrichienne – les salarié·e·s, les jeunes, les femmes, les intellectuel·le·s – se ré-intéresse aux « affaires de la Cité ». Cette réaction constitue une précondition à une riposte syndicale, sociale, culturelle et politique.

Dans le reste de l’Europe, ces mobilisations rencontrent une grande sympathie. Dans plusieurs villes, se déroulent des soirées de discussion, ainsi que des manifestations de solidarité avec celles et ceux qui se battent contre Haider et contre la droite musclée, dont l’essor n’est malheureusement pas une particularité autrichienne.

La protestation contre la réception par le Conseil fédéral du chancelier Schüssel et de la ministre des affaires étrangères Ferrero-Waldner s’inscrit dans cette solidarité internationale. Elle est légitime, comme l’étaient il y a une année, par exemple, les manifestations de protestation, entre autres contre l’oppression du peuple tibétain par le pouvoir central de Pékin, lors de la venue au Palais fédéral du chef d’Etat de la République populaire de Chine, Jang Zemin.

Faut-il confier la riposte aux gouvernements ?

Face au nouveau gouvernement « noir-brun » autrichien, l’Union européenne (UE), à la recherche d’une légitimité populaire, n’a pas hésité à utiliser ses « armes diplomatiques » : suspension des rencontres officielles bilatérales avec l’Autriche, refus de tout soutien aux candidats autrichiens pour les postes de direction à repourvoir dans les organisations internationales, ou encore refus des ministres… de se faire photographier aux côtés des « collègues » autrichiens. Un « cordon sanitaire » pour la défense des droits démocratiques, impulsé par les gouvernements et institutions de l’UE, serait-il en train de se mettre en place autour de l’Autriche ?

Il y a dans ces réactions une bonne dose d’hypocrisie, qui dissimule les ressemblances, sur des points essentiels, entre les objectifs affichés par le nouveau gouvernement autrichien et les politiques effectivement mises en œuvre par les autres pays membres de l’UE.

  • Ainsi, lors du sommet de Lisbonne de l’UE de fin mars 2000, Haider n’était déjà plus au centre des discussions. Une autre question occupait l’agenda : au nom de la croissance et de la compétitivité, s’attaquer massivement aux droits des salarié·e·s, présentés comme des « rigidités du marché du travail », imposer encore plus de flexibilité et de précarité, ce qui conduit logiquement à remettre en cause la légitimité de droits démocratiques comme celle du droit de grève (que le gouvernement italien vient de restreindre dans les services publics). L’assurance chômage est aussi dans le collimateur : il s’agit de transformer le droit à des indemnités, acquis par des années de cotisations (« Welfare State »), en allocations subordonnées à l’obligation d’accepter des emplois au rabais (« Workfare State »). Cette mesure est bien connue en Suisse ; elle permet aux employeurs de profiter pleinement de la « contrainte du chômage » qui pèse sur les épaules des salarié·e·s pour leur faire accepter plus facilement des emplois précaires, flexibles et moins rémunérés.

  • • Les politiques d’asile restrictives de tous les pays membres de l’UE sont de plus en plus restrictives et inhumaines. Dans le contexte actuel de crise, elles contribuent fortement à alimenter les préjugés racistes. Elles sont pour une bonne part la mise en œuvre silencieuse de ce que Haider et ses partisans réclament à coup de déclarations tonitruantes. Encore une fois, la Suisse est dans le peloton de tête.

Jörg Haider : quelle politique ?

Le Parti de la Liberté s’est construit une légitimité et un ancrage social aussi dans des couches salariées, en surfant, en bon skieur, sur le discrédit croissant d’une social-démocratie régulièrement au pouvoir depuis 1945. Cette social-démocratie, profitant sans vergogne des petits avantages du « Proporzsystem » (le partage des postes avec les conservateurs de l’ÖVP), a par contre renoncé à toute défense un tant soi peu conséquente des droits de la majorité de la population. Elle s’est accommodée sans état d’âme des règles du « tout au marché », proposant seulement un filet social, de plus en plus troué, pour les plus démunis.

Le fait que le programme de la nouvelle coalition « noire-brune » est, comme l’affirme le « Financial Times », à 90 % identique à celui négocié mi-janvier par une coalition mort-née entre la SPÖ et l’ÖVP, en est une claire illustration. Cette évolution a également conduit la SPÖ à soutenir le dernier budget d’austérité présenté dans le Land de Carinthie par un gouvernement dirigé par un certain Jörg Haider, gouvernement où siègent d’ailleurs des représentants de la SPÖ.

Le Parti de la Liberté répond à cette profonde déception des salarié·e·s en faisant appel aux pires ressorts nationalistes. Ceux-ci trouvent un terrain fertile dans une situation marquée par les profondes transformations de ces dernières années : ébranlement des institutions sociales, crise économique, chute des dictatures bureaucratiques des pays de l’Est (particulièrement ressentie dans l’Autriche voisine : désorganisation d’anciennes relations commerciales, immigration…). Cela a créé un sentiment de profonde incertitude et d’insécurité face à l’avenir dans de larges couches de la société.

Dans le même temps, le Parti de la Liberté ne se gêne pas de conduire, quand il est au pouvoir, une politique économique et sociale thatchérienne. Détail révélateur, au cours de l’été 1996, Jörg Haider a suivi un cours intitulé « Réformes globales et privatisations des entreprises publiques » à la prestigieuse université américaine de Harvard. Le programme du nouveau gouvernement « noir-brun » est en parfaite syntonie avec cette approche. Défini par une collègue de parti du premier ministre ÖVP comme « une véritable révolution thatchérienne », il prévoit une réduction drastique des dépenses publiques, l’élévation de l’âge de la retraite, une hausse des impôts indirects et une accélération des privatisations – notamment des télécoms, du secteur financier de la poste, de l’importante aciérie « VA Stahl », ou encore de l’aéroport de Vienne.

Ce programme, sur des questions essentielles, n’a rien à envier au « Pacte de stabilité » appliqué avec zèle par les gouvernements de l’Union européenne. En Suisse, le projet de la 11e révision de l’AVS, qui va porter un nouveau coup sévère à cette assurance sociale, ou encore l’abolition du Statut du personnel fédéral, sont sur la même longueur d’onde.

Quant à la politique d’immigration et d’asile, le programme de la nouvelle coalition autrichienne ne s’éloigne pas de celui qui est appliqué par l’ensemble des gouvernements européens comme par le Conseil fédéral : accords de Schengen, procédures de contrôle et de refoulement constamment durcies dans toute l’Europe comme en Suisse, « ghettoisation » et stigmatisation des requérants d’asile, à qui, par exemple, on interdit de travailler, et dont les demandes de refuge sont de moins en moins prises en compte.

L’adaptation à la « raison néo-libérale » de la FPÖ n’empêche pas que, dans l’ombre d’Haider, se renforcent des courants ouvertement fascistes. Cela n’est d’ailleurs pas une spécificité autrichienne ; dans plusieurs pays européens, l’extrême-droite essaie de prendre appui sur le succès de Haider pour se développer. Ainsi, le 12 mars 2000, plus de 500 néo-nazis ont manifesté à Berlin, le jour du 62e anniversaire de l’Anschluss, avec pour mot d’ordre : « solidarité nationale avec Vienne ».

Retisser des solidarités internationales

Dans ce contexte, faire du « boycott » et de l’« isolement » de l’Autriche par les gouvernements européens (suisse compris) le moyen privilégié de combattre le parti d’Haider, est porteur d’un triple piège :

  • Cela masque le contenu profondément antisocial de la politique du gouvernement autrichien, en parfaite harmonie avec celle mise en œuvre par tous les gouvernements européens – de droite comme de gauche.

  • Cela délivre un certificat démocratique et de respect des droits de la personne humaine à des gouvernements, européens et helvétique, qui violent chaque jour les droits des requérants d’asile venant chercher refuge en Europe, qui corsètent l’expression démocratique – droit de manifestation, droit de grève – dès qu’elle menace de se traduire en une résistance efficace face aux contre-réformes (la répression des manifestations des chômeurs ou des camionneurs en France, par exemple), qui entretiennent cyniquement les meilleures relations avec la Russie de Poutine qui massacre les Tchétchènes ; ou avec le gouvernement turc qui réprime avec une brutalité extrême les Kurdes revendiquant leur droit à l’autodétermination, pour ne citer que ces deux exemples.

  • Cela dissimule les contradictions qui traversent la société autrichienne, comme les autres sociétés européennes, en terme d’intérêts sociaux et de droits démocratiques, derrière un théâtre d’ombre « opposant » des entités « nationales » (« la » Suisse, « la » France, « l’» Autriche) ou supra-nationales (« l’» Union Européenne). Or, ces oppositions factices constituent justement le terrain idéal pour la politique de Haider – et de toutes les droites nationalistes européennes – dont le fonds de commerce politique est constitué par l’exaltation du sentiment d’identité et de fierté nationales, comme dérivatif aux angoisses et aux frustrations provoquées par une course effrénée et mondialisée au profit et le cortège de démantèlement de droits sociaux qui l’accompagne.


Une riposte, en Autriche comme dans le reste de l’Europe, au « phénomène Haider » passe par contre prioritairement par la capacité des salarié·e·s de retisser des solidarités, y compris trans-frontalières, et de s’organiser pour défendre leurs droits démocratiques et sociaux.
Le mouvement de solidarité européen avec celles et ceux qui se mobilisent contre le gouvernement autrichien en est une expression concrète. Cette solidarité doit se poursuivre et se développer autour de luttes unitaires, permettant de réunir, à l’échelle européenne, des retraité·e·s, des chômeurs, des étudiant·e·s, des immigré·e·s, des salarié·e·s du secteur public et du secteur privé, autour de revendications et d’objectifs qui leur sont communs, affirmant la perspective d’une Europe des solidarités et des droits.

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