Bilatérales
 
 

Un référendum à connotation raciste «de gauche» est-il possible?

Christian Tirefort,
le 24.03.2005

Le MPS (Mouvement pour le Socialisme) a lancé un référendum dit «de  gauche» contre  la libre circulation des personnes dans l'espace Européen. Il s'appuie sur l'insuffisance  des mesures d'accompagnement censées empêcher un dumping salarial. A cette occasion, il a publié une brochure en trois langues diffusée à plus de 230 000 exemplaires dans les trois régions linguistiques. Plusieurs personnes nous ont contactés  pour nous communiquer leur étonnement, et surtout nous signaler qu'elles n'arrivaient  pas à déchiffrer le texte en question. C'est pourquoi, après discussion avec Eric Decarro (ancien président de la VPOD), j'ai entrepris une analyse de ce document. Au cours de l'étude, j'ai constaté un fil conducteur qui place le MPS parmi les organisations croyant encore possible de développer une «alternative» au capitalisme à  l'intérieur de l'Etat/Nation traditionnel, aussi petit soit-il. Il y a dans ce texte un refus de voir la mondialisation  telle qu'elle est, ou alors elle est présentée comme un projet d'une caste de capitalistes tirant les ficelles comme s'ils n'étaient pas eux-mêmes finalement «victimes» du système. Selon le MPS, il serait possible de tourner la roue de l'Histoire à sens inverse, de retourner à sa phase industrielle où des réformes étaient encore possibles.  Le MPS refuse de voir qu'il y a eu un «saut qualitatif», que le passage à la société financière rend impossible un retour en arrière, et que le mouvement syndical se trouve devant un nouveau défi qui ne se résoudra pas par le simple alignements de revendications et des luttes sectorielles à caractère corporatif.

 Eric Decarro a fait un document similaire. Plusieurs éléments se recoupent avec le mien. D'autres éléments des deux textes prennent les mêmes questions sous d'autres jours. Je vous souhaite bonne lecture et reste à votre disposition pour tout commentaires  ou renseignements. Aujourd'hui un débat de fond est indispensable.

 Le 5 avril 2005

 

Un référendum de gauche est-il possible contre la libre circulation des travailleurs et des travailleuses ?
Le MPS [1] dit oui: critique de son argumentaire

Avant d’entrer dans le détail de ce texte quelques remarques générales sont nécessaires.

1.
La libre circulation des personnes au sein de l’espace européen n’est pas un but. Ce n’est pas elle qui mènera vers l’abolition de l’exploitation des travailleurs. Mais la libre circulation est à classer parmi les droits humains universels. Plus elle sera étendue mieux ce sera. Réduire cette libre circulation est une chicanerie bureaucratique procédant de l’instinct primaire du groupe voulant s’imperméabiliser contre l’irruption de l’autre. C’est un acte frileux, soi-disant fait pour s’«auto protéger» culturellement, en réalité fait pour se protéger de l’autre perçu comme un danger potentiel. Cela suppose aussi une construction idéologique présentant son «soi-même» comme fait d’une essence supérieure, vertueuse, face à l’autre supposé intrinsèquement inférieur et suspect, donc l’idée élitiste de la race supérieure, ou de meurs et culture «à protéger» contre quelque chose de supposé attardé et barbare. Cela est très insidieux et nourrit le chauvinisme et le nationalisme, finalement le racisme.

2.
Dans le monde des travailleurs le chauvinisme prend des formes souvent misérabilistes: on prend pour prétexte la défense de niveaux de salaire ou de l’emploi pour se barricader dans son réduit «national». Ainsi les arguments telles que «on n’a déjà pas assez de travail pour nous», ou «les patrons jouent les travailleurs étrangers pour faire pression sur les salaires», ou «on n’a rien contre les étrangers, mais ils n’en faut pas trop pour qu’on les accueille dignement», et bien d’autres encore, sont régulièrement assénés par l’extrême-droite populiste, et malheureusement parfois relayés par des forces de gauche. Depuis l’initiative Schwarzenbach, de sinistre mémoire, on croyait la gauche lavée de tout soupçon de xénophobie, ce qui se passe maintenant autour des bilatérales prouve qu’il n’en est rien puisque sous couvert de défense plus conséquente des travailleurs une partie de l’extrême-gauche reprend les mêmes thèmes, mot pour mot. Quelle différence y a-t-il entre l’argumentation des syndicats en 1961 et celle du MPS aujourd’hui ? Aucune. Lucien Tronchet, secrétaire FOBB, expliquait: Le patronat favorise une surpopulation étrangère pour faire pression sur les syndicats» et notre Lucien de réclamer «une pause dans l’arrivée de la main-d’œuvre étrangère» [2]
On retrouve dans cette position à la fois l’affirmation qu’il y aurait «surpopulation étrangère» et tout ce que cela implique, et qu’il faut stopper momentanément, faire «une pause», à l’afflux des étrangers. Il y a même les notions de «défendre les travailleurs» et de se prémunir contre l’afflux de miséreux, citons le même article:
Aujourd’hui on assiste à une terrible reconstitution d’un prolétariat en guenille dans une Genève internationale et humanitaire …  nous ne voulons pas qu’ils (les travailleurs étrangers) deviennent un objet de spéculation, et encore moins d’exploitation.
Le même raisonnement prévaut pour le MPS: les Polonais, les Lithuaniens, etc. viendront plus tard (le MPS, comme Lucien Tronchet, réclame «une pause»). De plus, la notion de Genève internationale et humanitaire, fait pendant à la vision du MPS sur la Suisse, l’économie nationale suisse occupant des niches réservées à ses travailleurs ponctuels et super qualifiés, qu’il faut préserver contre les miséreux venant de Pologne… Entre Lucien Tronchet et les auteurs du texte du MPS la différence est, qu’à l’époque, il y avait «surchauffe et plein emploi», alors qu’aujourd’hui il y a chômage massif en Europe et en Suisse. Le MPS essaie de résoudre ce problème en se retranchant dans son réduit national.

3.
Le monde a évolué, et pas en bien. Cela on le sait depuis la fin des années 70. A partir de ces années les réformes ont été brutalement stoppées, le processus d’amélioration relative des conditions de vie d’une partie des travailleurs a été inversé. On se retrouve dans une période où le capitalisme impose son extrême brutalité pour tenter de maîtriser la baisse tendancielle du taux de profit. On ferait bien d’étudier cette problématique, notamment le caractère inéluctable du processus enclenché dans les années 70, à la place de continuer à créer l’illusion que le processus de réformes pourrait reprendre. Ce ne sera pas possible dans le cadre du capitalisme.

4.
Ce processus brutal a lieu dans le monde entier. Une solution nationale est complètement illusoire. Dans le cadre de la mondialisation les entreprises des grands groupes sont jouées les une contre les autres. Les Etats/nations sont joués les uns contre les autres, ils sont devenus des unités où les conditions de concurrence contre les autres pays sont créées, donc où s’organise l’exploitation des travailleurs. Le niveau national n’est plus adéquat pour construire ce que certains ont appelé le filet des solidarités sociales. Sur le plan des nations, les entreprises se mènent une guerre sans merci pour survivre. Non seulement elles menacent, mais elles quittent sans aucun scrupule les endroits de production jugés trop chers.

5.
Les travailleurs sont mis en concurrence, dit-on. C’est juste. Mais la réponse à cela ne peut pas être la restriction d’un droit pour une partie d’entre eux, de plus les plus faibles. Ce type de réponse est la symétrie de l’attaque patronale: «puisqu’ils ouvrent les frontières, nous, on les ferme». Ainsi on ne fait que créer des discriminations et la division des travailleurs entre nations sans avancer d’un pas. La réponse à la concurrence que le MPS prétend «orchestrée par les patrons» [3], c’est de ne pas rentrer dans le panneau, mais de créer l’unité partout où les travailleurs vont. C’est donc se battre avec eux pour qu’aucun d’entre eux ne soit discriminé. A leur concurrence [4] on oppose notre coopération.

6.
Laisser croire que des solutions administratives ou des lois décidées d’en haut, freinant l’afflux de travailleurs étrangers sous le prétexte de lutte contre le dumping salarial, créeront les conditions d’une contre offensive des travailleurs est tout simplement absurde.  Ces lois ne seront tout simplement pas appliquées, ou, appliquées d’en haut, elles deviendront un vrai cauchemar kafkaïen pour l’ensemble des travailleurs.

7.
Le monde du travail est en échec. Ses vieilles stratégies, pratiquement toutes basées sur l’Etat/nation, sont devenues inopérantes, pour certaines d’entre elles contre productives. C’est le cas du référendum contre la libre circulation des personnes dans l’espace de l’Union européenne. Laisser croire que refuser cette libre circulation, la contrôler d’une manière parfaitement bureaucratique, pourra compenser une organisation forte des travailleurs est réactionnaire. Le monde du travail devra poser les vrais problèmes: puisque le capital, non seulement exploite, mais détruit notre environnement, détruit la planète, plonge tout le monde dans la misère, que de plus en plus on voit que le réformer serait vain, que mettre à la place ? «Un autre monde est possible» disent certains. Oui, mais lequel ? C’est à cette question qu’il faut répondre, c’est plus urgent que de s’agiter pour récolter des signatures d’un référendum conservateur et teinté de racisme.

8.
Le texte que nous critiquons ici est l’œuvre du MPS, ou de personnes proches de ce mouvement. Il correspond donc à l’état de la réflexion dans cette organisation. Dans sa forme, ce texte est difficile d’accès. Il est truffé de citations, certaines sorties de leur contexte, et totalement dénué de sens autocritique. Tout ce qui est échec du mouvement ouvrier est considéré comme résultant de la stratégie, voir de la trahison des autres. Tout semble résulter de volontés d’individus omniprésents. Les contradictions en œuvre dans le système, ressortant du développement de sa structure ou de sa mécanique, ne sont pas repérées, ni analysées. Ainsi ce texte ressemble plus à une profession de foi incantatoire sur l’air «nous avions et avons raison, ils ont tout faux», qu’à un argumentaire fondé sur la réflexion et tourné vers l’avenir.

9.
Ce qui frappe aussi à la lecture de ce texte, c’est l’écart entre ce qui tient lieu d’analyse, l’examen des faits, et les conclusions qui en sont tirées. Ainsi le capitalisme apparaît comme un monolithe avançant d’une manière linéaire vers un profit toujours plus grand. On ne comprend alors plus pourquoi il doit «restaurer le taux de profit». Ainsi les capitalistes sont en concurrence, mais les conséquences ne sont pas analysées, au contraire, cela n’a pas de conséquence, ils font de toute manière tous un profit énorme. Alors pourquoi parler de la concurrence ? Les capitalistes organisent la concurrence entre les travailleurs, dit le texte ; cela ne vient pas du fait objectif que les travailleurs sont sur le marché avec leur seule marchandise, leur travail, plutôt leur faculté de faire, et qu’ils sont de plus en plus nombreux avec une productivité de plus en plus forte, mais de la «méchanceté patronale» qui ne pense qu’à son profit. Le fait systémique, qui est dans la nature de la société marchande, la force de travail est une marchandise qui perd sa valeur avec sa productivité, résulte, selon le texte, du simple manichéisme des patrons qui opposent les travailleurs entre eux.

10.
Le texte mène à la conclusion qu’avec une simple volonté politique, tout serait possible, quel que soit le système, que dans le capitalisme «tout serait ouvert», que cela dépendrait du degré de lutte des travailleurs ; probablement de ce que les travailleurs suivent les orientations toujours justes du MPS. Le mouvement lui-même devient le but, le MPS se chargeant d’en donner les orientations et les objectifs. Une analyse du système est dans ce cadre inutile puisqu’elle existe déjà. La preuve, «notre argumentaire part d’une analyse complète», dit le texte. La note dans la colonne de droite de la page trois est à ce propos significative: «Par respect pour les salarié.e.s nous avons choisi de développer ici une argumentation assez complète et d’échapper à la propagande de type soviétique et publicitaire. Celle qui prend les salarié.e.s pour des consommateurs irréfléchis, gobant des slogans ayant l’allure d’évidences».
L’analyse existe donc, nous l’avons produite, il suffit de la consommer pour échapper à ce que les autres, tous les autres disent, nécessairement au service de «la propagande de type soviétique». On a réfléchi pour vous, maintenant signez le référendum. Objection, la droite lance un référendum raciste sur le même sujet. Objection vite balayée. Vous n’y comprenez rien, nous on défend les travailleurs, vous le grand capital… Si cela n’est pas prendre les gens pour des crétins ! 

11.
La partie analysant le capitalisme suisse est particulièrement instructive: selon elle le capitalisme suisse serait protégé par le fait que sa production est faite à l’intention de «niches du marché mondial». Cela permettrait à la Suisse d’échapper relativement à «la compétitivité en terme de prix de vente plus bas». Cela mène évidemment à l’idée que les travailleurs n’ont pas à avoir peur de la concurrence internationale entre capitalistes, mais par contre qu’ils doivent craindre celle de leurs congénères des autres pays qui viendront prendre leur travail à vil prix. Ces arguments, on les a beaucoup trop entendus, ils ne tenaient pas la route ces 150 dernières années basées sur une relative capacité de l’Etat/nation de se protéger, ils tiennent encore moins la route aujourd’hui où ces Etats n’ont qu’une fonction, maintenir leur compétitivité, en particulier celle des coûts du travail.

12.
Le capitalisme, à son stade financier, a aboli les frontières entravant sa circulation. Il va et vient, là où il veut, au gré des «coûts du travail». Ce processus s’accentuera. Ce n’est pas en se protégeant derrière des frontières désuètes n’entravant que la circulation des droits et des libertés des travailleurs, qu’on réussira à recomposer une force capable d’affronter le capital là où il est, c’est-à-dire partout. Un retour à l’Etat/nation n’est non plus pas possible. Il est donc absurde de vouloir protéger des travailleurs contre une évolution inéluctable. Il faut au contraire s’organiser au niveau où en est la société, globalement. Toute solution tendant à se recroqueviller sur ses frontières nationales est un non sens qui se retournera nécessairement contre les travailleurs. Il faut regarder devant nous, et si le type de société qui se développe n’est pas satisfaisant, il faut dire pourquoi et lui opposer notre modèle de société.

13.
A ce titre, il existe aujourd’hui trois positionnements possibles: 1. le renforcement des évolutions actuelles, en gros le courant dominant actuel ; 2. réformer le système actuel, cela avait un semblant de cohérence dans les citadelles industrielles, mais, pour ceux qui savent lire l’Histoire, comme cela a été vérifié ces trente dernières années, cela n’a plus aucune cohérence dans le cadre du capitalisme financier ; 3. changer non pas la société (solution réformiste) mais changer de société.

14.
L’idéologie dominante est tellement forte qu’elle a réussi à faire en sorte que la «troisième voie» ci-dessus n’est même pas évoquée, elle est devenue tabou, y compris dans les cercles de gauche. Pourtant, elle est incontournable, et c’est d’elle qu’il faut maintenant parler. Evidemment, nous ne voulons pas renouveler l’«expérience soviétique». Alors, faisons-en la critique. Cette «expérience» a été dévoyée en partie parce qu’elle était structurée sur des bases élitaires: le parti éclaire la masse des travailleurs incultes, il a toujours raison. Aujourd’hui, des groupes nostalgiques, ressemblant de plus en plus à des sectes, tentent de renouveler ce même type de rapport. C’est profondément réactionnaire et c’est sans surprise qu’on les voit aujourd’hui soutenir des référendum tendant à maintenir les travailleurs divisés entre nations, réduits à l’état de consommateurs des thèses éclairées de «leur avant-garde».

Quelques repères dans un texte filandreux et opaque

A la page 2, §4, on peut lire
Derrière cette «libre circulation» se cachent aussi une mise en concurrence - planifiée par le patronat [5] - des salarié.e.s à l’échelle de l’Europe (UE) des 25 et une conception strictement utilitariste («tirer le plus grand profit») des migrations contraintes.
Et plus loin, également à la page 2, §6: Voilà une des origines, politiquement et économiquement construite, de la xénophobie et du racisme. Ces multiples sélections et statuts divisent celles et ceux qui ont des intérêts identiques face au patronat: les salariés.

Ainsi le patronat planifie tout. Il a planifié de se placer sous la férule du capital financier. Il a planifié les crises boursières. Il a planifié la baisse tendancielle du taux de profit, sans doute pour renforcer son attaque contre les ouvriers ! Il a planifié la mondialisation, etc. etc. C’est là une vision parfaitement manichéenne de la politique, de plus complètement subjectiviste. Tout serait planifié pour nuire aux salarié.e.s. Dans ce cas, il suffirait évidemment de se débarrasser de ces planificateurs pour les remplacer par d’autres qui eux planifieraient le bonheur des salariés. C’est évidemment pas comme cela que ça se passe.

Le passage du capitalisme industriel au capitalisme financier n’était pas planifié dans la tête de certains grands manitous pouvant tout, mais il a résulté d’un processus propre au capitalisme, découlant d’une de ses fonctions, accumuler du capital. Il se passe que cette accumulation mène à un surplus de capital, celui-là ne sait plus où se placer, il ne peut alors fonctionner que comme capital financier réduisant les entreprises à des objets de spéculation. Dans ce processus, le «patronat» se métamorphose, le patron cesse d’être patron et devient gestionnaire de capital et manipulateurs d’actions, le corps de ces derniers délègue la conduite de «ses» entreprises à des directeurs, certes bien payés, mais subordonnés. Le patronat n’a pas cherché cette métamorphose, il l’a vécue. Aujourd’hui les financiers exigent un profit constant, ils abandonnent les entreprises incapables de l’apporter, et cela est vendu comme de l’efficience économique.

C’est précisément la montée du capital financier qui est à l’origine de la perte de pouvoir de l’Etat/nation, de la constitution de «blocs économiques», en réalité de marchés ouverts, mais protégés quand même par de nouvelles frontières. L’UE est un de ces blocs.

Pour les travailleurs, dans la situation actuelle, la question n’est pas de savoir s’ils sont pour ou contre l’UE, mais bien de savoir s’ils ont plus de chances de défendre leurs intérêts dans un cadre européen ou en restant dans les limites étriquées de leur Etat/nation. Cela n’a rien de planifié par un «patronat» omniprésent, mais c’est imposé par l’évolution du capitalisme. Celui-là n’a plus de frontière. C’est cela qui dicte les nouvelles conditions. Le capitalisme dicte sa loi à tout le monde, y compris au patronat, c’est précisément le problème auquel on ne peut plus échapper.

Le «patronat» n’existe plus en tant qu’entité uniforme, ou dans le sens qu’il avait au temps du capitalisme industriel, aujourd’hui il réagit plus qu’il n’agit vis-à-vis du capital.

Par contre le capitalisme dans sa phase financière met en concurrence l’ensemble des travailleurs, où qu’ils soient dans le monde. Il recherche des coûts du travail aussi bas que possible. Les travailleurs sont confrontés à cette situation, pas nécessairement nouvelle si on la compare à ce qu’ils vivaient sur le plan national, mais considérablement plus compliquée parce que la lutte contre leur mise en concurrence ne se réduit plus à ce plan. Ils doivent donc évaluer cette nouvelle dimension. Pour nous, le seul problème est le suivant: crée-t-on des meilleures conditions de lutte contre cette mise en concurrence en se repliant sur notre «bastion» national (bastion devenu une véritable passoire) ou en s’ouvrant et en nous battant là où le capital est, là où sont les travailleurs et où ils doivent aller, quelle que soit le pays de leur provenance ? Nous pensons que la deuxième solution est la meilleure et qu’il faut y travailler. Le référendum sur les bilatérales est malvenu, il est contre productif et ne fera que diviser encore plus les travailleurs.

 

A la page 8, §1, on peut lire
Le «paquet» cadeau doit être rejeté nettement, au moyen du référendum ainsi qu’au travers de mobilisations, même modestes, permettant de traduire dans des droits renforcés (des lois) certains besoins impératifs de protection de la force de travail. Les lois traduisent un rapport de force. Il faut le construire. Celles introduites dans le «paquet»  reflètent un «compromis» qui est une chausse-trappe.

Le terme «paquet» cadeau (au patronat)…»  et l’affirmation finale «Celles (les lois) introduites dans le «paquet» reflètent un «compromis» qui est une chausse-trappe » élimine toute possibilité de discussion. Tout le monde est con… sauf nous ! dit littéralement ce paragraphe. Nous ne voyons pas comment les référendaires, seuls contre tous, pourront «traduire dans des droits renforcés (des lois) certains besoins impératifs de protection de la force de travail.» Surtout qu’il est dit que «les lois traduisent un rapport de force». Ce rapport de force ne sera pas créé à gauche puisque celle-ci à offert un «paquet cadeau au patronat». Sera-t-il donc créé avec l’extrême-droite heureuse de compter sur une solide caution «de gauche» ?

Même page, §3
Le pouvoir d’achat réel des salarié.e.s n’a pas augmenté en 2004. Il en ira de même en 2005. Par contre, les dividendes explosent. C’est la part des bénéfices d’une firme qui est distribuée aux actionnaires.
  
Certes les dividendes explosent, mais chers auteurs du texte, les dividendes sont une toute petite partie du profit, la pointe de l’iceberg. Les dividendes sont distribués sous forme d’argent, mais la part principale non distribuée sous forme d’argent, mais bien réelle, c’est la valeur des actions possédées par les actionnaires. C’est précisément là-dessus que se joue l’ensemble de la spéculation, boursière notamment, et c’est ce qui fait que l’instrument de production dans son ensemble est devenu un objet de spéculation, c’est cela qui marque la domination du capital financier.
Le cours des actions apparaît au paragraphe suivant, seulement comme une des manières de faire du profit et les dividendes sont décris comme une manne, ont une place principale. Chers auteurs du texte, les auteurs des rapports d’activités et comptables des entreprises sont truffés d’annonces de «renoncement» à des dividendes, et cela est facilement accepté par les actionnaires, parce que ce qui les intéresse au premier chef, c’est le cours de l’action, le négoce de leurs actions, le reste est secondaire.

Même page, §5
Depuis 1990, l’industrie suisse a perdu 220.000 emplois. Mais, en valeur, la production a augmenté de 38%. Conclusion: la part des salaires dans chaque unité produite a décliné à une cadence plus rapide que dans les pays comparables. Les actionnaires épanouis ont capté une part accrue de la richesse produite.

220.000 emplois de moins dans l’industrie seulement ou toute activité confondue ? Néanmoins on reconnaît ici que l’emploi disparaît quand bien même la Suisse est un des pays possédant le plus de capital par habitant. Donc, et là c’est une pierre dans le jardin de la social-démocratie, capital = pas nécessairement plus d’emplois. Au contraire. Ici se pointe la mondialisation et la mise en concurrence des travailleurs au niveau mondial. «Evidemment, face à cela, il faut se défendre contre les travailleurs qui voudraient venir là où est le capital, nous concurrencer, et ainsi garder nos petits privilèges» disent les partisans du référendum. Comprenez bien, chers auteurs du texte, que le capital continuera à se fixer ailleurs, à la recherche de prix bas de la force de travail, et que répondre à cela en se barricadant là où les salaires sont encore relativement hauts revient objectivement à accélérer le processus de disparition des postes de travail là où les salaires sont plus élevés… et finalement renforcer le processus d’exploitation de la force de travail. Qu’on le veuille ou non, le capital a cette marge de manœuvre, la seule manière d’y répondre c’est de ne pas laisser la concurrence s’infiltrer jusque dans nos rangs, donc d’unifier la classe ouvrière là où elle est et où elle trouve du travail. Ce n’est pas en empêchant les travailleurs les plus pauvres d’accéder à des emplois pour eux mieux payés qu’on unifie les salariés. Au contraire, avec une telle politique, on les divise encore plus, on entretient le réservoir des miséreux.
A ce niveau, il faut être clair, la solution n’existe pas dans le capitalisme. La fonction de ce dernier est de maintenir la pauvreté des travailleurs pour qu’ils soient contraints de travailler dans les conditions du capital. Pour toute personne qui n’a que la lutte économiste en vue c’est dure à entendre, mais c’est comme cela. Il y a certaines choses qui étaient encore possibles dans le cadre du capitalisme industrielle, qui ne le sont plus sous l’emprise du capitalisme financier. Il faut l’admettre et en tirer les conclusions. Le lancement du référendum est une tentative désespérée d’échapper à cette vraie question.

Plus bas, §7, on retrouve le thème «ils ont tous torts, nous sommes les seuls à savoir»: Le «paquet» proposé par ce pacte du Grütli du XXIe siècle - accouplant le patronat, le Conseil fédéral et des sommités syndicales - doit assurer plus de fortune à la cime de la pyramide des actionnaires.

On pourrait paraphraser «le paquet dont le refus accouple une extrême-gauche naïve et une extrême-droite xénophobe…» On trouve ici un des canons du trotskisme, la litanie  sur les «sommités syndicales» ou les «bureaucraties syndicales». Chers amis trotskistes, on croyait cela rangé au placard des arguments éculés depuis qu’on sait que c’est souvent la base qui ne veut pas s’engager. Et il faut la comprendre, aujourd’hui elle sent qu’il n’y a plus de perspectives, en tout cas pas sur les bases anciennes. La bataille européenne sur les retraites l’a montré. Plus près de nous, en Suisse, les batailles dans les entreprises (Filtrona, Swissmetal, etc.) se sont soldés par des résultats plus que mitigés. Ce qui manque c’est une vision, c’est une voie menant à l’éclatement du système de plus en plus senti comme insupportable.

A la page 9, §1
Le «paquet»proposé  cherche à enfermer les salarié.e.s dans une violente concurrence entre eux. Cela abouti  à fragmenter,  encore plus, les collectifs de travailleurs, à les diviser…

Si au moins c’était le «paquet» qui aboutissait à cette division ! Tout serait simple. On pourrait alors dire qu’on se trouve dans une dynamique forte de lutte, que le «paquet» la casse. Ce n’est malheureusement pas le cas. Mais ce qui est important c’est de se poser la question pourquoi, alors que l’attaque bourgeoise, ou néolibérale, n’a jamais été si forte, que les ripostes ont aboutis à des défaites parfois mortifiantes ? Pourquoi une extrême-gauche qui apparemment se réclame de l’antiracisme, qui se veut internationaliste, en vient à s’accrocher à une lutte élitiste, qui va jusqu’à privilégier la protection des moins mal lotis contre les plus mal lotis ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette stratégie ? La croyance absurde et fausse que les privilèges des uns tirent l’ensemble du bateau. Ce n’est vrai ni historiquement, ni aujourd’hui. On constate plutôt que la lutte pour le maintien de ces soi-disant «privilèges» voile l’essentiel, le fait que l’aristocratie ouvrière est devenue incapable de garantir les réformes. Elle sombre avec elles. C’est cela qui est dure à accepter, surtout lorsqu’on n’a pas d’alternative.

Dans le même paragraphe, à la fin, on retrouve la vision parfaitement manichéenne de la société
… faciliter, avec l’appui d’un syndicalisme combatif, leur unité afin de faire face aux employeurs organisés et aux décrets des grands actionnaires.
Ah ! comme tout est simple. L’ennemi est tout désigné, bien délimité. Il ne reste qu’à l’affronter courageusement pour le chasser. La gauche a vécu sur un tel sophisme pendant 150 ans. Les pires réformistes ne disent rien d’autre quand ils réclament l’alternance au gouvernement. Quant aux syndicats, ils n’ont qu’à se battre pour leurs réformes… être simplement plus combatifs et le tour est joué !
Chers auteurs de ce torchon, ce n’est pas si simple. Aujourd’hui «les employeurs organisés» ne sont pas aussi homogènes que décrits. Ils n’existent que comme gestionnaire des objets de spéculation des actionnaires, donc plus comme «patrons», et il y a des petites et moyennes entreprises qui vivent sous la menace des «renouvellements des lignes de crédit» des banques, et il y a les grandes entreprises qui jouent leurs sites de production les uns contre les autres, et il y a les actionnaires qui ne voient que le cours de leurs actions, et il y a les petits épargnants, ou les retraités qui eux aussi entendent que leur épargne paye leur rente, etc. Et chez les travailleurs, il y a la couturière du Bengladesh payée 14 cent de l’heure, qui travaille 11 heures par jour et qui n’a pas de quoi se payer le bus pour aller et revenir de son travail, et il y a le polonais, peut-être imprimeur, ou laborantin, ou maçon payé 200 à 300 dollars par mois, et il y a le plongeur tamoul, et aussi le maçon italien ou espagnol  dont les enfants, voir les petits enfants sont nés en Suisse, et l’ouvrier professionnel qui formait le gros des bataillons de l’aristocratie ouvrière, qui a perdu sa formation, et en plus il y a l’employé de bureau, l’employé de banque, le petit cadre, et encore le chômeur, ou tous ceux et celles qui, de guerre lasse, ont renoncé à chercher un emploi, et les sans toit, sans droits, etc.. Et enfin, il y a les questions: qui doit-on privilégier ? Peut-on empêcher l’imprimeur polonais payé 300 euros de venir travailler en Suisse parce qu’il fait concurrence à un imprimeur suisse payé 6000 francs (4500 euros) ?
Chers auteurs du texte, le problème qui se pose lorsqu’on parle de l’unité des travailleurs, c’est sur quel projet ? le changement de l’équipe au pouvoir ? une meilleure défense des acquis ? la lutte pour des réformes ? Un autre monde ? dans ce cas lequel ? Et on peut tout de suite affirmer que cette unité ne se constituera pas par la défense de petits corporatismes, de petits privilèges, parce que dans un tel cadre chacun tirera la couverture à lui, et il aura raison. On peut unifier une classe sur un projet de classe, avec une classe qui s’identifie à un projet de société, qui a un sujet social qu’elle reconnaît. Ce n’est pas en gommant la variété des situations et brossant un tableau manichéen de la société qu’on avancera vers ce but, ce n’est non plus pas en s’arc-boutant sur l’acquis comme s’il était le but à atteindre qu’on incitera les travailleurs à réfléchir à autre chose.

Dans les paragraphes suivants, sans qu’on comprenne bien pourquoi, un lien entre le référendum et la santé des travailleurs est fait (p. 9, §1)
Renvoyer le «paquet» à son expéditeur, lors du vote du 25 septembre, peut aboutir à poser un problème clé pour tous les salarié.e.s: la concurrence aiguisée et organisée entre eux va miner, toujours plus, leur santé.
Cette affirmation ponctue un passage où l’USS est accusée de ne pas faire de lien entre santé et travail parce que «ils participent trop aux dîners de gala officiel». Ainsi un référendum contre le droit des travailleurs les plus pauvres d’Europe de venir travailler en Suisse ferait prendre conscience à tous du lien santé-travail, que les pontes syndicaux ne veulent pas voir parce qu’ils «participent à des dîner de gala». Une chatte y perdrait ses petits…

En fin de page 9, on croit enfin arriver à un problème clé, le rapport entre capital et marché. Cela est introduit par une citation du président du Parti socialiste suisse qui dit (p. 9, dernier §):
«Nous nous trouvons sur le terrain d’une économie de marché, ce qui n’est pas la même chose que le capitalisme».
Ensuite, on trouve une citation de l’économiste John Kenneth Galbraith (p. 10, §1):
«Le choix d’économie de marché pour remplacer avantageusement [le] capitalisme n’est qu’un voile d’absurdité trompeur jeté sur la réalité de l’entreprise… Avec cette expression aucun pouvoir économique ne transparaît… Il n’y a que le marché impersonnel. C’est une escroquerie. Pas tout à fait innocente
C’est tout, plus un mot sur la différence ou le lien entre le capitalisme et l’économie de marché. Il est dit ensuite (p. 10, §5) dans une nouvelle diatribe sur les collusions syndicats et bourgeoisie que la gauche a choisi de «Face à cette guerre sociale - qui ne dit pas son nom - la gauche politique et syndicale «officielle» choisit de réformer les contre-réformes ; de se réunir avec «ses partenaires sociaux… » et bla bla bla !
Pas la moindre ligne sur le marché et la distinction faite par Hans Fehr. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur le sujet et ce qui se dirait ne serait certainement pas avantageux pour le point de vue de la social-démocratie. Cette dernière considère que le marché est une forme de démocratie économique et qu’il n’aurait pas de lien symbiotique avec le capitalisme, ce qui est parfaitement faut. En réalité, le rapport marchand est un rapport social dont le capitalisme a besoin. Il n’existerait pas sans lui. Toute la démarche capitaliste est basée sur le marché qui est la dictature du consommateur sur le producteur, donc sur le travail. Contrairement à ce que pense la social-démocratie, le marché n’a rien de démocratique, ni de neutre, il est une forme d’échange fondamentalement inégal basé sur la dictature de celui qui a de l’argent , donc au premier chef de la classe dominante. Appliqué au processus de vente/achat de la force de travail, il réussit l’exploit de diminuer sa valeur alors qu’elle est capable de produire plus de richesses.
Il y a beaucoup à dire sur la question, c’est même le problème clé du capitalisme vu comme système. Mais les auteurs du texte n’en disent pas un mot.

La question du marché est encore une fois évoquée plus loin. Après que les auteurs du texte constatent que les travailleurs développent un discours anti-politicien, ils disent (p. 11, §4) que «ils (ceux qui développent un discours anti-politiciens) s’appuient sur le sentiment, en partie justifié, du «ils font quoi qu’il en soit ce qu’ils veulent » sans autre commentaire, et en passant sans transition à l’affirmation suivante (p.11, § 5):
Cette politique de collusion avec le patronat conduite par des responsables syndicaux - au même titre que l’utilisation de la formule «économie de marché» au lieu de capitalisme - reflète une volonté de fermer les yeux sur la réalité concrète du fonctionnement des grandes firmes. Celles qui font la loi et les lois dans ce pays.
Tout d’abord, qu’est-ce ce qui se cache derrière la formule «ils font quoi qu’il en soit ce qu’ils veulent» ? C’est le manque de vision, l’absence totale de perspectives offertes au monde du travail, et cela est valable y compris pour les auteurs du texte, qu’ils le veuillent ou non. Offrir de se barricader dans ses frontières nationales et empêcher ainsi l’accès à des meilleurs emplois pour les travailleurs les plus fragilisés, n’est certainement pas une perspective attrayante, c’est une stratégie encore plus éculée qu’il y a 100 ans lorsque tout le monde s’est rangé derrière sa bannière nationale. C’est une stratégie qui, historiquement, n’a fait que diviser les travailleurs et les a transformé en chaire à canon chargée de défendre les pré-carré nationaux des bourgeoisies européennes.
Examinons maintenant l’affirmation «l’utilisation de la formule «économie de marché» au lieu de capitalisme». Les auteurs du texte semblent indiquer ici que «capitalisme» est égal à «économie de marché», mais en plus clair, en nommant les choses par leur nom. Or c’est deux choses différentes, mais qui sont en symbiose, qui font partie d’un ensemble systémique. Ce qu’il faudrait faire ici, ce n’est pas de proclamer les deux comme identiques quoique différemment nommés, mais d’expliquer leur différence, les deux fonctions distinctes du rapport marchand et du mode capitaliste de production. C’est la seule manière de démystifier l’«économie de marché» et le capitalisme.

Tout ce galimatias aboutit à trois constats :

  • les syndicats assimileraient «la manière de faire forte des patrons»  et «s’opposeraient à la démocratie syndicale» (. 11, §10).

On voit mal ce que les problèmes de certains, largement minoritaires dans les syndicats, pour faire passer leur position, ont à faire avec le référendum sur les bilatérales !

  • ils (les syndicats) se baseraient sur la «préférence nationale: le salaire des Suisses !», ce qui est parfois vrai et qu’il faut dénoncer. Mais, chers auteurs du texte, pourquoi lancez-vous ce référendum qui empêche les travailleurs les plus pauvres d’Europe de travailler en Suisse pour préserver les conditions des travailleurs autochtones. N’est-ce pas là une stratégie de «préférence nationale ?»
  • «Les dynastes syndicaux vont se concentrer sur la nécessité d’accepter ce «paquet»empoisonné pour les salarié.e.s parce que cela avantagera l’économie suisse» (p. 12, §3). Cela est vrai pour certains d’entre eux. Mais on ne répond pas à cela, comme c’est le cas plus loin, en affirmant que l’économie suisse est particulière parce qu’elle occupe des petites «niches» qui la protège de la concurrence internationale (voir plus loin). Cette économie suisse serait la seule capable de satisfaire les travailleurs (c’est pourquoi il faudrait refuser la libre circulation) et n’aurait aucun problème économique, alors que l’ensemble de l’économie mondiale non seulement est en crise constante et larvée mais qu’elle est de plus en plus incapable de satisfaire les besoins élémentaires des gens.

La stratégie, et la naïveté, des auteurs du texte apparaît dans toute son ampleur dans la citation suivante (p.12, §5):
Si les conditions d’un débat démocratique existent, alors parions que nombreux seront les salarié.e.s qui ne tendront pas les bras pour prendre ce «paquet». Ils le refuseront, au nom de la défense de leur dignité, du refus d’être trompés si grossièrement et au nom d’une autre politique, de revendications concrètes.
Chers auteurs du texte, il est vrai que de nombreux travailleurs sont tentés par les arguments blochériens, ça on ne peut vous l’enlever. Mais aller jusqu’à dire que cela se fera «au nom de leur dignité», il y a un grand pas à ne pas franchir. La plupart des travailleurs qui soutiendront le référendum le feront en espérant stopper l’afflux de travailleurs étrangers, qu’ils soient bien ou mal payés. Quant à dire que cela se fera «au nom d’une autre politique, de revendications concrètes», ça c’est certain, mais sûrement pas au nom de la politique désirée, ou sous entendue,  par les auteurs du texte. Une fois le référendum passé, en admettant qu’il obtienne une majorité de non au «paquet», le tout ira aux chambres fédérales. Là, lesdites chambres devront choisir entre durcir à droite ou durcir «à gauche». Il faut avoir une grande confiance (et une grande dose d’imbécillité) en ces Chambres pour croire qu’elles durciront «à gauche».
Maintenant, passons à la notion «revendications concrètes». Dans toute société ce qui est concret est ce qui est compatible avec cette société. Autrement ce n’est pas concret, c’est taxé d’utopie parce que non compatible. Il y a 100 ans que le mouvement ouvrier fait des «revendications concrètes». Celles-ci ont servi à aménager le capitalisme, ce qui lui a permis de faire deux guerres qui furent des carnages planétaires, et l’amène à réussir l’exploit d’appauvrir le monde entier alors que la capacité de créer de la richesse n’a jamais été aussi grande. Alors restons concret !
Derrière l’insistance sur cette notion «revendications concrètes», il y a clairement une volonté de ne pas aborder ce qui n’est pas concret, c’est-à-dire ce qui ressort d’une autre société.

Plus bas, dans la même page, §8, la force de travail est comparée à de l’essence: Avec la «libre circulation» sans droits sociaux convergeant vers le haut en Europe et sans renforcement des droits en Suisse, ce moteur à trois cylindres va tourner plus vite. Le prix de l’essence (la force de travail) qui le fait carburer va baisser.
La comparaison avec de l’essence est pour le moins maladroite. L’essence est un produit polluant qui s’épuise, qui est rare, tandis que la force de travail est tout autre chose. Mais évidemment la vision judéo chrétienne du travail comme une punition résultant du péché originel mène à de telles comparaisons. En réalité, le travail est une faculté humaine qui n’a rien à voir avec du carburant. Mais c’est une autre discussion qui mènerait trop loin pour le présent document.
Par contre, les auteurs s’empêtrent dans d’incroyables contradictions qui les mènent implicitement vers une position franchement réactionnaire. Ainsi, p. 12, dernier §,

Cette régression sociale se fait au nom de l’emploi, ce qui ne veut pas dire au nom du plein emploi. L’objectif patronal: augmenter le taux d’emplois dans certaines couches de la population (femmes, jeunes, etc. ) dans le  but de disposer de plus de salarié.e.s qui travaillent plus, à un prix (salaire) de plus en plus bas. Et cela même après la retraite…

Si on va dans la même logique que le référendum, pour éviter l’afflux de trop de monde sur le marché du travail et ainsi préserver des hauts salaires (en quelque sorte profiter du rapport marchand qui fait que ce qui est rare augmente de prix) il faudrait que les femmes et les jeunes se retirent du marché du travail, la force de travail se raréfierait ainsi et deviendrait plus chère. Cette orientation est confirmée lorsqu’on peut lire, page 13, en haut

«le» paquet» représente des litres d’essence supplémentaires pour faire tourner ce moteur de régression sociale».

Donc, non seulement il faut éviter l’arrivée des femmes et des jeunes sur le marché du travail, mais il faut en plus refuser l’arrivée des ouvriers polonais et autres parce qu’ils «représentent des litres d’essences supplémentaires pour faire tourner ce moteur de la régression sociale».

Voilà à quoi on en arrive lorsqu’on marche sur les plate-bandes de l’extrême-droite ou qu’on tombe dans un ouvriérisme de bas étage. Une sorte de malthusianisme de l’emploi. Non, messieurs les auteurs du texte, la ligne juste est de se battre avec tous ceux et celles (femmes, jeunes, polonais, turques, tamoul) qui entrent sur le marché du travail parce qu’ils en ont besoin. Et c’est de développer des perspectives de changements de société qui permettent d’intégrer chaque être humain, avec sa force de travail (qui n’est pas de la benzine !), dans l’échange social.

Les auteurs enfoncent encore le clou au paragraphe suivant, p. 13 :

Contre l’emballement de cette machinerie, il faut, pas à pas, créer les conditions pour qu’une autre «fabrique sociale», plus juste et différente, puisse se profiler à l’avenir. Un NON, en septembre 2005, constitue un pas sur ce long chemin difficile.

Reprenons «contre l’emballement de cette machinerie»  est mis pour «contre l’agrandissement du réservoir de main-d’œuvre», dans leur langage imagé contre «des litres d’essence supplémentaires», donc contre un afflux supplémentaire de travailleurs, en l’occurrence contre les Polonais, Lithuaniens, Hongrois, etc. qui mettront en danger «nos lois», notre «niveau de salaire», «nos conditions de travail».

Ce chapitre se termine par une recommandation morale valable uniquement pour les autres, mais pas pour eux :

Il est moralement préférable de marcher droit que de plier l’échine devant les «maîtres de l’économie» et leurs gérants politiques.

Chers auteurs du texte, l’adage dit qu’il vaut mieux suivre la route, même si elle comporte beaucoup de tournants, sinon on risque bien de tomber dans le gouffre. C’est bien ce que vous faites, vous «marchez droit» dans le gouffre.

Toujours à la page 13, §4, le texte parle de méthodologie du débat:
Psychologiquement et politiquement à la défensive, des dirigeants syndicaux ressortent les bonnes vieilles méthodes staliniennes. Lors d’une conférence de presse, ils déclarent que ceux qui lancent un référendum de gauche sont les «alliés objectifs de la droite nationaliste».
Premièrement la notion de «référendum de gauche» pour interdire à des travailleurs d’aller travailler là où ils trouvent un emploi est absurde. Le référendum de droite sur le même problème a abouti. Les signatures soi-disant de gauche viendront le renforcer. C’est en cela qu’on peut objectivement dire que les auteurs du «référendum de gauche» sont des «alliés objectifs de la droite nationaliste» qui a aussi lancé et fait aboutir son référendum. C’est un pur constat. Tout comme on peut dire que ceux qui refusent le référendum sont en cette circonstance objectivement allié aux autres forces qui ne le soutiennent pas.
Dans ce cadre, dire que désigner les auteurs d’un référendum ressort des pires méthodes staliniennes est absurde. Le texte dit (p. 13, §6):
La méthode est connue. Elle a été utilisée par les bureaucraties staliniennes et social-démocrates, dans les syndicats et dans ladite «vie politique». Elle a été inaugurée,  en grande pompe, lors des procès de Moscou, lors les années 1930. Cette  «notion» devint une des «spécialités juridiques» du régime génocidaire de Pol Pot au Cambodge (1975-1978).
Messieurs les auteurs du texte, pensez-vous vraiment qu’on puisse accoler la discussion sur un référendum en Suisse aux méthodes des procès de Moscou ou à la politique menée par Pol Pot ? Non bien sûr ! Mais pourquoi en faites vous état, si ce n’est pour échapper à la vraie question: êtes-vous ou non alliés objectifs de l’extrême droite dans cette affaire ? Si vous y répondiez, vous réfléchiriez sur les motivations de l’extrême-droite et penseriez peut-être, avec un peu d’intelligence, que vous ne voulez pas brouter la même herbe qu’elle.

Plus bas, même p., §9, tombe le couperet: Pour vendre le paquet, ils(les chefs syndicaux) font consciemment l’unité avec un patronat et une droite qui ne cessent de rejeter les plus petites revendications qu’ils avancent dans le parlement ou lors de négociations.
Il y a là l’affirmation qu’une alliance est faite consciemment, et trois lignes plus bas exactement le contraire
Nous risquerions-nous à affirmer qu’ils sont les alliés subjectifs de la droite néo-libérale et du patronat ? Evidemment non.

Le texte essaie ensuite de se sortir de la contradiction en y envoyant les autres. Ainsi il est dit (p. 14, §4)
…l’UDC est et fut le champion des bilatérales. Ueli Maurer, président de l’UDC, conseiller national, l’a rappelé à la Chaux-de-Fonds (NE)…
Et, tout à coup, à droite, tout le monde est uni (p. 14, §5):
A droite, il y a accord sur une donnée fondamentale: il est possible d’exploiter de façon rentable le grand réservoir de main-d’œuvre qui disposera, effectivement, d’un minimum de droits, et encore plus de droit appliqué.
Selon le texte il suffirait de dire, contre toute réalité, que tout le monde à droite, y compris l’extrême-droite, est d’accord pour «blanchir» le référendum, comme on blanchit de l’argent sale, en quelque sorte le «faire de gauche». Malheureusement, cela ne correspond pas à la réalité: l’extrême-droite a fait aboutir son référendum, elle s’en vente déjà, et si l’UDC, pour des raisons tactiques (Blocher au Conseil fédéral) ne l’a pas lancé, cela n’empêche en rien que les référendaires véhiculeront leur contenu xénophobe.
En face, il est vrai qu’il y a une alliance objective, une partie de la droite et une énorme majorité de la gauche. Lorsque les auteurs du texte disent (p. 14, §6)
«En faisant un bloc avec les employeurs, la gauche officielle laisse le terrain libre à la droite nationaliste», le MPS frôle la débilité.
Ainsi, comme le font les partisans du référendum, il faut se mettre sur le terrain de l’extrême-droite pour qu’elle ne l’occupe pas toute seule ! Ce but est bien sûr atteint avec le référendum. Malheureusement, dans cette affaire l’extrême-gauche sert d’alibi à l’extrême-droite qui trouve ainsi une sorte d’honorabilité: se battre contre la libre circulation des personnes, empêcher les travailleurs les plus pauvres d’Europe de travailler en Suisse, n’est pas xénophobe, mais une arme contre le patronat. 
Dans ce passage on trouve à nouveau la notion de «grand réservoir de main-d’œuvre qui disposera, effectivement d’un minimum de droit». Ah ! si ce réservoir était plus petit, on pourrait mieux se battre. C’était le cas il y a 40 ans, ce n’est plus le cas, et, à l’époque, en voyant se dessiner la mondialisation, les syndicats s’en étaient déjà inquiété en organisant des meetings contre le «surafflux de la population étrangère». Dans un de ces meetings on a pu entendre le secrétaire de la FCTA, un nommé Bauer, déclarer «les 45.000 travailleurs étrangers que nous avons à Genève représentent déjà le tiers de notre population salariée (…) il faut arrêter cette course folle» [6]. Et, Messieurs les référendaires, le meeting en question avait déjà la prétention de défendre les travailleurs résidents. Tronchet, secrétaire de la FOBB affirmait déjà «le patronat favorise une surpopulation étrangère pour faire pression sur les salaires». Il n’y a donc rien de nouveau sur le terrain de la xénophobie, à part qu’aujourd’hui c’est l’extrême-gauche qui saisit le référendum: afin de défendre les salaires autochtones ils luttent pour réduire la taille du «réservoir».    
Le référendum n’empêchera pas un fait incontournable: maintenant ce réservoir est mondial, et si ce ne sont pas les travailleurs qui viennent en Suisse ce seront les travaux qui émigreront. Il faut faire avec cette réalité et organiser tous les travailleurs là où ils vont, là où ils sont. Si on voit le problème sous cet angle la taille du réservoir de main-d’œuvre n’est plus un handicap, mais une chance. Le mot d’ordre «prolétaires de tous les pays, unissez-vous» est plus valable que jamais. Il faudrait aujourd’hui le changer en prolétaires du monde entier, unissez-vous»
Evidemment, pour que ce «réservoir» de main-d’œuvre devienne une chance, il faut avoir une stratégie dépassant son réduit national, et il faut être capable de proposer une autre société qui sache faire des hommes une richesse à la place d’en faire des rivaux mettant en danger des privilèges et venant surcharger une barque déjà trop pleine.

Dès la page 15 commence une «analyse» de la Suisse dans le contexte international. Evidemment cela est introduit par une attaque aux «différentes forces politiques» (p. 15, §1)
Parmi les différentes forces politiques comme au sein des sommets syndicaux, l’acceptation sans contestation - à l’amiable, en quelque sorte - de la xénophobie est assez courante.
Puis au §4
Les discours de propagande en faveur du «paquet» vont reprendre des lieux communs…
«Vous êtes tous des suppôts du capital, seuls nous, auteurs du référendum «de gauche», comprenons les racines du mal» semblent dire les auteurs du texte. Qu’en est-il ? Le texte affirme l’ouverture totale de l’économie suisse, il affirme même (p. 15, §7) que la Suisse a «l’économie la plus internationalisée, non seulement en relation à sa grandeur, mais aussi en chiffres absolus. En 2002, le solde net du stock des investissements directs à l’étranger (IDE) - investissement qui impliquent le contrôle d’une firme en dehors de Suisse -  s’élève à 179 milliards.
Et le texte continue, §8
Selon  ce critère décisif, le capitalisme helvétique est en quatrième position, derrière la Grande-Bretagne, le Japon, la France. Ce ne sont pas des investissements pour délocaliser des usines ou des services, même si cela peut s’accentuer dans le futur. Ces investissements sont effectués pour conquérir des marchés…
Chers auteurs du texte, que les investissements à l’étranger servent à la conquête de marchés semble être une évidence. Mais oser affirmer qu’ils ne servent pas à délocaliser est tout simplement ahurissant. Cela donne l’image de l’investissement suisse à l’étranger conquérant des marchés pour créer des emplois en Suisse, et non pour délocaliser. Exactement le poncif bourgeois le plus éculé repris en cœur par la social-démocratie. Ces investissements ont aussi lieu pour exploiter la main-d’œuvre hors des frontières suisses, profiter de cette main-d’œuvre bon marché, pas uniquement pour «conquérir des marché».
Derrière la notion de «conquête de marché», il y a l’idée d’un capital resté national, conservant ses attaches nationales, alors que ce n’est plus le cas.
Au §8 l’idée d’un «capitalisme suisse» est reprise:
Le capitalisme suisse est donc très ouvert sur le monde afin de s’approprier  de la valeur ajoutée et «mettre au travail» des salarié.e.s à l’échelle internationale.
Ainsi le «capitalisme suisse» met au travail des salariés à l’échelle internationale. Plus haut, on disait que les investissements n’ont pas lieu pour délocaliser. Chers auteurs du texte, au cas où vous ne le sauriez pas, le terme «délocaliser» signifie précisément «mettre au travail des salarié.e.s. au niveau international», en principe pour profiter d’une main-d’œuvre meilleure marché. Que faut-il croire sinon ? Que c’est pour développer les autres pays ?
La notion de «capitalisme suisse» est complètement inadéquate. En réalité, aujourd’hui, le capital circule dans le monde entier, il n’est plus du tout attaché à une nation. Il est mondialisé. Il s’est «désempêtré» des règles nationales, et il a réussi parce que, par définition, le capital n’a pas de frontière. Il peut appartenir à des personnes portant un passeport suisse, allemand, américain, soudanais et autres,  mais ces personnes ne possèdent pas leurs actions en tant que Suisse, Allemands, Soudanais et autres, mais en tant que capitalistes qui veulent que leurs actions rapportent où qu’ait été produite la plus-value qui les nourrit en profit.
Cette notion de «capital suisse» est reprise encore plus directement dans le §9: Les salarié.e.s travaillant dans des entreprises contrôlées par le capital suisse dans le monde se comptent en 2003 au nombre de 1 808 298. C’est presque l’équivalent de  la moitié de la population active suisse.
Ah ! ce capital idyllique qui crée des emplois partout dans le monde… C’est ça le lieu commun bourgeois le plus éculé repris tel quel par les auteurs du texte.
Cela n’est pas neutre parce que cela mène à la notion de travailleurs suisses, qui doivent exiger que le capital suisse profite aux travailleurs en Suisse, donc qui doivent «se protéger par des lois»  contre les risques de dumping de la main-d’œuvre étrangère, en particulier lorsque celle-ci est trop pauvre. Le référendum a cette fonction, protéger les travailleurs suisses contre des travailleurs étrangers trop pauvres.  
Dans le paragraphe suivant (haut p. 16)  le texte indique que le nombre de salarié.e.s employés en Europe croit fortement. Il cite la Tchéquie, la Hongrie. Tien, le capitalisme suisse ne va pas créer des emplois en Allemagne, voir en France, où les salaires et les protections sociales sont importantes, mais il va dans les pays de l’Est et plus loin encore à l’Est ou au Sud ! Mais que cherche-t-il donc dans ces pays, des travailleurs chers ou bon marché ? Choisissez… Bien sûr, le capitalisme suisse ne cherche pas à délocaliser !
Le texte mène ensuite à une conception éculée de l’impérialisme comme étant le fait des nations (p. 16, §3)
Cette «présence suisse» est une facette de ce qu’on peut caractériser comme l’impérialisme suisse. Ce dernier utilise la «neutralité helvétique politique» pour mieux développer ses affaires, industrielles, bancaires et assurances.
Toujours cette notion de Nation comme unité à partir de laquelle s’organise le capital, alors que le capital ne s’organise plus du tout à partir des nations, mais il est mondial et se subordonne les Nations. La notion de l’impérialisme comme fait d’une nation doit être revue à la lumière de ce fait. C’est en effet le capital qui est impérial, il s’est subordonné le fait national, ou plutôt il nie le fait national. Les Nations s’organisent, s’agenouillent pour l’attirer, c’est-à-dire qu’elles font en sorte d’être des zones à fort rendement, autrement dit à forte plus-value, qui exploite ses travailleurs au moins autant que les autres Nations. Ainsi chaque Nation devra attaquer sa classe salariée à tous les niveaux pour créer les meilleures conditions de plus-value. Cela devrait avoir un effet direct sur la stratégie des travailleurs qui devraient enfin comprendre qu’enfermer leurs luttes dans les frontières nationales les feront toujours plus vaines parce que le capital les opposera les unes aux autres.
Le travail est lui aussi sans nation, il est face au capital mondialisé, mais la gauche fait encore comme si on était resté au siècle passé, comme s’il était encore possible de construire les solidarités sur le seul plan national. Le capital est mondial, le travail n’a pas de frontière, mais on enferme les luttes dans les Nations, voir dans les entreprises… et une partie de la «gauche» lance un référendum pour empêcher que les travailleurs puissent aller travailler là où il y a du travail !
L’approche «nationaliste» vue ci-dessus est corroborée plus loin dans la description de la Suisse comme lieu de production «protégé». Nous y reviendrons. Le texte conclut ce chapitre comme suit (p. 16, §4): Le capitalisme suisse n’est pas fermé. Il est même déboutonné. Mais il l’est pour mieux faire valoir ses intérêts.
Encore la notion du «capitalisme suisse», mais là servie comme un bloc homogène, il fait valoir ses intérêts, comme s’il suffisait d’être de son côté pour participer au «festin des dieux». Le texte poursuit au § suivant, pour mener à Blocher: De cette ouverture-là, la pensée officielle ne parle pas, à droite, au centre, à gauche.
 Il y a donc une «pensée officielle» dont seuls les auteurs du référendum seraient exempts. Et tout à coup la pensée officielle ferait le jeu de Blocher ! Celui-là est parfois placé dans la «pensée officielle», lorsqu’on prétend que l’UDC serait pour les bilatérales, parfois placé hors de la pensée officielle, voir comme étant la cible de ladite «pensée officielle», au gré de la pensée, elle complètement déstructurée, des auteurs du texte. Ils arrivent à Blocher comme suit (p. 16,§5): Le théâtre d’ombres a créé deux personnages fantômes: le «Suisse pro-UE» (en général social-libéral) et le «Suisse anti-UE» (de droite). Cela fait le jeu de Blocher, industriel transnationalisé, et de la droite nationaliste.
Blocher, ce n’est plus l’extrême-droite nationaliste, mais la droite nationaliste, comme les radicaux et les chrétiens-sociaux, en quelque sorte ! Mais ce qui est important dans ce passage, c’est la manière de situer la contradiction entre pro-UE et anti-UE. Les premiers seraient «sociaux-libéraux», ce qui est évidemment une injure, les seconds de droite. Je ne vois plus très bien la différence, à part si les auteurs entendent dire par là que tout le monde serait à leur manière à droite alors qu’eux représenteraient la gauche. Ils représentent les anti-UE de gauche, en quelque sorte, les nationalistes de gauche, les nostalgiques de la vieille société industrielle, les Chevènementistes. C’est ce qu’on peut appeler être hors des réalités, être conservateurs… voir réactionnaires lorsqu’on marche sur le terrain de la xénophobie. Et, surtout, c’est ne pas donner le droit aux travailleurs de se battre au même niveau que le capital, par-delà les frontières, et de construire leur propre vision de leur société, celle du travail.

Le chapitre suivant explique que la Suisse est grande ouverte à l’immigration. Il y est notamment dit (p.16, §7, 8 et 9): Après la seconde guerre mondiale (pour ne pas remonter plus haut), le capitalisme suisse a opéré un double mouvement coordonné.
Le premier: effectuer des investissements (IDE) internationaux, sous le commandement des grandes firmes transnationales (de la chimie aux pharmaceutiques en passant par les banques-assurances pour terminer avec les machines-outils).
Le second: assurer la venue d’immigrants, en contrôlant le plus possible les flux. Cela afin de répondre aux besoins en évolution des investissements (achat de machines et de main-d’œuvre) dans les divers secteurs de l’économie.
Plus haut le texte dit que les investissements à l’étranger n’ont  pas pour but les délocalisations. Ici il est dit qu’il y a eu «investissements internationaux» dans le domaine des machines-outils, un des secteurs, avec le textile, les plus délocalisés de l’industrie. On n’est pas à une contradiction près !
Le second but est d’«assurer la venue d’immigrants en contrôlant le plus possible les flux». Mais chers amis, quel est le but de votre référendum , à part «contrôler le plus possible les flux» en espérant «diminuer la taille du réservoir (sic)» et obtenir ainsi de «meilleurs lois» ? Ce même paragraphe amène une notion bien idyllique des investissements capitalistes lorsqu’il est dit «répondre aux besoins en évolution des investissements (achat de machines et de main-d’œuvre) dans les divers secteurs de l’économie». Ainsi, l’investissement capitaliste c’est «l’achat de machines et de main-d’œuvre». Moralité, plus il y aura de capital, plus il y aura d’achats de machines et de main-d’œuvre, donc plus il y aura d’emplois. C’est exactement ce que prétend la social-démocratie. Chers amis auteurs de ce texte,  que vous le vouliez ou non, on vit sous l’égide du capitalisme à sa phase financière, on sait qu’à cette phase, d’une part, l’achat des machines est fait pour ne pas acheter de la main-d’œuvre et, d’autre part, que l’investissement strictement financier (achats de produits financiers) représente l’essentiel des investissements capitalistes.
En bas de page 17, §9, on croit rêver. Il est écrit: Pour les employeurs et les autorités, il est impératif d’empêcher une confluence d’une fraction importante des salarié.e.s de toutes origines dans un mouvement commun faisant valoir leurs besoins et exigences collectives face au Capital.
Lorsqu’il est écrit «…une confluence d’une fraction importante des salarié.e.s de toute origine dans un mouvement commun»,  pour satisfaire les objectifs des référendaires il eut fallu préciser «sauf les Polonais, les Lithuaniens, etc., parce qu’ils sont trop pauvres et feront pression sur nos salaires, et ils empêcheront les travailleurs en Suisse d’obtenir  des bonnes lois !»
Le texte enfonce encore le clou au § suivant
Une «libre circulation» accompagnée de droits sociaux et syndicaux plus que fragiles débouchera sur une situation où la fragmentation et la mise en concurrence des salarié.e.s susciteront des réactions de frustrations individuelles parmi le salariat en Suisse.
Conclusion: si les Polonais ne viennent pas la situation pour défendre ses intérêts sera tellement meilleure qu’elle ne suscitera pas de «frustrations individuelles» ! Soyons sérieux, chers auteurs du texte, les «frustrations individuelles» sont bien installées parmi les salarié.e.s en Suisse, il n’a pas fallu attendre les bilatérales pour cela. Ces dites «frustrations individuelles» viennent d’une absence de vision et de perspectives cohérentes dont votre texte est un exemplaire affligeant.
Ce chapitre est conclu comme suit (p. 18, §2): Dans ce contexte, sans instrument collectif de défense (commissions d’entreprise, syndicats vivants) plus présent et protégé par la loi, le chemin de la réaction individuelle xénophobe peut prendre le dessus.
Que diable, pourquoi n’avons-nous pas déjà ces instruments ? Le texte le dit quelque part: parce que le mouvement syndical en Suisse (et ailleurs) est pourri, ou se réduit aux «bureaucraties syndicales». Comme par miracle, grâce au référendum tout cela changera: les Chambres fédérales vont édicter des lois fortes qui mettront au pas les patrons qui seraient tentés de faire du dumping. C’est soit de la naïveté, soit de la connerie, choisissez ! Et le texte annonce une autre bonne nouvelle (p. 18, §3)
A partir d’une nouvelle bataille sur les droits et garanties légales, la possibilité existe d’établir des accords multilatéraux, contrôlés par les salarié.e.s, entre tous ceux et toutes celles qui, dans l’UE des 25, rejettent la nouvelle Constitution néo-libérale européenne.
Quelle bonne nouvelle ! Fabius, Chevènement, Besancenot, le MPS, le comité référendaire, Le Pen, Golnisch, Maurer, Blocher, la sainte alliance des non à la Charte qui s’allieront à la sainte alliance des non à la libre circulation des Polonais et de ceux qui croient qu’un référendum à connotation xénophobe en Suisse inversera les rapports de forces et contraindra les Chambres fédérales à édicter les lois qui «protégeront» les salariés en Suisse contre le dumping des Polonais, Tchèques, Lithuaniens, etc. Comme s’il y avait un rapport entre la Charte européenne et ce référendum. Eux, ils sont dans l’Europe, ils parlent de leur Charte, ou de leurs accords Shenghen, nous, nous sommes en Suisse, hors de l’Europe, nous n’avons rien à dire sur la Charte. Eux, ne s’appuient pas sur un référendum rassemblant tous les nostalgiques de l’Etat/Nation, dont la botte «secrète» est la privation de droits d’autres travailleurs, de plus fragilisés, mais ils débattent des droits sociaux pour tout le monde, sans essayer d’exclure personne. Nous, nous débattons de soi-disants privilèges et de l’exclusion de certains travailleurs pour les défendre !
 
A la page 19 du document, la question de Schengen-Dublin est abordée. Cela commence bien, dès les §1 et 2: A gauche, les adeptes du combat contre la droite nationale et xénéphobe sont en état de péché mortel, en se commettant avec les concepteurs de Schengen-Dublin.
En effet, dans le cadre des bilatérales les accords de Schengen-Dublin ont une place très importante.
L’accord des bilatérales prévoit une libre circulation des travailleurs des pays membres de l’espace européen. Schengen-Dublin est une chose très différente puisqu’il s’agit là du contrôle des frontières autour de l’espace européen, en quelque sorte une «protection» contre l’immigration du reste du monde. Le premier donne un droit, le second non. Le soutien à Schengen-Dublin peut être discutable, et si nous y étions nous devrions nous allier à tous ceux et celles qui, en Europe, se battent contre Schengen-Dublin, pour l’améliorer. Le fait est que nous n’y sommes pas, et le texte «oublie» complètement cet aspect. Il se contente de violemment critiquer les directions syndicales devenues «gérants du PSS et de l’USS», mais il ne dit pas un seul mot sur le fait qu’en Suisse le problème ne se pose pas de la même manière que pour les ressortissants européens.
Lorsque nous, braves Suisses, refusons Schengen-Dublin nous ne cherchons pas à l’améliorer mais à nous y soustraire. Il faut alors se poser la question «qu’y aura-t-il à la place ?» La seule réponse c’est «une barrière supplémentaire et le traitement des réfugiés ou des immigrés à la Suisse». Sera-t-il meilleur que celui de Schengen-Dublin ? Il est permis d’en douter fortement, surtout si on considère toutes les votations de ces dernières années sur la question. De plus, si l’extrême-droite remporte un succès sur Schengen-Dublin, elle sera d’autant plus forte pour imposer son point de vue tant sur les bilatérales, au cas où le référendum sortait victorieux, que sur le traitement des immigrés. Alors, il faut choisir !
Un référendum sur Schengen-Dublin aurait été compréhensible, pas sur les bilatérales. C’est de ces questions que le texte aurait dû traiter. A la place de cela le texte s’attaque aux chefs syndicaux, mais ne dit pas un mot sur la question essentielle pour nous «petits Suisses»: nous ne sommes pas dans Schengen-Dublin et, si nous n’y entrons pas, quelle garantie donnons-nous pour que le traitement de la question des immigrés soit meilleur en Suisse ?

Au contraire, le texte (p. 21, §1) dit: Demain il y aura affaiblissement des droits sociaux et syndicaux pour tous et mise en concurrence des salarié.e.s de l’UE des 25. Cela avec une particularité: une recherche par certains employeurs de substituer des extra-européens par certains ressortissants des pays où le chômage est inversement proportionnel au revenu… (Roumanie, Bulgarie). Et cela se fera en réduisant les «coûts salariaux» et en intensifiant le travail.
Si on comprend bien ce passage, même en admettant qu’on accepte la libre circulation pour les ressortissants de l’UE, il y aura de toute manière des patrons véreux qui feront appel à des «extra-européens». Le texte introduit cette notion en partant de ce qui se passe déjà maintenant (p.20, §12)
La sélection des «cerveaux qualifiés» extra-UE des 25 se combine avec cette offre (celle des entreprises de nettoyage, du bâtiment, de la restauration, de l’agriculture, de la distribution discounter, etc.) qui s’exerce avec la tolérance, de fait, des autorités dont les menaces répressives affaiblissent encore plus la situation des salarié.e.s contraints d’accepter l’inacceptable.
Tout cela est évidemment de la faute des bureaucraties syndicales qui auraient dû depuis longtemps s’engager pour limiter «le sur afflux d’étrangers» ! Mais ici les auteurs du texte reconnaissent que le problème ne date pas d’aujourd’hui. Cependant, sans indiquer par quel miracle, ils enchaînent que le refus tant des bilatérales que de Schengen-Dublin seront un pas vers «la solution». Pas un mot sur ce qui sera mis à la place, pas la moindre question sur le gouvernement qui gérera les suites du référendum, seul constat: comme les chefs syndicaux ne refusent ni les bilatérales, ni Schenghen-Dublin, les travailleurs répondant à cet offre de travail (celle de l’agriculture, l’hôtellerie, etc.) ne viendront plus de Pologne  mais de Bulgarie et de Roumanie, et ils seront «non déclarés», «sous-traités». Chers auteurs du texte, l’immigration est une conséquence structurelle du capitalisme aujourd’hui mondialisé. On ne peut y répondre en se cloisonnant dans sa nation parce que cela ne fait que reporter la question, ici des Polonais aux Bulgares, Roumains et bien d’autres. Mais il vaut mieux que les Polonais, les Lithuaniens, etc. échappent à la discrimination, c’est un pas en avant, non seulement pour eux mais aussi pour nous, parce que cela nous permet d’intervenir ensemble à partir de situations similaires.
Le raisonnement dans le texte est filandreux, mais il conclut que puisque les Polonais et autres seront réglementés, les non réglementés viendront d’ailleurs, que le refus de tout «pourrait» stopper cela. En gros, restreignons la libre circulation pour les Polonais, les Lithuaniens, etc. comme cela ils seront placés dans la même situation que les Bulgares et les Roumains ! Beau raisonnement, n’est-ce pas ? Et le texte conclut ce chapitre comme suit (p. 21, §2)
Schengen-Dublin et les accords dits de «libre-circulation» avec des mesures d’accompagnements soldées font un tout. Ce tout doit être rejeté, pour ouvrir la voie à une autre politique en termes de droits syndicaux et sociaux, comme de droits des migrants et des requérants d’asile.
En quelque sorte «restons chez nous, entre nous, comme ça on garantira «une autre politique». Pourquoi n’est-elle pas venue plus tôt, cette «autre politique ?» Le texte se garde de répondre à la question. Cette autre politique c’était, avant les bilatérales I, la discrimination par tranches avec trois permis d’immigrés, le A, le B et le C, plus celui des frontaliers, plus le statut des réfugiés et une égalité quasi impossible sa vie durant. On contrôlait l’immigration en la saucissonnant, est-ce cela cette «autre politique» ? En attendant les Polonais, Lithuaniens etc. doivent encore attendre au purgatoire !
En réalité il vaut mieux accepter tant les bilatérales que Schenghen-Dublin, parce que le premier paquet, les bilatérales, permettra d’intégrer plus de travailleurs dans un même espace, ce qui est une barrière de moins à franchir pour eux et le mouvement syndical, le second paquet, Schenghen-Dublin, parce que la politique suisse sur cette question risque bien d’être encore pire que celle de l’UE.

Dès la page 22 le texte offre une «analyse» de l’«économie suisse». Les auteurs du texte estime donc qu’il y a une «économie suisse», comme entité nationale, comme il prétendait plus avant qu’il y aurait un «capitalisme suisse», cela au moment où tout le monde reconnaît qu’il n’y a pas de capitalisme national, donc pas d’économie nationale, l’un et l’autre étant mondialisés, donc organisés sur une autre échelle que nationale. Le seul rôle des Nations c’est de réduire les coûts de la force de travail pour attirer le capital qui appartient le plus souvent à une diaspora qui se fiche des Nations comme de leur chemise.
Tout le texte essaie pourtant d’expliquer les avantages comparatifs du «capitalisme suisse» à l’égard des autres. Pour seule «analyse», le texte offre des déclarations d’organismes tels le KOF, ou des déclarations de journaux bourgeois, ou encore de revues économiques.
Examinons quelques passages (p.22, §6):
Le déclin de la rentabilité du capital helvétique n’est pas pour demain. Les Führer de l’économie (Wirtschafsführer) veulent simplement pousser l’avantage. Ils visent à établir des quotas de «cerveaux» bien formés, ailleurs et aux frais du pays d’origine, qui seront «accueillis» en Suisse. Autrement dit ils veulent stimuler l’exode des cerveaux du tiers-monde.
On retrouve ici non seulement la notion de «capital helvétique», complètement désuète, mais aussi l’affirmation que «le déclin de la rentabilité du capital helvétique n’est pas pour demain». Ainsi tout va bien dans le meilleur des mondes. Les «capitalistes suisses», compris comme des entrepreneurs d’industries florissantes, échappent au reste du monde. L’îlot helvétique est bien gardé. Ces capitalistes «suisses» doivent être drôlement intelligents pour garder une avance sur tous !
En réalité, la partie de l’économie mondialisée (qui n’est pas plus suisse que mes bottes) est certainement florissante, mais cela sur le dos de l’ «économie en Suisse», comprise comme activité ayant lieu sur le sol d’une nation déterminée.  L’activité mondialisée vampirise la substance des activités sociales locales où qu’elles aient lieu, y compris en Suisse. Il faut donc distinguer deux niveaux qui n’ont pas la même valeur, l’un, mondialisé, se subordonne l’autre, localisé. Le niveau mondialisé met en concurrence toutes les activités locales ou régionales en profitant de leurs «spécificités», aujourd’hui essentiellement des divers prix de leur main-d’œuvre. Pour «avoir du travail» chaque localité livre une concurrence acharnée contre toutes les autres. Par le passé les entreprises nationales s’appuyaient plus ou moins sur leur sol national pour livrer leur lutte concurrentielle, ce qui donnait une marge de manœuvre aux luttes pour des améliorations des conditions de travail, aujourd’hui elles jouent les nations les unes contre les autres. C’est la différence entre avant et après.
On a plus à faire à une situation de fait procédant d’une évolution systémique qu’à, comme le texte le laisse voir, un résultat de la pensée manichéenne des «Führer de l’économie». Certes, ces Führer de l’économie s’adaptent sans état d’âme à cette situation de fait, et ils en profitent, mais ils ne l’ont pas créée, ils la théorisent maintenant qu’elle est devenue réalité.
Cette approche différente de l’économie, l’une subjectiviste et manichéenne, l’autre dialectique, procédant d’une analyse des phénomènes et de leurs relations, est décisive, parce qu’elle mène à un constat très différent. La première voit le monde comme une vaste scène où les hommes seraient tout puissants, en quelque sorte les méchants seraient consciemment méchants, par volonté, ils auraient le choix d’orienter l’économie différemment, mais ils ne le veulent pas par pure méchanceté. Dans cette version les chefs syndicalistes seraient subjectivement les alliés de ces méchants. Le deuxième constate l’évolution, l’analyse, et en examine les conséquences pour les hommes. Sur les problèmes d’immigration cette différence est décisive. Elle part de l’idée que si un pays est plus attardé que l’autre, ce n’est pas à cause de «mauvais choix» des «Führer de l’économie», mais à cause de la lutte des classes qui mène nécessairement à la domination du plus fort sur le plus faible. Ce plus fort a avantage à maintenir l’état de fait, la faiblesse de l’autre, pour en profiter. L’évolution des sociétés de classes fait que les plus faibles le deviennent de plus en plus. C’est ce qui se passe aujourd’hui.
Les salaires très bas dans certains pays sont donc des facteurs historiques qui ne résultent pas principalement de la faiblesse des dirigeants de l’un ou l’autre des camps, mais de la force d’inertie systémique qui accentuent les phénomènes jusqu’à leur explosion ou implosion.
Le capital est mondialisé, la production est localisée parce qu’elle dépend de l’existence physique du travailleur. Dans cette situation le capital a l’avantage. La seule manière pour les travailleurs de surmonter cet handicap, c’est qu’ils se mondialisent, non pas physiquement, mais qu’ils mondialisent le prix de la force de travail, le prix du travail. En effet le travail lui-même n’est pas différent, qu’il soit presté à Zurich, Ouagadougou ou Toronto. Ce qui est différent ce sont les éléments matériels du travail, l’instrument de travail, et celui-là dépend du capital. On est dans une société où le travail doit suivre le capital là où il va. Les données de l’immigration ne changeront pas tant que cette situation de fait prédominera. Le capital recherchera systématiquement un prix de main-d’œuvre aussi bas que possible, c’est un facteur systémique qui n’a rien à voir avec la gentillesse ou la méchanceté des «Führer de l’économie». Le capital vit de la pauvreté des travailleurs.
Et il accumule sans fin, ce qui le conduit à une situation de fait où l’accumulation est tellement grande qu’elle est en disproportion absolue avec l’activité sociale qui le nourri. De moins en moins d’activité sociale doit nourrir une masse de plus en plus importante de capital. Marx avait déjà relevé le phénomène qui s’en suit: tendanciellement, le taux de profit baisse.

D’après le texte ce n’est pas le cas. «Le déclin de la rentabilité du capital helvétique n’est pas pour demain» dit le MPS. La Suisse échapperait à la loi générale du capitalisme et les «Führer de l’économie» voudraient pousser leur avantage en «établissant des quotas de «cerveaux» bien formés, ailleurs et aux frais du pays d’origine». C’est pour cela qu’ils veulent «la libre circulation» des personnes, pour sélectionner les cerveaux bien formés des pays du tiers-monde. C’est tout simplement absurde ! Si les cerveaux des pays du Tiers-Monde sont attirés par les pays développés, c’est à cause des niveaux de revenus relativement plus élevés que dans leurs pays respectifs. C’est donc parce que le capital pie la principale richesse de ces pays, la faculté de faire de ses habitants, en y payant des salaires de misère. Le capital profite de cette situation, sans vergogne, et l’effet sera de baisser les salaires dans les «anciennes» citadelles industrielles. Le capital ne «veut donc pas stimuler l’exode des cerveaux du tiers-monde», ceux-là choisissent l’exode parce que la vie est impossible chez eux. Voilà la vérité, et c’est pour cela que l’immigration sera un phénomène allant s’accentuant au rythme de la misère se développant.

Dans ce sens, que penser du passage suivant (p. 22, §9): Agencer la compétitivité d’une économie capitaliste revient à organiser les conditions optimales de l’extraction de la richesse produite par le travail associé de l’essentiel des salarié.e.s.
Ce qui est dit là, l’économie capitaliste «organise les conditions optimales de l’extraction de la richesse produite par le travail associé de l’essentiel des salarié.e.s» procède d’un idéalisme béat. Si c’était le cas, le capital montrerait son efficacité. Affirmer cela au moment où l’on sait que le chômage ne fait qu’augmenter, que des milliards d’individus sont exclus «des conditions optimales de l’extraction…» et que de plus le capital est de moins en moins lié à la production, que cette dernière a souvent lieu malgré lui, et qu’il se contente de la vampiriser, on croit rêver. La réalité est exactement inverse, le capital est devenu parfaitement incapable d’« organiser les conditions optimales de l’extraction de la richesse produite par le travail associé…» puisqu’il se contente, aujourd’hui, de vampiriser l’activité sociale.
Ce qu’il est juste de dire c’est que la classe bourgeoise crée les conditions pour qu’aucune activité ne se développe en dehors du capital, quitte à réduire cette activité de plus en plus, d’empêcher que se développe des zones d’activités sociales autonomes, lui échappant. C’est pour cela qu’elle exige que tout soit privatisé. Elle exige ces privatisations sous couvert d’efficacité productive, mais en réalité c’est pour trouver des zones d’exploitation qu’elle-même n’arrive pas à créer. Aujourd’hui le capital n’«organise en aucun cas les conditions optimales de l’extraction de la richesse produite», il se contente d’empêcher le développement du travail pour en garder le monopole, déclarant comme «improductif» tout travail hors de son contrôle . Pour cela il exclut de plus en plus de travailleurs du monde salarié pour n’employer que ceux dont il a besoin pour le profit, c’est-à-dire ceux qui satisferont les besoins solvables, et exclusivement eux. Les autres travailleurs peuvent crever. Chers auteurs du texte, si c’est cela que vous appelez «organiser les conditions optimales de l’extraction de la richesse» alors nous ne parlons pas la même langue, ou plutôt les mots n’ont plus de sens.

Au paragraphe suivant le texte, évidemment, reproche à «la gauche officielle et les syndicats» d’ «accepter l’unité nationale qui se fait à l’avantage des plus forts: les firmes dont le pouvoir économique, donc aussi politique, n’a jamais été aussi concentré et puissant» (p. 22, §11). Il reproche également à Vasco Pedrina de s’«écraser, au nom du soutien à l’industrie d’exportation» en indiquant une source (Work, 10 décembre 2004). Des déclarations de Pedrina, cependant, on ne voit rien. C’est évidemment très sérieux de prétendre que quelqu’un pense une chose, de citer une source, sans être capable de citer le moindre passage étayant ce qui est prétendu.
Mais ce qui est important ici est la notion d’« Unité nationale» reprochée aux autres alors que soi-même on centre toute sa lutte sur cette unité nationale en interdisant la libre circulation des personnes en émargeant. On a déjà vu comment le texte parle de «capitalisme suisse», de «capitalisme helvétique», l’accusation de faire des sacrifices au nom «de l’unité nationale» ouvre sur une notion de l’«économie suisse» on ne peut plus imbibée de l’esprit petit-bourgeois, en sous-entendant que cette unité nationale n’est pas en danger puisque ladite «économie suisse» occupe des «petites niches» bien à l’abri de la concurrence étrangère (voir plus loin).      
Le reproche de se cacher derrière l’«unité nationale» est ensuite doublé du reproche de laisser «le champ libre à la course «à la compétitivité», donc au durcissement des conditions de travail placé sous l’impératif du profit privé» (p. 23, §1). Mais les auteurs du texte ne font rien d’autre que se cacher derrière l’«unité nationale» lorsqu’ils prétendent qu’il y a un «capitalisme helvétique», une «économie suisse», que cette économie n’est pas exposée au risque d’un «déclin de sa rentabilité» et que la Suisse comme espace (Standort) de production n’est pas en danger puisqu’il occupe des «niches» tellement spécialisées (et nécessitant un savoir exclusif que personne d’autre ne possède !) qu’il est quasiment à l’abri de la concurrence. C’est littéralement nier la concurrence capitaliste et la remplacer par la concurrence entre les travailleurs. Ainsi la gauche officielle commettrait le crime de «diviser les travailleurs» et les mettrait en concurrence dans le cadre d’un capitalisme protégé. Chacun jugera lui-même du sérieux de l’«analyse» livrée par les auteurs du texte.
De plus une notion nouvelle s’insinue, celle «du profit privé». Cette «nouvelle» notion fait suite à une incompréhension de ce qu’est le profit, ou de plus procède du refus de nommer les choses par leur nom, c’est-à-dire de parler soit de profit capitaliste, soit de profit d’aliénation. Le premier nommé résulte de la réalisation de la plus-value produite par les travailleurs dans un rapport capitaliste de production. Cette réalisation n’est pas automatique, mais dépend du marché. En principe, tendanciellement, cette réalisation devient plus difficile lorsque la capacité de production dépasse les besoins solvables parce que, dès lors, la lutte entre les différents capitalistes pour réaliser la plus-value (la transformer en profit) s’intensifie. En gros, ils se battent pour que les autres perdent, pour gruger ou éliminer leurs «partenaires» sur les marchés. Il y a profit capitaliste dès lors que celui-ci provient d’une réalisation de plus-value, et ce profit peut être réalisé pour un collectif, par exemple l’ensemble des actionnaires de l’entreprise réalisant la plus-value. C’est pourquoi les deux notions de profit, capitaliste et d’aliénation, ne doivent pas être confondues. La notion de «profit privé» est inadéquate parce qu’elle ouvre sur quelque chose d’autre que le profit capitaliste, celle d’enrichissement individuel provenant de sources autres que le procès de transformation de la plus-value en profit. Cette autre source ne peut qu’être le profit d’aliénation, donc le profit ne provenant pas du procès de réalisation de la plus-value, mais du simple vol, du transfert de profits déjà réalisés d’une poche à l’autre. Le profit capitaliste découle de l’exploitation de la force de travail, pas le profit d’aliénation ou le «profit privé», celui-là découle généralement d’actes crapuleux. Il est donc faux de lier les conditions de travail au profit privé. On ne peut que les lier au profit capitaliste. Quand on écrit «Ils laissent le champ libre à la course «à la compétitivité», donc au durcissement des conditions de travail placé sous l’impératif du profit privé», on induit les gens en erreur et on ne met pas le doigt sur deux problèmes différents, l’un, l’exploitation capitaliste, et l’autre, le profit d’aliénation, ou le profit émanant de l’exploitation de la force de travail, donc de la réalisation de la plus-value, ou le profit émanant d’actes crapuleux, le vol, le blanchiment d’argent, les intérêts usuriers, etc.

Le titre de la partie suivante est: «Un travail fort bien exploité et le silence imposé sur la place de travail» (marge p. 23). On retrouve ici la notion d’efficacité capitaliste, «un travail fort bien exploité», alors que le capital est devenu incapable ne serait-ce que d’exploiter la force de travail d’une manière rationnelle. Cela provient du refus de voir la crise capitaliste pour ce qu’elle est, un phénomène structurel, ou plutôt systémique, au sens où les phénomènes constituant le système entrent en contradiction «antagonique», insoluble dans le cadre du système. Le capital n’est plus capable (pour autant qu’il en ait un jour été capable) de «bien exploiter le travail», par contre il traite celui auquel il fait appel de la pire des manières, avec une intensité qui fait que sa source, la force de travail, est de moins en moins capable de produire efficacement. Et c’est à cette incapacité de bien exploiter le travail qu’il eut fallu lier les problèmes de maladies du travail. La deuxième partie du titre est «…un silence imposé à la place de travail» mais il n’y a rien sur cette question, pourtant importante, souvent liée à la répression sur les lieux de travail.
Dans cette partie du document le texte évoque un document diffusé par le Crédit suisse (Economic Briefing 2004) sans en citer le moindre passage. Il est simplement dit que ledit rapport «aligne tous les avantages existant déjà en faveur du grand patronat helvétique» (p. 23, §3). Il faut ensuite croire les auteurs du texte sur parole.    
Le texte avance ensuite une lapalissade, la fourchette des salaires s’ouvre de plus en plus. Mais pour les auteurs du texte l’élargissement de cette fourchette ne vient pas du rapport marchand dont la mécanique fait que ce qui est abondant perd sa valeur, et ce qui est rare l’augmente, il dit au contraire (p. 23, §7)
«…les propriétaires de l’économie continueront à augmenter la pression sur les autres salaires, déjà bas, grâce à la concurrence organisée à l’échelle de UE à 25 et en utilisant le chômage».
Bien chers auteurs, vous confondez ici l’effet avec la cause et vous accusez les travailleurs de l’UE à 25 (élargie) et le chômage d’être la cause de la baisse des salaires. Derrière cela se cache l’idée que l’éclatement des frontières serait une source de détérioration des salaires, moralité il faut s’en protéger et rester entre nous ; dans ce passage il y a également l’idée que le chômage serait une autre cause de la baisse des salaires de certains, ce qui est encore plus faux, le chômage étant la résultante de l’incapacité du capital «de fort bien exploiter (sic)» le travail, donc résulte du système comme tel. Qu’ensuite les capitalistes utilisent la situation et que les travailleurs soient souvent incapables de lui répondre est une autre question qui ne trouvera en tout cas pas de solution dans le refus de la libre circulation des travailleurs dans l’espace des 25. Au contraire, l’ouverture des frontières est un facteur qui unifiera les luttes, celles-ci n’étant plus morcelées par les frontières. Bien sûr, cela dépend de nous, et les prémisses ne seront vraiment pas bonnes si les travailleurs polonais, lithuaniens et autres apprennent que le mouvement syndical en Suisse a tout fait pour leur barrer la route.
Le report de la responsabilité de la baisse des salaires sur la concurrence entre les travailleurs est encore plus visible dans le passage suivant (p. 24, §2): Imaginons ce qui se passera quand la concurrence entre travailleurs sera encore accrue avec une «libre circulation» dépourvue de règles salariales et de droits syndicaux protégés. Imaginons les divisions, les heurts que cela peut susciter dans une entreprise.
Sans le vouloir, chers auteurs du texte, vous mettez le doit sur un vrai problème que votre référendum crée: en refusant de désigner le vrai responsable des baisses de salaires, c’est-à-dire le rapport marchand, qui est un phénomène du capitalisme vu comme système, vous divisez les travailleurs sans leur donner un but cohérent, ou en leur donnant comme but de se protéger contre leurs collègues étrangers. Vous épargnez le système, purement et simplement. C’est évidemment une manière très primaire de réagir qui peut avoir un «succès» a court terme. Il est vrai que quand on désigne le système comme responsable on est confronté à un problème autrement plus ardu que celui d’éviter «la concurrence entre travailleurs» par l’élimination des concurrents. En éliminant les concurrents on n’ajoute évidemment pas «des antagonismes entre salariés de diverses origines», mais on entretiendra très certainement les raisons de la xénophobie, la conviction de certains d’être meilleures que d’autres, le peuple élu… la race supérieure, en quelque sorte !

A la page 24, le texte entame sa diatribe sur la spécificité économique suisse. Tous les poncifs de l’idéologie nationaliste véhiculés par la petite-bourgeoisie sont rassemblés dans deux paragraphes. Citons (p. 24, § 6 et 7) 
Ce n’est pas seulement le montant du salaire qui leur (les employeurs) importe. C’est ce montant mis en relation avec la quantité de ce qui est produit dans un temps donné…
Sur ce terrain, les firmes suisses sont dans le peloton de tête. D’autant plus qu’elles opèrent dans des secteurs très spécialisés, c’est-à-dire dans des niches du marché mondial. Là, c’est la compétitivité qualité / spécialisation qui est décisive: type et qualité des produits, délais de livraison, suivi de l’entretien, développement continu du produit, etc. La compétitivité en terme de prix de vente plus bas n’est pas prioritaire pour l’essentiel de l’industrie suisse, même si cela joue un peu sur le taux de marge (profit). Et quand le problème se pose, les firmes utilisent leurs investissements à l’étranger (leurs filiales dans d’autres pays) où la sous-traitance nationale et internationale pour abaisser le prix de revient d’une pièce donnée ou de produits intermédiaires.
Examinons d’abord la question du «montant du salaire qui importerait peu aux employeurs suisse». Alors, si le montant du salaire est peu important, pourquoi les employeurs seraient pour les bilatérales ? Les auteurs du texte savent-ils que les employeurs «suisses» se battent pour chaque centime ? Ces mêmes auteurs ont-ils conscience que dans tout leur texte ils disent que le patronat organise la concurrence entre les travailleurs pour baisser les salaires et le coût de la force de travail, et qu’ici ils disent exactement l’inverse ? Les auteurs du texte sont-ils une seule fois allés dans une entreprise pour «sentir» le climat lourd et les risques énormes prix par les travailleurs qui revendiqueraient des augmentations de salaire ? De plus, on ne comprend plus pourquoi il faudrait des lois plus solides avant que les Polonais, Lithuaniens puissent librement entrer travailler en Suisse si «les montants des salaires importent peu». Ne serait-ce pas simplement pour prendre de la place à l’extrême-droite en lui enlevant son terrain de prédilection, le racisme et la xénophobie et, ainsi, soi-même faire le sale travail ?
Continuons. Le texte explique pourquoi les employeurs en Suisse accorderaient peu d’importance au «montant des salaires». En gros, c’est parce que la Suisse «occupe une niche du marché mondial». En soi cela implique que cette «niche» serait protégée, ou que le «capitalisme suisse» serait tellement intelligent que lui seul serait capable de l’occuper. Le texte le dit: «là c’est la compétitivité qualité / spécialisation qui est décisive». Ah ! La Suisse vaut la peine d’être défendue contre les Polonais qui ont des salaires tellement bas qu’ils accepteraient n’importe quoi, qu’ils, dans leur immense inculture, mettraient le magnifique édifice suisse en danger, et avec lui les privilèges des travailleurs en Suisse (ou suisses !) Il n’y a pas que le «montant des salaires» qui importe peu, mais «la compétitivité en termes de prix de vente plus bas n’est pas prioritaire pour l’essentiel de l’industrie suisse, même si cela joue un peu sur le taux de marge (profit)». On croit rêver ! Les «prix de vente» ne joueraient pas de rôle pour le «capitalisme suisse», ils joueraient certes «un peu» sur «le taux de marge (profit)» mais le «capitalisme suisse» n’en a cure, il est tellement intelligent ! Il dispose de travailleurs tellement bien formés qu’il est hors concurrence. Le texte reconnaît que, parfois, cela pourrait «poser problème», dans ce cas «les firmes (suisses) utilisent leurs investissements à l’étranger (leurs filiales dans d’autres pays) ou la sous-traitance nationale et internationale pour abaisser le prix de revient d’une pièce donnée ou de produits intermédiaires». Quelle intelligence, ce «capitalisme suisse» ! Il n’utilise la mondialisation que marginalement, par le biais de ses filiales, mais il n’en subit aucune des conséquences. Vous comprenez, tout le reste du monde est incapable d’«opérer dans (nos) niches du marché mondial». Leurs chercheurs sont trop mauvais, leurs travailleurs pas assez qualifiés… mais, malgré tout, en quelque sorte pour encore plus se bétonner, il faut un référendum pour les empêcher de prendre «nos niches».
Chers auteurs du texte, votre peinture idyllique de la «réalité suisse» est complètement fausse, elle part d’un a priori faux, le «capitalisme helvétique» ; d’un refus de voir deux réalités: la première, il n’y a pas de capital national, mais uniquement du capital mondialisé, la seconde, le savoir circule dans le monde entier lorsqu’il s’agit de celui des travailleurs, il n’y a donc pas une capacité supérieure du travailleur suisse qui ferait que le «montant des salaires» n’aurait pas d’importance. Par contre ce qui est protégé l’est sous forme de brevet pour garantir le monopole de certains groupes mondialisés qui, eux, estiment tous que les «coûts du travail» doivent toujours baisser parce que c’est la seule manière qu’ils ont de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit.

On trouve en marge du texte, p. 24, la note 11 qui dit:
Le coût salarial unitaire est le salaire total divisé par la quantité produite. Son évolution dépend de celle du salaire et de la productivité: la productivité est le rapport entre le volume de la production et le volume du travail, en tenant compte du temps de travail et de son intensité.
On trouve ici une idéalisation de la productivité prise sans sa détermination capitaliste, une description passéiste. Dans le capitalisme la productivité n’est plus liée au travail mais au capital. Elle vient remplacer le mot rentabilité. Ainsi, pour donner une charge positive au capital et l’enlever au travail, on a substitué la notion de productivité du travail par celle de productivité du capital. Selon cela un travail n’est productif que s’il fait le capital productif, donc rentable, autrement il est un «coût» jugé insupportable.
Dans cette note, il eut fallu préciser qu’on parlait de la productivité du travail, et non d’une productivité abstraite, ensuite on se serait aperçu que la notion «volume de travail» induit en erreur. Comme si le travail avait un volume ! Le travail a une durée et une intensité, cette dernière étant dépendante de son rythme et de sa charge de savoir accumulé nécessaire pour l’effectuer. Dès lors, on se serait vite aperçu qu’avancer la notion de «coût salarial unitaire» est une soumission à la terminologie bourgeoise. Le salaire devient un «coût», ce qui mène à la notion du travailleur étant «une charge». Il eut fallu ici parler de montant du salaire, ou de part de la valeur créée reçue par le travailleur, pour bien montrer qu’une fois la valeur créée elle n’a un coût sur le marché que si elle est simultanément une valeur, elle est un coût pour l’acheteur et une valeur d’échange pour le vendeur, et elle devient soit une valeur d’échange soit une valeur d’usage lorsqu’elle est en possession de l’acheteur.

A la page suivante (p. 25, note 13) on trouve une formulation chargée de la même soumission à la terminologie bourgeoise: Une partie du travail accompli n’est pas payée par l’employeur. Contre un salaire, le travailleur vend sa force de travail. La caractéristique particulière de cette marchandise - payée à son prix, sous la forme de salaire - consiste à produire plus de valeur (plus-value) que sa propre valeur. La valeur de la force de travail est constituée par l’ensemble des dépenses nécessaires pour sa production et sa reproduction (alimentation, logement, formation, éducation des enfants, santé, etc.) Cette valeur dépend du standard de vie existant dans chaque pays à un moment donné. Il y a actuellement une tendance à niveler ce standard au sein même de l’UE des 25 et des pays ayant des accords bilatéraux. La concurrence entre salarié.e.s est un instrument de ce nivellement.
Cette note reflète la non avancée théorique de mouvements se prétendant pourtant marxistes. Cela apparaît fortement si on la déconstruit. Elle commence par «Une partie du travail accompli n’est pas payée par l’employeur», ce qui est faux puisqu’il est notable que l’employeur ne paie pas du travail, mais de la force de travail. Il eut fallu écrire «une partie du temps de travail convenu n’est pas payé». Cela est capital pour comprendre la mécanique de l’exploitation.
Le texte continue «contre un salaire, le travailleur vend sa force de travail». La première phrase dit que le patron ne paie pas une partie du travail, puis, à la phrase suivante il est dit que le travailleur vend «sa force de travail». Oui, le travailleur vend de la force de travail, et non du travail, mais cela signifie que ce n’est pas du travail que le patron ne paie pas au travailleur, mais quelque chose de très spécifique, de la force de travail qu’il (ou plutôt la société) a réduit à une marchandise. Donc le travailleur se trouve sur le marché avec une marchandise, la seule qu’il ait, sa force de travail. Le capitaliste en dispose pour un temps convenu, ou plutôt imposé, sinon le salarié travaillerait exactement le temps nécessaire à sa reproduction.
La phrase suivante admet que la force de travail est une marchandise, mais il lui donne une particularité, elle est «payée à son prix, sous la forme du salaire». Evidemment qu’elle est payée à son prix, cela ne veut rien dire d’autre que le prix de la force de travail est égale au salaire que je reçois, par conséquent que je suis payé à mon prix, ce qui est une tautologie. La force de travail est «en moyenne» payée à sa valeur, le texte l’admet une ligne plus loin, mais prix et valeur ne sont pas égaux. Le prix varie selon des rapports de force bien déterminés, tandis que la valeur est une notion d’économie politique qui dit que tout produit a une valeur égale à son coût de production. La valeur de la force de travail dans une société marchande est donc égale à son coût de reproduction. Cette valeur est inférieure à ce que la force de travail est capable de produire, et cela de plus en plus, à mesure que la productivité du travail progresse. Mais cela signifie aussi que la valeur de la force de travail n’est pas égale à son prix, bien au contraire, parce que celui-ci peut très bien baisser au-dessous de sa valeur. Le capitaliste, lorsqu’il engage un travailleur, ne pense pas à la valeur de la force de travail, mais il pense à son prix dans des situations données. Aujourd’hui, notamment, il ne voit aucune raison de payer un prix de la force de travail européen de l’ouest, alors qu’il peut payer le prix polonais, chinois, indien ou africain.
Si, en achetant de la force de travail, le capitaliste pensait à la valeur de la force de travail, il penserait à un salaire indexé à la productivité, et il admettrait qu’il devrait être quelque peu harmonisé de par le monde. Ce n’est pas ce qui se passe, les capitalistes pensent au prix de la force de travail et le voient variable partout, et ils en profitent. Si un pays ne se plie pas, il finit par être abandonné par le capital.
Différencier le prix et la valeur de la force de travail permet de comprendre le mouvement dialectique de l’histoire du capitalisme, et il permet aussi de comprendre que dans des conditions données le prix de la force de travail peut tomber bien au-dessous de sa valeur. Les travailleurs du Tiers-Monde ne contrediront pas cela. Quelles sont ces conditions données ? Par exemple, lorsque la productivité du travail entraîne une rareté de la demande de travail qui en fait chuter le prix. C’est un processus en cours depuis bien longtemps, dont le symptôme principal est l’abondance de capital. Dans ce cas, on assiste généralement à une accentuation des écarts de revenus hallucinante et à une lutte inter capitalistes accrue pour conquérir les marchés existants.
Le texte de cette note continue en décrivant ce qu’est la valeur de la force de travail: «Cette valeur dépend du standard de vie existant dans chaque pays à un moment donné». Si au moins c’était le cas ! Elle évoluerait alors constamment avec ce «standard de vie existant … à un moment donné», par conséquent, notamment, avec la productivité du travail qui change constamment les «standards de vie existants». Ce n’est pas le cas. Dans le capitalisme, la valeur de la force de travail est en réalité dépendante de l’évolution historique impulsée par la lutte de classe, donc de la classe dominante. Cette évolution historique, qui a lieu dans les conditions capitalistes, crée ce qu’on peut appeler des standards culturels qui disent ce qui entre ou n’entre pas dans la définition de la valeur de la force de travail. Ces standards culturelles peuvent varier, dans certaines conditions. Par exemple, après la seconde guerre mondiale la classe dominante s’est retrouvée à la fois sur la défensive et contrainte de reconstituer son capital. Cela a permis aux luttes ouvrières d’avoir un impact sur la valeur de la force de travail, elles ont alors réussi à y faire entrer des éléments comme le droit à la santé, le droit à la retraite, etc. Ces éléments commencent à être remis en cause. Le large consensus autour du deuxième pilier en Suisse est un exemple typique qui fait que le droit à la retraite n’est plus compris dans la valeur de la force de travail, mais est devenu dépendant du revenu individuel, donc, pour les travailleurs, du salaire. Ce processus va un pas plus loin aux Etats-Unis où le gouvernement Bush veut transformer le système de retraite généralisé en un système où chacun aura un compte retraite libellé en actions ou autres valeurs similaires. On assiste donc à un processus redéfinissant la valeur de la force de travail en y soustrayant certains éléments que certains tenants de la fin de l’Histoire croyaient pourtant définitifs. Cette redéfinition a coïncidé, et ce n’est pas un hasard, avec une suraccumulation de capital qui provoqua une violente inflation non contrôlée. Le fait que cette redéfinition se fait à la baisse est une faillite du réformisme.
La valeur de la force de travail n’a donc rien à voir avec le «standard de vie existant», mais avec la lutte de classe. Quant au prix de la force de travail, il est déterminé par le rapport social, le rapport marchand, c’est-à-dire essentiellement par l’abondance ou la rareté de la marchandise. Cela signifie que la productivité faisant la force de travail toujours plus abondante, elle baissera de prix, et pourra même descendre jusqu’à des niveaux inférieurs à sa valeur. Il y a donc là une relation dialectique qui fait que valeur et prix s’influencent mutuellement, la valeur dépendant de facteurs culturels, tandis que le prix dépend des rapports de force concrets, immédiats, marchands. Les deux notions sont très différentes.
Lorsque le texte indique «la valeur de la force de travail est constituée par l’ensemble des dépenses nécessaires pour sa production et sa reproduction (alimentation, logement, formation, éducation des enfants, santé, etc.) il laisse croire que cette notion n’évolue pas avec la lutte de classe. Il dit au contraire que «cette valeur dépend du standard de vie existant dans chaque pays», ce qui ne veut rien dire, ou alors qu’elle est fixe, comme sous-entendu lorsqu’il est dit que «cette marchandise - payée à son prix, sous forme de salaire - consiste à produire plus de valeur (plus-value) que sa propre valeur.» Donc cette valeur a sa propre valeur, le salaire n’en étant qu’une des formes. Mais alors pourquoi le salaire varie-t-il tellement par rapport à cette valeur de la force de travail ? Cela, on ne l’explique pas. Et quand pour conclure sa note l’auteur du texte écrit «Il y a actuellement une tendance à niveler ce standard au sein même de l’UE des 25 et des pays ayant des accords bilatéraux. La concurrence entre salarié.e.s est un instrument de ce nivellement», la confusion devient absolue. En effet, la concurrence entre salarié.e.s ne nivelle pas «le standard existant» de la valeur de la force de travail, tout au plus elle est dans le rapport marchand un avantage de l’acheteur pour définir le prix (et non la valeur) de la force de travail.
Le texte énumère dans une parenthèse les constituants de la valeur de la force de travail, ce sont l’alimentation, le logement, la formation, l’éducation des enfants, la santé, etc. Cela est aussi pris dans un absolu, comme si le capital ne déterminait rien. Il se passe que les constituants indiqués ci-dessus sont parfois entrés dans la valeur de la force de travail, parfois pas. Si, en Europe par exemple, ces éléments peuvent partiellement y être intégrés, ce n’est pas le cas dans de nombreux pays, voir sur des continents entiers. Par exemple l’éducation des enfants n’est que très partiellement prise en compte dans les pays dits «riches», pas du tout dans certains, une bonne partie du tiers-monde. On a assez parlé de la misère enfantine, de leur abandon à la rue, mais aussi du travail des enfants. Si ce constituant, l’éducation des enfants,  était inclus dans la valeur de la force de travail, on n’aurait pas de problème de travail des enfants. Son interdiction est une tentative de l’inclure d’en-haut dans cette valeur, mais elle est largement inopérante parce que c’est le capital qui, en dernier ressort, est dominant dans cette détermination, autrement dit ce sont les conditions concrètes dictées par le capital qui disent ce qui est inclus dans la valeur de la force de travail. Si on n’admet pas cela on insinue que ce serait la malveillance, et non la misère, des parents qui serait la cause du travail des enfants. La valeur de la force de travail ne se proclame pas, elle résulte des conditions dominantes, en particulier des conditions de rentabilisation du capital, donc du capitalisme comme système. 
Faire une liste des constituants qui devraient entrer dans la valeur de la force de travail ne signifie pas qu’ils y soient entrés. Tout au plus ce sera un vœu pieu. Ils y entreront lorsque les revenus (les salaires directs et indirects pour les travailleurs)  y correspondront. C’est très loin d’être le cas et, aujourd’hui, sous l’impulsion du capital financier aux prises avec la baisse tendancielle du taux de profit, on s’éloigne du but.
Un  deuxième aspect intervient encore: la part du travail non payé pour les salariés ayant un emploi, et celle du travail gratuit essentiellement fourni par les femmes. Sous le capitalisme la part du travail non payé grandit avec la productivité du travail. Si ce n’était pas le cas, cette part serait régulièrement distribuée sous forme de salaires évoluant avec la productivité. Les constituants de la valeur de la force de travail sont très fortement tributaires de ce travail fourni sans qu’il ne soit payé. On ne pourra pas en faire entrer des nouveaux, ou encore complètement intégrer des constituants théoriquement (sur le papier ou dans les lois) inclus, tant que le mode de distribution, le rapport social (le rapport marchand) l’empêche. Il est également profondément injurieux pour les femmes que de considérer que, par exemple l’éducation des enfants, sont aujourd’hui reconnus comme constituant de la valeur de la force de travail.
Mais il y a un point encore plus hypocrite et crasseux dans ce texte. Il indique «la valeur de la force de travail est constituée par l’ensemble des dépenses nécessaires pour sa production et reproduction». A une notion juste si on la replace dans son contexte capitaliste «la valeur de la force de travail est constituée par l’ensemble des dépenses nécessaires pour sa reproduction», les auteurs du texte glissent une notion supplémentaire, celle de «production de la force de travail». C’est une vraie saloperie qui laisse entendre que la production de la force de travail, c’est-à-dire l’ensemble du processus de procréation, serait entré dans la valeur de la force de travail. C’est ignorer complètement l’ensemble du travail gratuit fourni par les femmes, à propos duquel une vaste polémique est orchestrée par l’ensemble de la droite et de l’extrême-droite. A moins que le MPS n’estime que la misérable assurance maternité qui a mis plus de 50 ans à accoucher, est la reconnaissance du constituant «production de la force de travail» dans la valeur de la force de travail en Suisse ? En réalité, le capital ne reconnaît pratiquement nulle part au monde cet élément dans la valeur de la force de travail. Au contraire, il estime que cet élément, la production de la force de travail, fait partie du don de soi de celles (et dans une moindre part ceux) qui produisent cette force de travail. Ce qu’il est juste de dire c’est qu’il y a aujourd’hui un interdit culturel dans la tête de pratiquement tout le monde, y compris de la gauche, sur cette question. Et cela prouve que la valeur de la force de travail n’est pas un problème «de standard de vie existant dans chaque pays à un moment donné» mais un problème culturel: la procréation doit-elle ou non être intégrée comme constituant de la valeur de la force de travail ? Visiblement, le problème est déjà tranché par le MPS, il ne se pose pas puisqu’il y est déjà ! Les femmes n’ont qu’à retourner à leur fourneau…
Enfin, le problème suivant doit également être posé: comment des nouveaux constituants entrent-ils dans la valeur de la force de travail ? Des thèmes comme la culture, la création artistique, la recherche, devraient être abordés en relation avec la valeur de la force de travail. La culture est aujourd’hui marchandisée, elle n’entre pas comme constituant de la valeur de la force de travail. La création artistique vit encore un rapport quasi féodal, dominée par le mécénat, et très souvent le «don de soi», très bien imagé dans la représentation de l’artiste sans le sous et marginal à la société jusqu’au moment ou le marché s’en empare pour le transformer en polichinelle médiatique. La recherche est de plus en plus confisquée par le capital, sa chasse gardée, alors que c’est clairement un élément qui devrait entrer dans la valeur de la force de travail si les travailleurs veulent en avoir le contrôle et la jouissance.
Comme on le voit, les auteurs du texte cachent une incurie théorique derrière une diarrhée de citations qui n’ont le plus souvent rien à voir avec le sujet. La simple déconstruction/reconstruction du texte est la meilleure manière de voir le vide des têtes de ceux qui pensent posséder la vérité infuse.

Au § 3 de la page 25, il y a cumule de deux notions fausses, le travail non payé et l’assimilation de la plus-value à du profit: Plus grand sera le nombre de personnes salariées qui travaillent longtemps (durant une année et sur une vie), plus la masse du travail non payé aux salarié.e.s sera volumineuse. Cette dernière est effectivement appropriée par le Capital, sous forme de plus-value et profit.
On a déjà vu ce qu’il faut penser du travail non payé. Ce qu’il y a dans ce § est cependant hallucinant. Il reproche au capital ce qu’il n’arrive précisément plus (ou ce qu’il n’a jamais réussi)  à faire: faire travailler un nombre de salarié.e.s aussi grand que possible, pendant le plus longtemps possible, pour augmenter le profit. Messieurs les auteurs, un peu de pudeur, tout au long du texte vous vous battez pour prouver que le capital a besoin d’une masse aussi grande que possible de travailleurs qui ne travaillent pas pour les «mettre en concurrence», ce qui est le contraire de ce que vous écrivez dans ce §. Ce qui est vrai, c’est que le capital essaie de faire travailler le moins de monde possible mais le plus intensément et longtemps possible. Il résulte de cela une «armée de réserve», des chômeurs qui espèrent encore trouver un emploi, et il est vrai de dire ici «à n’importe quel prix», et des exclus qui n’espèrent plus rien. Cela est obtenu en maintenant les salarié.e.s dans la pauvreté, qu’ils n’aient à la fois pas la possibilité d’échapper au travail et la peur de se battre. Mais cela résulte d’une mécanique systémique, c’est cette mécanique (qui fait le travail pour lui) que le capital maintient.
Maintenant venons en à la notion «de masse de travail non payé… appropriée par le capital, sous forme de plus-value et de profit». La plus-value n’est pas «une masse de travail non payé au salarié» puisque le capitaliste ne paie pas le travail du salarié mais sa force de travail. S’il payait du travail au salarié, il serait parfaitement inutile de chercher ce qu’est «la valeur de la force de travail», il suffirait de chercher ce qu’est la valeur du travail. Si les auteurs avaient la moindre once de «jugeotte», ils auraient alors remarqué que le travail comme tel n’a pas de valeur, il est la richesse ajoutée, que le travail est la richesse, que celle-ci se mesure à sa productivité. Ils auraient alors remarqué que le travailleur est payé pour une certaine durée, mais qu’il travaille plus longtemps que ce qui est nécessaire au renouvellement de sa force de travail. C’est précisément là que se trouve le génie de Marx, il a décortiqué ce mécanisme et a montré qu’il était un rapport de production, et que le capital ne devenait capital que lorsqu’il est nourri par ce rapport de production, le processus d’exploitation de la force de travail, ce qui n’est pas la même chose que de chipoter au travailleur une partie du travail non payé. C’est précisément parce qu’il n’achète pas le travail du travailleur que le capital n’a pas intérêt à employer tout le monde et à disposer «d’une masse toujours plus grande de travail non payé», ce qui l’intéresse c’est d’exploiter le plus intensément possible un nombre limité de travailleurs pour tirer de chaque travailleur exploité une plus-value aussi importante que possible. C’est cela qui agrandit son capital. Ce qu’il est donc juste de dire, c’est que le capital n’achète que la force de travail dont il a besoin, toujours le moins possible, pour faire fructifier son capital. C’est pourquoi il n’utilise tendanciellement que peu de travailleurs et un maximum de capital, ce qui conduit à une accumulation de plus en plus grande de capital de plus en plus difficile à faire fructifier.
Et on arrive ici à la question de la baisse tendancielle du taux de profit, ce qui n’a rien à voir avec une éventuelle baisse du taux de plus-value, ce qui veut dire que la plus-value et le profit sont deux choses très différentes.
Le taux de plus-value se calcule à partir du capital utilisé pour payer la force de travail (et non son travail) et la valeur ajoutée par le travail (la mise en activité de la force de travail). Cette valeur ajoutée diminuée du salaire versé au travailleur est la plus-value. Si la masse des salaires est de 3000, que la valeur ajoutée est de 6000, on obtient un taux de plus-value de 100%, soit 6000 - 3000 = 3000. Ces 3000 sont égaux à 100% des 3000 avancés en salaire.
Le taux de profit est tout autre chose. Il résulte du calcul suivant: 20000 = capital total avancé (salaires 3000 et instruments de production + matières auxiliaires 17000). Plus-value 100% = 3000 ; taux de profit = 3000 (plus-value) sur 20000 (total du capital avancé) = 3000: 200 = 15%.
Il ressort de cela que si un même nombre de travailleurs exploités à 100% devaient rentabiliser 30000 à la place de 20000, le taux de profit s’abaisserait à 10% à la place de 15%. C’est pour cela que le capital utilise le moins possible de travailleurs pour les exploiter le plus intensivement possible, afin que chacun rentabilise un maximum de capital, autrement dit il préfère exploiter plus intensivement que de manière extensible. Pour rentabiliser les 30000 il préfèrera donc exploiter ses travailleurs à 150% à la place de 100% et ainsi obtenir le même taux de profit sur une masse de capital plus grande. C’est ce qui se passe aujourd’hui.
Dans le capitalisme, le taux de plus-value augmente tendanciellement avec la productivité du travail, tandis que le taux de profit baisse tendanciellement avec l’accumulation de capital.
Mais nos braves auteurs du texte ne font pas que l’erreur de croire que la masse de plus- value importe autant que son taux, il font l’erreur de croire que cette plus-value est toujours réalisée, par conséquent transformée en profit. Ce n’est pas vrai, et ça l’est de moins en moins. A mesure que la masse de capital grandit, ce qui est un indice de surcapacité productive par rapport à un marché non extensible, il se passera que la réalisation de la plus-value, sa transformation en profit, sera plus-difficile. Si plusieurs capitalistes se disputent le même marché (compris comme lieu de réalisation de la plus-value) ils se feront concurrence pour que ce soient les marchandises de l’autre capitaliste qui restent invendues, qui verront par conséquent la plus-value qu’elles contiennent non réalisée. Donc, déclarer que la plus-value et le profit ne font qu’un est faux. Au contraire, ce sont deux choses très différentes. L’une résulte de l’autre, mais les contradictions du système font que l’une ne se transforme pas automatiquement en l’autre.

Et que penser de la «pensée» du MPS sur la question des prix ? Le titre du chapitre «la farce de la baisse des prix»(p. 25) montre l’énorme mépris des auteurs sur la question. Pour ne pas avoir besoin d’aborder ce problème délicat par rapport à sa position qui part de l’a priori que le profit est automatique, par conséquent les prix aussi, le MPS n’aborde que les prix à la consommation. Il laisse de côté tous les autres prix, en particulier ceux résultant de la lutte sans merci entre capitalistes pour la conquête du principal marché, celui de la construction/destruction constante de l’appareil de production. Cette bagarre sur les prix se fait essentiellement sur le dos des salaires, et c’est cette guerre inter capitalistes qui mène aux délocalisations.
C’est aussi cette guerre-là qui détermine en grande partie la «distribution sociale», c’est-à-dire finalement ce qui sera produit: un appareil de production démesuré ou des prestations pour le bien-être des gens.
Le texte ignore aussi totalement la guerre des prix pour les matières premières (pétrole, charbons, métaux, etc.) mais aussi pour des biens vivriers provenant du Tiers-monde, le café, le chocolat, etc. Il ignore superbement le rôle des intermédiaires, la paupérisation des producteurs (en particulier des petits paysans). Il ignore totalement la spéculation sur les denrées de premières nécessité comme le blé, le riz. Il ignore totalement à quel prix écologique sont produites des denrées tropicales bon marchés à la production, se renchérissant à mesure qu’on s’oriente vers les centres de consommation.
La question des prix est gênante parce qu’il est impossible de la comprendre sans saisir un problème clé: la soumission, ou l’instrumentation du capital dit industriel par le capital financier. Les surcapacités productives, inévitables dans une société capitaliste, mènent à une difficulté de vendre, donc au développement d’un appareil de vente démesuré, à la multiplication d’intermédiaires prenant chacun leur part sur les produits. Mais cela entraîne aussi la libération de capitaux dits libres, non liés à un objet industriel, qui fonctionnent comme des véritables prédateurs. De la guerre capitaliste pour la production industrielle on passe à la guerre capitaliste commerciale. L’ensemble des gains de productivité est ainsi dilapidé dans cette guerre absurde, ce qui donne l’impression que rien n’a plus aucun sens. Lorsque les gains de productivité sont littéralement dévorés par la guerre commerciale, il ne reste plus rien à reporter sur les salaires, et plus rien ne viendra s’ajouter aux constituants de la valeur de la force de travail. Au contraire, ceux-ci sont à leur tour attaqués et sacrifiés sur l’hôtel de la guerre des prix.
Par rapport à cela les trois pièges décris par le MPS apparaissent misérabilistes et plus que superficiels. Le premier piège, évidemment, commence par une attaque au président du parti socialiste qui rêve à un parallélisme entre baisse des prix et baisse des salaires. Mais le reproche est surtout que Fehr pense que «les groupes oligopolistes» (contrôle de quelques-uns) qui dominent le marché ne maîtrisent pas, même en concurrence, le calage des prix des produits» (p. 25, §7). Toujours ce point de vue manichéen présentant le capital comme maître de tous les tenants et aboutissants de son système. Oui, Messieurs les auteurs de ce texte, les oligopolistiques eux-mêmes peuvent très bien un jour devenir les victimes de leur propre système ! C’est notamment ce qui se passe lors des crashs boursiers, ou lorsque l’un d’eux perd la guerre (ça leur arrive aussi !) Mais l’important ici, c’est que la position de Fehr n’est pas critiquée là où elle devrait l’être, ce serait gênant pour le MPS. La position de Fehr se positionne à partir du capitalisme national, elle veut lui offrir une place compétitive, et elle dit que les prix suisses sont trop élevés par rapport à ceux d’autres pays. Fehr se situe totalement à l’intérieur d’une position très conservatrice, la défense du Standort Schweiz, et pas du tout sur une position tournée vers l’avenir remettant en cause le système même de formation des prix dans le capitalisme. Cette remise en cause, le MPS ne la veut pas non plus, puisqu’il estime lui-même qu’il faut prioritairement défendre les travailleurs en Suisse contre le reste du monde. C’est cette défense du Standort Schweiz qui fait le nid de la xénophobie, et pas du tout la libre circulation des travailleurs polonais.
On ne voit pas exactement à quoi veulent en venir les auteurs de la brochure lorsqu’ils parlent du deuxième piège (p. 25, dernier §). La notion de qualité par le prix est ici mal amenée. Mis à part cela, il est vrai que des produits à bas prix seront de mauvaises qualités, voir parfois dangereux pour la santé et écologiquement destructeurs. C’est le cas pour l’ensemble des produits agricoles de culture intensive bourrés d’engrais chimiques et de pesticides.
Le troisième «piège» (p. 26, deuxième §) est écrit d’une manière encore plus tordue, mais il est révélateur. Il commence par dire que les salaires sont bouffés par des frais fixes (assurances maladies, loyers, frais scolaires qui vont grimper, l’EMS aux parents âgés, le paiement des intérêts pour le petit crédit usuraire…) Il indique que le prix du sucre ou des pâtes ne changera pas le problème, et il conclut que tout cela sert à «justifier des blocages de salaires … et à mettre à mal la position de secteurs semi-artisanaux (garages, petite distribution, épicerie devant ajouter le travail d’un buraliste postal, etc.)». On ne voit pas bien ce que vient faire le buraliste postal ici, mais passons. L’important c’est l’approche faite, en particulier que des frais fixes «loyer, les primes d’assurance maladie, les frais scolaires qui vont grimper, l’EMS aux parents âgés, le paiement des intérêts pour le petit crédit usuraire…» sont tous dans le même paquet, et surtout qu’ils sont qualitativement présentés comme les autres prix. On retrouve ici l’approche faite concernant «le prix du salaire» et «les coûts de production / reproduction de la force de travail». Généralement les activités de reproduction ont jusqu’à aujourd’hui été produites par l’Etat. Elles étaient importantes parce que le plus souvent mutualisées. Que leur coût augmente est généralement un signe d’amélioration des prestations aux usagers. Leur production a développé tout un secteur d’activités ne subissant pas directement le rapport capitaliste, le mode capitaliste d’exploitation de la force de travail.
La bataille que  livre aujourd’hui le capital a pour enjeu de faire entrer ces activités dans le rapport normal capitaliste, donc les sortir des constituants de la valeur de la force de travail pour en faire des produits marchands. Mettre ce processus en parallèle et au même niveau que le «prix du sucre ou des pâtes» est conceptuellement faux.
Cela provient de la confusion qu’entretient le MPS sur deux phénomènes bien différents: le premier, le prix de la force de travail (dans ce texte confondu avec le prix du travail) qui s’exprime dans le salaire concret versé par les capitalistes, le deuxième, la valeur de la force de travail. Le prix des pâtes ou du sucre et les services comme la santé, le soin aux vieillards, etc. sont deux moments bien différents de la lutte que le MPS contracte en un sous l’égide des prix à la consommation. Plus bête on meurt.
De plus, en parlant des «secteurs semi-artisanaux (garages, petite distribution, épicerie devant ajouter le travail d’un buraliste postal, etc.)» le texte met le doigt sur un problème général de la production capitaliste en le présentant comme un problème particulier. Ce problème est que le travail n’est en général pas payé au producteur. Dans le cas de l’artisanat, on peut dire clairement que c’est bien le travail qui est payé puisque, à la différence du salarié qui vend sa force de travail, l’artisan vend le produit de son travail, donc son travail matérialisé. Mais le fait que son travail soit mal payé à l’artisan ou au petit producteur ne signifie en aucun cas qu’il soit payé aux autres producteurs, même capitalistes. Généralement la longue chaîne des intermédiaires vient se servir en réalisant et s’appropriant une partie de la valeur contenue dans le produit du travail. Cela est valable pour l’ensemble de la production sociale, y compris celle des secteurs strictement capitalistes. Cela résulte de la domination du capital financier sur le capital industriel, ce dernier produit de la plus-value, mais ne se l’approprie pas nécessairement, elle peut être appropriée dans le processus de commercialisation (le processus marchand) à chaque maillon de la chaîne menant de la production à la consommation. Alors, chers amis auteurs du texte, il n’y a pas que les secteurs semi-artisanaux «qui seront contraints, d’une part d’abaisser leurs revenus et le salaire de leurs employés et, d’autre part, qui grossiront les rangs des chômeurs et chômeuses en cas de faillite», mais tous les secteurs de la production sociale sont exposés à ce «risque», en réalité une fatalité dans le capitalisme. C’est un problème systémique qui se résout partiellement dans les crises chargées de détruire les «surcapacités», en réalité de détruire du capital… parce qu’on en est gorgé !

On arrive maintenant à la question de la concurrence. Le texte est titré «Un choc concurrentiel brutal» (page 26).
On croit qu’on va enfin parler d’un phénomène constituant du capitalisme, la concurrence, qui met face à face chaque capitaliste dans leur lutte pour la seule chose qui les intéresse, la transformation de la plus-value en profit, en quelque sorte les rapports marchands. Dès le début on est déçu. Le texte (p. 26, §3)  commence comme cela: Mettons face à face les coûts salariaux existant dans le secteur manufacturier des pays nouveaux entrants de l’UE et ceux régnant dans l’UE à 15. Selon le Bureau international du Travail (BIT) «au cours des dernières années 1990, en moyenne, ils [coûts salariaux] représentaient moins de 10% des coûts salariaux du pays de l’UE dans lequel ils étaient le plus élevés, à savoir l’Allemagne» (revue internationale du travail, vol. 142, 2003, no I, p. 9).
Ainsi le décors est posé, les coûts salariaux provoquent le «choc concurrentiel brutal «, il ne faut donc surtout pas que les polonais puissent librement venir en Suisse ! Ensuite le texte explique
Le capitalisme suisse possède un avantage en termes de coûts salariaux unitaires sur l’Allemagne. Mais ces chiffres donnent toutefois une idée certaine du choc concurrentiel qui va survenir ; même si les salaires dans les pays nouveaux entrants vont un peu augmenter, du moins pour certains secteurs de salarié.e.s.
Le choc concurrentiel provient donc des coûts salariaux comme si les salaires évoluaient dans un contexte neutre, non déterminé ; comme s’il suffisait de se protéger contre les salaires venant de l’étranger pour éviter le «choc». On a là un exemple typique à la fois d’une méthode, on prend les phénomènes comme s’ils n’avaient aucune détermination extérieure, et on n’analyse que leurs effets sur les acteurs directement concernés, dans ce cas les salarié.e.s. Mais, finalement, on conclut aussi qu’à l’intérieur de chacun d’eux chaque phénomène évolue selon sa propre dynamique, par conséquent que la concurrence entre travailleurs évolue avec l’«évolution des travailleurs» (encore une tautologie), dans notre cas ce serait l’irruption des Polonais dans l’espace suisse qui serait la cause de l’accroissement de la concurrence, ou du «choc concurrentiel». C’est un peu comme si les scientifiques analysaient l’univers comme suit: puisqu’il y a gravité terrestre, que cette gravité fait que tout objet plus lourd que l’air est attiré par la terre et tombe, tout le système de l’univers tourne autour de la terre. La méthodologie est donc adialectique, pour ne pas dire simpliste. Avec elle on arrive à un contenu linéaire, mécaniste, et faux. On ne comprend plus les phénomènes grâce à leurs relations, mais on les comprend pour eux, tels qu’ils apparaissent au premier coup d’œil, et, comme cela, on n’a pas besoin d’en voir ni l’intérieur, ni ses relations avec l’extérieur. On arrive donc nécessairement à un contenu totalement faux.
En réalité, la concurrence est un phénomène du capitalisme, qui est en symbiose avec lui, qui fait donc partie de son ensemble systémique. Elle intervient à tous les niveaux. Mais si on la considère comme telle, il faut en voir le noyau pour en examiner les effets. Elle a des effets qui va de son centre à sa périphérie, un peu comme une onde de choc. Pour comprendre ces effets, il faut repérer leur origine. Comme pour mesurer une onde de choc d’un tremblement de terre ou d’une explosion, il faut repérer l’épicentre, l’endroit où les deux plaques tectoniques se sont heurtées. Si on applique cela à la concurrence, il faut premièrement connaître la cause profonde de la concurrence pour en repérer ensuite les ondes de chocs. La cause est clairement la lutte pour le profit. C’est cette lutte qui est l’épicentre du phénomène, c’est elle qui motive l’ensemble de la production capitaliste, c’est aussi elle qui détermine l’ensemble du processus de distribution.
Par rapport à cette lutte inter capitalistes pour le profit la concurrence entre travailleurs est une onde de choc secondaire. Il ressort de cela que sans agir sur l’épicentre de la concurrence, la lutte inter capitalistes pour le profit, il n’y aura pas de solution ; au contraire, l’onde de choc de cette lutte s’amplifiera en détruisant tout sur son passage. Dans notre cas, la concurrence s’amplifiera en même temps que les conditions de lutte pour le profit se durciront, ce qui signifie que sans agir sur cette lutte tout sera balayé, non seulement les salaires baisseront, mais en plus les acquis sociaux qui semblaient être entrés dans les constituants de la valeur de la force de travail seront liquidés.
Les auteurs du texte partent de l’idée que la concurrence inter capitalistes, leurs luttes pour le profit, n’existe pas, ou est secondaire. Les seuls éventuelles victimes seraient certains producteurs «semi-artisanaux». Pour le reste, il y aurait une entente totale entre les capitalistes coalisés pour se battre contre les travailleurs, eux, complètement décoalisés, que l’USS ou d’autres représentants de la gauche diviseraient. Les grandes firmes maîtriseraient tout, et en Suisse, cas particulier dans le concert des nations impérialistes, les firmes seraient protégées parce qu’occupant des «niches» particulières qu’elles seules, grâce à leur excellence, seraient capables d’occuper. Cela apparaît dans le § suivant (p. 26, §5): Ce choc (concurrentiel) va être canalisé sous deux formes par les grandes firmes. L’une, par l’accroissement des investissements dans ces nouveaux pays (IDE). L’autre, en attirant en Suisse une main-d’œuvre, sans que soit introduite une régulation vers le haut des normes sociales (minima sociaux, salaire minimum) au sein de l’UE à 25 ; et sans que des droits sociaux et des contraintes légales accrues soient instaurés en Suisse (donc de véritables mesures d’accompagnement).
Quel manichéisme ! A cette approche qui est catastrophique pour l’ensemble du mouvement salarié, nous devons opposer une analyse qui soit un vrai instrument pour se battre. Cette analyse part du principe avéré que le capitalisme est basé sur la lutte pour le profit, que tous les capitalistes participent pour leur propre compte à cette guerre. Que la concurrence est en réalité une guerre pour l’accès au profit, et que celle-ci se développe sans qu’elle soit contrôlée par l’un ou l’autre des capitalistes. Par voie de conséquence la concurrence est une guerre par élimination des concurrents, et ceux-là sont avant tout différents capitalistes possédant différents capitaux qu’ils veulent et doivent rentabiliser (c’est là qu’intervient une volonté individuelle et non un pouvoir tout puissant). Quel que soit le moyen utilisé et l’endroit où il puisera son profit (construire des bombes atomiques, des maisons, produire de la santé pour ceux qui ont de quoi se l’offrir, être un simple «gestionnaire» de capital ou de fortune, etc.) le but est le même pour chaque capitaliste, rentabiliser le capital dont il a la charge, à son nom où à celui d’autres propriétaires de capital. Lorsque tout le monde a le même but, et que tout le monde se bat contre l’autre pour atteindre son objectif, il y a nécessairement des victimes, donc des contradictions à l’intérieur de la classe composée de concurrents. Dire que le capitalisme est un système basé sur la compétition n’est pas un vain mot.
Une fois qu’on a compris cela on peut analyser l’onde de choc. Mais avant cela il faut comprendre d’autres phénomènes constituant le capitalisme, comme système. Le principal est le travail. Si pour les capitalistes l’élément fondateur est leur capital et leur profit, pour les travailleurs l’élément fondateur est le travail lié à un salaire. L’un est nécessairement subordonné à l’autre. Dans ce système, le capitalisme, le travail est l’élément subordonné au but des capitalistes, de chaque capitaliste pour lui, le profit.
Le camp du capital est mu par la guerre pour le profit ; ce qui meut le travailleur est l’accès au salaire, tout d’abord recevoir un salaire, donc avoir un emploi, ensuite avoir un salaire aussi élevé que possible, couvrant au mieux les constituants de la valeur de la force de travail. Dans le système actuel, qu’il y ait emploi ou non est dépendant du capital, qu’on le veuille ou non. Pour qu’il en soit toujours ainsi le capital interdit tout travail qui se développerait hors de lui, tout travail qui n’est pas fait dans son rapport d’exploitation est limité, banni, et considéré comme non productif.
Le salaire des travailleurs subit l’onde de choc de la concurrence inter capitalistes. Mais les travailleurs ne se font pas concurrence entre eux pour le niveau de leur salaire, tout au plus lorsqu’ils sont nombreux sur la liste d’attente le capitaliste les joue-t-il les uns contre les autres. Dans cette concurrence, le salaire est un élément donnant une marge de manœuvre compétitive non pas au capital en général, mais à chaque capitaliste particulier. C’est un fait, mais cela ne peut en tout cas être pris comme l’épicentre du phénomène. Celui-ci reste la course au profit. Ce qui est important ici, c’est que si les capitalistes doivent se battre entre eux pour l’accès au profit, les travailleurs salariés doivent s’allier pour leurs salaires. C’est la grosse différence. De plus, le travail salarié est un processus de coopération où chaque travailleur apporte sa part à l’œuvre commune. La course au profit est un processus de dépeçage où chacun se bat pour sa part.
La «concurrence» entre travailleurs, produit de l’onde de choc de la compétition entre capitalistes, ne peut donc pas être combattue selon les principes qui régissent cette compétition, mais selon des principes de coopération: empêcher l’accès à son «pré-carré» à d’autres travailleurs sous le prétexte de se protéger contre leur concurrence est donc en soi une absurdité. Cela divise le camp des travailleurs et cela singe les pratiques de ceux qui courent au profit. C’est dans ce piège que tombe le MPS.
La chose est d’autant plus dramatique qu’elle met en valeur les principes du camp adverse, la guerre pour sa part du festin, mais elle ignore les valeurs de son propre camp, la coopération. Dans le cas d’espèce, la libre circulation des personnes, cette coopération ne peut en aucun cas passer par la mise au purgatoire, même momentanée et pour des motifs présentés comme honorables, d’une partie des salariés. Pourtant «ceux-ci pourront coopérer avec nous quand ils seront comme nous, pas avant» semblent penser les auteurs du texte.
Ce passage sur le «choc concurrentiel brutal »  se termine par une «illustration» du machiavélisme tout puissant du Capital (p. 26, §7)
En Suisse, l’offensive du Capital sera de même type (qu’en Autriche où la part des salaires dans le revenu national a fortement chuté) … Die Weltwoche consacre un article donnant le ton: il faut laisser la «libéralisation» du marché faire son œuvre car cela facilitera des «réformes de structures» de l’économie suisse … Elle, (la Weltwoche) dit tout haut, ce qu’un secteur du patronat désire, mais, tactiquement, ne veut pas proclamer aujourd’hui. Toutefois, il commence à le faire…
Ainsi il faut s’attendre à «l’offensive du capital» dont «le résultat est couru d’avance: le dumping social et salarial va se durcir» (p. 27, §1). On ne le savait pas ! Il faut alors réduire ce dumping en lançant un référendum empêchant les Polonais de venir travailler «chez nous», il faut se replier dans notre forteresse et laisser les autres au «purgatoire» en attendant des jours meilleurs.
Et, évidemment, le texte sous-entend partout que le capital pourrait choisir, il en aurait les moyens parce qu’ «un dollar bas permet aux firmes établies en Suisse d’acheter des matières premières … moins chers puisque le dollars baisse par rapport au francs suisse» (p. 27, §3). Moralité, les travailleurs en Suisse, cet havre hors concurrence, doivent en profiter, mais il faut qu’ils empêchent les autres de venir troubler cette harmonie en se proposant à bas prix ! Décidément, on a besoin de ce referendum parce que (p.27, §6)
Les accords bilatéraux de «libre circulation» entre la Suisse et l’UE à 25, adossés à des mesures d’accompagnement soldées, font partie de ce projet (l’offensive du capital en Suisse). Il doit être combattu, entre autres en rejetant le «paquet» lors du vote de septembre 2005.»
On peut tourner le problème comme on veut, ce referendum est bien là pour protéger les Suisses contre l’ennemi extérieur, et tout doute émis est l’œuvre de collaborateurs du capital. Les «patrons», et le grand capital, sont tout puissants, ni l’un ni l’autre n’est travaillé par des contradictions internes ; ils dominent tous leur système et personne n’en est victime. Celui-là est une construction machiavélique, il n’est donc pas un système au sens qu’il faut donner à ce mot, mais il est une mécanique qu’on conduit comme une voiture. De là le mécanisme manichéen du MPS. Et si le système a des ratés, c’est parce qu’il y aurait des erreurs de conduite.
Le texte dans son ensemble refuse toute dialectique. Il est construit pour prouver que ceux qui ne lancent pas le referendum sont des traîtres. Cela est encore accentué dans le passage suivant (p. 27, §4): Il faut le dire et le redire. Le capital a besoin de légitimer une baisse généralisée du «coût salarial». Pourquoi ? Il veut accroître le taux de profit. Il tient à tirer parti des occasions que lui offre l’arrivée sur le marché mondial de régions où les conditions d’extraction de la plus-value sont supérieures. C’est-à-dire où les conditions d’exploitation (salaire, temps de travail, sécurité sociale, droits syndicaux, etc.) sont «meilleures»… pour lui».
Il a fallu attendre les bilatérales et le «danger» représenté par les Polonais, Lithuaniens, etc., pour s’apercevoir que le capital «a besoin de légitimer une baisse générale du «coût salarial». Mais, chers auteurs du texte, il faut être bien naïf pour affirmer cela ! Il y a longtemps, très longtemps, depuis les origines du capitalisme, que «le capital a besoin de légitimer une baisse généralisée des coûts salariaux». Et depuis les origines du capitalisme la division des travailleurs par nation a été utilisée. C’était même d’une manière récurrente le moyen de diviser les salarié.e.s, surtout lorsque les conditions objectives de leur unité, la faillite du système, devenaient trop évidentes. Cette division, le plus souvent, n’était cependant pas l’œuvre subjective du grand capital, le système agit pour lui, mais celle de forces internes aux salarié.e.s, précisément ces forces qui ne veulent pas comprendre que le Capitalisme est un système, qu’il n’est pas une construction seulement idéologique, que la volonté «subjective» des forces qui le composent ne fait pas le poids lorsque la machine s’ébranle.
En effet, dès lors, tous les vieux ronrons sont balayés, les contradictions s’aiguisent, et, pour s’en sortir il faut faire appel à nos valeurs fondamentales, pour les salariés la coopération. Le capitalisme n’est pas passé de sa phase industrielle à sa phase financière par plaisir, grâce à un plan mûrement réfléchi des «penseurs» de la classe bourgeoise, mais parce qu’une masse de capital de plus en plus importante, processus généré par l’accumulation capitaliste, s’est détaché de son lien originel, «son» entreprise, pour aller de l’une à l’autre, au gré des «humeurs» des investisseurs souvent cachés derrière de vulgaires boursicoteurs.
Si on n’a pas pu conquérir des droits supérieurs (libertés syndicales, règles empêchant le dumping salarial) lorsque nous étions «entre nous», sans les Polonais, Lithuaniens, etc., avant les bilatérales II, on ne les obtiendra pas plus sans eux après. Par contre, on aura plus de chances de les obtenir par la coopération avec eux, et de plus on pourra se joindre à la lutte de tous les travailleurs de l’UE, ce qui représente une force bien plus crédible que nos suppliques et referendum de petits suisses. L’avenir, c’est vraiment de se battre par-delà les frontières, en en abattant le plus possible, c’est la seule manière de ne pas être broyé par le système dont l’élément fondateur, le capital, est déjà depuis longtemps sans nation.

Il reste deux choses à traiter dans ce chapitre. Premièrement l’affirmation que le Capital «veut accroître le taux de profit». On retrouve ici la confusion entre plus-value et profit. Ce qui serait juste de dire c’est qu’il (le Capital) se bat contre la baisse du taux de profit, pour cela il veut accroître le taux de plus-value. Et ici il serait judicieux de parler de la difficulté systémique rencontrée: tendanciellement le taux de profit baisse, même si le taux de plus-value augmente.
On pourrait alors expliquer pourquoi le taux de profit baisse malgré que l’exploitation augmente. Cela montrerait aux travailleurs que leurs sacrifices ne fait qu’accélérer le processus qui oblige le capital à durcir l’exploitation, et, peut-être, cela ouvrira la voie à une résistance plus forte, à une prise de conscience les menant à une remise en cause du système lui-même. A la place de cela, le MPS présente le taux de profit comme découlant automatiquement du taux d’exploitation, donc donne l’espoir aux travailleurs que s’ils sont bien exploités ils auront au moins des emplois, «n’est-ce pas l’intérêt des capitalistes de bien exploiter ?»

Dans ce même passage, les auteurs du texte disent exactement le contraire de ce qu’ils affirmaient 4 pages plus tôt. Il est ici dit: «Il (le capital)  tient à tirer parti des occasions que lui offre l’arrivée sur le marché mondial de régions où les conditions d’extraction de la plus-value sont supérieures. C’est-à-dire où les conditions d’exploitation (salaire, temps de travail, sécurité sociale, droits syndicaux, etc.) sont «meilleures»… pour lui». Plus haut, par contre, le MPS affirmait: «Un travail très intense et long, avec une productivité élevée, aboutit à ce que la part des salaires dans chaque unité produite est la plus restreinte possible … Ce n’est pas seulement le montant du salaire qui importe. C’est ce montant mis en relation avec la quantité de ce qui est produit dans un temps donné … Sur ce terrain, les firmes suisses sont dans le peloton de tête. D’autant plus qu’elles opèrent dans des secteurs très spécialisés, c’est-à-dire dans des niches du marché mondial…» Que croire, la première affirmation ou la seconde ? à choix, comme au super marché !

On retrouve aussi une vision idyllique du capital: Ainsi, le Capital - et les capitaux (firmes) qui constituent son existence concrète - cherche à mettre en concurrence toutes les forces de travail dans le monde.
Ainsi, selon le MPS, le capital = «firmes qui constituent son existence concrète». On pouvait affirmer cela il y a 150 ans, le dire aujourd’hui c’est oublier que le capital n’est pas ou plus les firmes. Lorsque AOL valait 3000 fois son bénéfice annuel, on ne pouvait décemment pas dire que le capital était égal à la firme. Cela a abouti au crash boursier rampant de 2000 à 2002.
On oublie, ou plutôt on nie le fait que le capital s’est détaché «de son existence concrète», il n’existe que pour et par lui. Les firmes sont tout au plus des objets de spéculation d’un capital de plus en plus dévorant. Et qu’on ne vienne pas ici me dire que ce que je décris c’est «la bulle spéculative», ce n’est pas vrai, c’est le capital financier. La bulle spéculative est un gadget utilisé pour cacher le fondement: nous sommes dans une société d’actionnaires, chacun veut son profit, «son» profit à lui, pas celui des autres. Il y a eu des moments d’illusion où on pouvait encore lier le capital des entreprises et des patrons particuliers. Ce n’est plus le cas, ou presque plus le cas, et c’est pour cela qu’il n’est pratiquement plus possible de mener une politique d’ensemble. Dans ce système, et au stade du capitalisme financier, chacun se bat pour «son» capital, «son» profit, contre celui des autres, et chacun se fout pas mal de la production, ou de ce qui sera produit: des bombes, de la pollution, ce qui importe c’est que ça lui rapporte, à lui, pas aux autres.

Pour conclure quelques mots sur le constat suivant (page 28, §1): Il est impossible de débattre sérieusement de la pertinence d’un soutien à ce «strict minimum», selon André Daguet, que constituent les mesures d’accompagnement, sans, tout d’abord, préciser un point essentiel: la faiblesse des droits syndicaux en Suisse.
C’est vrai, les droits syndicaux en Suisse sont très faibles. Quiconque le sait, la paix du travail était un symptôme de cette faiblesse. Mais avec une once de «jugeotte» quiconque se poserait la question pourquoi ? Cette faiblesse n’a rien à voir avec les bilatérales puisqu’elle existait bien avant elles. La réponse à la question «pourquoi» est pour le MPS toute trouvée, c’est évidemment la trahison des bureaucraties syndicales bien trop occupées à «participer aux dîners de gala officiels» (p. 9, §7). Les travailleurs qui ont acceptés cela sont aussi tous des cons, n’est-ce pas ? On conviendra qu’une analyse plus sérieuse est nécessaire.
Mais une chose est sûr, si on continue comme jusqu’à aujourd’hui à se barricader derrière la «spécificité» Suisse, et bien la bureaucratie aura encore des beaux jours devant elle et pourra encore longtemps se gaver dans «les dîners de gala officiels». Les bilatérales I ont révélé la faiblesse des droits suisses, elles ont montré que peu de travailleurs allaient se précipiter pour dénoncer les cas de dumping salarial. Et pour cause, chaque travailleur sait que son collègue de travail a avant tout besoin de son job. Les bilatérales I ont mis l’accent sur un contrôle d’en-haut. Les bilatérales II accentuent ce contrôle d’en-haut, par des experts extérieurs aux entreprises. C’est un «pis aller» qui peut être employé de deux manières, contre l’employeur ou contre le travailleur. Cela dépendra de l’état du mouvement ouvrier.
Mais une chose est sûr, l’élargissement à l’Europe crée une nouvelle situation pour les travailleurs: ils devront intégrer dans leur stratégie le fait qu’ils se battent avec tous les Européens, et pas seulement pour préserver leur «réduit national», mais pour se battre avec, dans le semble d’ensemble, avec les Européens… et cela est une chance historique qu’il faut saisir.
Le MPS ne veut pas la saisir cette chance, soit parce qu’il croit encore à la révolution dans un seul pays, de plus aussi petit que la Suisse, soit parce qu’il ne croit plus qu’un autre monde est possible, et que maintenant il a fait le choix de se battre pour des réformes, que des réformes, partout où il est, entreprise par entreprise, commune par commune, canton par canton, région par région, pays par pays. Tout est ramené à l’homme dans la pire de ses conditions, celle qui le réduit à se battre contre tous les autres pour survivre, alors qu’il serait possible, grâce à la productivité du travail, de mettre tout le monde à l’abri de la précarité. Mais pour cela il faut mettre en avant la coopération, et non la lutte de tous contre tous. Le MPS ne veut et ne peut pas imaginer que la coopération entre les humains vaincra un jour, et que c’est de la coopération entre les hommes que dépend le sauvetage de la planète.

Alors, camarades Polonais, Lithuaniens, etc., excusez les quelques personnes qui suivront le MPS dans cette aventure, sachez que la grosse majorité veut vous accueillir et se battre avec vous, contre les Blochériens, contre les xénophobes.

1. Mouvement pour le socialisme

2. Tribune de Genève, le 2 février 2005, p. 12, article de Marc Bretton.

3. Ce qui est faux comme on le verra plus loin.

4. Parce qu’il s’agit bien de leur concurrence, pas celle des travailleurs.

5. Sauf mention contraire, les parties soulignées dans les citations l’ont été par l’auteur du présent document.

6. Tribune de Genève, le 2 février 2005, p. 12, article de Marc Bretton.